Entendre les couleurs

Par Milyana
Notes de l’auteur : Cette nouvelle a été écrite pour un cours, avec comme thème le tableau "violet" de Vassily Kandinsky, et comme consigne "le tableau est la clef du mystère". Vu le degré d'abstraction de ladite oeuvre, vous pardonnerez l'excentricité de l'histoire xD

 

Norbert Wallabert sirotait son chocolat d’un air soucieux, le nez fixé sur le tableau qui lui faisait face. La réponse était là, il en était certain. Mais, comment interpréter cette œuvre ? Tout n’était que croix et ronds, traits entrecroisés et couleurs mélangées … fallait-il seulement y voir un sens ?

Frustré, il se leva et se mit à faire les quatre cents pas dans son bureau. Dans la salle attenante, des rangées de casiers réfrigérés occupaient le mur du fond. Près de l’entrée, une table d’autopsie brillait sous les néons en attendant le prochain arrivage.

Norbert exerçait en tant que médecin légiste depuis maintenant une vingtaine d’années. D’un naturel sociable, il s’était toujours bien entendu avec ses collègues et amis et n’avait jamais eu aucun souci dans son métier. Du moins, jusqu’à maintenant …

Récemment, l’un des « patients » du docteur Norbert avait eu la bonne idée de se présenter en pièces détachées. Le malheureux avait expérimenté une rencontre fortuite avec un rouleau compresseur … C’était évidemment au médecin légiste que revenait la lourde tâche de rendre ledit monsieur présentable pour sa famille.

Le brave buveur de cacao, d’une volonté toute professionnelle, avait donc rempli ses fonctions avec rigueur et rapidité, ce qui ne l’avait pas empêché d’oublier malencontreusement sa montre à gousset à l’intérieur de son cher puzzle. Fichtre. 

Norbert Wallabert ne s’était pas immédiatement rendu compte de son étourderie, et lorsqu’il avait réalisé que sa montre ne tictaquait plus à son poignet, celle-ci avait voyagé, confortablement installée quelque part entre le foie et les reins de monsieur Rhouje qui avait bien sûr été rendu à sa famille.

Le médecin n’avait aucune idée de l’endroit où pouvait se trouver le bijou … il retourna son bureau, fouilla ses poches et sa voiture, mais rien n’y fit.

S’ensuivit alors une course effrénée : la montre ne devait surtout pas tomber entre de mauvaises mains ! Car, plus qu’un simple objet de valeur, le bijou était aussi et surtout une cachette, l’enveloppe abritant le plus grand des secrets : la recette du reblochon améliorée. Norbert Wallabert l’avait obtenue par le plus grand des hasards, en la gagnant au poker contre un trafiquant de batraciens en provenance de Chine. S’étant rapidement rendu compte de la valeur de ce mystérieux bout de papier, le médecin l’avait alors plié et roulé jusqu’à ce qu’il soit assez fin pour entrer dans le remontoir de la montre. Son butin tenu secret, Norbert s’assurait une retraite confortable et une tranquillité relative, à l’abri du besoin et des ennuis. Mais voilà, les ennuis venaient justement de lui tomber dessus …

Le docteur Wallabert n’était pas naïf, loin de là. Il ne doutait pas que l’amateur de grenouilles, dans l’état d’ébriété qui était le sien le fameux soir de la partie de poker, avait dû parler de ce mystérieux bout de papier à tous ceux qui avaient bien voulu l’écouter.

Maintenant, la montre était égarée et Norbert devait redoubler de prudence : si qui que ce soit venait à l’apprendre, le bon docteur aurait tôt fait d’avoir de la concurrence.

Il s’étonnait d’ailleurs que ce ne soit pas déjà le cas. Cela faisait plusieurs jours à présent que le bijou avait disparu, mais nulle agitation ne s’était fait sentir.

Norbert décida de profiter de la maigre avance qu’il pouvait avoir sur d’éventuel concurrents, pour passer à l’action. En trois coups de téléphone, il convoqua une réunion de la société Comté-Wagner, un groupement secret d’amateurs d’art et de fromage. Lorsque tous ses confrères se furent réunis, il leur exposa la situation : la recette la plus précieuse de sa collection avait disparu …

Devant les cris de désespoir et les huées de l’assemblée, Norbert Wallabert fut forcé de demander le calme : tout n’était pas perdu. Leur unique espoir résidait en un tableau, une toile de maître incomprise et abstraite, porteuse d’une étrange inscription : « Pour trouver le bonheur, il faut entendre les couleurs ».  Norbert Wallabert avait reçu le tableau en héritage d’un ancêtre éloigné, et la contempler l’avait toujours aidé à réfléchir. Il se laissait inspirer par les formes et les couleurs, vagabondait au gré de ses pensées, établissait des parallèles entre les motifs du tableau et des objets : le rond ressemblait à un rein, le rectangle derrière pouvait être un poumon, le petit cercle le cœur, et la croix … l’emplacement d’un trésor ?

Peut-être. Après tout, pourquoi pas ? Ne dit-on pas que les artistes sont un peu devins ? Peut-être celui-ci avait-il voulu faire passer un message …

La plupart des spécialistes s’accordant à dire que le peintre était fou, le grand public s’était désintéressé de l’œuvre et de ses secrets, pour le plus grand bonheur de la société Comté-Wagner. Ses membres avaient eu toute latitude pour analyser la peinture et les différents sens philosophiques ou rationnels de l’inscription, mais ils n’étaient malheureusement parvenus à aucun résultat concluant, et avaient abandonné les recherches.

