Eveil

Par Jupsy
Notes de l’auteur : En mars, l'éveil était à l'honneur :)

Tout débute par une page totalement blanche. Il est encore trop tôt pour connaître sa destinée, encore moins le nombre de pages susceptibles de venir s'y ajouter pour donner naissance à un univers dans lequel il fera évoluer des personnages.

Peut-être humains. Peut-être, grenouilles. Ou les deux.

Enfin, à l’heure actuelle, l’auteur se contente d’observer la page blanche. Il veut l’apprivoiser et éveiller une toute nouvelle inspiration. Sauf qu’il ne sait pas encore sous quelle forme elle consentira à naître. Au fond de lui, il aimerait la voir surgir sans prévenir et noircir de mots le vide de multiples feuilles blanches.

Mais aujourd’hui, ce ne sera pas aussi simple. Alors il doit réfléchir à la meilleure façon de secouer son esprit.

Pour commencer, il écoute la playlist de chansons tourner, un café à la main. Il espère se voir plonger dans une bataille épique ou trouver un tunnel aux secrets insoupçonnables. À un moment, la victoire lui semble à portée de main. Un solo de guitare réussit à l’emporter, mais la fin brutale du morceau le fait chuter lamentablement.

Son idée s’est envolée. Il ne parvient pas à la rattraper, ce qui l’agace bien plus qu’il ne le voudrait. Peut-être aurait-il dû attendre avant de boire son café matinal ? Dans tous les cas, il refuse de perdre la partie. Il change donc de stratégie en délaissant son univers musical afin d’aller explorer des contrées inconnues.

Sans réfléchir, il flâne sur internet à la recherche de nouvelles mélodies. Il abandonne ses préjugés, prêt à tout pour éveiller la flamme de la création. Il apprend qu’un rap peut lui souffler une apocalypse avec autant d’efficacité qu’un simple morceau de métal symphonique. Il se surprend à apprécier une chansonnette sirupeuse sans éprouver la moindre honte. Petit à petit, une liste inédite se dessine, prête à l’accompagner dans de nouvelles aventures.

Hélas, la parenthèse musicale ne suffira pas cette fois. Alors l’auteur prend la décision de s’abandonner à différentes sources d’inspiration. Il accepte de sombrer dans une boulimie durant laquelle il dévore séries télévisées, livres et autres œuvres. Il dérive au milieu de soupçons d’idées qu’il ne parvient pas toujours à mettre en pratique. Après tout, ne sont-elles pas influencées par ce qu’il a vu ? Ne risque-t-il pas de reproduire des clichés et de les traiter de la même façon ? Sentant qu’il vient de commettre l’erreur de se poser trop de questions, l’auteur largue les histoires d’amour qui ont fait vibrer son cœur et les drames qui ont meurtri son âme.

Sans un remord.

Après les arts, l’auteur se tourne vers une autre muse : Clio. Avec elle, il est question de l’Histoire avec un grand h. Grâce aux faits, il pourrait bien parvenir à créer une toute nouvelle mythologie. Il s’imprègne alors des religions du monde jusqu’à trouver celle qui fera vibrer son inspiration. Les dieux égyptiens pourraient l’aider à concevoir à un univers aux multiples trahisons, à moins qu’il ne décide de contrer les préceptes judéo-chrétiens ?

Mais tout ceci se complique bien trop vite à son goût. En plus avec l’Histoire, il faut des bases solides. S’il veut s’amuser à placer son intrigue dans le passé, il va devoir enquêter au mieux afin de maîtriser les faits, mais aussi les coutumes de l’époque. S’il est perfectionniste, l’agacement viendra pointer le bout de son nez au moindre anachronisme. Si ses lecteurs le sont trop, il pourrait bien y perdre son plaisir d’écrire...

Et s’il allait du côté de la fantasy ? Ou du futur ? Il pourrait y développer ses propres codes et s’affranchir d’un passé parfois trop lourd. De nouvelles questions pointeraient alors le bout de son nez pour le motiver dans sa démarche. Comment serait la vie ailleurs ? Le Bien et le Mal existeraient-ils ? La langue serait-elle totalement innovante ?

Dès lors, l’imagination s’échappe. Elle cherche à concevoir l’inconcevable, puis se heurte parfois à des limites insoupçonnées, celle d’un système de valeurs ancré dans l’être humain. Lâcher prise n’est pas aussi évident que prévu. L’auteur sent alors une sourde frustration l’envahir, qui gâche sa jolie toile et tue son idée dans l’œuf. Dès lors, il ne sait plus vers qui se tourner. Peut-être, faudrait-il chercher conseil auprès de ses confrères auteurs ?

Qui sait ?

Alors qu’il est sur le point de fouiner dans ce but, l’auteur abandonne brutalement cette idée. Il étouffe entre les quatre murs de sa demeure. Le besoin de changer d’air devient si oppressant, qu’il se redresse et fuit son bureau à la vitesse de la lumière. Au seuil de la porte d’entrée, qu’il a ouverte à la volée, il est frappé de plein fouet par la douce chaleur du soleil, venue lui caresser le visage...

L’hiver n’est plus.

À l’intérieur, il n’a pas vu la neige s’échapper, encore moins le froid s’évaporer pour préparer le terrain à la saison où le renouveau est permis, à celle qui suscite la naissance de nouvelles choses...

Le printemps.

