Émission Frissons

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Bonjour ! Voilà un nouveau chapitre, qui j'espère vous plaira car c'est un de mes favoris. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.
Bonne lecture !

4 Décembre :  

C’était une tour gigantesque, toute de verre irisé et de tiges de métal qui s’élançaient vers le ciel. Les portes d’entrées, style Art Nouveau, avalaient la foule de professionnels qui se pressaient et se poussaient pour pénétrer dans le bâtiment. Depuis mon siège, à l’intérieur de la voiture de mon père, le centre d’enregistrement de la plus grande chaîne télévisée du pays semblait plus imposante que je n’aurais pu l’imaginer. Je collais mon nez à la fenêtre et me mis à chercher Charlotte du regard. Bon sang, où pouvait-elle… Ah, la voilà ! Mon agent arpentait les marches, zigzaguant entre les journalistes et les visiteurs. La voir faire les cent pas me noua la gorge. Je me mis à tapoter du bout des ongles la poignée de la porte. À côté de moi, mon père cherchait une place de parking avec la rapidité d’un paresseux en fin de vie. Parfois, je me demande s’il ne détecte pas à l’avance mes excès de mauvaise humeur. Vraiment, je m’interroge, car c’est toujours dans des moments pareils qu’il agit de façon à me taper sur les nerfs. Cette lenteur extrême n’est qu’un exemple parmi tant d’autres et, d’ordinaire, je l’aurais ignoré en me distrayant avec des calculs mentaux. Tester mon agilité mentale reste utile. Mais, quand je regardais Charlotte balayer la rue des yeux sans cesser de trépigner, un étrange sentiment d’urgence grandit en moi.

« Papa, qu’est-ce que tu fais ? » demandais-je en me penchant vers le siège conducteur.

-Je crois qu’il n’y a plus de place ici, je vais devoir aller chercher plus loin… »

Ses mots roulaient de sa bouche comme du caramel fondu, pour mieux se coller sur le tapis blanc fraîchement lavé de mon esprit. Je me laissais tomber contre mon dossier avec un profond soupir. Je gardais toutefois le silence. Après tout, il m’emmenait à l’interview qui allait porter ma réputation au firmament. Surtout que lui et ma mère avaient été franchement opposés à l’idée, au début. Surtout ma mère. J’avais dû lui présenter les détails de ma Grande Prophétie, et donc, lui révéler qu’ils n’existaient pas. Un long fil rouge qui brillait plus fort de jour en jour, voilà mon plan ! Vous l’aurez deviné, elle n’était pas convaincue. Néanmoins, j’ai obtenu son accord plus rapidement que d’ordinaire. Elle m’a fait un grand discours : écoute ton père, reste près de lui, sois polie, dis bonjour à Charlotte de ma part, sois prudente… Elle a promis qu’elle regarderait l’émission en direct avec mon frère. Ce fainéant a un projet à rendre demain qu’il n’a pas encore commencé, ma mère doit donc rester derrière pour l’aider. Bah, pas grave, toute la famille réunie dans le public m’aurait sans doute stressée. Pas que je sois sujette au stress. Je suis un mur de briques, un chêne qui reste droit face aux vents de l’anxiété.

Enfin ! Je profitais de l’interminable attente pour inspecter ma tenue. Ce soir, je portais un pantalon rouge sombre, flambant neuf, pour l’occasion. Le rouge m’a toujours porté chance. Mes bottines noires étaient aussi lustrées que lorsque nous avions quitté la maison et malgré tous mes efforts, je ne trouvais aucune tache sur mon T-shirt blanc, qui restait immaculé malgré mes regards inquisiteurs. Tout à coup, la voiture s’arrêta. Je bondis hors du véhicule et dus me retenir pour ne pas courir jusqu’à mon agent. Au lieu de quoi, j’attirais son attention d’un vaste geste de la main et marchais calmement vers elle. Elle, en revanche, ne fit rien pour cacher son soulagement. Elle s’avança vers moi, les poings enfoncés dans les poches de sa veste :

« Ça fait plaisir de te voir, Karlsen.

-La réciproque est vraie, Marchand, » répondis-je avec un sourire que je ne pouvais réprimer. 

L’excitation de cette soirée était juste trop intense ! Le duo agent-devineresse allait brûler les planches devant les yeux de la France ébahie. Charlotte hocha la tête, les yeux brillants.

