De retour dans ma chambre, je m'adosse à la porte. Tête appuyée contre le battant, j’inspire et expire de longues respirations.
Quatre minutes que je tiens cette position sans ouvrir un œil.
La révélation, en tête d’affiche de toutes mes pensées, flamboie de tous mes sentiments au cœur de ma poitrine.
Je prends connaissance de ce corps étranger. Cette flamme que Can à allumer et le seul à pouvoir éteindre.
Je me redresse et ouvre les yeux. Sans bouger, je parcours lentement cette pièce avec une toute nouvelle perspective. Je la redécouvre, réalise mentalement que l'homme responsable de ma condition actuelle a également vécu ici.
J'étudie chaque recoin, m'arrête sur l'armoire dans laquelle je visualise son premier blouson de cuir. Les murs sur lesquels j'imagine des rêves d'aventures, tapissés de posters d'endroits qu'il prévoyait de visiter. Ce bureau, noyé entre les cours et des esquisses de dessins destinés à l'encre.
Avait-il déjà prévu d'être tatoueur ?
Puis ce lit. J’avance à pas trainants vers cette couche. J'y vois un petit garçon en larmes, à pleurer le départ brutal de ses parents. Aussi un adolescent casse-cou, entraîné à gravir les sommets des plus hautes montagnes. Puis un jeune homme sculpté pilotant sa moto dans des courses folles.
Plus d'une semaine que cette pièce m'offre son hospitalité. Un refuge où me ressourcer. En l'espace de quatre minutes, Can a colonisé mon cocon.
Sa présence est incrustée partout entre ces murs.
Ce n'est pas réel.
Ça ne doit pas devenir réel.
La dernière chose dont j'ai besoin, c'est d'un imprévu de taille qui suffirait à me détourner des raisons premières de ce séjour. Je ne laisserais pas mon corps exercer son pouvoir décisionnel !
Tirée de mes songes par un fracas sur le carreau de la fenêtre, je ne suis guère étonnée par l'apparition d'Elly en contrebas, cailloux à la main. Dans les faits, le texto que je lui ai envoyé avant de franchir le seuil de la demeure des Özkan, expliquerait la cause de sa venue en pyjama licorne, à deux-heures et demie du matin.
— Est-ce qu'il t'arrive de dormir ? je l'interroge, la fenêtre entrouverte.
— Tu as deux minutes pour me rejoindre sous le porche. Et ramènes tes graines de tournesol !
Je rigole devant son empressement.
Assises dans la balancelle, nos mains à l'intérieur du sachet, nous y voilà.
— « Je crois que je suis tombée amoureuse ». Putain, Sawyer, j'ai dû relire ce message pas moins de six fois avant d'être bien certaine d'en avoir compris le sens !
— Ça me parait pourtant tristement clair ...
— Tu en es vraiment convaincue ?
— À moins que mon corps ait mal interprété les signaux, qu'il ait réagi chimiquement sans mon consentement, produisant de la dopamine, de l'adrénaline et de l'ocytocine. Le chef de file de mon excitation porte même un nom bien spécifique : la phényléthylamine... C'est l'amphétamine naturelle de l'amour et du bonheur. Quoi que ça puisse être, je ne suis pas dans mon état normal.
J'énumère cette théorie idiote dans une telle lassitude, que le regard débordant de compassion de mon amie me donnerait presque l'envie de lâcher un sanglot.
— Toujours à chercher une réponse scientifique, hein ? Écoute, Sawyer... pour moi, ton truc, c'est du charabia et il est certain que je ne suis pas un modèle à suivre dans les relations amoureuses. Mais il me semble que ce n'est pas une mauvaise chose. Tomber amoureux, c'est plutôt ordinaire, non ? Va juste falloir maitriser ton degré d'attachement pour que ce soit un bon souvenir de voyage.
