Douze - Cache-cache barré

Notes de l’auteur : Il estimait que le monde avait besoin de héros légendaires, enveloppés dans les brumes de l'impossible. "Devenir réel, c'est ce qu'il y a de pire pour un super-héros", expliquait-il d'une voix hésitante.
Marco Mancassola

Il y a des super-héros qui ne portent pas de capes… C’est vrai, et ils m’inspirent bien plus que les autres. Ils prouvent que c’est possible d’accomplir une vie de super-héros, voire d’en être un soi-même !

Au départ, cette « sans-cape » m’intimidait, en quelque sorte, et nous n’étions pas proches, loin de là : à peine si nous connaissions nos prénoms respectifs ! Puis nous nous sommes légèrement rapprochées, mais elle restait du côté autres, des filles populaires. Et un jour, un de nos camarades, un simple garçon, lui demanda de rester avec lui ad vitam aeternam (enfin, j’exagère, il lui a juste demandé si elle l’aimait). Elle hésitait sur sa réponse, et pour essayer de la convaincre, car je savais qu’ils iraient parfaitement ensemble, comme deux pièces de puzzle, je lui ai raconté ma propre histoire. Ça a été pour moi un moment tellement important, je livrais un grand secret qui me pesait sans cesse depuis plus d’un an. Finalement, tous mes efforts ont semblé avoir porté leurs fruits, car ils sont maintenant ensemble, et un modèle d’amour. Avec elle seule j’ai partagé ce secret, et elle l’a gardé enfoui. Cette « sans-cape » est ma gardienne sacrée, celle qui garde mes pensées. Cependant, elle n’est point parfaite, c’est ce qui fait d’elle une « sans-cape ». Parfois elle réconforte, parfois elle est réconfortée. Par exemple, sitôt qu’elle soit arrivée en larmes au bout des cinq kilomètres, elle a remonté tout le chemin pour nous encourager, une amie et moi. Cette demoiselle a un mental d’acier, probablement forgé par ses batailles perdues ou gagnées à la course : elle est très rapide ! Cette « sans-cape » a aussi, la première, lu tous mes textes, petits ou grands, en vers ou en prose. Elle incarne une force de caractère telle que le plus grand des médaillés s’inclinerait devant elle. Pourtant, c’est aussi elle la première (et la seule !) à se traiter de stupide. Pour moi, elle est bien plus qu’une camarade, une amie, une « sans-cape » même ! Elle, comme personne d’autre, m’a fait comprendre qui je suis vraiment, sans le savoir. Cette « sans-cape » si admirable, elle, répond en réalité au doux nom de Chloé.

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Extrait du Carnet Créatif de Sélène,

Il y a des super-héros qui ne portent pas de cape, écrit pour Chloé

<3

Il faisait beau ce jour-là, le 7 mai. Une date qui allait tout changer. La classe de Sélène allait faire du sport en forêt, comme ils avaient parfois l’habitude de le faire. Et tout comme les autres fois, ils jouèrent à cache-cache barré, une variante du cache-cache ordinaire. La veille, Bruno avait demandé à Chloé si elle voulait sortir avec lui, et ça avait fait le tour de la classe. Le problème était surtout le fait qu’elle ne savait pas quoi lui dire, et Bruno attendait encore une réponse, ce qui le rendait malheureux. Ça se voyait sur ses traits, et Chloé n’en était que plus stressée.

Le trajet durait environ une vingtaine de minutes à pied entre la forêt et le collège, et les élèves en profitaient pour discuter. Ce jour-là, Alya était malade (ce qui n’était pas étonnant, car elle possédait un système immunitaire très peu performant d’après ses amies) et Sélène se retrouvait seule. Elle avait d’autres personnes à qui parler, mais ce jour-là, elle décida de faire une bonne action durant sa journée. La situation que vivait Bruno ressemblait trop à la sienne pour qu’elle laisse une autre personne ruiner la vie de quelqu’un comme Léo était en train de le faire avec elle. La jeune fille s’approcha de Chloé et entama la discussion :

- Alors, Chloé, tu vas lui répondre quoi ?

