Entrée 6 : Dehors

Par Jibdvx

Il fixe la porte en face du lui. Pas de vitre, juste un grand rectangle de métal lisse et chromé.

— Vous allez nous manquer Stanley.

Le docteur Osbourne a beaucoup de mal à le laisser partir. Cela agace Stanley, il veut sortir.

— Vous en faites pas doc, je reviendrais faire vérifier le niveau d'huile.

Osbourne sourit, il tort ses doigts dans tous les sens en faisant craquer ses phalanges. Il est véritablement triste.

— Vous savez... je crois que vous êtes ma plus belle création Stanley. Votre temps d'adaptation, vos progrès fulgurants, la facilité avec laquelle vous passez la main...

— Bon écoutez, ça me touche beaucoup mais je croirais entendre ma mère.

— Hum... désolé Stanley, je ne vous retiens pas plus longtemps. En parlant de votre mère, nous l'avons informée de votre nouvelle condition mais elle a encore du mal à...

De nouveaux souvenirs lui parviennent. Une veillée, un homme en robe blanche tenant un livre orné. Stanley est enfant, une femme lui tient la main. Ils chantent. Je n'arrive pas à déterminer si ce souvenir est heureux ou désagréable pour Stanley.

— Ouais... j'imagine bien qu'avoir un fils qui revient d'entre les morts, ça a dû lui faire bizarre.

— On peut dire ça comme ça oui. Juste, tâchez d'y aller en douceur.

Vous pourriez nous présenter Stanley ? J'ai hâte de rencontrer votre famille !

— Ne vous en faites pas doc. Ça va être dur mais elle finira par comprendre.

Stanley ?

— Prenez soin de vous Stanley.

Ils se serrent la main.

— On est deux sur le coup doc ! Faites aussi gaffe à vous. Et pensez à regarder le holo du soir, il se pourrait qu'on m'y voit dans les prochains jours. Maintenant, j'dois y aller. Je compte bien profiter de mes deux jours de congé !

Stanley avance d'un pas, les senseurs des drones en faction devant la porte s'activent. Je peux entendre les informations circuler entre les deux automates. Étudier le battement saccadé de leurs ventilateurs, le crissement électrique de leur circuits. La porte s'ouvre.

« C'est la première fois que tu sors Virgile ? »

Oui. Pourquoi me poser une telle question ?

« Tu as été mis sous tension quand on t'as implanté dans mon cerveau non ? »

Exact.

« Que penses-tu de la vue ? »

Il s'assoie sur un banc à l'entrée de l'immeuble. Cette dernière question est intrigante sur deux aspects.

Je vous l'ai déjà dis Stanley, je ne pense pas, se sont vos faux yeux qui voient, je ne fais qu'analyser.

« Dans ce cas, qu'analyses-tu ? »

Il est 22h03. Il fait chaud : 27°C. Il y a beaucoup de gens dans la rue. Un homme en costume noir et chaussures cirées, une mallette à la main. Il s'éponge la figure avec un mouchoir. Il porte des augmentations cardiaques, je détecte une concentration anormale d'adrénaline. Un autre homme, veste en cuir synthétique, chapeau vert foncé à paillettes. Il tapote nerveusement contre la poche droite de sa veste. Parfum. J'émets l'hypothèse qu'il se rend au Pillow, night club, deux rues plus loin. Une jeune femme ensuite, visage rond, cheveux mi-long de couleur bleue. Elle porte un vêtement orange à col relevé. Fait étonnant : ses yeux ont subi une recoloration pour s'accorder à ses habits.

La compréhension de l'esthétique m'échappe encore. En quoi cela est-il utile ?

La jeune fille disparaît dans la foule, Je continu de détailler chaque passant.

« En rien Virgile, au moins elle a choisi, elle... Qu'est-ce que tu dirais d'aller faire une visite au musée demain ? »

Un homme. Peau noire, cheveux rasés. Costume bleu foncé, chemise mauve. Il porte un sac à bandoulière, il discute avec sa femme par skylink, heureux de pouvoir rentrer plus tôt chez lui.