— Comment veux-tu que je le maitrise ! Je m'en vais dans trois semaines et n'ai pas l'intention de repartir avec des sentiments dans mes bagages ! Et admettons que je veuille éviter sa présence, il apparaît toujours de nulle part ! Quand ses yeux me considèrent, j'effectue un élégant saut périlleux dans son regard et fais des longueurs dans une piscine de bien-être. Quand il me sourit, mon esprit se détache de mon corps si bien que je pourrais boire l'eau du seau de ménage, la serpillière avec. Et quand il me frôle Elly... Bon sang... Quand il me frôle, ce n'est pas une petite brise légère que je ressens, mais un ouragan qui m'entraîne au cœur d'une tornade volcanique !
— Ah ouais... C'est quand même sacrément puissant l'Ocytocine...
Je relève son ton empreint à la plaisanterie, probablement une tentative visant à détendre l'atmosphère.
— Je te défends de rire...
— Promis, mime-t-elle des lèvres muselées par le simple signe de ses doigts. Demain soir, on expérimente le « double date ». Preston a déjà réservé le restaurant. Je l’ai mis en relation avec Riley grâce à son numéro griffonné sur notre départ de la fête. Ça va te changer les idées, oublier un certain grand brun bâti comme Thor.
— Il est certain que te voir au bras de Mark-Darcy-au-pull-ringard présage un évènement inoubliable...
*
* *
Bientôt à terme de mon service, je consacre la dernière heure à parfaire l'élaboration du tournois de fléchettes. Demain, se déroulera la prochaine soirée à thème de « l’Apéro du vendredi ».
Le dos collé à l’assise personnelle de mon patron, je glisse un dernier couple de participants dans une urne. Après une ultime vérification des inscriptions, je la referme et la transporte dans ma pièce à utilisation de vestiaire.
Je dépose la boite en plastique aux côtés des lots gagnants et des flyers :
L’Apéro du vendredi : Tournois de fléchettes en duo à 22h.
Complet le vendredi 8 juillet.
Si vous n’êtes pas inscrits, venez parier 5$ sur une équipe et tenter de remporter un lot sur l’une des trois meilleures.
Fermeture des paris avant 21h30.
J’examine à présent la tenue suspendue à l’un des patères du porte-manteau perroquet, aussi aménagé pour masquer une fissure près de la plinthe.
Ajustée d’une housse en plastique et d’un ceintre en velours, je doute qu’elle provienne d’une marque ordinaire.
Cette robe doit valoir la moitié du prix de mon billet d’avion. Dans la mesure où j’ai déboursé pas moins de quatre-cent euros juste pour le vol aller, ça laisse imaginer la démesure que je m’apprête à enfiler.
Je jette un coup d’œil à ma montre et me remémore une conversation avec Ibrahim, un peu plus tôt dans la journée :
— Et donc, tu me dis que la fille des Wyatt ne connaît pas ce Preston, qu'elle n'a aucune envie d'y aller, mais qu'elle a autorisé ce rendez-vous essentiellement pour se rendre plus sociale aux yeux de ses parents. Et que toi, tu y vas... pour quoi déjà ? Ah oui ! Pour accepter l'invitation d'un jeune homme dont tu ne sais rien non plus. Un programme dès plus alléchant...
— Pourquoi ai-je la curieuse impression que tu te fiches de moi ?
— J'essaye juste de comprendre ce qui motive mon employée sérieuse à s'embarquer dans les idées farfelues de la voisine.
Autant le service était agréable, autant je me serai bien passée de son humour sarcastique. Pourtant, je ne l'imagine pas trouver satisfaction à me froisser. Si ma première semaine m’a appris quelque chose de l'ainé des Özkan c'est, sans conteste, sa bienveillance.
Mes vêtements roulés en boule sur la banquette signent la fin de ma corvée journalière de serveuse semi-compétente.
Cendrillon sortie de son lieu sûr, j'arpente le couloir habillée d'une robe noire fluide à fines bretelles, le dos nu très échancré et la cuisse visible d’une fente scandaleuse.