« Ouais. T’es prête ? C’est un sacré gros truc que tu nous as préparé... mon père m’a accompagné, il est déjà dans le public. M’a demandé de te souhaiter bonne chance.

-Trop aimable de sa part. » Je sentais mes mains devenir moites. « Combien de temps avant le début de l’émission ?

-Bien quarante minutes. Bonjour, M. Karlsen ! »

Mon père nous avait finalement rejoint. Ils échangèrent quelques politesses tandis que je me démenais pour retenir mon esprit. Et il s’agitait comme un diable ! Des pensées sans queue ni tête se succédaient -combien de gens allaient nous regarder ? Ma chemise avait-elle un pli ? Mon Dieu, faites que tout se passe bien- si bien que je sursautais quand Charlotte m’interpella :

« On y va ? Il y a deux, trois trucs que j’aimerais voir avec toi. En plus, ils vont pt-être te demander de passer au maquillage. »

Je pris une profonde inspiration.

« On y va. »

Un jeune homme à l’air hagard nous aborda à l’instant où nous passions les portes. Plaquette et crayon à la main, un second stylo derrière l’oreille et son bonnet bordeaux de hipster complètement de travers, il nous dévisagea sans un mot, la bouche entrouverte. J’attendais un minimum de professionnalisme et voilà qu’on nous donnait quelqu’un qui était à l’évidence complètement débordé par sa tâche.

« Mme Karlsen et Mme Marchand ? » dit-il, chaque syllabe lui arrachant visiblement un an de vie.

« C’est nous, » répondit Charlotte, assurée.

« Formidable. Suivez-moi, je vais vous montrer les coulisses. Monsieur, vous... ? »

Je jetais un coup d’œil à mon père. Toujours posé, il me dit :

« Je vais rejoindre le père de Charlotte... À tout à l’heure. »

Un dernier regard, une caresse rapide sur l’épaule et mon père avait disparu. Au moins, je ne pouvais pas lui reprocher de m’étouffer. Nous emboitâmes donc le pas au membre du staff. Il ne paraissait d’ailleurs pas plus intrigué que ça par moi. Immédiatement, je m’interrogeais : y avait-il une sorte de piège de prévu pour l’émission ? Quelqu’un m’avait-il dénoncé ? Non, impossible. Ce serait mauvais pour l’audimat. Sans parler que j’avais maintenant la réputation d’être une puissante devineresse. Ne serait-ce que par prudence, les gens éviteraient de me mettre à dos. Je redressais mes lunettes, agacée par mes propres idées. Je commençais à délirer, à voir des complots partout. La paranoïa, juste avant une interview de cette ampleur ? Certainement pas le bon moment. Après, peut-être. Surtout si ça se passait moyennement bien. Mais il n’y avait aucune raison que ça se passe mal !

Après avoir traversé plusieurs couloirs grisâtres, nous arrivâmes enfin dans les coulisses du plateau de télévision. J’aperçus quelques mètres plus loin un homme, plutôt grand, dans un costume bleu glacé, en grande discussion avec deux autres personnes. Son visage bizarrement bronzé me disait quelque chose... Le hipster débordé me rappela son nom quand nous nous rapprochâmes de lui :

« M. Luguy ? Voici votre invitée. Ainsi que son... agent. »

Charlotte foudroya le type du regard. Mais le présentateur, lui, semblait faire moins de cas de notre jeune âge. Il congédia d’un geste de la main ses interlocuteurs et nous servit un sourire ravi :

« Mesdemoiselles, quelle joie de vous rencontrer enfin ! Surtout vous, je dois dire, Mme Karlsen... puis-je vous appeler Pythie ?

-Appelez-moi comme vous le souhaitez, » lui répondis-je de mon ton le plus sympathique. Je pouvais sentir Charlotte derrière moi rouler les yeux. Pas très pro de sa part, je dois dire. 

« Bien, bien, bien. Dans ce cas, Pythie, » et il y avait un quelque chose dans sa voix quand il prononça mon surnom, un trait glacé qui n’annonçait rien de bon, « nous n’allons pas tarder à commencer. Une vingtaine de minutes, environ. Ça ira pour vous ?

-C’est parfait. »

Il sourit encore une fois et tourna les talons, mais je l’interpellais avant qu’il n’ait le temps de s’éloigner :

« M. Luguy.

