Érica : Le calme avant la tempête

Par Sabi
Notes de l’auteur : Du 22 mai 1075 au 2 juillet 1075 après le Débarquement

Le soleil se levant sur la Dent de l’Ours avait toujours eu le don de calmer les humeurs d’Érica. Il en allait de ce phénomène comme de la succession des saisons. Et pourtant, depuis son retour de la capitale, contempler cette scène n’apportait plus les mêmes effets. Ou plutôt, le calme de l’instant ne suffisait pas à dissiper ce que la jeune fille ressentait au fond d’elle-même. L’explosion avait éveillé en elle les peurs primaires, instinctives. La survie était un concept que l’enfant qu’elle avait été ne connaissait pas. L’immortalité était une donnée naturelle, acquise. Le fait d’avoir échappé de peu à la mort avait ouvert une brèche. La mort s’était invitée dans son univers, comme un parasite vient parasiter un hôte innocent.

La mort et sa menace avaient dissipé l’enfance et l’insouciance. Elle les avait relégué dans une zone de ses souvenirs de laquelle ils ne reviendraient pas.

L’Érica instinctive était née de ce contact forcé à la violence subite de la mort. Tout d’abord sauvage et indomptable, la bête en elle avait progressivement pris ses marques et ses repères. Elle avait commencé à observer, à remarquer, à noter, à réfléchir, à penser. 

Ce n’est pas que la jeune Marjiriens entendait des pensées ou des réflexions. Le langage de la créature était de ceux que l’on ne peut comprendre. Comment mettre sous mots une masse d’impressions, d’émotions, de réactions, de désirs ? Il lui semblait que toute communication intelligible serait à jamais impossible, et pourtant, quelques jours après son retour de Valoria, ce qui était en elle avait commencé à lui parler.

 

Le feu crépitait dans l’âtre grillagé. Érica était assise confortablement dans un fauteuil en bois, serrant dans ses mains une dague qui ne la quittait plus depuis qu’elle était allée la chercher à l’armurerie de la salle des gardes. Dehors, la pluie tombait, venant tapoter doucement le verre des fenêtres orientées vers le nord. Autour d’elle, sa famille discutait des opérations militaires à venir. Sorsombre venait de lancer sa première incursion militaire à travers le col Ombreux. Les forces Marjiriens avaient facilement mis en déroute la cinquantaine d’ennemis. Tout le monde était d’avis qu’il s’agissait d’un test, d’une évaluation. On penchait à ce moment là pour la patience et la circonspection. Faire des incursions dans le territoire ennemi n’apporterait que des ennuis avec les forces dont ils disposaient pour le moment.

Que se passe-t-il ?

Ce n’était pas une voix que ses oreilles pouvaient entendre. Ce n’était même pas une voix du tout. Le flux et reflux d’émotions que la créature ressentait en elle était tout d’un coup devenu traduisible en mots.

Ils sont effrayés. Ils ont peur. Ils s’agitent. Que se passe-t-il ?

Érica n’était pas sûre de répondre ou non à la bête. Non pas qu’elle ait peur de le faire. Simplement, la jeune fille ne savait pas vraiment s’il fallait le faire ou non, ou même si la bête la comprendrait. Le fait est qu’elle était face à un phénomène nouveau auquel elle n’était nullement préparée. Qui était cette bête intérieure ? Était-ce elle-même ? Ou bien autre chose ? Après y avoir réfléchi quelques minutes, elle décida de ne rien dire, de ne pas bouger. Érica était là, assise près de sa cheminée, et quelque chose en elle avait commencé à lui parler. Que faire ? Elle n’en savait rien. Elle choisit de laisser la chose parler en attendant de voir comment la situation évoluerait. La seule chose dont la jeune Marjiriens était à peu près sûre dans tout cela, c’était que cette chose ne lui était pas hostile. Elle ne se sentait pas menacée par la créature. Cette flamme dans sa poitrine n’était pas là pour la réduire en cendre. Cette lumière viendrait à éclairer quelque chose. Mais quoi ?

La peur est partout. Je n’aime pas la peur. Il faut de l’ordre, du courage. La peur peut être mortelle. Il faut bannir la mort. La mort est mauvaise, une étrangère en haillon couverte de plaies purulentes. Beurk.

