Eireann • « La Fortune du Magicien »

Notes de l’auteur : TW • sang, meurtre, tentative de meurtre, strangulation, dissociation, violences physiques

Si le métal en fusion doit avoir une odeur, ce n’est clairement pas celle que j’identifie et qui me colle une furieuse nausée. Si sous mes yeux, le premier laboratoire est totalement dévasté, c’est la chair brûlée qui me prend à la gorge.

Je constate avec amertume que les équipes du SCPAU sont parvenues à temps pour éliminer les hommes de main de Panoptès, en dépit pourtant de la formelle interdiction de les abattre. Il n’est pas difficile de comprendre ce qui a motivé les Intelligences Artificielles de ce service de protection ; aussi proche du centre d’observation spatiale, avec tous ses satellites et autres appareils tournés en direction d’au-delà du Nuage d’Oort, il est évident que la préservation des données et des systèmes de communication leur apparaît plus important qu’une éventuelle enquête sur les commanditaires de cette attaque. Faire dans la dentelle n’est alors pas leur priorité.

Pour autant, ces cadavres encore frais, dont les visages sont rongés par le métal en fusion ne sont pas ce que j’aurai aimé voir en premier. En fait, j’aurai aimé épargner mon esprit de cette vision. Sauf que je dois m’y faire. Mon métier n’est pas composé de lapins roses et de fleurs bleues, mais sera jonché d’horreur de cet acabit. Et ça, ça a été suffisant pour forcer l’albinos à cesser de courir.

Lorsqu’il se tourne vers moi, la ligne de sa mâchoire carré se contracte et son regard bleu ne pétille plus de l’amusement de tout à l’heure.

— T’es une emmerdeuse.

— Il paraît ouais, laché-je acerbe en le mettant de nouveau en joue. Je suis lasse de courir comme un lièvre, et ma proposition peut toujours tenir.

Paraître forte et assurée, face à un ennemi dont je ne fais certainement pas le poids. Cette fois, nul besoin d’explosion pour que l’homme cherche à se jeter sur moi. Nos corps roulent à nouveau au sol, et sa rapidité est décuplée par ses augmentations. Je n’esquive pas le premier coup de poing. Un craquement sinistre retentit et une vive douleur irradie la partie gauche de mon visage.

Pas le temps de chercher à comprendre son coup de tomol ! Je dois lui rendre les coups et mon coude rencontre son torse. Il a l’air surprise par ma force mais il croyait quoi, cet idiot ? Qu’une Naturelle est forcément une petite chose fragile ?

Un peu plus libre de mes mouvements, je bascule mon bassin pour reprendre le dessus. Son dos rencontre brusquement le sol et j’agrippe ses mains. Ainsi maintenu, je sais qu’il ne pourra pas griller sa puce mémorielle. De nouveau, un sourire sarcastique étire les lèvres de l’albinos, qui relève un peu la tête vers moi.

— Et maintenant, championne ? Tu m’as immobilisé, très bien, mais que comptes-tu faire ? Si tu me lâches, tu sais que tu risques gros. Et tu es toute seule.

Il tire un peu plus sur ses cervicales, pour tenter de se rapprocher encore plus de moi. L’odeur de cerise écrasée se mêle à celle, plus fétide, de la chair brûlée.

— Nos rapports sur toi n’avaient pas tort ; tu ne réfléchis pas.

D’un calme olympien, il pose sa tête sur le sol, lève son regard glacé vers le plafond. Son visage se déforme dans un masque d’horreur et de sadisme quand ses lèvres se retroussent et qu’un sifflement strident s’échappe de sa bouche.

La violence du son m’arrache un gémissement de douleur ; il vibre, jusqu’à l’intérieur de mon crâne et l’écho résonne encore dans l’air. Je me redresse, les mains plaquées sur les oreilles, alors que ça ne sert à rien. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que ça me fait mal comme ça, bordel ? Ce n’est pas la première fois que j’entends ce genre de son, pas la première fois que mes tympans sont soumis à de tels bruits. Alors, on peut m’expliquer cette foutue hypersensibilité soudaine ?

Ma tête tourne violemment sur le côté, alors qu’un autre craquement retentit. Ma mâchoire est endolorie, j’ai des étoiles qui dansent devant les yeux. Je recule, de plusieurs pas, pour trouver une zone où me mettre à couvert. En vain ! L’Augmenté est beaucoup plus rapide que moi, beaucoup plus fort que moi malgré tout. Chaque coup est administré avec précision.