À hauteur de l’angle me séparant de la grande salle, je n’ai pas de mal à repérer celui qui se distingue de la foule. Assis sur un tabouret de bar, Can y figure en client.
Je m'attribue le droit de l'épier discrètement.
Son charisme entre instantanément en collision avec mes émotions, affolant la flamme dans mon palpitant. Rien ni personne n'avait jamais fait trébucher mon self-control. Si j’ai déjà été attiré par des hommes, aucun n’a jamais hérité du titre de pyromane des cœurs. Rester là me paraît préférable, parce que faut se l’avouer, je n’ai absolument pas préparé d’anti-sèche pour m’éviter un ramassis de non-sens.
Mais c'est sans compter sur l'incroyable entrée d'Elly.
Que dis-je ? Elle n'est pas incroyable, elle est méconnaissable ! La voilà paradant dans le bar, affublée d’une énormité qui s’apparenterait le mieux à un tee-shirt. Des collants résilles jaune fluo masquent le potentiel de ses jambes, mais ce mini-short barbe à papa dévoile à quel point elles sont redoutables.
Un spécimen rare.
Bon sang ! Fringuée de la sorte, quelles sont les chances que les regards ne se focalisent pas sur nous ?
C'est un véritable crime vestimentaire avec préméditation !
Sortie de mon repaire, je me précipite vers elle. D’encore plus prêt, je me rends compte à quel point cette fille à le pire amour-propre de l'univers.
— Seigneur, Elly ! Tu t'es crue au carnaval de Rio !
— Bonté divine ! Riley va te tomber aux chevilles quand il va te voir mouler dans cette robe. Ce décolleté plongeant fait valoir ta chute de reins renversante ! Et la souplesse du tissu glisse sur ta peau parfaitement parfaite. Tu ferais rougir n'importe qu’elle porte de prison ! Bonsoir Ibrahim. Can... le salue-t-elle d'un signe de tête.
Les deux hommes s'échangent un regard sceptique, chargé de sous-entendus, quant au choix de tenue de mon amie.
— Bonsoir, Elly.
— Pas de tablier ce soir ?
— Je suis de simple passage. Le temps d'un verre et d'inscrire mon nom pour le tournois de fléchettes.
— Qu-quoi ? Mais j'ai déjà tout préparé pour demain ! Va falloir trouver d'autres fléchettes et rajouter ton nom à la liste. Sans compter le changement de la disposition des chaises du coin aménager cet après-midi pour les participants. Il ne te serait pas venu à l'esprit de t'inscrire avant ? Attends, c’est en binôme ? Il te manque un partenaire. Peut-être que si je faisais le tour des ta... Mince ! Dans cette robe, je n'arrive pas à réfléchir !
Je masse mes tempes et intercepte trois regards assommés.
— C’est ce qu’on appelle une approche frontale. Comme le veut la tradition depuis des années, les Özkan font équipe. Je pensais que mon oncle t’avais mise au courant. Tu es toujours dans cet état de contrôle ?
Cette façon bien à lui de plisser les yeux et cette voix grave quand il s'adresse à moi, ne font qu'appuyer le fait que mon contrôle trône fièrement dans une urne. À côté de celle contenant déjà ma raison.
La portée de son regard est officiellement le venin mortel qui contamine ma survie.
— J'aime que tout soit... en ordre. Elly, on pourrait peut-être y aller maintenant.
— J'espère que tu aimes la gastronomie parce que Preston n'a pas rigolé avec nous... Il s'est engagé à faire chauffer sa carte bleue à l'Aborigène - Iberostar. Sachant que Riley n'a pas contesté ce choix, tu dois lui avoir diablement tapé dans l'œil...
Je crochète le bras de cette concierge bigarrée et l'empêche de divulguer davantage devant mon patron et son irrésistible neveu. Nous nous dirigeons vers la porte de sortie grâce à mon allure prête à nous expédier partout sauf ici.
