Deuxième fragment

Par la fenêtre de l’alcôve, elle pouvait voir le désert et ses vagues, qui roulaient paisiblement comme des nuages. Sa belle lumière était si douce, en comparaison de la brûlure qu’elle avait toujours ressentie chez elle. 

Ici, elle ne craignait rien. Ni le monde, ni ses habitants.

Les doigts du bébé qu’elle portait dans ses bras étaient minuscules, enroulés autour de son index. Il n’avait pas encore d’écailles comme son père, et sa peau bleue était douce contre celle du ventre nu sa mère. Sa queue de lézard, aussi petite que ses mains, s’agitait avec enthousiasme alors qu’il tendait sa paume libre vers le sourire de la jeune femme. 

Myria laissa échapper un rire attendri - et fondit aussitôt en sanglot.

Sehar la regarda avec surprise, ses grands yeux doux embués de larmes et d’incompréhension.

— Myria ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

Elle n’avait pas entendu Tsisco revenir dans la petite alcôve où ils avaient fait leur nid, au milieu de la Tour. Ses bras étaient chargés de vieux jouets, qui lui avaient appartenus et qu’il avait récupéré chez Ressa, une des kévriennes qui s’était occupée de lui enfant. Il s’en était brusquement souvenu, lorsqu’ils discutaient des petites dents pointues de leur bébé. Il avait aussitôt filé les chercher pour les faire tester à Sehar, et découvrir lequel de ses anciens trésors il préférait mâchouiller.

Tsisco les déposa tous sur le sol, et glissa jusqu’à elle avec inquiétude. La réponse à sa question était une évidence, mais elle se força à la faire sortir.

— Je- Je suis pas une bonne mère, sanglota-t-elle.

Il posa ses mains sur ses joues, et caressa ses oreilles pointées vers le bas avec douceur.

— Hey, dis pas ça, Sehar a de la chance de t’avoir comme maman, tu sais ! Et puis moi aussi, j’ai de la chance, c’est pas tout seul que j’aurais été capable de faire un aussi joli petit bout de lézard.

Il lui adressa un de ses sourires malicieux qui la faisait toujours rire ou lever les yeux au ciel, et chassait immanquablement ses peurs et ses incertitudes. Mais cette fois-ci, elle secoua la tête, et renifla ses larmes, alors que le bébé serrait son doigt encore plus fort, sans avoir cédé à ses sanglots.

— C’est pas… Pas avec lui. Avec…

Les mots s’étranglèrent dans sa gorge, et elle ne réussit pas à croiser le regard bleu de Tsisco lorsque la suite se déversa brusquement hors de ses lèvres.

— J’avais une fille, avant. Et je l’ai laissée, Tsisco. Je l’ai laissée… Quelle bonne mère ferait ça ?

— Une fille ? répéta doucement le kévrien.

— J’avais si peur, je n’étais pas prête, et tout était… tout était si horrible là-bas. Il a rendu tout atroce…  Mais je pense à elle tous les jours… Et pourtant je suis partie sans elle. Je peux pas être une bonne mère pour Sehar, pas après avoir fait ça, je peux pas, j’y arriverais pas !

L’estomac tordu de douleur, elle tendit le bébé lézard vers Tsisco, pour qu’il le prenne, pour qu’il le lui arrache, pour qu’il le lui confisque - elle l’aurait mérité, après tout. Elle n’aurait jamais dû l’avoir, pas après ce qu’elle avait fait. Elle ne méritait plus rien. Pas ses mains minuscules, pas sa peau douce, pas sa petite queue et ses gloussements joyeux.

Mais Tsisco laissa Sehar dans ses mains, et se rapprocha d’elle pour les serrer tous les deux dans ses bras. Quand elle osa enfin croiser son regard, elle n’y vit aucune horreur, aucune déception, aucune colère. Il posa son front contre le sien, et Sehar poussa un cri joyeux avant d’agripper ses parents chacun avec une main. 

— Dis-moi tout, et on trouvera ce qu’il faut faire.

Myria hoqueta encore, puis acquiesça.

— On peut commencer par le plus simple, continua Tsisco. Comment elle s’appelle ?

Elle sourit, le coeur serré, et prit une légère inspiration avant de renifler ses larmes.

— Nodia. Elle s’appelle Nodia.