Avec lui s’envole le ciel gris, parfois rosé lorsque la neige se mettait à tomber. Il se souvient encore de ses flocons tous uniques à leur façon, mais si semblables. Il lui rappelle ces histoires aux thèmes communs dont la subtile différence se fait au travers des écrivains cachés derrière. Un sourire vient naître alors sur son visage...

Cette journée n’est peut-être pas perdue.

Tranquillement, l’auteur se met à marcher dans les rues. Ses yeux s’attardent sur les arbres, où des fleurs s’apprêtent à éclore avec l’espoir de garnir les branches de fruits juteux et goûteux. Quelques abeilles pointent le bout de leur nez, nettement plus adorables que celui des guêpes en quête de nourriture dans les poubelles ou dans les verres de soda. Les butineuses profitent de leur liberté, vivent avec l’espoir que le frelon asiatique ne viendra pas gâcher leur éphémère existence, si utile à l’équilibre de la Terre.

Face à ce spectacle de la nature, l’auteur oublie la morosité hivernale. Il dérive jusqu’à une terrasse d’un café où il s’accorde un jus de fruit plus éclatant qu’un terne expresso. Son regard s’aiguise alors afin d’examiner le monde autour de lui, celui qu’il a cessé d’observer depuis trop longtemps. Il le redécouvre au travers des passants, qui ont abandonné les manteaux et les bonnets. Les manches n’ont pas encore disparu, mais elles laisseront bientôt les peaux respirer et s’exposer au soleil. Certaines auront la chance de bronzer alors que les plus laiteuses subiront les foudres de l’astre.

À la recherche de ce dernier, l’auteur lève la tête vers les cieux. Il prend le risque d’être ébloui, puis part à la recherche des nuages blancs, ceux qui l’ont fait rêver plus jeune. Il se rappelle encore du temps passé à les observer, allongé dans l’herbe, en compagnie de ses amis d’enfance. Un léger sourire se dessine face à ce souvenir d’antan, qu’il s’amuse à faire revivre à sa façon. Il n’est peut-être plus aussi jeune, mais il sait encore imaginer à quoi ressemblent les nuages. En cet instant, il croit même apercevoir un éléphant, à moins que ce ne soit une simple grenouille ?

Peu importe.

Ses paupières se ferment doucement. Il sent quelque chose s’éveiller en lui. Il veut en avoir la confirmation. Alors il commence à visualiser une toile blanche sur laquelle il s’amuse à griffonner les premiers contours d’un univers. Petit à petit, ce dernier prend forme. Les couleurs se dévoilent, s’imbriquent avec les fondements de sa mythologie et l’héroïne s’exprimer déjà dans sa tête. Il entrevoit même un possible intérêt amoureux, voire un second au cas où le premier ne fonctionnerait pas.

Déterminé, il rouvre les yeux pour attraper la serviette, puis sortir un stylo de sa poche afin de noter des idées dessus. Il ne tarde pas à la noircir, peut-être un peu trop vite à son goût, mais il s’en moque. Il continue, va même jusqu’à demander une autre serviette au serveur, qui consent à lui en apporter une. Maintenant que l’inspiration est éveillée, il n’est plus question de la laisser partir...

Il profite donc de cet instant. Il apprécie la délicate fraîcheur qui est venue s’instaurer dans un cerveau trop longtemps renfermé. Il se souvient alors de cette leçon, qu’il ne retient pas toujours, celle qui dit que la vie est la meilleure des sources d’inspiration, qu’il n’y a pas forcément besoin d’artifices pour éveiller son imagination...

Qu’il suffit de vivre. Tout simplement.

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Fannie
Posté le 08/02/2018
Encore un dernier pour aujourd’hui.
C’est très intéressant comme tu présentes un auteur face à la page blanche et comme tu montres tous les moyens qu’il utilise pour tenter de retrouver l’inspiration. Un blocage qui se résout simplement en se rappelant qu’on a oublié de vivre, c’est une belle leçon.<br /> On peut imaginer qu’en tant qu’autrice, tu as vécu une situation comparable...
Coquilles et remarques :
il écoute la playlist de chansons tourner [je propose « sélection » pour remplacer cet anglicisme]
mais la fin brutale du morceau le fait chuter lamentablement. [J’aurais dit « retomber », comme pour un soufflé. J’ai l’impression que le verbe « chuter » remplace de plus en plus souvent le verbe « tomber », peut-être sous l’influence des médias, et c’est dommage.]
il flâne sur internet [« sur Internet » ou « sur l’internet »]
Sans un remord [« remords » garde son « s » au singulier]
de l’Histoire avec un grand h [Je mettrais « h » soit entre guillemets, soit en italique.]
Et s’il allait du côté de la fantasy ? [Comme « fantasy » est un mot étranger, je l’écrirais en italique.]
il est frappé de plein fouet par la douce chaleur du soleil [C’est bizarre d’être frappé de plein fouet par quelque chose de doux...]
Il se rappelle encore du temps passé à les observer [il se rappelle encore le temps]
et l’héroïne s’exprimer déjà dans sa tête [s’exprime]
Jupsy
Posté le 19/07/2020
Oui, ce texte est personnel. Je me suis rendue que me torturer l'esprit pour débloquer n'était pas forcément une bonne solution, qu'il suffisait parfois de simplement se poser et profiter du temps présent. Après c'est compliqué quand des pensées viennent parasiter l'esprit.

Bref merci pour ton commentaire et tes remarques ! <3
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