— Arizona Sawyer !
Je me fige, surprise par l'intonation coupée au hachoir employée par Ibrahim.
— Tu peux revenir par ici...
Je me retourne lentement et rebrousse chemin d'une démarche à pas comptés, cherchant l'erreur que j'ai bien pu commettre. Derrière ses cheveux grisonnants et son attitude chaleureuse, je lui découvre un air plus sérieux. Il sort de la caisse une liasse de billets et me la tend.
— Tes pourboires de la semaine. Ne laisse aucun homme te payer un resto pour des faveurs que tu ne souhaiterais pas, tu m'entends ? Même s'il y met le prix. Assure-toi que ses intentions soient bonnes. Auquel cas, sers-toi de cet argent gagné à trimer dans ce bar pour n'avoir aucune dette, quelle qu'elle soit. Tu es bien trop jolie ce soir pour partir sans ressources.
Si je m'attendais à ça. Il vient de me donner des instructions comme l'aurait probablement fait mon père. Combien y avait-il de chances pour que je rencontre des gens comme Karen et Ibrahim un jour ?
J'attrape l'argent par-dessus le comptoir avec une émotion visible.
— Merci. Est-ce que tu veux bien t'approcher un peu ?
Il se penche et avec toute ma reconnaissance, je l’embrasse sur la joue.
Mon patron m'offre un sourire attendri.
Des échos dans mon dos m'informent que Can discute avec une cliente. Je contiens une grimace, résultant d'une jalousie immature qui doit cesser rapidement. Le double date. C'est là-dessus que je dois me focaliser.
Stationnées depuis dix minutes devant ce restaurant haut de gamme, nous guettons lequel de ces hommes pourrait être Preston. Je mise sur celui qui s'impatiente, constamment à jauger les environs. Quant à mon amie, défiante toute concurrence avec sa tenue fantasque, elle reste persuadée du contraire.
— Je t'assure ! C'est l'autre type là-bas. Typiquement le genre d’homme que mon père aimerait me voir fréquenter. Avec des airs de fils à papa, qui se pense élégant dans un style classique mais dont la veste de sport en tweed boutonnée de tout son long et trop grande d’épaules, lui donne une allure générale ringarde. Il a massacré la coupe de ce costume Princes de Galles. Maintenant, juge un peu ses mocassins, le bicolore est un fashion faux pas : toujours concentrer la couleur sur les chaussettes dans ce genre de tenue. Ça va être chiant à mourir...
— Crois-moi, quand il va te voir dans cet accoutrement, il ne se risquera pas à s'accorder tes faveurs.
— C'est là tout le but de la manœuvre. Toi en revanche, je ne suis pas peu fière de t'avoir choisi cette robe. A notre partance du bar, j'ai pu constater que la peau destituée de tissu, à l’orée de ta chute de reins, n'était pas insensible à n'importe qui...
— Si tu fais allusion à Can, tu perds ton temps. Il était monopolisé par une version plus mature.
— Je sais reconnaître un homme intéressé. Ça, c'est mon domaine, Sawyer. La version plus mature n’a pu empêcher son attention de se retourner vers toi quand je te retenais la porte. Et j'ai nul doute quant au fait qu'il y avait dans son regard sombre, les bourrasques d’une préoccupation mélangé à une attraction délicieusement coupable. Quelque chose me dit que tu n'es pas la seule à être dopée à l'amphétamine.
— Écoute, j'apprécie tes efforts. Vraiment. Je sais ce que tu essayes de faire, mais je vais bien. Que tu m'aies acheté cette robe est amplement suffisant, pas besoins d'en faire plus de caisses, surtout en y impliquant Can. Bon, et si on sortait de cette voiture et que l'on allait voir ce qui se passe à l'intérieur ?
— Tu te souviens du code si l'une de nous veut s'enfuir ?
