Épisode 14, partie 2: Hiacynthe

Par Reiko

La barmaid qu'était Hiacynthe, cette magnifique franco-indienne de vingt-quatre ans aux yeux verrons, avait le sourire aux lèvres. Un sourire des plus radieux. C'était un jour assez particulier. Travaillant au sein du Crimson depuis deux ans, elle voyait toujours de loin cette bande d'amis si particulier pour sa patronne. Aussi discrète qu'une ombre ramassant leurs verres vides, elle avait appris à les connaître de loin. Comme ce narrateur omniprésent d'une histoire avec de nombreux personnages.

Aujourd'hui, elle allait enfin pouvoir s'asseoir à leur table, en tant que membre à part entier de ce groupe qui était un peu comme des VIP ici bas. Une classe inatteignable quand on ne connaissait pas personnellement la maîtresse du lieu. De son côté, elle ne connaissait pas intimement Absynthe Raven. Oui, il y avait bien une autre solution pour réussir à intégrer ce cercle très privé. Celle-ci étant de coucher avec un des membres, quoi de plus logique. Et c'était, on pouvait bien le dire, ce qu'avait fait la professeur de shibari. Oh ça oui, elle avait eut des rapports plus qu'intime avec Charlotte, l'avocate rousse du groupe. Tellement intime qu'elles devaient encore avoir l'odeur sur elles après deux douches, tels des bêtes sauvages en rûtes.

Tout ceci rendu possible grâce à une seule personne, Billy, le nouvellement arrivé dans la bande, même si la nouvelle ça allait être elle maintenant. Attention, ce n'était pas le but de la barmaid, d'intégrer le cercle d'amis de sa patronne, non. Au contraire, elle cherchait juste une relation sincère et elle l'avait trouvé en la personne de Charlotte Fabre. Deux âmes égarées et en perdition s'étant rencontrées sur le bois d'un bar humide d'alcool. On pouvait clairement faire mieux comme première rencontre. Mais ça, les deux femmes s'en fichaient comme de leur première culotte. Pour elles, seul comptait l'amour qu'elles ressentaient l'une pour l'autre.

C'était ce soir qu'elles allaient pouvoir le montrer à tous, sans se cacher, et surtout, donner des réponses à ceux se posant des questions mentales. Elle avait pris un jour de repos exprès pour être pleinement présente. Car Absynthe ne l'aurait pas autorisé à traîner avec eux hors de sa pause. Elle avait beau être compréhensive, elle avait le sens des affaires. De ce fait, ni Charlotte, ni même elle avait prévenu de sa venue à leur table, pour leur soirée hebdomadaire du vendredi soir.

C'est toute excitée qu'elle fit tranquillement la queue pour entrer dans le Club, histoire de se faire discrète, pour que personne ne l'a remarque et ne se demande pourquoi elle ne travaillait pas. Avec la rouquine, elles avaient prévu quelque chose de mignon. Hiacynthe ne devait pas rejoindre la table tout de suite, sinon cela aurait été inutile d'organiser une sorte de surprise, la mèche serait vendue dès le premier regard. Tout comme Absynthe, le reste du groupe était très perspicace.

Enfin à l'intérieur, un regain d'énergie sembla lui parvenir, fixant la fameuse table au loin, reconnaissant entre mille la couleur des cheveux de Charlotte. De sa Charlotte… Elle était à elle. Tout comme elle était à l'avocate, toute entière. Cette pensée lui fit un bien fou. Prenant un verre rapidement, sans se faire remarquer par le barman la remplaçant, elle alla se poser dans un coin de la salle ou personne de la table ne pouvait la voir, mais pas trop loin non plus, pour arriver à entendre la voix de l'avocate.

Tournant son cocktail dans son verre à l'aide de la petite touillette, elle le regarda attentivement. D'abord, elle analysa de façon instinctive le travail de son remplaçant. Réflexe de barmaid. Quand on travaillait dans un secteur de la restauration, dès que l'on goutte quelque chose, on ne peut s'empêcher d'analyser, de juger et d'être critique. De plus, la mixologie n'était pas à prendre à la légère, c'était un véritable métier, comparable à celui d'un chimiste, car il fallait maîtriser les doses face à la nuance des goûts et du pourcentage d'alcool contenu dans le verre. C'est avec une grimace qu'elle reposa son verre. Ce n'était pas mauvais, mais pas bon non plus. Elle ne pensait vraiment pas que les autres avaient un niveau si faible. Avaient-ils réellement une formation en mixologie ? Ou étaient-ils seulement cantonnés à verser des bières dans leurs précédents postes ? Pariant intérieurement qu'ils ne savaient même pas servir une pinte à la tireuse convenablement. Cela voulait clairement dire que dès demain elle allait organiser des sessions de formations pour ses barmans, car la demoiselle n'était pas seulement barmaid, mais manager du bar !

