Etoiles bleues indigo (2)

Par Pouiny

Dans mon rêve, je sentais les larmes de ma mère me couler sur la joue. Comme si elle me tenait, comme un petit enfant qui avait fait une grosse bêtise. Puis je sentais, la douleur, la peur, des mains se serrant contre ma gorge. Je n’étais pas capable de discerner, dans l’obscurité, à qui appartenaient ces mains ; si elles étaient celle de ma mère, de mon père, ou les miennes. Mais ma gorge se serrait anormalement tandis que mon corps irradiait de douleur intense. Alors, je hurlais. De toute mes forces, pour combattre du peu que je pouvais ma strangulation affolante. Et entendre ma voix me permettait de savoir que j’existais, que je pouvais encore me battre, juste un peu, contre moi-même et le monde entier. Mais alors que je criais, cachée sous les couvertures, je sentis des personnes inconnues se presser contre moi, essayer de recouvrir de leurs paroles mes hurlements stridents.

« C’est une crise de panique ! Mettez là sous calmant ! Béryl ! Béryl, est-ce que tu m’entends ? »

D’un seul coup, une ombre se planta devant moi et m’agrippa les épaules avec violence. D’un coup de bras, je la repoussais. J’entendis, comme de très loin, le bruit sourd d’un corps qui tombe à terre, comme le cartable d’Aïden à la sortie de l’école. Je me redressai hors du lit ; tout en moi hurlait de m’enfuir.

« Ne la laissez pas sortir ! Attachez-là ! Les sangles, les sangles ! »

Avant même que j’eusse le temps de reprendre mes esprits, je me retrouvai plaquée de force dans mon lit par trois infirmiers et infirmières et attachée lourdement à mon lit. La panique s’immisça davantage en moi et je me remis à hurler, hurler aussi fort que je pouvais. Mon corps me faisait affreusement mal et se brûlait davantage contre les larges sangles, mais je n’arrivais pas à m’en soucier. Je me débattais à en croire à des convulsions, mais tout ceci était inutile. Une autre ombre se rapprocha de moi.

« Béryl, maintenant ça suffit ! Tu vas te calmer et attendre sagement que la nuit se passe. Nous t’avons administré des calmants, il suffit juste d’attendre qu’ils fassent effet. Mais si tu continues à faire ta mauvaise tête, nous allons te devoir garder attachée ! »

Je voulus répondre ; mais ma voix mourut dans ma gorge. Je fis silence. Pourtant, il me sembla encore entendre des voix hurler, dans ma tête.

« Voilà, c’est bien ! Tu es une gentille fille. Je repasserai dans vingt minutes pour enlever les sangles. Essaie de te calmer en attendant. D’accord ? »

Je ne répondis pas davantage. N’attendant pas de réponses, je vis quatre silhouette quitter la pièce. Immobilisée, perdue, je ne pouvais même plus ne serait-ce que me tourner dans mon lit. Même le bouton que m’avait présenté l’infirmière m’était désormais inaccessible. Et la douleur me sembla d’un seul coup être plus profonde, plus insidieuse, s’enfonçant dans les recoins cachés de mon cœur. Je sentis mes larmes couler en silence, mais personne ne pouvait les voir. Aïden ne pouvait plus venir me consoler, rester avec moi pour une partie de la nuit. Je priai pour qu’une connexion mentale entre nos deux corps semblable le réveille, lui aussi. L’idée qu’il puisse penser à moi tendait à me consoler. Mais je ne pouvais avoir aucune certitude. Alors, privée de toute force, je restais à pleurer. L’épuisement que je ressentis atténua la douleur, mais pas assez pour que j’arrête d’entendre mon cœur qui a chaque battement, me semblait exploser à l’intérieur de mon crâne. Mais malgré tout, je m’endormis avant même d’être libérée des sangles. Et bien que je pus constater qu’elles me furent enlevée, dans mon sommeil, elles me restaient en tête, comme le pire ennemi que je pouvais avoir.