— Craquer mes doigts.
Un réceptionniste nous indique que nos aspirants sont déjà attablés. Elly en profite pour se rendre invisible et passer en revue la salle afin de prendre connaissance de l'apparence de Preston. Je reconnais Riley, ajusté dans un smoking. Faut se le dire, il est du genre beau garçon. Si on aime le côté soigneux des cheveux gominés et des sourcils épilés.
Mon intérêt se dirige dans la même direction de celle qui n'arrête pas de gesticuler.
— Alors ? Pas déçue du choix de ta tenue ? Il est plutôt pas mal Mark-Darcy-au-pull-ringard... Tu as relevé son sourire ? Si tu veux mon avis, il n'a rien de présomptueux, n'a rien d'un geek non plus, il porte même très bien la chemise à carreaux et les lunettes. Mark Darcy a plutôt des faux airs à Clark Kent.
La voir grincer des dents me tire un sourire. Le piège va se refermer sur le chat.
Notre entrée dans la salle de restaurant produit une variation d’ambiance. A chaque pas, des têtes se retournent sur nos deux silhouettes, des bouches forment un « o » et des yeux s’ouvrent en soucoupes. Elly déambule avec l’assurance de son exubérance et accueille avec fierté les réactions qu’elle provoque.
La rencontre imminente, Preston est attiré à son tour par cette pétulante palette de couleur en approche. Il porte une main devant sa bouche ouverte de stupeur et semble prier pour que cette nana ne pose pas son inconvenance sur la place libre à ses côtés. Je retiens un gloussement lorsque tous ses espoirs tombent à l’eau dès lors où Riley se lève pour m’accueillir, un bouquet à la main. La tête de Preston est à pleurer de rire !
— Arizona, tu es renversante ! complimente mon rencard.
— Merci, tu es très bien habillé aussi.
Avec empressement, il tire ma chaise et m’avance galamment à la table. Preston à l’air d’avoir oublié ses manières au vestiaire, bien trop sonné par la vue de mon amie.
— Tu sais qui je suis ? demande-t-elle sans attendre un geste de sa part.
— La fille de Peter et Macie Wyatt, Elly Wyatt. Je t’imaginais plus... moins...
— Ouais, moi aussi.
Si lui n’a pas fini de la dévisager des pieds à la tête, à la recherche d’un moindre détail de normalité, Elly montre un signe de confusion : elle ne le regarde pas dans les yeux.
En pleine conversation sur l'ébauche tordue d'un plan donnant à faire croire aux parents respectifs de Preston et Elly, un futur semblant de couple, je reste la seule pantoise. Manifestement la seule empotée ne sachant que faire de cet étalage de couverts autour de mon assiette, tous au garde-à-vous, bien alignés les uns à côté des autres.
D'ailleurs, parlons-en.
Même Elly et son tee-shirt à plumes encadrant cette colossale tête de perroquet multicolore est plus conforme au cadre de ce restaurant que ma personne. Je l'ai laissé commander pour moi, elle a l'habitude de côtoyer ce type de lieu très huppé avec ses parents, même si elle est bien trop modeste pour fanfaronner.
J'écoute des bribes de leur conversation. Mais à l'évidence, ce double-date ne suffit pas à me faire perdre de vue mon intérêt pour un grand brun dont l'apparence pourrait faire pâlir les divinités de l'Olympe. Les mots de ma correspondante ne sont pas tombés aux oubliettes. Une partie de mon cerveau continue de penser qu'elle fait fausse route sur Can, l'autre pousse mes doigts à taper ce message :
[Tu t'y connais en code couverts gastronomique ?]
Le premier plat arrive, et comme je l'imaginais, la portion est une miniature. Par mimétisme, j'utilise la même fourchette qu'Elly.
Mon portable vibre. Un simple lien internet m'envoie sur un site dédié à l'art de la table. Déçue par sa réponse détachée, je range mon téléphone. Mais à peine ai-je eu le temps de terminer l'action, qu'il vibre de nouveau.