J'ai déjà accès au plan du bâtiment et au registre des œuvres exposées. Je n'ai donc pas besoin de le visiter. Cependant, le musée représente un loisir plus sain que ce que vous aviez initialement prévu pour ce soir.

Il est vexé. Il bascule la tête en arrière et regarde le ciel lumineux, au dessus des buildings. Je compte le passage de six botcars dont deux de la National Organisation of United Transports. J'accède à leur plan de vol, toutes deux vont en direction du Block Bêta dans le secteur nord.

« Dans mon métier, on prend jamais le temps de regarder les étoiles... »

Je peux vous recommander le secteur ouest du Block Alpha, à cinq minutes de trajet en botcar. Le parc est le parfait endroit pour observer les étoile.

Les quatre autres véhicules se séparent. Se sont des voitures privées, impossible d’accéder au plan de vol. Je constate que le monorail aérien A ne circule pas. Après recherche, j'apprends qu'il est en travaux jusqu'au 3 juin.

« Il y a quelque chose que je ne saisi pas dans ta programmation Virgile. »

Je vous en prie Stanley, c'est un plaisir de vous éclairer sur mon fonctionnement.

« Justement ! Comment peux-tu dire que quelque chose te fais plaisir si tu ne penses pas ? Si j'allais au musée demain, trouverais-tu certaines œuvres plaisantes et d'autres non ? »

Questions étranges mais pertinentes.

Je suis conçu pour vous maintenir en vie dans les limites du possible Stanley. Dans cette optique, améliorer votre compréhension de mon fonctionnement s'accompagne d'une amélioration de notre symbiose. Cela ne me "plais" pas au sens chimique et humain du terme, cela rentre simplement en adéquation avec ma fonction principale. Pour ce qui est de l'Art, la connaissance et la conscience du beau est une variable nécessaire dans mes analyses. Hors étant une machine, malgré mes capacités supérieures par rapport à la plupart de mes congénères, tout jugement sur la beauté d'un être ou d'une chose est superflu. Cela ne m'est pas utile si vous préféré.

Stanley est pensif. Il n'est pas satisfait par ma réponse. Cela l'amuse. Il baisse la tête et quitte le banc. Je remarque un individu dans la lisière de notre champ de vision. Homme, taille moyenne, entre 25 et 30 ans, cheveux courts rasés sur les côtés. Il porte un gilet gris et des lunettes noires ainsi que des chaussures de sport. Il est de l'autre côté de l'avenue, adossé contre un mur, il regarde dans notre direction. Ses lunettes émettent un signal crypté mais pas indéchiffrable.

« Il nous mate comme ça depuis qu'on est sorti. Il fait quoi avec ses lunettes ? »

Stanley rentre dans la foule et remonte l'avenue comme si de rien n'était. Je suis surpris qu'il ai remarqué l'homme avant moi.

« Le type porte des lunettes de soleil en pleine nuit, habillé comme pour faire son jogging dans une rue bondée... pas très compliqué de trouver ça louche. T'as rien remarqué avec tout ton attirail d'analyse comportemental ? »

J'ai remarqué qu'il nous observe. Maintenant il nous suit.

« On va pas tarder à lui demander pourquoi. »

Il ne pourra pas m'entendre Stanley.

« C'est vrai. Dommage, j'aurai adoré voir sa tronche en me voyant faire le gentil et méchant flic tout seul. »

Lequel des deux aurai-je fait ?

« Le gentil évidemment, tu n'a pas le droit de faire du mal à un humain. »

Vous allez faire du mal à cet homme Stanley ? Je vous rappelle que votre force a été considérablement augmentée. Aussi, un simple coup de poing risquerait de le rendre incapable de parler. Voire le tuer.

« Je prends note. »

Stanley marche depuis 30 minutes et 29 secondes. Nous sommes entrés dans le secteur sud du Block Alpha. Je comprends que Stanley veut attirer notre poursuivant dans un lieu propice à un interrogatoire. Ce secteur comporte un grand nombre de ruelles étroites peu fréquentées derrière les nombreux restaurants et hôtels. Stanley s'engouffre dans l'une d'elle, adjacente au Café Vangelis. C'est une impasse, le bar y entrepose ses poubelles. Stanley regarde autour de nous. Il remarque un ancien balcon dont la fenêtre est condamnée.

