Épisode 9 [Charlie] : In the box

Kriti place sa botte sur le tableau de bord, se dressant vers le vide stellaire qu’elle scrute avec une longue-vue. Charlie se retient de râler, il sent le métal bomber sous son poids. Après, il ne faut pas s’étonner que Chocolatine coûte cher en entretien.

— Je vois la prison, à 0,3 UA à onze heures, commente Kriti.

— Onze heures, treize minutes et vingt-trois secondes, précise Charlie depuis le haut-parleur.

Ça fait bien trois heures que Tunod est à portée de ses radars, mais l’elfe ne veut rien savoir. Elle veut l’observer de ses yeux.

— Charlie ?

— Mode caméléon activé.

L’androïde privé de corps oriente son extension entre les astéroïdes. Ils sont écartés de plusieurs kilomètres chacun, mais en manœuvrant habilement, il peut se déplacer presque toujours à couvert. Ils ne vont pas tarder à se faire repérer cela dit, mais il faut bien donner le change.

— Sélène, t’es prête ? fait Popple.

— Oui, piaille la princesse.

Maquillée par Jesa qui lui a marbré le visage de violet, elle s’est mise des gouttes dans les yeux pour faire réaliste.

— Tout le monde en place, tonne Kriti. Charlie ?

— La caméra est prête.

Popple ricane alors qu’elle ligote la Lunienne. Puis elle la menace avec son Bonbon.

— Il est pas chargé au moins ? s’inquiète l’otage.

— Bien sûr qu’il est chargé.

— Quoi ? Mais le…

— Silence, ça tourne !

L’Animalienne se compose l’air patibulaire qui la rend si séduisante sous l’objectif de C45.

— Hé les flics, r’gardez c’qu’on vous amène, déclare-t-elle en titillant le cuir chevelu de la Sélène. Vot’ ‘tite princesse adorée. Savez qu’on aime pas bien les richards, nous. Elle pourrait bien s’faire trouer l’gosier. Mais on est sympa, on v’laisse une chance d’éviter ça. Am’nez la cellule d’notre capitaine, Smoothie, au poste général à…

Popple cligne plusieurs fois des yeux.

— À la porte A43, lui souffle Kriti, hors du cadre.

— À la porte A45 ! reprend l’artilleuse.

— A43 !

— Mais laisse-moi me concentrer !

Charlie coupe là la diffusion avant que les deux pirates ne se ridiculisent plus.

— Jarnicoton, Popple ! On te l’a fait répéter dix fois !

— C’est toi qui me perturbe avec tes chuchotis !

C45 en aurait ri s’il ne s’agissait pas de libérer leur capitaine. Et s’il avait une bouche. Au lieu de ça, il envoie des instructions par texte à la prison, dont la mention de la fameuse porte A43.

Les moteurs de Chocolatine ronronnent, berçant la puce dans laquelle il contient sa conscience. Mais ce n’est pas le moment de se mettre en veille. Le vaisseau approche de la prison, un embarcadère dégagé spécialement pour eux. Quelle délicate attention.

Sélène chougne au-dessus du tableau de bord, ne manquant pas de le maculer de morve et de larmes. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle s’implique autant dans son rôle. Depuis que Kriti lui a retiré ses limitateurs de mouvements, elle est excitée comme un routeur flambant neuf.

Les soldats Luniens accueillent les pirates sans armes, comme prévu. Rosso et Jesa ont insisté pour accompagner l’expédition dans les entrailles de la prison. Ils ont prétexté vouloir se rendre utile plutôt que de se morfondre seuls dans le vaisseau. Ils ont pourtant de la chance d’avoir le choix. Charlie, confiné dans un boîtiers bardé de capteurs, doit supporter la poche odorante de Popple.

Les couloirs de la prison se déroulent en direction de la cellule rapatriée de Smoothie. S’il avait eu un cœur, il l’aurait senti battre plus fort. Surtout que c’est de sa faute si leur brave capitaine s’est fait capturée. Mais ils vont bientôt pouvoir la retrouver.

Peut-être n’aurait-il pas dû penser si vite. Il se fait la remarque, se disant qu’il ne faut pas grand chose pour tout faire capoter.

Le pas grand chose prend la forme d’une inconscience soudaine qui s’empare de Kriti, Popple, Rosso et Jesa. Le boitier heurte violemment le sol, écrasé par le poids de l’Animalienne. Charlie lance ses capteurs à l’assaut du couloir pour découvrir une dizaine de gardes sortant d’un sas.

— Venez, Votre Altesse, dépêchez-vous, lance l’un d’eux.

Derrière, accroché au mur, un projecteur vient d’envoyer des ondes électromagnétiques en direction des pirates. Mais ça ne marche que sur les cerveaux de chair et de sang, alors Charlie peut compter sur le soutien de Rivière d’Argent, camouflée en bijoux épars sur leurs hôtes organiques. Il faut qu’ils mettent un plan en place, et vite.

— N’approchez pas ! crie soudain Sélène.

Elle a ramassé le Bonbon de Popple pour se le pointer sur le crâne. Charlie sent son pouls passer de 80 à 130 battements par minutes. Elle tremble légèrement, mais impossible de le percevoir avec des yeux humanoïdes.

— Faites comme convenu, ou je mets fin à mes jours !

C45 admire presque l’ardeur qui se dégage de son corps. Littéralement, d’ailleurs, sa température corporelle ayant augmenté de 0,56° C. Les soldats sont tout aussi impressionnés. Ils échangent des regards anxieux sans oser bouger, ni dans un sens ni dans l’autre. Puis, soudain, l’un d’eux porte la main à son oreille, écoutant un message télétransmis. Les autres, plus discrets, hochent la tête. Charlie tente d’intercepter la communication, mais le message est déjà fini. Qu’est-ce qu’ils préparent ? Le message les a détendus.

— Nous ne vous amènerons pas la Génille. Si vous voulez vous suicider, faites-donc.

Sélène sursaute.

— Arrêtez le bluff ! piaille-t-elle. Je vous jure que je vais le faire ! Et vous irez rendre des comptes à ma mère !

— Votre mère vient de nous transmettre une missive : elle préfère garder la Génille plutôt que votre vie.

Charlie sent ses nanocircuits s’échauffer. Il ne ment pas, il en est certain. La princesse semble le percevoir aussi, ou alors est-elle crédule. En tout cas, elle se met à trembler violemment, fouillant le couloir du regard pour y trouver des réponses. Les gardes ne bougent, ils n’ont sans doute pas non plus reçu l’ordre de l’abattre. C’est bien, parce qu’il fallait une seconde de plus.

C45 émet un signal dissonant qui vrille les oreilles des Luniens. Dans le même temps, Rivière réveille les dormeurs à grands coups d’ondes thêta. Rosso et Jesa ont du mal à comprendre ce qu’il leur arrive, mais Kriti et Popple bondissent sur leurs pieds d’un même mouvement. Cette dernière retire son Bonbon des mains livides de Sélène. Un rictus déforme ses lèvres velues.

Charlie sourirait s’il pouvait. Il aime beaucoup les scènes d’action, et Popple ne le déçoit jamais à ce niveau-là.

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