- Salut, Sélène. Je ne sais pas encore… Il est sympa mais en même temps… Ah, je sais pas.

- Mais il faudrait quand même te dépêcher. Je sais ce que ça fait que de…

- Tu sais quoi ???

- Je… je suis tombée amoureuse. Et puis, jeudi passé, j’ai glissé une lettre dans son bureau, expliquant que je l’aimais.

Sélène passa les vingt autres minutes à lui expliquer toute l’histoire, depuis le début. Elle n’omit absolument rien, passant du délire de leurs mères respectives sur le fait qu’il faudrait marier Léo et Sélène à ce qu’elle lui avait donné quelques jours plus tôt. Nonobstant, la jeune fille ne prononça jamais son prénom. Elle réserva cette information pour la fin, et uniquement lorsque Chloé le lui demanda :

- C’est Léo… Grand, brun aux yeux bruns… Il est en 4eE, avec Eva par exemple.

- Léo ? Ah oui, ça me dit vaguement quelque chose.

- Et du coup, pour Bruno ?

- Je ne sais pas… On verra.

Le lendemain, Sélène apprit que Chloé avait accepté, pour le plus grand plaisir de la jeune fille, qui n’avait d’ailleurs toujours pas reçu de réponse. Léo avait-il vraiment reçu le texte ?

Mais pour le moment, ça n’avait pas d’importance. Sélène avait trouvé en Chloé une véritable alliée, une amie. Ce n’était plus la fille qui était revenue la chercher pour les quinze kill. Chloé était devenue la meilleure amie de Sélène. Du moins elle le deviendrait. Chloé serait une ancre à laquelle s’accrocher dans la tempête. Chloé demeurait la première à connaître l’histoire de Sélène, et celle-ci en serait soulagée pour toujours.

La jeune fille rentra chez elle avec le sentiment qu’elle n’était plus toute seule pour gérer ses histoires de cœur. Maintenant, il y avait Chloé.

<3

Durant les jours, puis les semaines qui suivirent, Sélène chercha à comprendre comment et pourquoi Léo n’avait pas reçu le Miroir du Riséd. C’était presque devenu un jeu, auquel Chloé participait parfois. Sélène s’amusait à écrire des petits mots, qu’elle tentait de glisser dans son bureau, sa veste, ses chaussures… N’importe où il aurait pu les trouver. Dans les couloirs, alors qu’elle revenait de son cours de sciences, par exemple. Les mots étaient souvent courts, mais pas toujours. Sélène écrivit une dizaine de messages comme « As-tu reçu le texte du Miroir du Riséd ? » ou bien « Pourquoi tu ne m’as toujours pas répondu ? » Mais il y avait aussi des textes bien plus longs. Un jour, alors que Sélène s’ennuyait en cours de maths, elle écrivit ceci :

Avis de recherche

Recherche réponses auprès de l’âme sœur, un certain dénommé Léo Sherwood,

Il sait probablement ce qui est arrivé à mon texte, vu pour la dernière fois le 25 avril.

Je souhaite également connaître ce qu’il en pense, notamment sur le fait que ce texte le concerne.

Si personne ne daigne me contacter, merci de ne pas me poser de questions.

Amicalement                        

S.                   

Ce message représentait beaucoup pour elle. Il montrait à quel point Sélène était perdue, en désarroi total. La jeune fille le glissa dans le bureau de Léo lors d’un cours d’éthique, alors qu’ils avaient de nouveau changé de place (ce qui signifiait qu’elle pouvait de nouveau passer l’heure à imaginer un million de façons de communiquer avec lui pas l’intermédiaire du bureau). Mais elle n’obtint jamais de réponse claire, ni même de réponse tout court. C’était le blanc complet. C’était le néant. Et même si elle ne comprenait pas comment ni pourquoi, Sélène se persuada que ce silence était dû au fait que Léo n’avait pas reçu son texte. C’était une évidence.

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