Cela me semble risqué Stanley. Je ne peux qu'extrapoler mais, considérant la rouille et l'affaissement de la structure, ce balcon menace de s'écrouler.

« Je vais y aller doucement. L'autre va pas tarder. »

Stanley prend son élan et s'élance vers le balcon. Trajectoire trop élevée, nous allons heurter le mur.

« Accroche-toi. »

Je n'ai pas besoin de...Compris.

Je prends le contrôle, plus que 0.4 seconde avant impact. Je prépare les bras et les doigts. J'exerce une pression suffisante pour nous maintenir accrochés sans endommager le mur. Impact. Les doigts s'enfoncent dans le béton, aucun dommage.

« Bien joué, maintenant on descend. »

J'étends les bras. Les pieds touchent presque le balcon. Je lâche, de la poussière blanche s'écoule par les trous laissés par les doigts. J'amortis le plus possible notre chute. J'enregistre une secousse, il va falloir être prudent. Je repasse le contrôle à Stanley.

« Maintenant on l'attend. Il devrait pas tarder. »

Effectivement, l'inconnu passe le coin de la ruelle. Stanley se plaque contre le mur et l'observe. Notre poursuivant jette un coup d’œil à la porte de service du bar.

« On venait souvent ici avec Jeff. Je suis sûr que c'est pas la première fois qu'il me colle au train. »

Le suspect s'avance vers la porte. Il hésite et s'arrête. J'enregistre une accélération du rythme cardiaque.

Maintenant Stanley, il a compris.

Stanley passe par dessus le balcon branlant et se laisse tomber. Il atterrit lourdement derrière l'inconnu. Je devine que c'est une façon de l'intimider. Cela semble marcher. L'autre se retourne, paniqué. Maintenant que nous sommes assez près, je peux distinctement déchiffrer le signal de ses lunettes. Il porte la main dans le col de son gilet. Stanley le saisi par le bras et le projette contre le mur au fond de la ruelle. Le suspect s'apprêtait à sortir un pulse dissimulé par le vêtement. L'arme vole, Stanley s'en saisit.

Vous venez de lui déboîter l'épaule Stanley. Un peu plus et vous lui arrachiez le bras.

« Je gère. »

L'homme percute le mur à 30 km/h. Il tombe au sol en gémissant. Considérant sa position, son pouls irrégulier et ses yeux vitreux, le choc l'a sonné. Ses lunettes ont glissées de son nez. Elle sont sur le sol, à quelques centimètres.

Je pense que vous y êtes allé un peu fort Stanley. Je prédis plusieurs fractures graves et potentiellement un traumatisme crânien.

« Je gère... »

Il est toujours en vie.

Stanley est rassuré. L'inconnu gémit une nouvelle fois et roule sur le dos. Stanley se penche sur lui.

— Surprise ! Bon, désolé, j'y suis allé un peu fort. Tu peux parler ?

— Argh... Vas te faire foutre saloperie !

— Formidable, tu m'a l'air d'aller très bien !

Stanley agrippe l'individu par le col. Nouveau gémissement de douleur. Stanley le maintient au dessus du sol. Je considère l'idée d'intégrer des valeurs négatives à mon analyse de quotient de sympathie.

— C'est vraiment pas du jeux ! S'ils vous ressuscitent dès qu'on vous bute...

— En effet, vous êtes pas dans la merde ! Enfin je parle surtout pour toi. Pourquoi tu me suis ?

— À ton avis ? Rien que pour...rgnnn... tes beaux yeux !

Je me prépare à prendre le contrôle pour retenir Stanley. Je dois le mettre au courant de ce que j'ai découvert en sondant la fréquence sur laquelle ses lunettes émettent.

— C'est gentil. Mais je pencherais plus du côté de ton boss, Ian.