[Il est en smoking noir, t’a offert des fleurs. Des roses rouges. Il t’a aussi complimenté sur ta tenue et t’a fait boire la première gorgée de vin dans son verre.]
Ce message me déroute. Assez pour me demander s'il n'est pas caché parmi les autres clients.
[C’est étrangement exact. Dois-je m'attendre à te voir sortir d’un coin de la salle, à vérifier s’il ne met rien de suspect dans mon verre ?]
[C’était facilement prévisible.]
Ça ne me donne toujours pas la raison de ce message. Sa curiosité m'incite à poursuivre l’échange.
[D’autres prédictions à me livrer sur sa conduite pour la suite ?]
[Au milieu de repas, sans t’en rendre compte, son bras sera sur ton dossier. Arrivé au dessert, même si rien ne montre que tu as froid, il va retirer sa veste et la mettre sur tes épaules. Il en profitera pour laisser glisser sa paume le long de ton dos et examinera ta réaction. Si tu lui souris, il te chuchotera à l’oreille qu’il serait ravi de continuer cette soirée ailleurs. Seuls.]
Mon cœur s’emballe à la lecture du message, après la constatation discrète par-dessus mon épaule de la présence d’un bras sur ma chaise.
Bon sang ! C’est troublant.
Et totalement juste du début à la fin.
Riley a exécuté à la lettre chacune des prévisions de Can.
— Tu es sûre ne pas vouloir allez te balader ? Je connais un bon glacier.
— Ce n’est pas tant l’envie, mais j’ai promis à mon patron d’être ramenée par Elly.
Ce n’est pas vrai et pas vraiment faux non plus.
— Je te revois quand ?
L’espoir dans ses yeux m’embarrasse. Il me fixe avec tellement d’expectative que je balance sans réfléchir :
— Tu sais jouer aux fléchettes ?
Même si ce n’était pas le cas, il aurait quand même accepté. Cette robe me donne l’apparence séduisante de mon rêve. Riley y est charmé mais s’y méprend, il s’en rendra vite compte.
Nous quittons nos places assises sous le cortège de nos aspirants et des nombreux regards persistants. Je m’abstiens de regarder derrière moi et m’efforce de ne pas me soucier de la main appuyée aux creux de mes reins. Ça me procure la pulsion d’envoyer un ultime message à Can.
[Tu avais raison. Encore. À vraie dire, il est prévisiblement sympa et prévenant. Mais ce que tu n’avais pas envisagé, c’est la main qui se balade dans mon dos à l’heure actuelle. Ah ! Et aussi que je mourrais de faim à la fin de ce dîner. Mais récemment, j’ai été dans un bar-restaurant le long de la côte où on accueille des clients tardifs😉]
Je remarque les trois petits points, le signal d’une réponse tapée par mon interlocuteur. Puis rien. Pas de message. Fin de la conversation.
Qu'est-ce qu'il m'a pris de lui écrire ça ! Comme si ça l'intéressait. Piquée au vif et fâchée contre moi-même pour en dire toujours trop, je bazarde mon portable dans mon sac.
— Tu es sûre de ne pas vouloir rentrer à la maison ? questionne mon amie.
Assise derrière le volant, Elly m'observe.
— Pas tout de suite. Si tu avais la gentillesse de me déposer quelque part, ce serait super.
— Pas moyen que je te laisse seule dans une tenue de gala digne de Victoria’s Secret.
— C'est un lieu public et je prendrais un taxi pour rentrer. J'ai du liquide, ne l’oublie pas.
Pas franchement convaincue, elle me conduit tout de même à l'adresse indiquée.
Le restaurateur se souvenait très bien m'avoir servi une bière la veille avec Can. Et comme les amis de ses amis sont les bienvenus, il m'installe à sa meilleure table en terrasse.