Un oiseau s’envolant d’un arbre attira son attention vers la fenêtre. Les nuages étaient accrochés aux pics déchirés des montagnes de l’Ombre. Et le col Ombreux, situé à une vingtaine de kilomètres au nord du Val était visible au loin. Là-bas, les soldats se battaient et mouraient. Ils étaient tellement proches qu’Érica se disait qu’elle pourrait entendre au loin le bruit des armes qui s’entrechoquent lorsque viendrait l’heure de se battre. Son frère Edmond y était déjà allé pour soutenir les soldats. Des cousins et des cousines officiaient là-bas afin de coordonner les opérations. Son père pour l’instant restait au château. Il irait sur place lorsque les renforts des autres ducs seraient venus. Et elle, quand se déciderait-elle à bouger ?

Elle attendait quelque chose. Cette bête en elle n’avait pas fini de se développer. La jeune Marjiriens avait l’impression d’être une chenille s’étant enfermée dans sa chrysalide. Incapable de tout mouvement, ses organes internes étaient en train de se déplacer, certains se dissolvaient tandis que de nouveaux étaient en train de se former. Quelque chose se passait, en elle et autour d’elle.

La guerre avec Sorsombre, l’attentat, la bête… Cette suite d’événements prenait naissance dans un passé qu’elle n’avait pas connu, et conduisait vers un futur opaque. Quel était le but de tout ça ? Qui menait la danse ? Quelle cause y avait-il à la mort des soldats de son père ? De ceux de l’ennemi ? Les sapins sur les flancs des montagnes bruissaient dans le vent de toutes leurs épines d’un vert sombre. Les nuages d’un gris poudreux donnaient une teinte morne à la lumière du jour. Tout semblait sombre au Val. 

La mort et ses guenilles rodent autour de la tanière. 

Toutes ces pensées tournaient en rond dans sa tête. Qui pourrait lui répondre ? Ses parents ? Était-il même sûr que la jeune fille qu’elle était voulait entendre la réponse ? Alors, elle attendait avec la créature murmurant son monologue.

 

S’en vint alors Halderey, une surprise, et en même temps pas tant que cela. Le jeune prince créa une impression étrange dans son coeur, une de plus. Il semblait en effet être le même que celui que la jeune demoiselle avait rencontré à la capitale, tout en dégageant une aura, faible, mais nouvelle.

Érica ne chercha pas à creuser plus loin cette sensation si subtile qu’elle en était irritante. Elle devait se faire des idées. Et pourtant, un lien possible avec sa propre situation était envisageable. Après tout, Halderey était loin d’être étranger aux événements qui se bousculaient depuis ces dernières semaines…

Les jours suivants renforcèrent l’intuition première d’Érica. Le prince avait manifesté avec vigueur son désir de s’entraîner avec son frère à l’art du combat. Pour quelqu’un qui venait de la cour et qui avait tout de la physionomie du courtisan, ce soudain intérêt pour la chose était remarquable. Edmond le cachait bien, mais Érica voyait clairement que ce changement n’était pas pour lui déplaire. À vrai dire, c’était toute la ville qui commençait à trouver le jeune homme à son goût. 

La famille royale n’était pas vue d’un bon œil dans le duché. Trop lointaine, pas assez nordique. Le mépris était de mise dans le ton des voix lorsque l’on s’aventurait à parler d’eux. Voir un prince, qui plus est héritier du trône, rester plus de trois jours et donner des signes d’acclimatation à la mentalité du Val allait sûrement changer cette image.

 

En deux semaines, le niveau d’escrime d’Halderey s’améliora sensiblement, au point de pouvoir en remontrer à Edmond. Autour d’eux, les troupes des autres duchés commençaient à arriver au Val. La cour du château résonnait du bruit des armes, des armures, des bottes métalliques et du hénissement des chevaux. Les renforts ne restaient cependant pas longtemps. On se dépêchait ensuite de les amener là où la ligne de front allait en avoir besoin. 

Ce fut le jour précédant l’arrivée de l’armée envoyée par la famille royale qu’Halderey se présenta à la porte d’Érica accompagné de son serviteur Hector. Sa proposition était simple : se rendre au Haut Domaine à la rencontre de Cléomène. Au vu de la situation, elle voyait bien que le prince ne faisait pas ça uniquement pour vérifier les défenses du nord et renforcer la coopération entre le Val et le Haut Domaine. Il était clair qu’il avait dans l’idée de revoir une amie et de mettre de la distance entre lui et des envoyés royaux. De son côté, la demoiselle devait bien admettre que prendre quelques jours loin de toute la tension et l’ agitation qui régnaient ici lui ferait le plus grand bien.