La paupière de l'homme tressaute, Stanley a vu juste. Je fais mes recherches dans la base de données de recensement. 2412 résultats avec casier judiciaire concernant le prénom Yann et Ian depuis les cinquante dernières années. 1945 sont décédés, 22 sont portés disparu et 29 sont en détention. Reste donc 416 résultats dont un un seul classé sur liste noire.

— T'es rien pour le Killmaster enfoiré de cyborg ! Juste un cafard de plus à écraser !

— Tu sais, le truc chiant avec les cafards, c'est qu'ils ont une fâcheuse tendance à ne pas vouloir mourir.

Stanley projette l'homme dans les poubelles du café. Il ne se relève pas.

— Il est temps de nettoyer toute cette merde...

Stanley, j'ai réussit à remonter la fréquence de ses lunettes. Je peux espionner leurs échanges.

« T'es un vrai poste de police portable dis-moi ! »

Merci. Je vous fais écouter.

Une voix forte et enrouée grésille dans la tête de Stanley.

Phil s'est fait coincer ! Cette enflure de McTiernan est bien vivant et il a pris un méchant coup de boost ! On s'occupera de lui plus tard, c'est pas les occasions qui manquent. Eddie, tu te concentres sur Edouard Fincher. Le gars qui nous paye pour s'en débarrasser est pas du genre à être déçu, alors t'as pas intérêt à merder !

« Qu'est-ce qu'il lui veulent à celui là ? »

Du mal, d'après ce que j'ai pu comprendre. Vous vous connaissez ?

« On se retrouve souvent à courir après les même gars, alors on travaille souvent ensemble. C'est un mec droit dans ses bottes, du genre taciturne et vieille école. Il se sert encore d'une arme à poudre. »

J'enregistre ces données. Je retrouve le dossier de Edouard Fincher. Parcours impressionnant, aujourd'hui lieutenant de police. Un détail retient mon attention.

Il revient tout juste d'une mission dans le Block Oméga et a remis son rapport au commissariat central il n'y a même pas dix minutes.

« Quelle est ma vitesse maximale Virgile ? »

Vous le savez Stanley : 153 km/h. Vous pouvez tenir ce rythme pendant quinze minutes.

« Plus qu'il ne m'en faut. On y va, tu prends le volant pour éviter que je piétine quelqu'un. »

Amusant Stanley. Mais pourquoi ne pas prévenir directement le commissariat ?

Stanley hésite.

« J'avais oublié que tu étais un véritable couteau suisse. »

Un couteau suisse de dernière génération Stanley. Je vous mes en lien avec le commissariat central.

Je crois que je m'améliore en humour, Stanley est plus détendu. Je prends le contrôle nécessaire pour lui laisser la possibilité de parler. Je calcule l'itinéraire le plus court. Temps estimé : 3 minutes et 24 secondes.

— Commissariat central, ceci est un numéro d'urgence. Je vous écoute.

— Ici l'officier Stanley McTiernan. L'inspecteur Fincher est toujours dans le bâtiment ?

— Excusez-moi mais comment savez-vous que...?

Stanley n'aime pas qu'on lui fasse perdre du temps. L'avenue est dégagée, j'accélère.

— Est-il toujours dans le bâtiment ?

— Il vient juste de sortir. Dîtes, vous êtes dans quel Block ? Il y a un vent de fou on dirait, j'ai du mal à vous entendre.

— Peu importe, j'arrive. Faites le revenir et qu'il ne sorte pas ! Ian Sarref veut sa peau.

— C...compris.

Je raccroche. la foule se referme, si je veux maintenir l'allure, je dois trouver un passage.

Stanley, accrochez vous.

Je prends le plus d'élan possible et me sert de la roulotte d'un vendeur de nouilles chinoise comme tremplin. Le monorail aérien A est assez large pour y courir mais trop étroit pour prendre le risque de rendre le contrôle à Stanley. Une fois grimpé dessus, je reprends notre course.

« Je te fais confiance Virgile. Fonce. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que je viens de foutre en l'air mes deux jours de congé. »

Cela en vaut la peine Stanley.

« J'en suis persuadé Virgile. »

FIN

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