Et sans mon bouclier, je suis vulnérable. Je ne suis pas capable de produire un champ énergétique pour me protéger, comme Anastasia pourrait le faire. Mon armure se fissure par endroits, un goût métallique envahit ma bouche, et je sens un peu de liquide poisseux couler sur mon menton. J’ai dû me mordre la langue.

Il frappe mon foie, et je suffoque, plie le genou devant ses assauts sans pouvoir riposter. Des doigts s’enroulent autour de ma gorge et me soulèvent du sol, comme si je n’étais qu’un vulgaire fagot de paille.

— T’es même pas suffisamment intéressante pour que je me salisse les mains pour toi !

Et l’Albinos, avec une facilité déroutante, m’envoie de l’autre côté de la pièce. Des coups de feu retentissent au loin, mais les secours ne viendront peut-être pas à temps, même si le SCPAU se rapproche.

Et alors que je cherche à me redresser, ne serait-ce que pour fuir, un poids invisible s’installe sur moi. Cette fois, mon champ de vision me donne l’impression de contours floutés. Et quand une pression s’exerce sur ma trachée, je comprends ; il était sûrement accompagné depuis tout ce temps par un collègue dissimulé par un camouflage tactique !

Je parviens à envoyer mon poing dans ce que je pense être un visage, et le camouflage tombe, révélant une femme d’une quarantaine d’années au-dessus de moi. Sa deuxième main fond sur ma gorge, alors qu’un sourire carnassier teinte son visage rond. Elle pourrait briser ma nuque d’une seule pression et pourtant…

Pourtant, elle fait durer le plaisir.

L’air devient plus rare dans mes poumons, alors que je me débats. Me délivrer de mon adversaire est une priorité que je ne parviens pas à atteindre. Force est de constater que l’agente de Panoptès est à l’image de l’Albinos ; trop augmentée, trop puissante. Son assurance transpire par tous les pores de sa peau que je peux voir à sa tenue légère. Le mélange d’odeur me donne la nausée… ou alors c’est le manque d’air.

Fermement campée sur ses genoux, mon adversaire appuie plus fort encore sur ma gorge. Des étoiles piquent mon champ de vision. Dans une tentative vaine de me défaire de mon adversaire, j’essaie de délier ses doigts de mon cou, de remuer le bassin. Inutile. Comme un serpent qui s’enroule autour de sa proie, l’Augmentée resserre plus encore sa prise. Mon cœur bat dans mes oreilles.

Je vais mourir.

Il me faut de l’air.

Tu ne peux pas mourir maintenant.

Quelque chose en moi se brise. Je laisse mon bras retomber le long de ma cuisse et attrape le manche de mon couteau à cran d’arrêt.

C’est elle ou moi.

Le choix est vite fait. Mon arme entre mes doigts, ma détermination gonfle et éclate dans ma poitrine comme un ballon de baudruche et j’enfonce une première fois ma lame dans la hanche de la femme.

C’est elle ou moi.

Un liquide poisseux coule entre mes phalanges, et l’odeur du sang inonde mes narines. La cerise n’est pas loin, mais je ne sais pas où est l’Albinos, s’il regarde le spectacle avec cette même délectation qu’au début. L’emprise se desserre. Les coups de feu continuent à retentir.

C’est elle ou toi.

Je retire la lame du flanc de mon ennemie, lui arrachant un grognement de douleur et parviens, d’un mouvement faible de la hanche, à profiter de la souffrance de l’agente pour renverser la situation. Ma respiration siffle, j’ai du mal à trouver mon souffle.

C’est elle ou moi.

La main poisseuse, mes doigts resserrés sur le manche sanguinolent de mon arme, j’enfonce de toutes mes forces l’acier une première fois dans la poitrine de mon ennemie.

C’est elle ou toi.

Elle tente de se débattre, mais je ne suis plus là. Je n’entends plus ses cris, je ne sens plus les odeurs, je ne vois plus son visage. Il n’y a rien autour de moi, rien d’autre qu’un voile noire et ma conscience qui me hurle que c’est elle ou moi. La lame se plante une deuxième, puis une troisième fois. Puis, encore et encore. Les larmes roulent sur mes joues, la terreur a laissé place à une fureur sans nom alors que l’oxygène reflue dans mes veines.