-Oui ?

-Je tenais à vous remercier encore une fois pour m’avoir invitée. Je dois dire que... enfin, je suis un peu une fan de votre travail. Vous m’avez fait beaucoup rire quand vous aviez présenté l’émission de cuisine, vous savez, la compétition ? Du coup, eh bien... je suis très contente que ce soit vous qui m’interviewez. »

Il me dévisagea quelques secondes, semblant peser le pour et le contre, et sembla décider que mon compliment était sincère. Ses yeux se firent plus doux et il me dit :

« Tout le plaisir est pour moi. Surtout, ne vous inquiétez pas, pour l’émission : tout va bien se passer. Travail d’équipe ? » Il me présenta son poing, contre lequel je tapai avec enthousiasme.

-Travail d’équipe ! »

Il s’éloigna définitivement sur ces mots. Charlotte, qui était restée coite, ne put retenir une réplique mordante :

« Encore un que tu auras mis dans ta poche. J’ai jamais vu quelqu’un embobiner les gens comme tu le fais.

-Je sais pas ce qui se passe, Marchand, » soufflais-je en me tournant vers elle. « J’ai l’impression qu’ils préparent un truc louche... Et puis, ça va ! C’est pas comme si tu allais t’en plaindre, non ? »

Elle leva les mains au ciel, yeux écarquillés, comme pour plaider son innocence. Un silence embarrassant s’installa. Ma nervosité me mordait la conscience et jouait avec mes nerfs comme des cordes d’un violoncelle suivant une partition de jazz. Mon agent finit par lâcher :

« Je sais que c’est stressant. On dirait pas, mais moi non plus, je suis pas sereine.

-Je sais pas comment je vais faire. Rien que là, c’est les coulisses et je suis pas bien. 

-J’avais jamais remarqué, mais t’as les oreilles percées...

-Oh mon Dieu, Marchand, crois-tu vraiment que c’est le bon moment pour commenter ma tenue ?! »

Sans un mot, elle détacha ses boucles et me les mis dans la main. Je l’observais, perdue. Avec un claquement de langue irritée, elle les reprit et les installa sur mes oreilles elle-même. Je les effleurais : deux petits éléphants en argent se balançaient.

« Pourquoi... ?

-Pour te porter chance. Tu vas y arriver, c’est sûr. T’as accompli des choses complètement folles avant, c’est pas une petite émission de télé qui va t’arrêter. »

Je hochais la tête. Maintenant, je me dis que j’aurais dû la remercier mais sur le coup, la surprise m’empêchait de réfléchir convenablement. Voyant que je ne disais rien, elle poursuivit :

« Je pense que t’as raison. À propos des gens. Ils sont contents de t’avoir, mais ils savent pas encore ce qui ferait le plus gros buzz : ta prophétie ou prouver que tu mens. Pourtant, tu sais, je crois que la plupart d’entre eux te croient.

-Ah bon ? Tu penses ? »

Elle hocha la tête d’un air convaincu et pointa du doigt deux jeunes femmes, papiers à la main et casque à oreillette sur la tête, chuchotant à l’oreille de l’autre :

« Celles-là, je les ai vues discuter pendant que tu faisais ton cinéma à Luguy. Elles... j’dirais qu’elles te respectent. Elles pensent que tu dis la vérité, cent pour cent. »

Je me penchais légèrement afin de les observer à mon tour. C’était sans doute une bonne chose, que d’avoir des gens qui vous soutiennent lors d’une occasion aussi cruciale. Toutefois, hormis cette réalisation, je ne parvins pas à m’intéresser à ces deux fans. Prêcher des convaincus ne m’apportait rien : c’était les autres que j’allais devoir travailler. Je me contentais de bredouiller en signe d’acquiescement. Charlotte me fit les gros yeux :

« Va falloir te détendre, Karlsen, ou tu tiendras pas tout le show.

-Ça, c’est rassurant, » dis-je en lui jetant un coup d’œil furieux. « Rappelle-moi pourquoi je t’ai demandé d’être mon agent ?

