Epilogue

Par Notsil

Shaniel retint un soupir. Orssanc que le temps lui paraissait long ! Le bois dur du trône était inconfortable au possible, la couronne sur sa tête pesait des tonnes.

Devant elle, sur le tapis rouge qui menait au trône surélevé où elle se tenait, les Seigneurs défilaient un à un pour lui jurer allégeance. Des neuf grandes Familles qui dirigeaient chaque Monde au petit Seigneur de province, tous avaient fait le déplacement.

La salle d’audience était bondée. Un buffet garni était disposé contre l’un des murs ; des domestiques arborant la livrée impériale déambulaient au milieu des Seigneurs, les bras chargés de plateaux couverts de mets délicats.

Shaniel inclina légèrement la tête pour montrer son acceptation du serment d’allégeance du Seigneur Taihi sy Somirei d’Aranel. Son œil expert avait balayé son escorte en vain dans la quête d’un nouveau partenaire. Jusqu’ici, elle n’avait rien trouvé qui lui convenait.

Orssanc qu’Alistair lui manquait ! Elle s’était tellement habitué à ce qu’il soit toujours disponible pour elle, à aller effacer ses déceptions dans ses bras, à ce qu’il comble un manque…

Shaniel pinça les lèvres.

Un mois s’était écoulé depuis leur victoire sur Orhim ; le temps nécessaire pour que chacun panse ses plaies, pour qu’elle organise cette cérémonie avec tout le prestige auquel s’attendaient les Seigneurs. Et déjà, les murmures couraient sur le choix de son futur époux, comme si son avenir passait obligatoirement par le mariage.

Comme si l’Impératrice seule n’était pas suffisant.

Ils étaient bien naïfs. Shaniel s’était longtemps imaginée en épouse modèle, tirant les ficelles dans l’ombre du pouvoir que détiendrait son mari.

Un futur qu’elle refusait désormais. Elésyne, Surielle, la Souveraine Satia… aucune ne dépendait d’un homme. En tant qu’Impératrice, Shaniel incarnait le pouvoir ; elle le consoliderait avant de penser à sa succession. Celui qui espérerait mettre la main sur les rênes de l’Empire à travers elle se leurrait.

Seraient-ils surpris, quand elle leur annoncerait reformer les Iko ? C’était l’une des marques de son statut. Très bientôt, elle partirait visiter chacun des Mondes, et en profiterait pour sélectionner ses Iko. Peut-être que la curiosité de servir une Impératrice jouerait en sa faveur.

La loyauté des Seigneurs lui était acquise, pour l’instant. Néanmoins, se reposer sur cette seule certitude serait une erreur.

— Evan d’Arian, Seigneur d’Arian, son épouse Ireth d’Arian, demoiselle Pazi d’Arian, annonça le chambellan.

Les sonorités familières titillèrent son oreille. Evan mit genou à terre tandis qu’Ireth plongeait dans une révérence, sa fille l’imitant après un court instant d’hésitation. Pazi avait été sur la liste des futures prétendantes destinées à son frère, se souvint Shaniel. Un peu mince à son goût, mais elle avait des yeux magnifiques et dégageait un certain charme. Peut-être serait-il intéressant de lui accorder du temps de discussion, quand elle aurait terminé d’écouter ces serments d’allégeance. Voire même lui proposer une place chez les Iko.

L’escorte du Seigneur Evan comportait un ailé ; bien trop âgé pour qu’elle le considère comme un partenaire potentiel. Non, chercher à remplacer Alistair si tôt était une erreur. Et sa mission sur le sol des douze Royaumes prendrait du temps ; une coupure nette était préférable. Ceux qui lui reprochaient la mort de Rayad étaient satisfaits de son éloignement, et de son côté elle l’avait protégé du mieux qu’elle pouvait contre leur vengeance.

Par contre, peut-être pourrait-elle prévoir un voyage diplomatique. Surprendre ses alliés, une fois encore.

Et qui sait ? Y trouver un partenaire clouerait le bec aux Seigneurs tout en renforçant leurs liens diplomatiques. Shaniel se redressa, inclina la tête à l’intention d’Evan et sourit à Pazi. La jeune fille sursauta, sans se démonter. Parfait, elle avait donc du cran. Avait-elle compris ses intentions ? Shaniel devrait s’en assurer. Orssanc qu’il lui tardait d’en finir avec cette cérémonie ! Ses pensées dérivèrent vers Surielle : avait-elle repris une vie normale, auprès des siens ? La jeune ailée lui manquait ; leur dernier combat avait resserré leurs liens.