C’est ainsi qu’ils partirent le jour même accompagnés d’Hector et de son serviteur personnel Balthazard, avec l’accord et l’assentiment de son père. 

 

Il leur fallut quelques jours pour finalement parvenir aux portes du Haut Domaine. À vol d’oiseau pourtant, le Val n’était pas très éloigné. Cependant, il était impossible de parvenir au Domaine sans passer par la grotte qui le reliait au reste du monde. Et cette voie d’accès se situant au sud du plateau montagneux, le chemin le plus rapide pour y parvenir était de suivre le fleuve Ombreuse jusqu’à ce qu’il débouche sur les grandes plaines, puis suivre la chaîne de montagnes vers l’est jusqu’à l’endroit où se trouvait le tunnel d’accès.

Tout au long du trajet, Érica eut le temps de repenser à sa famille et à la guerre qu’elle était en train de mener. Peut-être était-ce une mauvaise idée de partir maintenant alors que l’on pourrait avoir besoin d’elle ? Le prince et la jeune fille avaient prétexté à leur visite le besoin de coordonner leurs défenses avec celle des Sylvepeyre. Il était vrai qu’Halderey, en sa qualité d’héritier du trône, était tout désigné pour accomplir cette tâche. En temps de guerre, il était tout naturel que la famille royale s’implique dans la défense du royaume. Sa venue serait perçue comme une preuve de soutien de tout le pays au Haut Domaine. Mais Érica ? Son père avait donné rapidement son accord à son départ, ceci car « il était important de conserver des liens forts entre nordiens », mais elle était persuadée qu’un simple émissaire aurait pu faire l’affaire. N’était-elle pas lâche de faire ce voyage ? Pendant ce temps, la bête en son fort intérieur observait tout ce qu’elle voyait, et parfois se lançait dans des monologues allant de la crinière des chevaux aux pensées de la jeune fille.

 

Lorsqu’ils arrivèrent au tunnel d’accès au Haut Domaine, des gardes les attendaient, se proposant de les escorter. De petites cabanes de bois et de pierre avaient été construites afin de permettre aux sentinelles de s’abriter de la pluie et d’avoir un toit sur la tête pour dormir. Ils allaient s’engager dans la grotte quand Hector s’approcha de Halderey et lui annonça qu’il préférait rester sur place avec les gardes pendant leur séjour au Haut Domaine. Fronçant les sourcils, Halderey tenta bien de le faire changer d’avis, tellement cela semblait incongru de vouloir rester ici, mais Hector resta inflexible. Apparemment étant petit, la haute altitude des montagnes lui avait fragilisé son oreille interne. Depuis, il évitait autant que possible de se rendre dans les hauteurs. De guerre lasse, Halderey finit par accepter que Hector restât avec quelques sentinelles à l’entrée de la grotte. C’est ainsi que Halderey, Érica et un de ses serviteurs furent escortés à travers le tunnel. Finissant par déboucher sur le puits d’accès au plateau, la petite troupe emprunta la rampe rocheuse qui les mena à la surface, en plein coeur du village central où habitait la famille de Cléomène. Érica n’avait que peu voyagé jusqu’à présent, c’est pourquoi elle fut très étonnée de découvrir qu’une famille aristocratique pouvait vivre dans un endroit aussi petit et rustique. Elle le fut d’autant plus quand elle vit le « palais » des Sylvepeyre. Il s’agissait en réalité d’une simple maison à deux étages avec pour simples spécificités le fait d’être un peu plus grande que les autres et d’avoir les armes Sylvepeyre sur le linteau de la porte principale.

Cléomène étant partie, ce fut sa mère Philomène qui les accueillit dans le salon-hall de réception. À voir l’expression de son visage, il était facile de deviner qu’elle était soulagée de les voir. La jeune fille eut cependant à peine le temps de se demander pourquoi, car on annonça alors le retour de Cléomène. Sa mère, après s’être excusée, s’en alla aussitôt.

