Exodus

Par Sebours
Notes de l’auteur : Alors j'ai apporté une modification au titre de Epiphone. Elle n'est plus Grand Potentat mais Grande Timonière. Un timonier pour un peuple de la mer, je trouve que ça sonne mieux.

Le feu grégeois est un mélange inflammable, brûlant même au contact de l'eau, employé pour la fabrication d'engins incendiaires utilisés au cours des sièges et des combats navals.

Pour compenser leur retard technologique vis à vis des autres bannières, les orcs ont développé une arme incendiaire artisanale, le feu liquide, contenu dans une bouteille en verre dont le composant principal est un liquide inflammable, habituellement de l'alcool, complété d'un liquide gras, habituellement de la mélasse, permettant le collage à la cible. Des capsules d'acide sulfurique sont éventuellement insérées et enflamment le liquide lors du bris de la bouteille, évitant ainsi d'avoir à allumer une mèche. Facile à fabriquer, le feu liquide est une arme très utilisée par les derniers nés de Nunn lors de leurs fréquentes révoltes insurrectionnelles.

Feu grégeois et feu liquide

Encyclopedia Gnomnica

Ome n’avait pas attendu la requête d’Ugmar et Slymock pour réfléchir au développement de son propre réseau de renseignement. Pour l’instant, il avait aménagé dans les chambres des combles du palais des observatoires donnant sur les bureaux de tous les puissants logeant au rez-de-chaussé. Les trous percés dans le plafond du maire du palais et du grand chambellan constituaient ses points d’espionnage favori. Suite à l’entrevue de ce matin, il ambitionnait d’installer sa milice dans les chambres inoccupées du château.

Après avoir quitté Ugmar et Slymock, comme tous les matins, il se précipita à l’étage pour découvrir la suite de la conversation. Mais ce qu’il découvrit ne ressemblait pas aux entrevues habituelles. Il alla de surprise en stupéfaction. Sa mère avait eu des enfants du grand chambellan et de son âme damnée ! Il avait deux demi-sœurs ! Et le baron comptait les exiler à Bordura, là où les humains possédaient l’espérance de vie la plus réduite sur le bouclier-monde.

Une crise de panique saisit Ome. Il resta de longues minutes allongé sur le dos sans pouvoir réfléchir ni s’arracher à sa léthargie. Soudain, une nouvelle discussion résonna dans le bureau. Le garçon reprit son espionnage. Le grand chambellan voulait faire tuer sa mère ! Il missionnait une tueuse elfe qui ne parvint pas à distinguer. Depuis le poste d’observation qu’il s’était aménagé dans les combles du château, il avait tout découvert des sinistres projets de ce scélérat. Cléandre avait mille fois raison de lui avoir conseillé de se méfier du baron ! Il était vil comme un serpent !

Le grand chambellan voulait faire tuer sa mère ! Il n’avait pas de temps à perdre ! Vite ! La prévenir ! La sauver ! Ome dévala les escaliers quatre à quatre manquant de se tordre le cou au moins deux fois. Il courut dans les couloirs. En tournant pour emprunter la porte qui donnait sur la coursive menant aux jardins, il percuta le torse puissant d’un personnage qui prenait la direction opposée. Sous le choc, le garçon recula de trois bons mètres pour se retrouver sur les fesses, un peu sonné. L’imposant elfe qui se tenait là n’était autre que le général Ull. Il fulminait déjà quand le grand chambellan qui l’accompagnait intervint pour éviter la dispute inévitable.

« Eh bien Ome, mon garçon ! Tu te trompes de direction ! Le conseil du roi est par là ! A moins que tu ne comptes nous quitter ! La moindre des choses serait de t’excuser auprès de notre cher général Ull. Tu as froissé son beau pourpoint tout neuf. Tu as eut de la chance que pour une fois, il ne portait pas son armure d’apparat ! »

« Pardon général Ull. Je ne vous avais pas vu. »

« Encore heureux ! Sinon, c’était la cour martiale à en juger par son regard ! Allez ! Suis-nous ou nous allons être en retard ! »

Le grand chambellan voulait faire tuer sa mère et il faisait de l’esprit ! Quelle déveine pour le garçon ! Il croisait les seules personnes qu’il aurait dû éviter. Il ne pouvait pas refuser. S’il s’absentait maintenant, le suspicieux baron enverrait immanquablement un espion à ses trousses. Louvois restait toujours dans les parages pour prendre ses instructions. Ugmar déduirait que Ome l’espionnait et cherchait à s’émanciper. Le grand chambellan voulait faire tuer sa mère ! Pour l’instant il ne pouvait rien faire d’autre qu’accompagner le commanditaire de ce meurtre ! Le conseil à peine commencer, il voulait qu’il soit déjà fini. S’il avait pu organiser la réunion dans le sac microcosmique pour accélérer le temps, il l’aurait fait. Après l’expédition des affaires courantes, le baron aborda la problématique des hybrides.