Finalement, elle renvoya le cocktail, sous le regard dépité du pauvre barman qui était en train justement de lui servir une bière pour remplacer sa commande. Alors, une fois une vraie bonne boisson entre ses mains, elle se laissa aller à ses pensées. La soirée d'il y a deux semaines avait été des plus stressantes pour elle. Devoir cacher sa maigreur et ses problèmes de nourriture… Bien que pour boire, elle n'avait aucun problème… Bref. C'était justement quelque chose qu'elle n'avait jamais vraiment fait.

Enfant, ses parents ne remarquaient pas grand-chose. Alors remarquer que leur fille avait déjà à l'adolescence des problèmes de poids… Puis vint la vie de jeune adulte et enfin d'adulte après les études. Elle n'avait jamais vécu réellement en couple. En tout les cas, à vivre souvent chez l'un ou chez l'autre. Même pour une soirée, cela avait toujours été à l'extérieur. Dehors, c'était bien plus simple de cacher ses problèmes aux autres. Alors que dans l'intimité d'un appartement, sans le manteau ou une veste… Puis sans les vêtements… Se retrouver nue… Heureusement qu'elle avait pris l'habitude de dormir et de faire ses séances en body… Car même si c'était moulant, elle pouvait jouer avec les textures et les couleurs pour cacher l'état déplorable de son corps.

Pendant toute la soirée, elle avait eu la peur au ventre que Charlotte lui demande de se mettre complètement nue pour le faire avec elle. Mais non, elle n'avait rien dit. Elle l'avait respecté, ce qui était un très bon point. Autre bon point ? L'avocate s'était laissé soumettre… C'était une question qu'elle s'était posée, en ayant fini par la connaître en l'écoutant parler. La rouquine était une dominatrice, une femme forte qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Ni par les hommes, ni les autres femmes, ni même la personne qui partageait ses sentiments. Pourtant… Avec Hiacynthe, elle avait accepté de se soumettre, pour que la switch puisse avoir les deux côtés de leur pratique commune. Car deux dominantes qui ne souhaitent pas faire de compromis… Cela finissait souvent, très souvent, en rupture.

Depuis cet épisode de leur vie, leur avenir était tracé au stabilo fluorescent sur une feuille de papier. Elles allaient vivre ensemble longtemps. Étant sur la même longueur d'onde au niveau du couple et au niveau de la pratique BDSM. Se ressembler n'était pas un mal. Il fallait croire qu'il n'y avait pas seulement les opposés qui s'attirent.

Cela faisait deux semaines et elles n'avaient pas été des plus inactives. Au contraire, dès qu'elles le pouvaient, elles se taquinaient, s'envoyaient des piques, des petits ordres l'une à l'autre, pour exciter, mais aussi pour habituer Charlotte à la soumission. Ce petit jeu avait l'air de lui plaire. En tout les cas, elles avaient déjà franchis un autre cap dans leur relation, se tenir la main dehors, hors du cadre professionnel pour Charlotte. Elle était très stricte au niveau de la séparation entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Enfin… Sauf avec Nathaniel, même si elle se contrôlait comme elle le pouvait, restant des plus professionnelle face à lui au cabinet. Bien que Hiacynthe savait pertinemment qu'elle n'y arrivait pas avec lui. C'était l'exception à la règle.