 

Une infirmière installa peu de temps après mon réveil, un calendrier pour que je puisse comprendre le déroulement des jours. A chaque de ses passages, elle me disait aléatoirement combien de temps s’était déroulé ; une heure, trois heure, un jour… Tout ceci me paraissait abstrait. Mais elle me permit de comprendre à quel point mon père m’avait menti sur la durée d’une semaine.

« Vous êtes sûrs que je n’ai pas un cancer à la tête ? »

L’infirmière qui était avec moi eu un petit rire :

« Bien sûr que oui, pourquoi ?

– Parce que j’ai tout le temps mal à la tête…

– On te l’a déjà expliqué, Béryl. C’est psycho-somatique. Ce sont des douleurs que tu crées toi-même, ce ne sont pas des symptômes de maladie.

– Mais j’ai quand même mal…

– Je vais voir pour te donner un anti-douleur. Je reviens. »

Et sans plus m’observer, elle sorti de la pièce. Demander des calmants et des anti-douleur étaient devenu mon jeu favori. Parfois, on me refusait. Souvent, on me l’accordait. Avec tout ceci, j’espérais enfoncer assez profondément ma douleur dans les recoins de mon cœur, pour pouvoir sourire de la même manière à mon frère si celui-ci revenait me voir.

 

Il revint avec mon père, au bout de la dite semaine. Le lendemain, je me faisais opérer, pour la première fois. Mais alors que je faisais de mon mieux pour paraître joyeuse, je sentais que mon frère se renfermait comme une coquille.

« Tu dors bien la nuit, toi ?

– Comme d’habitude, répondit-il, évasif. Et toi ?

– Oui ! Je rêve que je vois la lune à nouveau ! Et toi ? De quoi tu rêves, grand frère ?

– Je ne rêve pas vraiment, la nuit… Je ne me souviens jamais de rien, quand je me réveille.

– Vraiment ? Mais tu ne veux pas te souvenir ?

– Pas vraiment… Ça ne me manque pas.

– Mais si tu rêvais de moi ? »

Il haussa les épaules. Je ne sus plus quoi dire. Comme si, d’un seul coup, le Aïden que je connaissais m’était devenu étranger. Mon père tapota légèrement son épaule.

« Excuse-le, Béryl. Sa rentrée au collège ne s’est manifestement pas très bien passée…

– Pourquoi ? Ce n’est pas pareil qu’à l’école ?

– Non, fit mon père avec un air gêné. Ce n’est pas exactement pareil. »

J’essayai de passer outre et de dérider mon frère, et j’y arrivai presque. Mais il parti, bien trop tôt. Promettant de revenir dans quelques jours, quand l’opération serait passée, mais sans me donner aucune précision, n’estimant pas ça nécessaire. Alors, je restai seule, à attendre. Jouant légèrement avec ma pierre jaune que m’avait offert ma mère à la naissance, et le poinçon que m’avait donné mon frère, devenu inutilisable par le manque de feuilles à trouer.

 

L’opération passa, sans que j’en garde de souvenir. Je fus endormie très tôt, si bien que je ne pouvais même pas savoir dans quelle salle j’avais pu être opérée. Au vu de ce que m’en dirent les infirmiers et les infirmières, celle ci se déroula très bien.

« Je vais donc pouvoir rentrer à la maison ?

– Pas encore, jeune fille, m’expliqua une médecin avec un sourire. Il va falloir s’assurer que tu ne fasses pas d’autres cancer et donc te mettre sous un traitement chimiothérapique.

– Mais je n’en ferai plus, promis ! »

Je ne sais pas si le rire qu’elle eut à la vue de mon désespoir était moqueur ou compatissant.

« Ce n’est pas vraiment toi qui décide, Béryl. Je suis désolée, mais il va falloir attendre encore un peu avant de pouvoir rentrer chez toi. »

J’eus un soupir de résignation.

« Ça va être long ?

– Je ne peux pas te le dire. Cela dépendra.

– De quoi ? De moi, encore ?