« Mon roi, le métissage des elfes avec les humains constitue une menace pour l’empire ! Dans les faubourgs de Zulla, les hybrides se comptent par milliers ! C’est la preuve de la perversion de certains membres du premier peuple de Batum-Khal ! Nous devons agir ! J’ai une liste de déviants rédigée par mes services. »

« Et que pensez-vous qu’il nous soit opportun de faire, grand chambellan ? »

« Nous devons emprisonner tous ces elfes au cerveau malade avant de les juger. Et nous devons exiler à Bordura toutes ces femmes qui ont fauté ainsi que tous leurs enfants hybrides ! »

« C’est une purge similaire à la rafle sur la ligue des ombres que vous envisagez, grand chambellan ? » questionna sarcastiquement le maire du palais. « Je doute que l’opinion publique soit aussi favorable cette fois-ci ! Les proscrits ne seront pas débarrassés de la pègre. Comment réagiront-ils à la séparation forcée d’avec certains de leurs proches ? »

« Des proches qui ont fauté ! Le colonel Tristan, comte de Bordura organisera leur jugement et rapatriera ceux qui le mérite ! La première caste est là pour faire respecter la loi ! Elle propose donc au conseil du roi d’agir en conséquence ! »

« J’adhère à votre vision, grand chambellan. Cependant, le maire du palais n’a pas tort. Nous risquons de déclencher une vague de contestation des derniers nés...pardon, des humains, alors que nous venons juste d’aboutir à une certaine concorde sociale. »

« Je suis d’accord avec vous, mon roi ! Pour effectuer une telle opération, un contre-feu serait nécessaire. Offrir une compensation permettrait de calmer l’opinion publique. Un peu comme au moment de l’intronisation de Ome. »

« C’est une approche intéressante, grand chambellan. Auriez-vous une idée à proposer dans ce sens ? » aiguillonna le baron Otto.

« Force et honneur ! Nous pourrions mettre en avant la milice que le représentant des derniers nés de Nunn s’échine à constituer depuis des mois ! » proposa un peu trop opportunément le général Ull. Cela sentait à plein nez la manipulation préparée par Ugmar.

« C’est vrai ça mon garçon !» s’exclama le souverain. « Et quelle fonction remplira donc cette milice ? C’est ça qui pourrait apaiser les proscrits ! Avoir des perspectives d’avenir ! »

« Ma foi, nous ne le savons pas encore car rien n’a encore été défini par votre conseil, roi Roll. »

« Ome débute encore dans son rôle de représentant. Il n’ose pas encore vous exposer ses pistes. Pourtant elles sont réelles. » intervint Ugmar. « Répète ce que tu m’as dit ce matin. »

En une minute, Ome se retrouvait sur la sellette. Le grand chambellan était bien un diable de politicien. Il restait dans l’ombre, laissant ses pions prendre les risques politiques à sa place. Et aujourd’hui, le garçon était près à prendre tous les coups pour accélérer la réunion et partir. Sa mère était menacée de mort !

« J’envisageai d’assurer un service de portage de missives pour les elfes. Nous nous en entretenions ce matin avec Monsieur le grand chambellan, pour éventuellement proposer ce service aux membres de la première caste. »

« C’est un scandale ! » explosa le baron Otto. « Cette « milice humaine » se trouve sous le commandement du général Ull de la troisième caste ! Or, le système des postes est une prérogative de la cinquième caste !  »

« Et c’est un système qui a prouvé son inefficacité au fil du temps. » glissa Ugmar.

« Il est endémiquement défaillant parce que le travail de coursier ne rapporte rien ! Un proscrit travaillant pour la neuvième caste touche autant si ce n’est plus ! » remarqua le maître architecte Vinci.

« Les gens de la foi verraient d’un bon œil l’amélioration du service des postes. » insista le grand prêtre Eliec. « La deuxième caste est prête à tenter l’expérience de laisser les derniers nés de Nunn assurer sa messagerie. Nous pourrions offrir une sorte de monopole temporaire à titre d’essai. »

Anémo, représentant de la quatrième caste renchérit. « Les gens du commerce sont également intéressés pour tenter l’expérience. Combien de marchés et de bonnes affaires sont tombées à l’eau pour un défaut de communication ! »

« Les gens d’armes ne tiennent pas forcément à conserver la milice humaine dans leur giron. » conclut le général Ull. « Mais, la plupart des hommes recrutés sont des légionnaires qui ont signé un engagement sur vingt ans avec la troisième caste. »

« Mais...mais...mais... » hoquetait le maire du palais.

Incroyable ! Pour Ugmar je ne suis vraiment qu’un pion ! pensa Ome. Le baron avait tout manigancé dans son dos. Ce matin, lorsqu’il avait évoqué le service des postes pour la milice, son plan était déjà prêt. Sinon, comment tous les membres de son camp politique pourraient-ils argumenter de la sorte ! Mais le temps pressait ! Le grand chambellan voulait faire tuer sa mère ! Le conseil du roi devait finir au plus vite ! Il avait assez duré ! Ome prit donc la parole pour clore les débats.