Halderey et elle patientèrent dans le salon encore quelques minutes avant de voir arriver celle qu’ils étaient venus voir. Et dès les premiers instants de leurs retrouvailles, Érica comprit aussitôt pourquoi Philomène avait eu l’air aussi soulagée de les voir. Très visiblement, la Dame du Haut Domaine allait mal. Son visage était d’une blancheur de marbre. Il semblait figé dans une attitude circonspecte, muette, comme si Cléomène cherchait constamment à dissimuler quelque chose de trop gros pour elle. Les cernes sous ses yeux les renseignaient amplement sur le degré de fatigue qu’elle devait avoir accumulé. Cependant, ce n’est que le soir venu que l’abcès fut percé.

L’effusion de larmes et l’épanchement de la part de son amie firent le plus grand bien à Érica car cela lui fit prendre pleinement conscience du processus psychologique qui se jouait en elle aussi depuis l’attentat à la capitale. Ce fut aussi au cours de cette discussion qu’elle parla pour la première fois à d’autres, certes à demi-mot, de la bête qui vivait en elle. Ce simple fait tout simple allait déclencher dès le lendemain une nouvelle étape dans sa relation avec la créature.

 

Tu devrais te lever.

La voix avait résonné clairement à ses oreilles, pourtant personne ne se trouvait dans la chambre. Le soleil s’était levé et Érica avait ouvert les yeux au même moment, cependant, elle n’était pas sortie du lit tout de suite. La jeune fille avait besoin d’un instant de pause dans le flot des événements récents, et le silence matinal couplé à la chaleur des couvertures avaient semblé être le parfait moment pour se l’octroyer. Ceci jusqu’à cette voix.

Érica hésita quelques secondes avant d’accepter l’évidence. Jusqu’à présent, la bête parlait par des impressions que son cerveau transcrivait en mots. Désormais, non seulement elle avait une voix perceptible à ses oreilles, mais en plus elle lui parlait personnellement.

Les oiseaux se sont levés pour chanter. Toi aussi, tu devrais profiter du soleil.

.Qui es-tu ?.

Je suis toi depuis toujours.

. Je ne comprends pas. .

Tu n’as pas besoin.

Et cela se retira. Comment Érica le sut, elle aurait été bien en peine de l’expliquer. La présence s’était tout simplement rétractée dans un repli de son intérieur. Songeuse comme jamais, la jeune fille se décida à faire ce qu’on lui avait conseillé.

 

Les jours suivants furent consacrés à la visite du Haut Domaine. L’attitude et l’apparence de Cléomène s’étaient singulièrement améliorées. Ensemble, ils découvrirent les différents points-clés du plateau : les différents villages, tous semblables et tous différents, les hameaux d’éleveurs d’ovins, et les places fortes sur les bordures de la falaise délimitant la frontière physique du Haut Domaine avec le reste du monde. 

Si en apparence, les gens et les bâtiments ne changeaient pas vraiment de ce dont Érica pouvait avoir l’habitude au Val, il était clair que l’esprit qui régnait sur le plateau dénotait une culture et une façon de penser radicalement différente du reste de Corvefell. 

Le royaume s’était structuré autour d’une hiérarchie pyramidale. Tout en haut se trouvait les familles royale, puis ducales, avant de descendre progressivement les échelons militaires et administratifs jusqu’au peuple. Il n’en allait pas de même au Haut Domaine. Si les Sylvepeyre avaient dû adopter les coutumes hiérarchiques du pays auquel ils avaient été rattachés, il était clair qu’ils ne les avaient appliquées qu’en surface, notammentdans les occasions où ils devaient se rendre à la capitale. Bien entendu, les Sylvepeyre étaient depuis longtemps considérés comme les chefs du Haut Domaine. Cependant, la définition que leur peuple y mettait derrière était très différente de ce à quoi on était habitué dans le reste de Corvefell. 

