Placée au centre de l'immense salle de réception, les hauts plafonds immaculés et les murs sans fin du palais écrasaient de toute leur solennité la tapisserie familiale. Elle semblait bien seule et fragile à présent. La veille encore, la scène qui prenait vie sous les doigts agiles des tisserands, paraissait désormais fade et figée, ne se reflétant plus que dans la brillance du parquet. Ce calme pesant était cependant régulièrement rompu depuis le matin même par un bruissement léger, suivi de l'apparition d'une preste silhouette. Furetant autour de la tapisserie, se reculant brusquement pour en examiner les contours, sortant frénétiquement sa lunette afin d'en vérifier les moindres détails, l'oeil aiguisé de la reine ne semblait pouvoir se satisfaire de cet ouvrage, dont elle ne trouvait pourtant rien à redire. Alors, elle ferma les yeux et passa lentement sa main sur la tapisserie. D'abord dans, l'herbe fine, d'où glissaient quelques gouttelettes de rosée, ses campanules délicatement ciselées, ses mignons champignons, puis, le beau corps du cheval et son cavalier au buste bien droit, enfin, l'écorce des grands arbres qui lui rappelaient tant ceux duu domaine royal . Elle s'arrêta immédiatement et ouvrit les yeux sur l'oiseau aux plumes mordorées. Elle effleura avec la pulpe de ses doigts la fine nervure et fit mander le roi. Cette découverte les plongea tous deux dans une profonde perplexité. Ce mystère se devait d'être élairci au plus vite!
Ainsi fut fait. Le père, la mère et la fille se présentèrent le lendemain aux premières heures du jour à l'entrée du palais.
"Quel honneur, disait le père, nos souverains nous permettent d'apprécier le fruit de notre travail avant même le jour des noces!"
"Ma fille, renchérissait la mère, tu perpétueras le métier de tes ancêtres avec d'autant plus de fierté que notre réalisation a trouvé ici son plus bel écrin!"
La jeune fille était heureuse, non pas de découvrir les ors du palais ou les gardes en belle tenue, mais d'être réunie une dernière fois avec ses parents face à cet ouvrage qui lui tenait tant à coeur.
Quel ne fut pas leur étonnement lorsqu'ils furent menés dans la salle de réception et annoncés au roi et à la reine!
Le souverain prit la parole et, comme sa missive initiale, il fut bref et clair:
"Votre ouvrage donne entière satisfaction à la reine et à moi-même, mais un détail nous intrigue grandement: quelles étoffes, quels fils avez-vous utilisés?"
Le père et la mère en énumérèrent la matière et la provenance, les techniques de tissage utilisées, sans bien comprendre l'insistance du souverain. La jeune fille ne s'inquiétait guère, pensant que son jeune âge la préservait d'un quelconque rôle dans l'esprit du roi et de la reine. Alors, on fit amener la tapisserie. La reine se leva, pointant la fine nervure entre les plumes mordorées.
Il ne fallut pas longtemps aux parents pour comprendre ce qu'il s'était passé. Que dire? Quoi faire? Inventer une provenance lointaine et périlleuse? Tout avouer au risque d'attiser la convoitise? Quitter lâchement le royaume sans explication aucune et risquer le déshonneur? A peine eurent-ils le temps d'échanger un regard, que, la jeune fille, sans même se retourner vers eux, s'avança et s'inclina face aux souverains.
Elle dit:
"Sire, ma reine, un grand secret me lie à mes parents depuis ma naissance."
Ellle défit alors d'un geste sûr ses lourdes nattes et laissa s'écouler sur ses épaules sa belle chevelure. Un murmure, parti des gardes postés à l'entrée, se diffusa dans la vaste salle parmi les quelques courtisans venus eux aussi admirer le tableau, pour s'achever par un léger haussement de sourcil du roi.
La jeune fille poursuivit:
"Quelques cheveux d'or parsèment ma chevelure. J'ai eu l'audace de vouloir conserver un souvenir impérissable de l'ouvrage pour lequel ma famille et moi-même avions mis tant d'ardeur."
Les parents restaient interdits. Etait-ce une si grande faute de la part d'une jeune fille d'avoir cédé à l'enjouement propre à son âge?
La reine prit la parole à son tour:
"Ma fille, vous avez été bien imprudente, mais si un tel prodige à été révélé, c'est que cela devait être. Ces cheveux d'or augurent de dons exceptionnels dignes d'être prodigués au sein du palais et auprès des habitants de ce royaume."
Elle se tourna vers les parents et conclut:
"Je souhaiterais garder votre fille auprès de moi afin qu'elle devienne ma dame de compagnie."
Cette fois encore, l'honneur était si grand, mais la peine et l'inquiétude l'étaient encore davantage. Qui pouvait promettre que ce don ne serait pas utilisé au gré des caprices d'un puissant sultan, souhaitant lui aussi s'offrir une tapisserie hors du commun? D'un ambassadeur désireux de faire broder ses initiales avant son départ? D'une vaniteuse marquise exigeant une perruque faite de cheveux d'or?
Tout ceci ne pouvait être exprimé en cet instant et en ces lieux. Les parents remercièrent leurs souverains de l'honneur fait à leur nom tandis que leur fille était menée dans les appartements de la reine. Devant les grilles du palais, sous une pluie fine, un cocher s'impatientait déjà.
- qui lui rappelaient tant ceux duu domaine royal : un « u » de trop
- Ellle défit alors d'un geste sûr ses lourdes nattes : idem avec « l »
Petite coquille : "le métier de tes ancètres" > ancêtres
Rien à dire pour le reste, toujours aussi plaisant <3 J'ai beaucoup aimé toute la description du début, avec la tapisserie qui prend une toute autre allure dans le palais si oppressant.
Et pauvre jeune fille gardée close, sous couvert de l'avoir comme dame de compagnie. Beaucoup de suspens, et une écriture élégante
A une prochaine !
ça me rappelle un conte de Grimm avec des enfants à la peau et aux cheveux en or.
Sachant que la vraie version des contes de Grimm est souvent glauque, j'avoue avoir des angoisses...
Je vois que tu as finalement réussi à accoler ce chapitre au précédent, félicitations (=
J'attends la suite avec grande impatience.
A très vite (=