J'ai trouvé ce lieu tellement chaleureux avec ces guirlandes lumineuses, qu'il me tardait d'y manger. Mon estomac n'est pas rassasié et ces sardines sur la carte me font bien meilleures impressions.
Impliquée dans la dégustation de mon assiette, je ne prête aucune attention à ce qui pourrait se passer autour de moi. L'univers tout entier pourrait bien se dérober sous mes pieds, je terminerai ce plat.
— Pourquoi suis-je à peine surpris de te retrouver la bouche pleine ?
La voix de mon biker au fantasme défendu me provoque une fausse route mémorable. Pour couronner ce désastreux spectacle, une attaque cérébrale menace de stopper mes facultés mentales à l'entente de ces paroles à double sens.
Bien fait pour moi, le karma me fait payer mes pensées impures.
J'avale un grand verre d'eau et racle ma gorge. Quand je lève les yeux, je constate que mon malaise ne fait qu'agrandir son sourire.
— Tu n'aurais pas l'esprit mal placé, pas vrai ? Pas toi, Arizona...
Je retire ce que j'ai dit, je préfère arrêter de manger et laisser l'univers venir m'engloutir.
— Lust te passe le bonjour. Je peux m'asseoir ?
Plutôt que de lui poser la question qui me brûle les lèvres, à savoir ce qu'il fait ici, j'opine sans initiative ni réflexion. J'agis comme un automate, le visage figé par l'étonnement.
Sa façon silencieuse de me regarder tout en penchant sa tête sur le côté, caresse ma confiance en moi.
— Qu'est-ce que tu manges ? s'intéresse-t-il.
— Des sardines. Nul besoin d'argenterie pour les apprécier, c'est une cuisine toute aussi raffinée qui ne demande qu'à être choyée par des mains minutieuses. Tiens.
Frappé par mon audace peu habituelle, il entrouvre ses lèvres pour me laisser lui faire goûter mes doigts. Enfin les sardines. Les sardines sur mes doigts. Ce moment d'assurance ne dure pas longtemps. Je suis bien incapable d'avoir une totale maîtrise avec l'intensité de ses orbes. Et comme s'il me devait un geste en retour du mien, il me dégage une mèche de cheveux avec une telle retenue que je me demande réellement s'il m'a touchée.
— J'ai une proposition à te faire. Lorsque tu es venue à la maison, j'étudiais un projet de campagne sur mon ordinateur. Il m'a été confié la mission d'y faire les photos. Un service que je dois au dirigeant du projet. Une ancienne connaissance du temps où j'étais dans le métier.
Je cherche où il veut en venir.
— Je lui ai dit qu'une jeune française se portait volontaire pour en être l'égérie.
C’est une plaisanterie ! Je vais finir par véritablement m'étouffer avec mon malaise si je continue à le fréquenter.
— Mais... Pourquoi je serai l’égérie de quoi que ce soit ?
— Parce que, je dépenserai aucun centime en ne faisant appel à une agence de mannequins.
— Dans ce cas, demande à June.
— Le consommateur s’identifiera mieux à ton profil.
— Pourquoi ? C’est une campagne pour les pansements ? Une sensibilisation sur l’instinct de survie ? Ou peut-être un stage sur les premiers soins ? récriminé-je.
— C’est la faim qui te rend si grincheuse où la tchatche rasoir de ton prétendant ?
Il me décoche un sourire flambeur.
— Qu'est-ce que j'y gagnerai dans l'histoire ?
— Je t'aiderai avec ta liste de choses à faire. C'est un échange de bon procédé, Arizona. Alors, qu'est-ce que tu en dis ? Je t'apprends à surfer et tu poses pour moi ?
Ce message à Elly sur la nature de ses sentiments, je ne pensais pas qu'elle le ferais si rapidement. Après il est vrai qu'elle n'a qu'elle comme confidente.