-Tsss. Ça va le faire, je te dis. »

Ne me croyez pas ingrate. je n’étais pas insensible à ses efforts pour me remonter le moral. Seulement, il se trouve que les efforts ne sont pas toujours suffisants ! Et dans le cas présent , je me sentais certes un peu mieux, avec des boucles d’oreilles neuves en prime, mais le monstre d’angoisse logé dans mon ventre rugissait toujours. 
Le décor n’aidait pas non plus. La scène sur laquelle j’allais monter bientôt réverbérait la sèche lumière blanche des projecteurs. De la table en demi-cercle aux murs en passant par les sièges en plastique transparent, on ne voyait que du bleu et du blanc. Les longues constructions métalliques destinées à faire tourner les caméras, les serpentins de fils de caoutchouc noir se faufilant absolument partout, les allers et venues incessants des fourmis de plateaux aux bras pleins de micros et de papiers... me faisaient perdre pied. J’eus la sensation que mon cœur pesait soudainement trop lourd et qu’il se décrochait de mon torse, pour s’écraser dans mes intestins. Je passais une main discrète sur ce poids de pierres pour apaiser l’étrange chaleur qui semblait s’en détacher.

« Marchand, tu sais...

-Mme Karlsen ? Ça va bientôt être à vous. »

Les yeux endormis de l’assistant me figèrent. Je ne pouvais pas, pas tout de suite. Il fallait que je discute avec Charlotte, une dernière fois avant de monter sur cette scène. J’allais être paralysée, mes mots s’étrangleraient dans ma gorge, j’échouerais. Incapable de parler, je jetais un regard désespérée à Charlotte. Elle ne pouvait pas me laisser seule. Je crois qu’elle comprit ce que je voulais lui dire car elle pinça les lèvres, son regard allant de l’assistant à moi. Finalement, elle s’approcha de moi, me serra brièvement, quoiqu’avec force, dans ses bras et souffla :

« Ça va le faire. T’en fais pas. Montre-leur. »

Un dernier coup d’œil inquiet en arrière et elle se tourna pour s’enfoncer dans l’ombre des coulisses. L’air me parut tranchant quand je respirai. Plus qu’une poignée de secondes avant de devoir franchir la frontière des projecteurs et me lancer dans ce qui devrait être ma meilleure performance d’actrice. Et j’étais seule. Abominablement et complètement seule. Ça semblait logique : j’avais été seule depuis le début dans cette entreprise. Je savais qu’une fois sur le plateau, emportée par l’adrénaline, je gagnerai. La véritable difficulté était juste de passer de l’ombre à la lumière, voilà tout. Une peur absurde, pleine de significations faites pour les gens comme Tristan. Pas moi, les gens comme moi, nous nous débattions pour avancer et nous faire une place sous le soleil, pas de jolis mots ou de douces personnalités pour nous aider. Il fallait être buté. Tristan, hier, qu’est-ce qu’il avait dit ? Il était inquiet et m’avait recommandé de lire la prophétie en entier. Pas que ça, autre chose en plus. Pas un encouragement, d’ailleurs. Quel chien ! Il aurait pu être sympa ! Mais non, pas notre style. Je fronçais les sourcils dans un effort pour me souvenir, mais mes souvenirs se mélangeaient dans la chaleur de la pierre au fond de mon estomac. Je pense qu’il n’a aucune intention de regarder l’émission. 

« Mademoiselle ?

-Oui, j’arrive. »

Et comme ça, je pénétrais dans la lumière crue des projecteurs. Je pris place sur le siège qu’on m’indiquait, M. Luguy en face de moi. Nous étions de trois-quarts face au public. Je refusais de regarder dans cette direction, de peur d’y voir Charlotte ou mon père. Ils étaient là mais, étrangement, cela ne faisait aucune différence. Je résistais l’envie d’ajuster mes lunettes et me concentrais sur le col blanc du présentateur. Celui-ci m’adressa un petit sourire complice. Bon sang, Charlotte avait raison : les gens tombaient pour mes pièges. Le masque sympathique et volatile de Pythie charmait le reste du monde. Pas Ingrid Karlsen.

« Trois, deux, un. »

Le petit voyant rouge des caméras s’illumina. Instinctivement, je sentis ce sourire que j’avais poli comme un diamant étirer mes lèvres. Ah, c’était donc ça que voulait dire Charlotte. La personne que j’avais créée pouvait les convaincre tous. Laisser Ingrid en coulisses et mettre le masque de Pythie. Ce n’était presque plus un mensonge si je parlais comme ça, non ? Mes mots dictaient la vérité. 