– D’une certaine façon, oui. Mais … Je pense que ça risque d’être un peu long. Il faut s’assurer que tu sois en bonne santé, Béryl. »

 

Ma mère ne vint toujours pas me voir, même après l’opération, même après le début du commencement du traitement. Mon père et mon frère restaient évasifs à son sujet, comme s’il m’était impossible d’entendre ce qu’il se passait. M’en voulait-elle ? Pourquoi ? Qu’avais-je pu faire dont je n’avais aucun souvenir ? Ainsi, je continuais à sentir, durant mes nuits, ses larmes et mes mains sur mon cou, à en hurler de douleur. A chaque fois, je finissais sanglée et sous calmants, sans même avoir l’occasion d’expliquer, de comprendre tout ce que ceci pouvait bien signifier. Plus le temps passait, et plus je me rendais compte que je perdais en détail ; je me souvenais moins bien, de la couleur des yeux de mon frère, la taille de mon père, la voix de ma mère. Quand Aïden et mon père revenaient, je faisais de mon mieux pour intégrer le plus de données possible à propos d’eux, mais le traitement me cassa bien plus que ce que l’on m’avait prévenu.

 

Dans un petit renfoncement de la chambre sombre, j’avais des toilettes et de quoi me laver au gant si besoin. Dès le début de la chimiothérapie, je passais parfois même plus de temps à vomir, assise à coté des toilettes, qu’allongée dans mon lit. Jamais celui-ci ne m’avait autant manqué. Je passais des heures à haleter, au sol, n’espérant seulement que les nausées s’arrête pour que je puisse retourner m’allonger. Mais elles revenaient, inlassablement, et je continuai de vomir. Des infirmières venaient m’aider, parfois, mais elles ne pouvaient pas faire grand-chose pour moi, manifestement.

« Cela fait partie des effets secondaires… Nous te donnons déjà des anti-vomitif, mais ils n’ont pas l’air de faire assez effet. Je vais essayer de voir pour augmenter la dose, mais il ne faudrait pas prendre le risque de faire trop souffrir ton corps. »

Quand les infirmières me parlaient ainsi, j’avais l’impression d’avoir le devoir de m’excuser, comme si je les dérangeais. Mais je n’osais jamais le dire. Ces excuses me restaient en tête, misérablement. J’avais envie de m’excuser d’être en vie.

 

Un jour, alors que je vomissais encore dans les toilettes, j’entendis la porte s’ouvrir. J’avais pris l’habitude d’oublier ma dignité quand les infirmières venaient, aussi ce n’est qu’en entendant la voix que mon sang se glaça.

« Béryl ! Qu’est-ce qu’il se passe ? »

J’entendis le bruit lourd d’un sac s’écraser à terre, alors que mon frère venait aussitôt s’agenouiller vers moi.

« Aïden ? Mais… qu’est-ce que…

– Le collège n’est pas très loin de l’hôpital, et… J’avais envie de te voir…

– Je suis désolée. »

Je ne pus en dire davantage, car je fus prise de haut-le-cœur. Aïden, dont les yeux brillaient d’inquiétude, me regarda vomir, me posant une main réconfortante dans le dos.

« Pourquoi tu t’excuses, Béryl ? C’est normal, que tu sois dans cet état ? Tu es dans un hôpital, tu ne devrais pas être…

– Malade ? C’est pas justement pour ça, que je suis dans un hôpital ? »

Je repris mon souffle, en m’essuyant la bouche du mieux que je le pouvais. Je sentis la main d’Aïden dans mon dos, se tendre, presque trembler. Je sentis alors mon estomac se détendre, alors que ma vue se brouillait.

« Béryl !

– Ça va. C’est normal, Aïden. C’est le traitement… Est-ce que tu veux bien m’aider à m’allonger ? »

Il acquiesça et me porta avec précaution jusqu’au lit. Il m’installa du mieux qu’il pouvait. Il ne pouvait pas cacher sa nervosité. Ce n’est qu’une fois allongée, que je remarqua que son visage portait des blessures. Des estafilades, rien qui semblait grave, mais assez nombreuses pour susciter l’étonnement.

« Mais et toi ? Que t’es-t-il arrivé ?

– Oh, rien de grave ! Je suis tombé. »

Mon cœur tourna douloureusement. Mon frère m’avait menti, et tout en lui criait le mensonge. Mais j’étais trop épuisée pour le confronter.

« Et papa ?

– Comme je t’ai dit… Je reviens directement du collège. Je suis venu sans lui.