Oui, c’était décidé. Elle prévoirait au plus tôt une visite dans les Douze Royaumes.

*****

Sagitta, Valyar, un mois plus tôt….

Surielle franchit la porte ; Lysabel se jeta dans ses bras, et elle lui rendit son étreinte avec une force qu’elle n’aurait pas soupçonnée.

— Tu m’as manquée, dit-elle.

— Vous m’avez manqué aussi ! s’écria la benjamine, au bord des larmes.

— Allons, Lysa, tu n’étais pas seule, intervint Alya. Ne restez pas là, entrez vous mettre à l’aise, j’imagine que  vous n’avez pas eu de temps pour vous.

— Tu l’as dit, sourit Lucas.

Ils étaient tous épuisés, songea Surielle. Pourtant, alors qu’ils prenaient place dans le petit salon, alors qu’Axel venait les serrer dans ses bras, elle réalisait qu’elle était à sa place. La famille, cette valeur importante sur laquelle elle pouvait s’appuyer. Elle savait que ce n’était pas le cas partout, alors elle mesurait la chance qu’elle avait. Quels que soient ses choix, elle serait soutenue. Et même si elle était capable d’entrer en communication avec un dieu - avec leur dieu - elle ne serait pas mise à l’écart.

— Tout va bien, Surielle ? questionna sa mère.

— Oui. Tout va très bien.

Elle laissa ses parents résumer les évènements à Alya et Aïtor ; sa tante et son oncle étaient revenus veiller sur Lysabel, encore une preuve de la force qui liait leur famille. A l’attitude d’Axel, elle devinait qu’il était déçu d’être resté en retrait, d’avoir raté la grande aventure. Elle l’aurait été aussi. Elle lui raconterait, plus tard, à quel point la réalité était différente. Plus dure, plus cruelle. Et que même lorsque tout était fini, rien ne redevenait comme avant.

Le monde avait-il changé, ou avait-elle changé ?

Un peu des deux, certainement. Elle ne parvenait plus à ressentir la jalousie en croisant les regards violets de sa soeur et son frère. Détenir le Don du Feu ? Elle n’en avait jamais vu que la facilité à créer des flammes, sans en mesurer les dangers et comprenait maintenant que seul un apprentissage rigoureux attendait Axel et Lysabel.

Surielle ne s’imaginait pas reprendre le cours de sa vie comme si rien ne s’était passé. Son séjour dans l’Empire, bien que bref, lui avait ouvert les yeux sur les différences et les similitudes entre leurs deux nations. Elle désirait garder contact avec Shaniel, avec Alistair, avec Edénar. Apprendre à mieux connaitre ses petits cousins. Elle voulait que les échanges entre l’Empire et la Fédération soient plus fréquents, et elle espérait exploiter le potentiel de l’Arche, cette Porte créée par Eraïm et Orssanc en personne.

De nombreux projets se bousculaient dans son esprit ; Surielle était bien décidée à en réaliser au moins quelques-uns.

Elle se leva et la conversation s’interrompit.

— Je vais faire un tour, dit-elle en ouvrant la fenêtre.

— Tu seras de retour pour le diner ? questionna Satia.

Surielle acquiesça, apprécia que sa mère ne lui demande rien de plus, lui fasse confiance. Elle plongea sur les toits en contrebas, redressa, ferma les yeux un court instant pour savourer l’instant. Dans les rues, elle distinguait les passants. Plusieurs la montrèrent du doigt et elle réalisa que cela n’avait aucune importance. Ces ailes flamboyantes lui appartenaient même si elles permettaient à tout le monde de la reconnaitre. Elle ne se laisserait plus définir uniquement par elles.

Au loin, elle apercevait des silhouettes qui virevoltaient dans les airs. Curieuse, elle accéléra dans leur direction, reconnut bientôt des ailés familiers. Hikari. Aaron. Esmyr. Ystella. D’autres qu’elle ne connaissait pas. Elle se posa au sommet, pliant souplement les genoux à l’atterrissage.

— Surielle ? s’étonna Esmyr.

— Tu imagines quoi, à débarquer là comme ça comme une fleur ? cracha Aaron.

Surielle avança d’un pas, soutint son regard couleur de cendres, le gifla. Avec peut-être un peu trop de force que nécessaire, admit-elle.

— Qu’est-ce qu’il te prend ? s’affola Hikari.

Aaron se massait la joue, encore surpris.

— J’aurais dû le faire bien plus tôt, rétorqua Surielle.