« ... Nous recevons ce soir une invitée très spéciale. Vous la connaissez, vous lisez ses exploits depuis plusieurs semaines déjà. Bienvenue Ingrid- ou Pythie, puis-je vous appeler Pythie ?

-Bien sûr, » acquiesçais-je avec un léger hochement de tête.

Il consacra quelques minutes à résumer mon parcours. Je gardais mon sourire tout en attendant le moment fatidique où il parlerait de la prophétie, ma Grande Prophétie.

« Mais la question que nous nous posons tous, c’est : de quoi s’agit-il ? Quelle est cette Grande Prophétie dont nous entendons parler depuis maintenant des jours ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

-Je peux. C’est un peu compliqué à expliquer... » Je baissais le regard, dans une posture de fausse confusion. « Tout a commencé quand cette photo de moi est apparue dans les journaux.

-Celle à partir de laquelle la rumeur d’une nouvelle prophétie s’est créée ?

-Oui. Je ne sais pas comment les gens ont compris pourquoi j’étais soucieuse- peut-être ne suis-je pas la seule devineresse par ici... »

Une vague de rires discrets s’éleva du public. Je me sentis encore plus seule : ils n’étaient pas des alliés, ces gens qui m’observaient curieusement, avides de voir ce que la prophétesse allait leur présenter cette fois. Pas même des fans. Juste des cases à cocher. 
Mon hésitation s’envola avec cette réalisation. Bien sûr, j’avais toujours peur d’échouer, qu’ils comprennent que mes pouvoirs prophétiques n’étaient que de simples calculs. Cependant, j’avais enfin compris -et par comprendre, je veux dire que l’idée s’était enfin ancrée dans mon esprit- que si je ne parvenais pas à dépasser ma crainte, j’étais foutue. Or, je me devais de réussir : Ingrid Karlsen ne rime pas avec grand-chose mais surtout pas avec échec.

« Depuis quelques jours, je recevais des échos, des fragments de textes, des images troubles... Je savais que quelque chose d’important se préparait, mais je ne comprenais pas quoi. »

On aurait pu trancher le silence au couteau. Tous, ils étaient suspendus à mes lèvres. J’attendis un peu, ménageant mon effet, et repris :

« Mon agent et moi nous sommes mises d’accord pour confirmer les rumeurs, même si je n’avais pas encore la prophétie de façon précise. Et puis, finalement... une voix. »

Je laissais ma phrase s’éteindre avec lenteur, comme si j’étais prise par un souvenir. Mes yeux baissés vers le sol, j’attendis que M. Luguy ait le courage de me relancer :

« Une... voix ? »

Je plantais alors mon regard dans l’écran vide de la caméra. Une inspiration à peine perceptible et je me lançais, en articulant avec autant de conviction dont j’étais capable :

« Les fléaux l’inspirée annoncera, /Jusqu’aux barreaux de l’étoile solitaire ; / Fière cohorte des héros polaires / Pour secourir la lumière naîtra. »

Pour la première fois depuis le début de l’émission, j’osais regarder en direction de Charlotte. Les mains jointes, elle me fixait et j’ai su qu’elle me croyait. Je glissais un coup d’œil vers mon père, assis à côté d’elle. Lui aussi m’observait, mais je parvins pas à lire l’expression de son visage. Ce que je vous décris n’a d’ailleurs pas duré longtemps et au fond, je n’y accordai pas vraiment d’importance sur le coup. J’étais loin d’avoir fini ma scène. 

« Quand j’ai entendu ça, le reste est devenu clair. Limpide ! Mes visions des jours précédents qui m’annonçaient les destructions commises par les Hommes et celles qui allaient s’abattre sur eux en représailles, cette horreur qui semblait sans fin, il y a une solution ! La situation semble irrécupérable : entre le réchauffement climatique, les tensions politiques, les inégalités de toutes sources, il y a de quoi perdre espoir... Et pourtant. »

J’esquissais un sourire ému et balayait le public du regard, à la recherche d’un sentiment qui serait le miroir du mien. Je me tournais vers le présentateur et expliquai :

« J’ai vu cinq héros partir en quête. Je les ai vus se battre pour nous défendre et nous protéger, voyageant à travers le monde, jusqu’à ce qu’ils atteignent leur but final. Hélas, je ne sais pas encore quand ou comment cela se terminera... Je n’ai que peu de détails. »

M. Luguy, à l’évidence secoué, parvint malgré tout à accomplir son travail en me posant une dernière question :

« Si je vous comprends bien, Pythie... Vous avez trouvé un moyen pour que nous échappions à l’Apocalypse ? 