« Roi Roll ! Honorables membres du conseil ! Je vous propose donc de faire un test sur vingt ans. Et comme je suis fauconnier et colombophile de la maison du roi, je reste également sous commandement de la cinquième caste. Il me semble, mon roi, qu’il faudrait lever la séance afin que tout le monde puisse réfléchir aux tenants et aboutissants de ce sujet à tête reposée. »

« Vous avez fort raison, Ome, jeune représentant des humains. Nous levons la séance ! » conclut le roi.

Prestement, le garçon se leva et sortit, faisant fi du protocole. Il avait perdu au mois deux heures, mas rien n’était perdu. A grade enjambées, il traversa les couloirs du palais pour déboucher dans les jardins. Il s’engagea à toute vitesse dans l’avenue du commerce. Déjà ses poumons lui brûlait la poitrine. Si seulement il possédait un cheval, s’eut été plus facile ! Il arriva devant l’hôtel particulier dans lequel sa mère était prisonnière depuis tant d’années. Hors d’haleine, il tambourina à la porte. Au bout d’une éternité, une proscrite lui ouvrit. Elle lui expliqua que Slymock avait déjà récupéré Fame et ses deux filles.

Vite ! Par où aller ? La porte de l’Est ! Celle dont la voie donnait sur Port-de-Sable et Bordura ! Ome reprit sa course ! Ses jambes le portaient à peine. L’air piquait jusque dans sa gorge. Son souffle s’accélérait au-delà du raisonnable. Ses tempes tapaient au rythme frénétique de son cœur au bord de la rupture. Il devait tenir ! Le grand chambellan voulait faire tuer sa mère !

A la porte de l’Est, au pied de la muraille séparant le quartier de gens de l’eau du faubourg des proscrits, la foule bloquait la moindre ruelle. Les gens criaient, suppliaient pour qu’on ne leur arrache pas femme, enfant ou mari. Au loin, à l’extérieur de la ville, une file continue d’humains baissant la tête serpentaient de la route menant à Bordura en rechignant. Un mur de boucliers hérissé de lances les séparait du reste de la population. Comment Ome retrouverait-il sa mère dans ce chaos débordant de crasse et de bruit ? Il lutta pour se frayer un chemin parmi l’attroupement grouillant et puant. Les déportés semblaient partir de la gauche. Si Fame n’était pas encore parti, elle se trouvait forcément par là.

A vingt mètres, il aperçut Slymock qui lui aussi bagarrait pour avancer. Le maître espion pressait devant une silhouette que le jeune homme reconnu instantanément. Sa mère était vivante ! Tout était encore possible. Il tentait de se rapprocher pour la protéger, mais les gens formaient un cordon impénétrable. La progression de chaque centimètre constituait un combat. Il chercha alentour une potentielle menace. Comme il n’avait pas vu le visage de la tueuse, cela pouvait être n’importe qui. Ome cria pour tenter de prévenir Fame et Slymock. Son avertissement se perdit dans le brouhaha des plaintes, des lamentations et des rebuffades. Soudain, à droite une bouteille fut lancée aux pieds des gardes qui formait le cordon du départ des exilées. Le verre éclata, répandant un liquide enflammé.

« Au feu ! » La bombe artisanale, qui s’apparentait à un feu grégeois déclencha un mouvement de foule. Malgré ses efforts, la cohue éloigna Ome de plusieurs dizaines de mètres. Après la dispersion d’une partie de l’attroupement, il se projeta vers l’endroit où il avait aperçu sa mère. Puis d’un coup, il stoppa sa course. Fame gisait à terre, dans les bras de Slymock. Deux jeunes filles d’à peine dix ans la surplombaient en pleurs. La beauté divine de Fame n’existait plus. Les manifestants apeurés l’avaient piétiné dans leur fuite. Sa peau si délicate n’était plus que lambeaux. Son visage si harmonieux avait été défoncé. Son nez était enfoncé dans sa boite crânienne. Le maître espion ferma les yeux de la femme qu’il aimait. La vie l’avait quitté.

Ome voulait courir, pour la prendre dans ses bras. Il voulait tenter l’impossible pour sauver celle qui l’avait enfanté. Il voulait hurler sa rage et sa peine. Il voulait réconforter ses demi-sœurs qu’il ne connaissait même pas. Il voulait révéler à Slymock les machinations d’Ugmar. Il voulait tant de choses, mais il ne le pouvait pas. S’eut été se trahir et mettre en péril l’émancipation des humains. Une émancipation que ses parents avaient toujours désiré du plus profond de leur âme et de leur être. Le temps de la rébellion n’était pas venu. Il sera les poings et sans verser une larme fit demi-tour puis rentra au palais sans se retourner, seul être marchant dans la cohue de la foule toujours apeurée par le feu qui se propageait. Un jour, le grand chambellan payerait pour son crime.

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