Épisode 8 [Sélène] : La schtroumpf amourachée

 

Le bras de Charlie tressautait sur le tableau de bord, planté dans une multi-prise qui lui permettait de retrouver sa voix via un haut-parleur dans le vaisseau.

— Ça y est, ils sont hors de vue ! grésilla-t-il.

Kriti soupira et s’affala sur son siège.

— On les a semés, pour l’instant, souffla-t-elle mi-soulagée mi-inquiète.

— T’es incroyable, Crétine, la félicita Don Rosso d’un air moins assuré qu’à l’ordinaire.

Sa femme Jesa était assise sur ses genoux, surveillant du coin de l’œil les mouvements de Sélène. La princesse n’avait pas prononcé un mot depuis son réveil. Elle n’était même pas sûre qu’il lui restait assez de neurones pour aligner une phrase. Alors, elle observait. Elle observait les traits tirés de Rosso, ses jambes épaisses qu’il replaçait sans cesse, sa grande main qu’il promenait nerveusement dans la coupe afro de sa femme. Elle observait la sueur qui suintait sur sa peau rosé, ses muscles qu’elle avait tant admirés. Cette beauté indéfinissable qu’elle avait cru être sienne.

Popple revint du poste de tir en poussant la porte de la salle commande avec le pied.

— ‘Tain, pourquoi t’as fui si vite, Kriti ? J’ai eu le temps de rien dégommer !

— Je n’ai pas à arranger nos fuites selon tes caprices, répondit posément le second.

Sélène pivota ses yeux plaintifs vers la silhouette noueuse de l’elfe. Sa crête verte s’élançait en l’air, se découpant sur le vide spatial visible au travers d’une coupole de verre. Son front s’alignait avec ses arcades sourcilières, détachant son nez plongeant du reste de son visage. Ses lèvres étaient charnues, un étoile était tatouée sur sa joue. Popple et Charlie avaient la même. Ça montrait qu’ils appartenaient à l’équipage des Pirates du Berger. La princesse se demanda soudain qu’elle était leur histoire, surtout celle de l’elfe. Comment passait-on de bourger à pirate ? Pourquoi semblait-elle dédaigner son ancienne carrière au profit de cette vie dangereuse ? Quels étaient les mystères de la lyre qu’elle ne quittait jamais ? Sélène avait été aveugle. À côté de Kriti, Don Rosso était un guignol. C’était Kriti qui l’avait protégée lors de ces derniers jours, qui avait accompli le plus beau scroll qu’elle ait jamais vu.

— Bon, on fait quoi maintenant ? grinça Popple en se vautrant à côté de la Lunienne.

— Très bonne question, crachota Charlie.

Rivière d’Argent, qui avait repris la forme de chat-papillon, pointa sa truffe de métal vers la princesse. Kriti se tourna vers elle, ses prunelles étaient intenses.

— Vous nous aviez promis de libérer notre capitaine si vous aviez la possibilité d’assister à la finale du championnat. Cette dernière ne s’est pas déroulée comme prévu, j’en conviens, mais je vous demanderai de tenir tout de même votre parole.

Sélène vit l’inquiétude perler sous son expression dure. Elle jeta un bref regard en direction de Rosso et de sa femme. Ils avaient dû sacrifier leur vie pour ses caprices. Quelque part au fond d’elle, elle trouvait leur sort mérité. Mais elle devait ignorer cette voix perfide.

— Votre capitaine est enfermée dans la prison royale de Tunod, située dans la ceinture d’astéroïdes de Kuiper. Je n’ai malheureusement pas l’autorisation de la faire libérer, mais je peux vous fournir toutes les informations dont je dispose.

Un sourire souleva les lèvres brunes de Kriti, Sélène se sentit transportée.

— C’est entendu, établissons un plan d’attaque.

— Votre capitaine, c’est une Génille, n’est-ce pas ? se ragaillardit la princesse. Je comprends pourquoi vous tenez tant à la récupérer. De quand date sa dernière Mue ?

Le ronronnement du vaisseau accueillit la fin de sa phrase, rehaussant le silence de ses habitants. Sélène vit le sourire de Kriti disparaître au profit d’un air glacial qui la fit frissonner. La jeune fille se tassa sur la banquette élimée.

— Vous… vous ne voulez pas qu’elle vous accorde un souhait… ? tenta-t-elle.

Un nouveau silence souffla sur sa peau bleuâtre. Puis Popple éclata d’un grand rire, lui donnant un coup de coude joyeux.

— Kriti voudrait bien un vœu, elle ! Mais elle osera jamais le reconnaître !

La Lunienne gémit en se tenant les côtes.

— Comment oses-tu ?! gronda l’intéressée en se dressant sur ses pieds altiers.

— Bah quoi… c’est vrai, ricana l’artilleuse qui commençai à manquer de souffle.

— Je suis tout aussi attachée à notre capitaine que vous l’êtes ! s’exclama gravement Kriti. Jamais, jamais je n’ai pensé à la libérer par interêt personnel !

— Oui, oui, s’essouffla Popple.

Sélène, raide, creusait le sol de ses yeux honteux. Une partie d’elle se questionnait néanmoins sur le vœu mentionné par l’Animalienne. Qu’est-ce que la fière bourgeuse pourrait bien souhaiter qui nécessite les pouvoirs d’une Génille ? Ces créatures mystérieuses étaient si rares et recherchées, les garder près de soi n’était pas de tout repos. Il fallait être prêt car les Génilles n’accordaient leur vœu que pendant l’une de leur sept Mues. Pas étonnant que les autorités luniennes l’aient planquée dans la prison la plus sécurisée du système solaire. La reine sa mère voulait s’approprier le souhait : l’immortalité, puisqu’elle n’était définitivement pas originale. Ce n’était quand même pas ce vœu bateau que Kriti voulait voir exaucer ?

— Bon, revenons-en au plan, trancha Charlie.

L’elfe lança un dernier regard cinglant à sa camarade poilue avant d’aller se rasseoir.

— Que savons-nous de cette prison ?

— Que ça va être super compliqué d’en sortir le cap’, grogna Popple.

— Votre Majesté ? s’enquit l’ex-bourgeuse.

Sélène se racla la gorge.

— La prison est organisée en couches successives à partir d’un anneau extérieur. Les cellules flottent dans le vide spatial, reliées et alimentées par des câbles. Il est impossible d’accéder aux condamnés comme ça, il faut commander le rapatriement de la cellule sur l’anneau.

— Et comment on fait ça ?

Les visages se plissèrent sous le coup de la réflexion. La princesse redressa la tête, fière de son idée.

— Prenez-moi en otage, déclara-t-elle.

Quatre paires d’yeux — cinq en comptant Rivière — se braquèrent sur elle.

— Si vous pointez un canon sur mon crâne, ils vont commander le rapatriement de la cellule. Vous pourrez leur demander à peu près n’importe quoi, d’ailleurs.

— Excellente idée, commenta Kriti.

Sélène se sentit légère, si légère. Un grand sourire coupa son visage en deux. Pour l’elfe, elle serait prête à tout. Elle irait jusqu’aux confins de l’univers s’il le fallait. D’ailleurs, le trou paumé qu’était la ceinture de Kuiper s’en rapprochait déjà pas mal.

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