-Oui. »

Un grondement d’acclamations fit vibrer la pièce et le public se mit à applaudir dans un bruit de tonnerre. Luguy m’avait attrapé les miens et me promettait en criant pour couvrir le bruit que je pouvais compter sur son soutien dans cette entreprise homérique, et sur celui de la chaîne. Je pense lui avoir répondu mais je ne me souviens plus quoi. De toute façon, il ne m’a sans doute pas entendu. L’enthousiasme du public me rasséréna. Ils étaient surexcités, ils voulaient y croire ! En un éclair, mon esprit dessina le reste de la soirée : d’autres questions, bien sûr, mais toutes mes réponses étaient prêtes. Des applaudissements et des clameurs pleuvraient, jusqu’à ce que l’émission prenne fin. Ma Grande Prophétie allait se réaliser ! Ma formule allait me sortir de ce quotidien ennuyeux, j’allais toucher les limites de mon monde ! 
Je souriais toujours, tandis que Luguy essayait tant bien que mal d’apaisait la foule en délire. Il ne me restait plus qu’à savourer mon triomphe.

« Elle ment ! »

Le cri avait déchiré l’air. Les murmures succédèrent aux applaudissements. Quelqu’un se leva alors du public, au premier rang, et il plongea dans la lumière. Mon sang se figea dans ses veines. Tristan, dans son éternel gilet bleu, s’exclama à nouveau :

« Elle ment. Et je peux le prouver. »
 

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Ilthedam
Posté le 16/11/2022
Ah ! Le comportement de Tristan s’explique X) une belle désillusion est à venir pour Ingrid ? C’est bien amené en tout cas ! A la fois suspense et préparation narrative !
Bleiz
Posté le 07/12/2022
Salut Ilthedam, merci pour ton commentaire ! Contente que le suspense fasse son petit effet. À bientôt ! :)
Edouard PArle
Posté le 16/05/2022
Coucou !
Woooooowwww ! Tristan m'a carrément surpris ! Je ne m'y attendais clairement pas, surtout pas aussi vite !
Je comprends que ce soit un de tes chapitres préférés, il est super bien construit. Avec le titre et l'échéance de l'émission à venir, tu fais petit à petit monter la pression au fil des descriptions et dialogues. Et le dénouement est à la hauteur !
Je veux la suite xD
Mes remarques :
"Je collais mon nez à la fenêtre et me mis à chercher" -> en me mettant à chercher ? (imparfait et passé simple dans la même phrase, je trouve que ça fait bizarre)
"En plus, ils vont pt-être" -> peut-être ? ou une apostrophe pour marquer que Charlotte ne prononce pas le "e"
"Je résistais l’envie d’ajuster mes lunettes" -> à l'envie
"Ingrid Karlsen ne rime pas avec grand-chose mais surtout pas avec échec." stylé^^
"Luguy m’avait attrapé les miens" je n'ai pas compris.
Toujours un plaisir,
A très bientôt !
Bleiz
Posté le 21/05/2022
Coucou,
Je suis ravie de voir que mon plot twist fonctionne !!! Pour la suite, il va falloir attendre un peu car je suis encore en période d'examens x) mais c'est en cours !

Merci pour tes remarques qui sont toujours aussi utiles,
À bientôt :)
Edouard PArle
Posté le 21/05/2022
"en période d'examens x) mais c'est en cours !" J'apprécie le jeu de mot xD (même si involontaire je prends ahah)
Benebooks
Posté le 11/05/2022
Ho cette chute ! Je pensais pas que Tristan oserait. J'ai ressenti beaucoup d'émotions dans ce chapitre, j'étais stressée avec Ingrid. Sa relation avec Charlotte fait également chaud au cœur. Sa commence à évoluer vers une sorte d'amitié
Bleiz
Posté le 12/05/2022
Bonjour,
Je suis contente que la fin de ce chapitre t'ait surprise, et que tu aies remarqué l'évolution de la relation entre Charlotte et Ingrid ! J'espère que le chapitre suivant te plaira autant, et n'hésite pas à me partager tes théories et tes remarques.

À bientôt :)
Vous lisez