Can est piqué de jalousie. Cela transparait dans les messages de prédilections qu'il envois à notre héroïne. et sa présence au restaurant ne fait que le confirmer.
Sacré binome
Qu'Arizona prenne conscience et accepte ok, mais je pensais pas qu'elle le dirait directe !!! J'adore Arizona me surprend :D
C'est assez drôle je trouve. Il y a quelques temps, elle "n'acceptait" pas la vision de la vie de Can ainsi que son attitude. Aujourd'hui le seul truc qui la dérange c'est que son voyage a une fin avec toutes les conséquences possibles sur une relation.
J'aime beaucoup ces changements, on voit bien l'évolution d'Arizona.
J'adore le résumé d'Ibrahim :D :D
C'est vrai que vu comme ça ....
Elly toujours dans la discrétion ^^ Faut pas trop lui en demander ^^
Hooo Ibrahim !! Quelles belles paroles ! Toujours ce côté un peu paternel <3
haha Arizona qui remballe sa jalousie parce qu'elle doit se concentrer sur le double date. La belle excuse ^^ Mais chérie, faut-il te rappeler que tu VAS à un double date avec UN AUTRE que Can ?? haha
J'adore Elly et ses analyses !
La petite jalousie d'Arizona qui pointe le bout de son nez <3
Roo pauvre Preston haha j'imagine bien la scène
Hooo ces petits messages par sms, je fonds !!
Je m'interroge tout de même. Son message sur ce qu'il va se passer. Est-ce uniquement ce qu'il pense de Riley ? Ou bien est-ce également ce qu'il ferait ? Totalement ou en partie ? ^^ Hum ...
:O :O le message d'Arizona lorsqu'ils quittent leur resto ! J'aimerai trop avoir la réaction de Can !!! Il doit être jaloux ! Le pauvre, je suis sûr qu'Arizona n'a même pas fait attention à ce qu'elle envoyé, puisque pour elle, c'est juste ce qu'il e passe.
Tu m'étonnes qui ne répond pas ! Soit il rage, soit il se prépare pour venir secourir notre Arizona de sa faim extrême.
Haaaaa mais c'étais sur !!! <3 <3 Rooo il est trop chou !
Bon la réaction d'Arizona, rien d'étonnant haha la pauvre elle s'y attendait pas ^^
J'adore ton passage pour sur ses doigts et les sardines !!! Typiquement Arizona
Hahaha Can est sans gêne ! J'adore !Et la réplique d'Arizona sur le type de campagne, mon dieu je rigole toute seule !
J'ai beaucoup aimé ce chapitre !! Le rapprochement tout doux et progressif de Can et Arizona.
ET j'adore (autant que ça m'énerve) de ne pas avoir le point de vue de Can et de toujours avoir des surprises sur son comportement, ses répliques, sa personnalité ^^
Je m'en rends tellement pas compte en l'écrivant, je m'étonne à chaque fois ^^
Cette espèce de phénomène sur ce ponton l'a frappé avec la violence d'une comète. Si elle n'en avait pas conscience avant, elle vient de prendre ses sentiments de plein fouet. :)
Je suis contente que tu abordes l'évolution d'Arizona, car c'est le point central de mon roman : l'émancipation.
C'est important pour moi de connaître votre ressenti sur la cohérence de son parcours.
Ibrahim ou la définition de la bonté <3
Elly est certainement l'un de mes meilleurs atouts dans cette histoire. Preston ne l'a remarque peut-être pas, mais mes lecteurs rendent toujours justice à cette femme si singulière ! :D
Tu commences à bien cerné Can. Comme quoi... Même sans être dans sa tête, il vous devient familier :)
Ce passage où il l'a rejoint, est un parfait exemple de ce qu'il aime provoquer chez elle : la surprise, le trouble, l'ambiguïté et la compagnie. C'est indéniable, il aime sa présence.
Merci infiniment pour tes retours si détaillés. Tes impressions à chaud. Ton humour et ta bienveillance <3