— Je le savais, siffla Aaron avec mépris. A fréquenter des traitres et des impériaux tu as perdu tout sens de l’honneur.

— C’est ce que tu penses ? Et pourtant tu ne m’attaques pas. Intéressant, non ? Sache qu’un impérial m’a donné plus de plaisir que tu n’en as été capable, alors, et mesure la honte qui devrait t’accabler.

Aaron avait pâli, et aux expressions choquées des Massiliens autour d’eux, Surielle sut qu’ils n’avaient jamais été au courant des détails, parce qu’elle n’avait jamais osé en parler. Plusieurs encerclèrent Aaron, lui demandèrent de confirmer ses propos. Surielle s’en désintéressa ; elle se sentait mieux d’avoir terminé de régler ses comptes. Elle avait tourné cette page et la suite des évènements ne lui appartenait pas. Alors qu’elle allait s’envoler, Esmyr la retint.

— Les rumeurs sont vraies, alors ? Tu vas aller vivre dans l’Empire ?

— C’est ce qu’ils disent ? dit-elle, surprise.

Esmyr hocha la tête.

— Ils disent que tu abandonnerais les douze Royaumes. Que c’est mieux, là-bas.

— Ce n’est ni mieux, ni pire. Juste… différent. Et puis, c’est d’Eraïm, dont je dépens. J’ai d’abord besoin de comprendre certaines choses, et pour cela, de me rendre sur Mayar.

— J’espère que tu y trouveras les réponses que tu cherches.

Il hésita un instant, mal à l’aise.

— Tu sais, reprit-il. L’autre jour… je n’aurais pas dû…

— Laisse, Esmyr. C’est du passé. Alistair est quelqu’un de très sympathique.

Elle sourit.

— Et s’il m’entendait dire ça…

A la vue de l’expression horrifiée d’Esmyr, elle soupira. Les habitants de la Fédération méprisaient les Impériaux, tout comme les Impériaux considéraient les douze Royaumes comme peu évolués. La réaction d’Esmyr la confortait dans sa décision : après Mayar, elle organiserait des voyages entre leurs deux nations, pour que la méfiance s’estompe et que des partenariats se développent. Leur déesse était la soeur de leur dieu, après tout. Elle était sûre que les Aquiléens se montreraient ravis de consulter les archives impériales sur la création de leur système. Ils avaient tant de choses à apprendre sur les Anciens !

— Je ne suis plus sûr de te comprendre, murmura Esmyr.

— M’as-tu déjà comprise, Esmyr ?

Surielle n’attendit pas sa réponse avant de bondir dans les airs. Là, dans les cieux, elle se sentait libre.

Bien plus tard, elle retrouva avec plaisir sa chambre, si familière, le confort de son lit. Le regard fixé sur les étoiles qu’elle discernait entre les rideaux, elle se demanda si d’autres mondes scintillaient aussi au loin. C’était si étrange, de se retrouver seule. Elle n’avait plus l’habitude. Elle avait aimé ces jours passés auprès des impériaux, malgré les difficultés, malgré la douleur. Les larmes perlèrent à ses paupières. Avec qui partager ses souvenirs, maintenant ? Elésyne resterait peut-être quelques jours sur Valyar, mais elle rejoindrait Massilia ensuite, et Surielle devrait s’en remettre aux Courriers pour avoir des nouvelles. Elle soupira, s’efforça de chasser la mélancolie qui la gagnait. Elle aurait du temps pour réfléchir, demain. Son corps avait besoin de repos. Surielle ferma les yeux, son souffle s’apaisa. Alors qu’elle basculait dans le sommeil, elle retrouva un paysage moutonneux familier, avec une silhouette qui se tourna aussitôt vers elle. Comme si elle l’avait attendue.

— Bonsoir, Surielle, sourit Edénar.

 

FIN

 

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Nathalie
Posté le 26/09/2023
Bonjour Notsil

Elle s’était tellement habitué à ce qu’il soit toujours disponible pour elle
→ habituée

J’ai toujours autant aimé. Le suspens, les émotions, le scénario. Merci pour ce beau moment de lecture et bon courage pour tes corrections !
Notsil
Posté le 27/09/2023
Coucou,

Merci à toi pour le temps passé, toutes les fautes pointées et les remarques très justes et pertinentes :) Je vais pouvoir travailler tout ça !

Va falloir que je m'organise entre les corrections et l'avancée sur mes autres idées... avec le Nano qui arrive je pense me remettre en selle.

Un grand grand merci encore :)
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