Elle

- Oh la vache !

Il n'y eut que ces mots qui sortirent de ma bouche lorsque je le vis prendre la parole ce jour-là.
A quel moment tout cela avait-il commencé ? Lorsque je l'avais aperçu voler mon taxi, ou peut-être était-ce lorsqu'il m'avait portée dehors et proposé sa voiture ? A moins que ce ne fut lorsqu'il m'avait poussée à prendre mes cartons pour descendre à la cave ou avec ce pari absurde ? Mais finalement, avait-il été responsable de cela ? N'avais-je pas, moi-même, décidé de fuir ce que je voyais sous mes yeux aujourd'hui comme une évidence ?
Fuir... Un bien grand mot lorsque je repense à la façon dont j'ai cédé à ce fichu défi. J'ai vu dans ces yeux un bref instant de doute, lui aussi avait été déstabilisé par ce qu'il avait dit. Cela avait rendu la chose plus amusante, et peut-être était-ce pour le contrarié que je m'étais jetée tête baissée dans cette faille.

Mon stylo avait failli m'échapper des mains lorsque son visage s'était allumé. Ce n'était pas tant qu'on s'était cherché des yeux depuis le début, pas que je n'avais pas vu son expression concentrée et fermée plantée sur ses dossiers ou ces brèves œillades, non. C'était qu'à ce moment précis où il avait pris la parole, son visage semblait différent, coloré par une facette différente de sa personnalité, celle de la passion, de la fierté et de la détermination.

C'était un idéaliste, tout transpirait l'optimisme en lui. L'authenticité de son sourire qui pourfendait sa bouche, l'éclat dans ses yeux bleus, dépourvus de lunettes cette fois-ci. Il avait aspiré l'air dans mes poumons, comprimé ma poitrine et seuls ces mots étaient parvenus à me faire reprendre mon souffle. Il rayonnait, occultant le reste du gouvernement et je sus désormais pourquoi cet homme avait fait de la politique toute sa vie. Il parlait de façon claire et simple et je décelais déjà quelques tics chez lui; sa gestuelle, par exemple était typique. Il parlait toujours en joignant de temps à autre un mouvement de sa main gauche, comme un chef d'orchestre qui alignait son discours sous ses yeux, ces gestes étaient simples et répétitifs mais captaient mon attention, comme de l'hypnose avec la paume dirigée vers lui, ses doigts que se joignirent parfois. Je l'avais aussi vu incliner légèrement la tête tout en souriant, ça lui donnait un air arrogant, car il semblait alors prendre la Terre entière de haut, mais dans ces yeux, il n'y avait rien que la volonté de faire passer un message. D'être compris de tous.
J'ai à nouveau baissé les yeux vers mon bloc notes. Cachant mon visage derrière mon carré de cheveux noirs.

A le regarder si fort, il finirait par me voir.

Reprenant mes esprits, je me suis demandé à partir de quel moment j'avais été attiré par les hommes de cinquante ans. Enfin, à quel moment avais-je pu envisager une telle option ?

Mais peut-être n'étaient-ce pas eux, mais Vorspiel. Tout simplement. Vorspiel et ses amplitudes émotionnelles saisissantes. Et puis, étais-je vraiment attiré par lui ou simplement par sa façon de s'exprimer ?

- Plus fort encore et tout le monde vous entendra ! La voix nasillarde de Dolorès, assise à côté de moi, me sorti définitivement de mes songes.

Elle s'appelait Rachel en réalité, mais sa garde-robe rose pâle, ses chignons blonds tirés à quatre épingles et son épaisse couche de fond de teint qui mettait en évidence plus de rides qu'elle n'en cachait, m'avait rappelé un personnage effroyable de mon adolescence. A son expression figée et grave, je la trouvais particulièrement bien assortie à Vorspiel et comprenait pourquoi elle travaillait pour lui. Désagréable au possible et vraisemblablement, elle ne m'avait pas à la bonne depuis la dernière fois où j'ai perturbé son travail.

- Il y a un problème ? ajouta-t-elle en voulant s'assurer que je n'avais pas oublier des notes. Il me fallut un effort de concentration pour lui répondre quelque chose d'absurde.