– Il a du travail ?

– Il a trop de travail. »

Il eut un mouvement de tête réprobateur. Il semblait en colère.

« Ce n’est pas grave. Je comprends, tu sais…

– Non ! C’est eux qui ne comprennent rien ! Toi tu es là, seule, à te vider et souffrir et eux ils ne viennent même pas ! »

Son regard brillait d’émotions renfermées. Aïden, lui aussi, changeait d’éclat. Lui aussi semblait souffrir.

« Tu as vu la lune, ces derniers temps ?

– Non, pas vraiment… »

La question ne semblait pas véritablement l’intéresser. Néanmoins, il continua :

« Je la verrai plus, plus tard. On arrive sur l’hiver, il fera nuit plus tôt.

– Sur l’hiver, n’est-ce pas ?

– Oui… Notre anniversaire, si tu préfères.

– D’accord.

– D’ailleurs… Pour ton anniversaire, tu voudrais un cadeau ? »

Il tenta de sourire, mais celui-ci sembla forcé. Je réfléchis à une réponse, mais je n’osais pas demander ce que je désirai le plus.

« J’aimerai bien une peluche !

– Une peluche ?

– Oui ! Comme ça, il me tiendrait compagnie.

– Mais une peluche qui ressemble à quoi ?

– N’importe… Du moment qu’elle est gentille. »

Il acquiesça, mais sembla assez dubitatif.

« Je ne savais pas que tu aimais bien les peluches… »

J’eus un petit rire, mais je ne sus pas vraiment comment répondre à cette remarque. J’esquivai le sujet.

« Et sinon, le collège? »

Ce fut à lui de ne pas savoir comment répondre. Il eut un grand soupir. Machinalement, sa main se posa sur ses coupures.

« Ce n’est pas… Très important.

– Comment ça, pas important ? Je sais que tu n’aimais pas l’école, mais c’est bien, d’apprendre des choses, non ?

– Je ne saurais pas vraiment comment t’expliquer… Mais ce n’est pas très bien. »

Je restai silencieuse. Aïden me semblait comme éteint. Quelque chose en lui me donnait l’impression d’avoir été cassé, sans que j’arrive véritablement à définir quoi. Essayant de continuer sur ma lancée, je m’exclamai en regardant son cartable :

« Montre moi, alors ! Tu veux que je t’aide sur des exercices ? Je suis sûre que je peux encore y arriver !

– Béryl… Je ne préfère pas. Pas ce soir.

– Quoi ? Mais pourquoi ?

– Je… Je vais essayer de me débrouiller. Tu comprends ?

– Pas vraiment… Tu aimais que je t’aide, avant, non ?

– Oui mais… Là, il faut que tu te reposes.

– Je me sens bien ! »

Son regard inquisiteur me fit rapetisser immédiatement.

« Bon, d’accord, avouai-je. Mais je ne veux pas te laisser seul… Je veux t’aider.

– Je t’apporterai des livres de mathématiques. C’est ce que tu préfères, non ?

– Tu n’as pas de mathématiques tous les jours ?

– Et non, ce n’est plus le cas… ça fait partie des particularités du collège.

– Mince, c’est dommage !

– Mais le niveau est bien plus dur ! Donc je reviendrai. Demain, normalement. Et tu pourras voir mes exercices.

– Demain ?

– Si tu le veux bien, oui.

– C’est parfait ! Merci, Aïden.

– Ce n’est rien, petite sœur. »

Il m’embrassa sur le front et me prit le bras.

« Prend bien soin de toi, d’accord ? Je reviens vite.

– Au revoir, Aïden ! »

Il m’accorda un dernier regard avant de quitter la chambre. Cette nuit là, il n’y eu pas besoin de sangle.

 

Comme promis, il revint le lendemain. Il revint plus régulièrement, seul, avec son cartable de cours et ses égratignures. Souvent, il me lisait ses devoirs. Parfois, nous discutions. Mais très souvent, il semblait éviter mes questions.

« Aïden… Pourquoi je ne vois plus papa ? »

Il sorti le nez de son livre, gêné. Il me fallut attendre longtemps avant qu’il souffle :

« Il n’a plus le temps.