Pour commencer, il existait une grande promiscuité sociale entre les gouvernants et les gouvernés. Cléomène leur avait expliqué, avant de leur montrer, qu’il était normal pour sa famille de participer aux travaux de la vie quotidienne quand la charge de gouvernant le permettait. C’est ainsi qu’elle avait grandi avec un bâton de berger à la main et des chiens de troupeau à ses côtés. Ensuite, le peuple avait droit de remarque sur ce que faisait Cléomène. Les opinions de chacun étaient écoutés et pris en compte dans les affaires courantes. Seul l’aspect militaire dépendait uniquement des choix de la Dame du Haut Domaine, et même dans ce domaine, ses conseillers militaires avaient un droit de regard important. Chaque sujet était entraîné régulièrement dès l’enfance à se défendre soi-même. Les plus doués dans les jeux de stratégie qu’on proposait aux enfants étaient envoyés dans les forts de la falaise où ils recevaient un cursus militaire approfondi. Pour les autres, on leur apprenait à gérer efficacement leur vie, ce qui les amenait tout naturellement à savoir gérer intelligemment la vie en communauté. Le tout entouré par les moutons, brebis, chèvres, chevreaux et boucs qui paissaient dans les champs. 

Tout était organisé au sein d’un rythme biologique lent. On faisait l’école aux enfants au sein des pâturages tout en gardant un œil sur les troupeaux. On réfléchissait projet d’avenir et futur matrimonial en regardant paître les moutons. On construisait une nouvelle demeure tandis qu’une chèvre essayait de grimper sur un muret fraîchement construit. Il n’était d’ailleurs pas rare de voir une escaladeuse sur un toit d’ardoise.

Le plus impressionnant était de voir que tout le monde semblait connaître Cléomène. Devant l’étonnement de Halderey, la Dame leur avait expliqué que sa position de gouvernante l’obligeait souvent à rendre visite aux différents villages et hameaux du plateau.

Ainsi, pendant un temps, Les jeunes gens oublièrent presque qu’ils étaient en guerre. L’atmosphère campagnarde leur donnait l’impression de vivre un temps de paix qui ne s’arrêterait jamais. Cependant, leur arrivée au fort le plus au nord du plateau vint les rappeler à la réalité.

 

L’organisation militaire était impeccable. La place était constituée d’une tour de trois étages en pierre qui surplombait le précipice. Autour avait été érigée une muraille renforcée du côté de la falaise, quasi inexistante du côté sud. Le Haut Domaine n’avait jamais connu d’invasion réussie de son territoire. Pour l’attaquer, il fallait que les assaillants, d’où qu’ils vinssent, grimpassent le long de la paroi. Le seul point faible du plateau était son tunnel d’accès situé au sud en Corvefell. Les défenses des Sylvepeyre consistaient donc en des catapultes et des archers. Chaque soldat savait manier une épée bien entendu, mais on pouvait sentir que personne ne s’attendait à avoir à s’en servir. Ou plutôt, s’ils s’en servaient, c’est qu’ils avaient perdu. L’enjeu principal de la défense du Haut Domaine, comme on le leur expliqua lors d’un conseil stratégique, était de détruire les armes de siège capables de venir mettre à mal les forts. Pour ce faire, on disposait de catapultes et de trébuchets, mais aussi de balistes. Au final, les hommes servaient surtout à neutraliser les ennemis qui tenteraient de grimper le long de la paroi.

En clair, le Nord de Corvefell était virtuellement imprenable le long de la frontière avec le Haut Domaine. Certes, les troupes ennemies pouvaient essayer de contourner l’obstacle. Mais dans ce cas-là, les forces des Sylvepeyre les pilonneraient depuis les hauteurs. Le seul moyen pour Sorsombre d’envahir le royaume était de passer par le duché des Marjiriens plus à l’ouest. Cependant, les montagnes de l’Ombre ne laissaient que peu de passages praticables. Et pour toute une armée, un seul col était envisageable, celui où les troupes des duchés corvefelliens s’étaient rassemblés. Certes, des espions et des bataillons réduits pouvaient emprunter d’autres chemins, mais ils étaient tous surveillés de façon efficace.

 

Halderey ne cachait pas son optimisme. Il ne voyait pas comment Sorsombre se débrouillerait pour réussir une percée au col principal. Érica était plus dubitative. Certes, la situation semblait sous contrôle. Mais la créature ne cessait de lui répéter les mêmes paroles :

Quelque chose ne va pas. Reste sur tes gardes. Si tu cesses de faire attention, tu prêtes le flanc et tu es vulnérable.

Certes, mais faire attention à quoi ? Telle était la question. Quant à Cléomène, elle vint tempérer la vision optimiste du prince avec une remarque pleine de bon sens. Elle lui fit remarquer que Sorsombre avait réussi un attentat en pleine capitale, donc qu’ils avaient des contacts, des hommes de main infiltrés depuis longtemps dans le royaume. En entendant cela, le front d’Halderey se plissa. La Dame avait raison.