Mais, Norbert Wallabert n’était pas homme à plier face au mystère. Il était intimement persuadé que la toile qui agrémentait le mur de son bureau recelait les réponses à beaucoup de questions, qu’elle permettait réellement de trouver le bonheur. À condition, bien sûr, de résoudre son énigme … En ce qui concernait ce brave docteur, une seule chose ne faisait aucun doute : son bonheur dépendait de cette montre.

Une fois de plus, il contempla le tableau et murmura les mots étranges. Entendre les couleurs … Qu’y avait-il donc à entendre ? Bleu ? Vert ? Rouge ? Cela ne lui apprenait rien ! Jaune, violet ? Que fallait-il donc y voir ? Ce n’était pas de cette manière que …

Monsieur Wallabert remonta le fil de ses pensées afin de retrouver ce qui avait stoppé son cerveau au beau milieu d’une phrase : rouge. Il avait dit « rouge » ! Il faut entendre les couleurs … mais bien sûr, tout prenait sens ! Le patient donc il s’occupait lorsqu’il avait égaré sa montre ne se nommait-il pas justement monsieur Rhouje ? Étrange coïncidence …

Et cette croix sur le tableau, comme une carte au trésor… se pouvait-il que … ?

 

D’un bond, Norbert Wallabert quitta son bureau, et partit à la poursuite du défunt, lequel devait se trouver dans la chambre funéraire située deux rues plus loin. La montre devait se trouver quelque part entre le foie et les reins, à en croire le tableau.

 Chemin faisant, le médecin s’autorisa un sourire : il avait toujours eu raison, la solution était cachée dans la toile. Il suffisait d’établir des liens entre les différents éléments à sa disposition …

N’était-ce pas d’ailleurs le message du peintre violoniste synesthésique qui avait réalisé ce chef-d’œuvre ? «Tout est lié » …

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Liné
Posté le 06/12/2017
Hello Milyana,
A défaut de t'avoir beaucoup parlé lors de l'IRL de Montreuil, je me rattrape en lisant cette nouvelle :-)
Le thème m'a beaucoup attiré, et j'étais curieuse de savoir ce que tu allais broder autour de la synesthésie. 
Et j'étais morte de rire ! xD Je serais bien curieuse de savoir comment tu en es arrivée à imaginer un médecin légiste, une montre qui se perd... ? SUrtout en partant d'un tableau ? De mon côté, je travaille en ce moment sur une nouvelle dont l'héroïne est synesthèse, et je suis à milles lieux de ta proposition ! Je n'avais jamais songé à allier cette faculté à l'humour, c'est bien vu :-)
D'ailleurs, tu as écris ces nouvelles dans le cadre de quel cours exactement ?
A très vite !
(le descriptif de ta 2e nouvelle fait envie xD)
Liné
Milyana
Posté le 06/12/2017
Hello LinE ! Avant toout, merci d'avoir pris le temps de lire et commenter :)
 
En général, plus le thème est flou et plus je pars loin. Quand je me  suis retrouvée avec le tableau de Kandinsky pour thème je me suis dit "c'est ta chance, éclate-toi " xD
 Mes voisines de classe, loin d'être en reste, ont mis leur grain de sel en me donnant des mots à caser dans le texte (légiste, fromage, montre, chine, recette secrète, ...). Donc j'ai tenté de rassembler tout ça en un seul texte et ... voilà xD 
 
C'est pour un cours d'écriture créative (dans le cadre de mes études de lettres). C'est le meilleur cours du monde, en passant :D 
  Au plaisir de te lire, 
 
Milyana 
Fannie
Posté le 21/03/2018
Coucou Milyana,
Le thème de départ ne me paraît pas facile ; mais le traiter tout en ajoutant les mots que tes voisines de classe t’ont proposés tient de la gageure.<br /> Ce récit est délicieusement absurde, imprévisible et drolatique. Tu introduis des éléments qui semblent n’avoir aucun rapport avec ce qui précède et finalement, tu réussis à les intégrer à l’histoire sans perdre le fil… ni le lecteur. Je me suis bien amusée.
Coquilles et remarques :
Mais, comment interpréter cette œuvre ? [Il n’y a pas de raison de mettre une virgule après « Mais ».]
il s’était toujours bien entendu avec ses collègues et amis et n’avait jamais eu aucun souci dans son métier [J’ajouterais une virgule avant « et n’avait jamais eu » parce que la première conjonction « et » relie deux substantifs alors que la seconde relie deux propositions.]
Fichtre. [J’aurais mis un point d’exclamation.]
et lorsqu’il avait réalisé que sa montre ne tictaquait plus [« s’était aperçu » remplacerait avantageusement l’anglicisme « avait réalisé ».]
celle-ci avait voyagé [J’aurais mis soit « ayant voyagé », soit un point-virgule avant « celle-ci ».]
sur d’éventuel concurrents, [d’éventuels / j’enlèverais la virgule après « concurrents »]
et la contempler l’avait toujours aidé à réfléchir [le contempler : le tableau]
Mais, Norbert Wallabert n’était pas homme à plier face au mystère [Il n’y a pas de raison de mettre une virgule après « Mais ».]
Le patient donc il s’occupait [dont]
D’un bond, Norbert Wallabert quitta son bureau, et partit à la poursuite du défunt [Ici, la virgule avant « et » ne se justifie pas.]
le message du peintre violoniste synesthésique [synesthète, peut-être?]
Milyana
Posté le 21/03/2018
Bonjour Fannie !
 
Merci d'avoir pris le temps de lire et commenter cette nouvelle. 
Pour les coquilles que tu as pointées, je justifie certaines virgules par un effet de style qui m'est propre. Quant aux autres ... elles sont en trop, tu as raison ;) 
De même pour les autres erreurs et fautes de frappe, je te remercie de me les avoir fait remarquer. 
 
Au plaisir de te lire, 
Milyana 
Vous lisez