- J'ai oublié une boîte de raviolis.

Levant les yeux au ciel, son regard brun se détourna de moi et je pus souffler. J'ai un bref instant imaginé sa tête si je lui avais avoué que je venais littéralement de dévorer son patron des yeux et que je trouvais la chemise blanche qu'il portait particulièrement saillante. J'en riais déjà.


Ce n'était pas le moment de m'égarer, trop de tracas tournoyaient dans mon esprit, en dehors de l'absence de ma secrétaire personnelle dès le premier jour, il y avait cet article. Publié ce matin par toute la presse du pays, il y mentionnait mon nom et celui de Vorspiel. Non, en réalité, il balançait littéralement toute la composition gouvernementale avant la conférence de presse. Qui était le petit malin qui avait cru bon de sortir l'info de son chapeau ? Et surtout, dans quel but ? Déstabiliser Alister ? Dénigrer Vorspiel ? Mentionner mon nom pour qu'on s'y intéresse ? L'idée qu'ils puissent creuser et découvrir mon parcours ne me rassurait pas, c'était aussi pour ça que je voulais fuir. Mais Alister ne m'avait pas laissé le choix.
Il savait pourtant, tous les fantômes qu'ils allaient pouvoir libérer.
Qu'ils essayent...Pensai-je. C'était ma façon à moi de me protéger de la peur.

J'avais parcouru la salle remplie de journalistes en m'interrogeant sur l'identité du coupable, Meryame était là et c'était à elle que j'avais pensé en premier. Bien qu'elle soit mon amie, je connaissais son ambition dévorante, mais je ne lui avais pas parlé de Vorspiel, ni de quoi que ce soit d'autre que de mon retour à Bruxelles. Alors, elle aurait pu me balancer, mais pour le reste elle plaidait non coupable.

Écartée, sur le champ.

La liste de potentiel coupable était longue, d'autant que si je découvrais le journaliste, je n'avais pas sa source et c'était la source qu'il fallait tarir. Me pinçant la lèvre inférieure, prenant note des informations données par mon gouvernement, mon esprit lui, vagabondait sur une marche à suivre, car j'avais bien l'intention de tirer cette histoire au clair.
Et je sentis à nouveau un regard posé sur moi.
Je levais les yeux, aussi discrètement que je le pus, et au travers de mes mèches sombres j'aperçus Vorspiel et ses yeux de glace m'observer.

Qu'avait-il à me sourire comme ça ? Que croyait-il ? Que parce que j'avais laissé mes yeux s'égarer sur lui le temps d'un discours j'avais enterré la hache de guerre ?
Je repris finalement ma prise de note, bien contrainte par le flot d'informations qui me tombait dessus, mais bien que lui aussi avait détourné les yeux pour regarder ses collègues, je sentais encore de temps à autre ces œillades et je dus comprimer un sourire. La sensation de ses yeux sur moi me procurait un étrange sentiment que je ne pouvais définir et j'ignorais si ce sourire en résultait ou s'il était juste nerveux.

Même avec nos yeux, nous avions décidé de nous chamailler.

Était-ce de la provocation de me sourire de la sorte ? Voulait-il que je garde en tête l'image de ses lèvres fines et longues s'étirer dans un tel sourire plein d'arrogance ? S'amusait-il de voir ma réaction ?
Réagis alors. Pensais-je.
Et sans réfléchir, car il fallait bien l'admettre pour faire cela il ne fallait pas beaucoup de jugeote, je lui tirai la langue discrètement. Et j'ai cru un instant qu'il allait s'étouffer tant il dut retenir son rire.


Ça vous apprendra, Monsieur le ministre, à vouloir jouer avec le feu,

 

 

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haroldthelord
Posté le 20/05/2023
Salut,

C'est la présentation du gouvernement, les deux se font des oeillades on cherche qui est la taupe qui les a vendu et tu trouves le moyen de balancer cette phrase.

- J'ai oublié une boîte de raviolis.

Je trouve la phrase surprenante, je ne l'aurai pas mise dans le contexte mais elle a aussi un côté déphasage qui peut avoir son charme.

A plus.
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