J’ai failli mourir. C’est elle ou toi.

La chair se déchire, les os craquent, le sang coule. Mon bras se lève, s’abaisse, encore et encore, avec une violence que je ne me reconnaît pas, une rage qui ne me ressemble pas. Je suis incapable de me contenir.

— Finalement, peut-être que tu es plus intéressante que je ne le croyais. Ou alors, est-ce ta bonne Fortune qui a joué en ta faveur ? Peu importe…

Je m’immobilise. Il est toujours là. Et je ne le vois pas.

Déchaîne-toi !

Trop risqué. Des pieds apparaissent dans mon champ de vision brouillés par mes larmes, des doigts se glissent sur mon menton et un rictus se détache du décor comme un croissant de lune… ou comme le sourire de cet affreux chat du Cheshire. L’Albinos approche son visage du mien et à quelque millimètres de mes lèvres, il susurre :

— On se reverra, sois-en sûre. Mais, la prochaine fois, je te ferai personnellement la peau.

Un autre coup est porté à ma joue et je vacille, le corps engourdi. Il fuit, je grogne. Je me relève, cahin-caha, du corps ensanglanté sur lequel je me suis retrouvée à demi-allongée et je m’apprête à nouveau à le poursuivre, avec moult difficultés.

— O’Brian, stop !

L’Albinos disparaît de mon champ de vision, et la voix est trop lointaine pour me reconnecter. Je cours, aussi vite que je peux, peut-être quoi, dix mètres ? avant que mes pieds cessent de toucher le sol et je hoquette de surprise. Je parviens difficilement à tourner le visage vers l’arrière, pour y croiser le regard alarmé d’Anastasia. Mes muscles, mon esprit, mon corps, tout se détend alors que je croise ses grands yeux bleus qui brillent d’une intense lueur, alors que tous ses circuits imprimés irradient férocement de vert.

Le bras tendu, elle me maintient dans le champ de force qui m’empêche d’aller plus loin et elle balaie du regard la zone, avant de me reposer au sol. Mes jambes se dérobent sous moi, et je chute les fesses par terre. C’est là que s’impose à moi la réalisation effroyable ; j’ai tué quelqu’un. Et ce cadavre ensanglanté un peu plus loin me le hurle avec ardeur.

Mes mains se lèvent devant mes yeux, tout mon corps tremble. Plus un seul morceau de ma peau n’est pas maculé de sang. J’écarquille les yeux quand je réalise ce qu’il s’est passé. J’ai tué quelqu’un.

Pour survivre.

Mais, j’ai quand même ôté la vie à un autre être humain.

— Aspirante ?

J’ai tué. Je me suis déchaînée sur un adversaire duquel j’étais parvenue à me libérer alors qu’on essayait de me tuer.

— O’Brian ?

L’odeur du sang me donne envie de vomir et mon estomac se contracte.

— Eireann ?

La nausée s’intensifie et finalement, mon estomac se soulève et rend tout ce qu’il peut. Les larmes roulent le long de mon visage. Je comprends mon acte, mais je peine à accepter que ç’ait été par nécessité. Des doigts frais se glissent sur ma nuque ; Anastasia a retiré ses gants.

— On est tous passé par là, à un moment ou à un autre, m’assure-t-elle compatissante.

Je reste sous le choc de mon geste et me dérobe à la marque de sympathie. Je recule, toujours sur les fesses, jusqu’à être bloquée par le mur derrière moi. Sous mes yeux, les agents du SCPAU, ainsi que les deux autres membres de l’escouade, s’occupent de ce qu’elle aurait dû faire, au lieu de m’obstiner à poursuivre l’Albinos ; sécuriser la station.

Sauf que je sais qu’il est parti avec des données, mais je n’ai aucune idée desquelles il a bien pu subtiliser ? La culpabilité me ronge, au même titre que l’amertume et le dégoût m’étreignent à la gorge. Ou alors est-ce encore la sensation de sentir les doigts de cette Augmentée autour de mon cou ? Aucune réponse logique ne me vient à l’esprit. Tout ce que je sais, désormais, c’est que j’ai failli mourir, et que pour protéger ma vie, j’ai dû prendre celle d’une autre.

— J’avais le choix, soufflé-je d’une voix éraillée.