- Ne devrais-tu pas alors faire la chasse aux traîtres ? Suggéra-t-il.

- Nous vivons en autarcie ici. Peu de personnes s’intéressent à nous, et donc, il y a peu d’étrangers qui font le déplacement. À l’inverse, nous ne sommes pas très portés à avoir des contacts avec l’extérieur. Je ne crois pas qu’un de mes sujets ait pu trahir. Pourquoi l’aurait-il fait ?

- C’est toi qui connais le mieux ton peuple Cléomène. Mais sait-on jamais ? Répondit alors Érica.

- Tout notre système est basé sur la confiance réciproque que nous nous portons les uns aux autres. Tout le monde me connaît un minimum, et je me dois de maintenir un lien avec le plus grand nombre possible de mes sujets. Si jamais je commence à soupçonner et à tenter de dépister des trahisons, cela va briser le maillage toute notre société. On se méfiera de son voisin, de ses proches, et pourquoi pas de moi-même ? La cohésion et la stabilité que nous connaissons depuis des temps immémoriaux se briseront. Je ne peux pas faire ça.

-D’accord, mais…

- Cela va au-delà de cette guerre. En tant que Dame au bézoard, je me dois de protéger l’intégrité de mon peuple. Menacer cette cohésion sociale y porte atteinte. Halderey, je sais que ce que je vais dire pourrait être vu comme de la trahison, mais je préférerai laisser Sorsombre envahir Corvefell que de prendre une décision qui conduirait mon peuple à une guerre civile.

- Tu es sérieuse ?

- Chaque sujet du Haut Domaine sait quelles sont mes priorités, nos priorités. C’est pourquoi ils me font confiance. C’est l’esprit et l’âme de notre peuple. Même notre allégeance à Corvefell ne peut remettre en question ce fait.

- Et si je t’en donnais l’ordre ?

- Je ne l’appliquerais pas. Nous avons prêté allégeance à vos rois dans le but d’éviter une guerre inutile que nous ne pouvions pas gagner. Mais dans l’hypothèse où nous n’aurions pas eu le choix, nous nous serions battus jusqu’au bout. Nous avons d’ailleurs toujours mis une condition à notre allégeance : le respect de nos traditions, de notre âme et de notre esprit. Nous ne nous sommes pas vendus à bas prix Halderey. La confiance en mes gens et de mes gens en moi est un des fondements de notre peuple. Tu n’as pas le pouvoir de me la faire briser. Jamais.

Cet échange avait été fait dans le calme, mais la détermination de Cléomène était plus solide que l’acier. Halderey en ressortit avec un visage songeur. Pour ce qui était d’Érica, elle devait avouer qu’elle était envieuse d’un tel fonctionnement. Si tout le monde au Val et dans le Royaume pouvait vivre ainsi, les choses seraient fort différentes. C’est ainsi que, le soir même, le prince et elle envoyèrent une missive commune par pigeon voyageur où ils s’enquéraient de la façon dont le Val s’occupait de la chasse aux taupes.

Cependant, ils n’eurent jamais le temps de recevoir une quelconque réponse. Car le lendemain fut le moment où l'attaque de Sorsombre prit au dépourvu les armées en poste au Val, menant à un véritable cataclysme.

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Edouard PArle
Posté le 31/08/2021
Hey !
Alors, très bon titre de chapitre et aussi très belle conclusion de chapitre, on a très envie d'enchaîner avec la suite.
Très intéressante cette voix à l'intérieur d'Erica, je me demande d'où elle vient. Tes personnages sont complexes et bien caractérisés donc bravo.
Quelques remarques :
"n’apportait plus les mêmes effets." Quels sont les autres effets (à part la calmer) ?
"comme un parasite vient parasiter un hôte innocent." Pas très jolie cette répétition
"C’est ainsi que Halderey, Érica" -> qu'Halderey
"Tout en haut se trouvait les familles royale, puis ducales," -> trouvaient
"notammentdans les occasions" -> il manque un espace
Sabi
Posté le 31/08/2021
Hey!
Ah, la voix, qu'est-elle ? Nous verrons bien...
Merci d'aimer toujours autant, ainsi que pour le commentaire.
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