Embouchure

Alors que la barque filait sur l’eau, Adam se tourna vers Monsieur Baptiste.

– Ça doit faire bizarre de naviguer sur ce fleuve tous les jours et de penser que
c’est le même que celui sur lequel ont circulé des générations de marins.


– C’est vrai, mais en même temps ce n’est plus la même Loire qu’il y a deux cent
ans. Tu vois tous les arbres sur les rives ? Eh bien ils n’étaient pas là à l’époque. Les
îles étaient parfois habitées, et les berges étaient des prés qui servaient de
pâturages ou des champs très fertiles grâce aux crues du fleuve. Chaque génération
découvre un nouveau fleuve, et cela fait partie de sa magie. Regardez, un héron !


Les adolescents se penchèrent par dessus bord pour observer l’oiseau qui
s’envola à leur approche. Adam sourit de toutes ses dents. Il était profondément
heureux.

Après la balade, les trois adolescents récupérèrent leurs vélos et mirent leur
récolte du jour à la benne. Une fois rentré chez lui, Adam mangea en vitesse avec
ses parents avant de s’enfermer dans sa chambre et de s’affaler sur son lit. Il n’avait
qu’une hâte ; finir le journal. Il reprit sa lecture là où il l’avait laissée :

J’ai heureusement trouvé un interlocuteur affable en la personne de Joachim, un
des marins. Grâce à lui, j’ai appris que notre convoi – qu’il appelle train – est
composé d’un chaland d’une toue cabanée et que nous rejoindrons la Loire à Briare,
là où le canal prend fin. Nous aurons alors atteint la vallée de la Loire. J’ai hâte.


8 juin 1856
Le vent est tombé aujourd’hui, et ce sont deux des marins qui nous halent depuis
les rives du canal pour que nous puissions avancer. Les bateliers se relaient à la
tâche et j’ai donc moins l’occasion de discuter avec Joachim. Nous avons pris
l'habitude de discuter pendant ses pauses et offrons chacun à l’autre un nouveau
regard sur le fleuve. Il me fait découvrir la marine de Loire, la faune et la flore, le
métier de batelier et je lui partage mon amour pour les récits des écrivains, l’histoire
des seigneurs et les intrigues des châteaux ligériens. Avec l’absence de vent je
m'inquiète que nous ne prenions du retard, mais le capitaine reste confiant.Il affirme
que le ralentissement est anticipé. Je lui ai demandé si nous risquions des incidents
et il m’a lancé un regard amusé. « La Loire est un fleuve sauvage dont les contours
se renouvellent à chaque voyage » a-t-il répondu, avant de me conter ses remontées
hivernales dans le fleuve pris par les glaces, ou les échouements lors des canicules.
Cependant ce qu’il faut redouter au printemps, ce sont les crues. Je ne suis guère
rassuré...


10 juin 1856

Enfin nous y sommes ! La vallée de la Loire s’ouvre devant nous, nous offrant son
air pur et ses eaux limpides dont les flots se mêlent aux rayons solaires, faisant
danser leur éclat dans mes yeux émerveillés. Nous nous laissons porter par le
courant, voile rabattue car nous faisons maintenant face au vent. Sur les berges
alternent champs dorés, vignes encore vertes et prés à l’herbe grasse. Autour de
nous les bateaux restent peu nombreux. La faute au chemin de fer selon Joachim,
qui me révèle que le fleuve se vide peu à peu depuis l’arrivée des locomotives. Je ne
peux m’empêcher d’entendre une note de mélancolie dans sa voix.


15 juin 1856
Il pleut sans discontinuer depuis maintenant deux jours. Le courant roule avec
force sous les fonds plats, un rideau d’eau nous obstrue la vue et les flots nous
cachent troncs et rochers, rendant la navigation périlleuse. Le capitaine voudrait que
nous nous arrêtions à Tours le temps que les flots dégonflent mais je m’y oppose. Il
faudrait attendre plusieurs jours et je ne peux me permettre d’avoir du retard, le
navire de Nantes partirait sans moi. J’espère seulement qu’il ne nous arrivera rien.

Adam retourna la feuille en quête d’une suite mais la trouva vierge. Il repensa au
tonneau où ils avaient trouvé le journal. Ça n’était que quelques kilomètres après
Tours. Manifestement, le passager avait eu tort de se précipiter...


Cette nuit-là, ses rêves abritèrent hérons, marins et vieux pêcheurs.


Lorsque les trois amis se retrouvèrent le lendemain après midi, Éloïse semblait
habitée par une énergie débordante.


– J’ai trouvé ! s’exclama-t-elle lorsqu’elle eut rejoint Mariam et Adam au bord de
l’eau. C’est pas protéger la Loire qui m’ennuie, c’est la manière de faire. Il faut qu’on
prenne le problème à la racine : pour qu’il n’y ai plus de déchets sur les rives, il faut
arrêter d’en produire !


– Mais c’est pas possible, on en utilise partout ! réagit Mariam.


– Et tu crois que nos arrières-grands-parents faisaient comment ? Tout ça c’est
une question de choix ! J’ai fait quelques recherches figure toi, est ce que vous
connaissez le triangle de l’inaction ?


Mariam et Adam secouèrent la tête et Éloïse reprit son discours avec verve. Adam
sourit. Avec Éloïse à leurs trousses, les pollueurs n’avaient qu’à bien se tenir ! Son
regard se porta sur le fleuve et une fois encore il s’émerveilla de sa beauté. Il ne s’en
lassait jamais. Et il ne tenait qu’à eux d’œuvrer pour préserver le patrimoine et la
riche nature que leur offrait la Loire.

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Confetti
Posté le 29/11/2021
« La Loire est un fleuve sauvage dont les contours se renouvellent à chaque voyage » C'est vraiment magnifique, quand on connaît la Loire, cela exprime vraiment ce ressenti face à ce fleuve sauvage et majestueux !

J'ai noté qu'à la fin du dernier extrait de journal, il y a une partie de la narration qui est restée en italique, à partir de "Adam retourna la feuille en quête d’une suite mais la trouva vierge."
Grisélidis80
Posté le 30/09/2021
J'aimer bien la façon que vous avez d'intercaler le récit du passé avec le présent en train de se dérouler, j'ai envie de lire la suite et de savoir ce qu'est ce fameux triangle de l'inaction...
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