J’aurai pu simplement m’extraire, balancer une grenade incapacitante pour me mettre en lieu sûr. Je connais mon potentiel, au plus profond de moi. Je ne combat pas au corps-à-corps, je n’ai que des bases, que la self-defense, mais c’est tout. Ma spécialité, outre le vol en chasseur, c’est la distance. Intérieurement, je ricane ; pour la Confédération, je serais classée comme une Tireuse d’élite.

— Tu avais peut-être le choix, reprend Anastasia. Mais, tu as fait ce que tu devais pour sauver ta vie.

Est-elle agréable au point de ne pas soulever le fait que je me sois déchaînée contre ma victime ? Mon regard se glisse sur le cadavre ensanglanté. Dans ma rage, je n’avais pas remarqué un détail : la partie de droite de son visage est brûlée : sa puce a grillé, mais son cadavre est tellement mutilé que je ne saurais dire si c’est de mon fait ou pas.

C’était peut-être moi ou l’autre, mais rien ne justifie un tel déferlement de violence. Consciente que, quoi que je dise, la lieutenante cherchera à me dédouaner, je préfère me concentrer – ou tenter – sur autre chose.

— Je… la mission… ?

Anastasia pose une main sur mon épaule et un léger sourire étire ses lèvres.

— Le SCPAU traque les derniers agents de Panoptès. On a pu retirer une puce mémorielle intacte grâce à Cooper. On aura le visage de certains terroristes, sauf qu’ils ont utilisé des brouilleurs visuels pour protéger leur identité. Si on peut les confondre, on lancera des mandats contre eux.

La lieutenante pousse un bref soupir.

— On a contacté l’amirauté. Pas de prisonnier pour cette fois. Alors, on déroge à la règle. L’essentiel, c’est que le centre de commande ainsi que les labos soient en grande partie épargnés. Dans ta folie de poursuivre ce terroriste, t’as permis au SCPAU de trouver les ogives qui n’attendaient plus que l’ordre d’exploser.

— C’était… l’albinos qui avait le détonateur ?

— Lui… ou elle, dit Anastasia en désignant le cadavre. Panoptès agit toujours par trois groupes de six unités. Il n’en restait qu’un à éliminer, et c’était celui de cet albinos. On l’aura pas pour cette fois, mais tu l’a coupé dans son projet, quel qu’il soit.

Je baisse le regard. Malgré les tentatives de la Russe de me rassurer sur l’efficience de ma bêtise, je n’ai de cesse de ressasser dans mon esprit les images de mon acte. Ma mâchoire se contracte.

— On va faire un rapport à M’Bomba. Hope doit être envoyæ en réparation sur Terre, on læ prendre avec nous sur l’Alecto. O’Brian… ?

Je relève la tête et, cette fois, j’accuse le regard sévère d’Anastasia.

— Tu aurais dû m’écouter quand je t'ai demandé de rester. Tu t'es mise inutilement en danger. Nivens te teste, mais ta sécurité et ta survie m’importent plus que ses petits plans à la con. La prochaine fois, même si t'es ma chef d’escouade, réfléchis avant d’agir, ok ?

Un léger sourire étire mes lèvres, et je me contente de hocher la tête. La Slave me laisse à mes pensées, déterminée à s’occuper de ce qu’il se passe sur le terrain. Est-elle consciente que j’ai besoin de temps pour me faire à ce qu’il s’est passé ? Peut-être. La surcharge d’informations me fait peut-être vriller, je n’en sais rien. En tout cas, rien que pour ça, je ne peux que la remercier intérieurement pour sa sollicitude.

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drawmeamoon
Posté le 08/02/2021
Est ce que j'avais dit que j'arrêtais de lire pour dormir ?
Oui
Est ce que je l'ai fait ?
Non
Pourquoi ?
Parce que ton histoire ma trop hante pour que je puisse dormir avant de savoir ce qui allait se passer et actuellement je hurle dans mon cerveau
BON SANG LINN C'EST INCROYABLE
J'ai même pas les mots pour définir a quel point ton histoire est ahurissante et exceptionelle ??
J'ADORE
Je suis en pls
MAIS J'ADORE !
AislinnTLawson
Posté le 10/04/2021
Mais faut quand même penser à dormir jpp j'avais oublié que t'avais pas été dormir de suite xD
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