Elles avaient fini par aller acheter un lot de deux brosses à dents en pharmacie pour s'en donner une chacune. La mettant dans la tasse prévue pour les accueillir dans leur salle de bain. Comme ça, pas besoin de toujours emmener l'une chez l'autre. Puis… Hiacynthe avait mis par-ci par-là quelques vêtements chez Charlotte, alors qu'au contraire, la rousse avait posé un ou deux livres sur la table de salon de la barmaid. Une petite routine prenant racine dans leur habitude. Choisissant de dormir ensemble, l'une contre l'autre au moins deux fois par semaine hors week-end. Décidant du lieu de la couche en fonction du travail des deux parties. Bien que la jeune femme aux yeux doubles couleurs se doutait que ça aller souvent être en fonction du travail de la rousse. Après tout… Avocat, ce n'était pas du tout la même chose que professeur en free-lance. Mais quand même, cumuler deux boulots, dont un en auto-entrepreneur, ce n'était pas rien. Elle se donnait à fond dans son rêve et sa passion.

Cette fois, elle releva la tête vers la table. Il ne faudrait pas qu'elle en oubli de surveiller les dires de sa bien-aimée. Tiens, elle n'allait pas tarder à leur dire, elle se dandinait sur sa chaise, signe qu'elle n'arrivait plus à faire durer le suspens.
- Absynthe ? Sais-tu pourquoi Hiacynthe n'est pas là ce soir ? demanda la rouquine.
- Non, pas vraiment. Pourquoi ? Tu voulais lui rouler une pelle dans les vestiaires pendant la pause ? renchérit la patronne, un sourire sadique aux lèvres.

Personne ne le savait, mais les deux jeunes femmes concernées rougirent d'un seul coup en même temps, comme connecté par leur sensation.
- Non, non ! Arrêtez de penser que j'ai une chaudière à la place du cul !
- Et ce n'est pas le cas ? demanda Elliot en ricanant.

En effet, c'était effectivement le cas.
- Rahh, mais vous me saoulait ! Nah, je voulais simplement vous dire que… Que si… Si Hiacynthe ne travaille pas ce soir…

À cette phrase, tous semblait tourner la tête vers elle. C'est là que la barmaid décida de se lever, avec son verre. S'approchant doucement.
- C'est parce que nous sommes ensemble ! s'écria Charlotte alors que Hiacynthe vint s'asseoir à la table tout près d'elle, sous un « oh » général des plus joviale. Tous autours d'elles avaient le sourire aux lèvres jusqu'aux oreilles. Enfin, surtout Hiacynthe, qui se prit un baisé dans le cou de la rouquine.

On cria qu'une tournée était offerte, c'était Absynthe qui avait parlé, alors son employée tourna la tête vers elle, ayant un peu peur de voir un regard accusateur à son encontre, mais rien. À part un sourire sincère et des plus chaleureux.
- Vous en avez mis du temps toutes les deux, lui dit-elle.
- Quoi ? Tu te fous de moi ?! C'est toi qui voulais que je prenne du temps ! rétorqua l'avocate, outrée.
- En effet… Et j'en suis plus qu'heureuse, car chacune mérité d'être avec quelqu'un de bien.

Nouveaux rires et encouragements chaleureux. Nouvelles joues rouges et sourires des plus heureux. Alors, contre les demandes excitées des membres du groupe, comme s'ils étaient à un anniversaire ou pire, dans un concert, le nouveau couple s'embrassa des plus passionnément devant eux. Bien que Hiacynthe avait remarqué que Charlotte semblait un peu triste, sans doute car Nathaniel n'était pas présent. C'était son meilleur ami. Elle aurait voulu qu'il voit ça, mais elle lui avait dit que depuis quelque jours, il était assez distant.

Quand le barman apporta le nombre incroyable de pintes à la table, c'est sa patronne qui se leva pour servir, un sourire heureux aux lèvres. Tendant en dernier Hiacynthe, qui avait écopée de la plus grande pinte, vu qu'il y en avait plusieurs modèles. La brune aux yeux mauves avait toujours était un modèle pour elle et voir qu'elle l'acceptait comme cela si facilement lui allait droit au coeur.
- Bienvenue dans notre grande et belle famille Hiacynthe, lui dit-elle en lui touchant la main, sincère.
- Merci, merci Absynthe.

Difficile de retenir l'émotion à vrai dire.
- Bien ! Maintenant ! À quand les bébés Hiacynthe ?!, lança Charlotte.

Enfin, difficile, quand l'avocate n'était pas dans les parages pour renverser la vapeur. Elle ne put donc pas retenir un rire des plus sonores face à cette blague que tout le monde semblait comprendre.
- Pas encore, pas encore !

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