– Il a trop de travail ?

– En partie, oui. »

Alors que je me demandais ce signifiait sa réponse, il reprit sa lecture et ne me laissa pas dire autre chose. J’appris ainsi à apprendre à ne plus avoir de réponse. Aïden semblait se taire, de plus en plus. Il oubliait plus facilement ce que je pouvais lui dire, comme si sa mémoire était trop remplie. J’essayais de ne pas m’en formaliser, mais au fond de moi, quand je me retrouvais seule, je ne pouvais pas m’empêcher de penser que, peut-être, un jour, il m’oublierait totalement, lui aussi. Après tout, je n’arrivai plus à me souvenir d’à quoi ressemblait ma mère.

 

Alors je souriais. Je le touchais. Je répondais, avec autant d’énergie que possible. Tout en moi, dans nos moments ensemble, lui criait de ne pas m’oublier. Je faisais mon possible pour qu’il ne voit pas que de moi une maladie horrible et effrayante. Mais, tout mon corps mettait en avant cette partie de moi. Quand mes cheveux tombèrent et que les infirmières me rasèrent la tête, je ne pus m’empêcher de pleurer en pensant à ce qu’il en retiendrait de moi.

« Allez Béryl, arrête de pleurer ! Tu es bien plus forte que ça, non ? Ce ne sont que des cheveux ! »

Certaines des infirmières qui me surveillaient me regardaient avec du dégoût dans leurs yeux. Je sentais dans leur regard que mon apparence les mettait mal à l’aise. Était-ce les yeux rouge sang, la peau d’une blancheur mortuaire et parsemée de toutes sortes de taches étranges ? Quand je les regardais, je ne voyais en elles rien qui pouvaient me ressembler. Mais également, je ne pouvais m’empêcher de les trouver toutes semblables.

 

Une fois sans aucun cheveux, j’avais pour la première fois de ma vie, presque envie qu’Aïden ne me voit pas. Je demandai s’il était possible d’avoir une perruque, mais l’infirmière a qui je demandais ria :

« Pourquoi faire ? Les seules personnes qui te voient savent très bien que tu es malade ! Ça ne sert à rien de le cacher. »

Ainsi, quand Aïden ouvrit la porte, tout ce qu’il vit en premier lieu fut une couette.

« Béryl ? Tout va bien ? »

Il s’approcha légèrement et posa sa main sur la masse de couverture. Je ne pus m’empêcher de me tendre.

« Tu ne dors pas, hein ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

– J’ai peur. »

Je sentis mes mains trembler. J’avais honte de me montrer ainsi.

« Je suis désolée. J’ai vraiment peur.

– Peur de quoi, Béryl ? »

Des larmes me montaient aux yeux. Je luttais contre des nausées qui ne semblaient pas provoquées par la chimiothérapie.

« J’ai peur que tu me vois.

– Oh. »

Je l’entendis faire un pas, sans doute en arrière. Il prit la chaise et s’assit.

« Ça tombe bien… Moi aussi, j’avais peur que tu me vois.

– Pourquoi ?

– Il faudrait que tu sortes ta tête de là pour le savoir.

– Tu ne veux pas me le dire ? »

Il eut un léger rire.

« Tu as envie de me dire, toi, pourquoi tu te caches ? »

Je restais silencieuse. Il continua néanmoins :

« La petite lampe est éteinte. On ne se verra pas très bien, de toute façon. Tu n’as rien à craindre.

– Même s’il n’y a pas de lumière, tu le verras quand même.

– Ne t’inquiète pas. Moi aussi, tu le verras quand même. »

J’hésitais à en trembler. Mais après un instant intense de réflexion, ma curiosité prit le dessus. Timidement, je sortis la tête de la couverture.

 

Aïden était là. Il me regardait, assis a coté de moi, avec un air triste. Et l’un de ses beaux yeux bleus avait doublé de volume. Le visage d’Aïden était tuméfié au-delà du raisonnable, et je ne pus décrocher mon regard de ces blessures sombres et enflées. Mal à l’aise, il tourna la tête.

« Si tu pouvais éviter de me dévisager comme ça…

– Mais… Comment tu t’es fait ça ?

– Je… »

Il ne termina pas sa phrase. Il me regarda avec des yeux brillants et se recroquevilla d’un seul coup, cachant son visage avec ses mains. Je vis ma main toucher son bras. Pourtant, je me sentais incapable d’avoir un contact avec lui. Il eut une respiration saccadée et me prit dans ses bras, presque en panique.

« Je suis désolé… Je ne sais pas comment te le dire… Je ne peux pas te parler de ça. J’en suis incapable. Je suis désolé.

– Ce n’est pas grave, Aïden, répondis-je avec une voix qui me semblait blanche. Ça va aller. Mais…

– Oui ?

– Est-ce que c’est à cause de moi ? »

Il secoua vivement la tête. Je sentais désormais ses larmes couler. Il ne semblait plus très loin d’éclater en sanglot.

« Non. Non, non, non, non. Ce n’est pas de ta faute. Tu n’as rien fait de mal. C’est juste… Idiot. Je suis désolé, je ne trouve vraiment pas, comment exprimer ce que…

– Je comprends, Aïden. Tu avais peur ?

– Oui.

– Mais tu es quand même venu pour moi. Je te remercie, Aïden. Moi aussi, j’avais peur. Mais je suis heureuse que tu sois là. »

Il ne répondit pas. Il continua de pleurer. Je sentais malgré tout qu’il luttait de toutes ses forces pour reprendre le contrôle sur son corps. Je repensais, aux crises nocturnes, aux sangles. J’avais envie de pouvoir l’en libérer.

– Tu avais peur… A cause de tes cheveux ? Demanda Aïden d’une voix brisée.

– Oui.

– Alors n’aies plus peur. Ça te va bien.

– Comment ça pourrait bien m’aller ? La boule à zéro, ça ne va à personne, non ?

– Tu es quand même belle. »

Je restais silencieuse. Il n’allait évidemment pas développer plus, et j’avais du mal à le croire, d'autant plus qu'il ne devait pas bien me voir . Mais je sentais qu’il était sincère, malgré ses larmes. Il fini par se sécher les yeux avec précaution et me lâcher. Il reprenait contenance, du mieux qu’il pouvait. J’essayai de demander :

« C’est le collège ? »

Il baissa les yeux. Je m’attendais à ce qu’il reste silencieux, mais il répondit d’une petite voix.

« Oui. C’est le collège.

– Mais… Ce n’est pas normal, non ?

– Si. C’est le collège. »

Il commença à jouer avec son cartable. Il resta un moment silencieux, avant de se lever.

« Tu t’en vas déjà ?

– Oui. Je suis désolé, je ne tiens plus debout.

– Ce n’est pas grave. Tu reviens demain ?

– J’essaierai, oui.

– Alors à demain, Aïden. »

Il s’approcha de la porte d’un pas lourd. Avant de l’ouvrir, il se figea dans son mouvement.

« Béryl ?

– Quoi ?

– Je t’aime, Béryl. »

Je restai sans voix. Il n’attendit pas de réponse avant de partir. Sa voix faible et tremblante sembla pourtant résonner dans toute la chambre. Je retournais me cacher sous les couvertures, en silence. J’essayais de réentendre ces mots, juste pour mon oreille, avant que les infirmières ne reviennent.

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dodoreve
Posté le 03/06/2021
Dur l'hôpital, c'est vraiment une image d'incompréhension qui ne fait pas envie. Et pareil pour le collège, finalement.
Le moment où ils ont tous les deux peur que l'autre les voie est bien trouvé :) On commence vraiment à sortir de l'enfance et de l'innocence pour arriver à ce qui va devenir leur quotidien et leur relation forte malgré la distance. Encore une fois, j'ai hâte de voir comment ça se développe du point de vue de Béryl :)
Pouiny
Posté le 04/06/2021
Merci beaucoup ! Je me souviens qu'à l'écriture j'étais assez fier de ce passage ^^ Même moi, il m'avait marqué !

Moi, j'ai hâte de voir comment tu vas réagir à la suite ! (je sais pas si tu me détestes un peu d'écrire des trucs comme ça xD)
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