Dernier toast

Par tiyphe
Notes de l’auteur : Je me suis encore plus laissée emporter pour celui-ci, me rappelant mes soirées étudiantes et mes groupes d'amis :3
J'espère ne pas vous perdre avec les prénoms et ne pas avoir raconté n'importe quoi sur Madagascar et la physique quantique xD
Bonne lecture o/

Enfin le samedi soir. Je l’attends depuis dimanche dernier. Toutes les semaines, je n’ai qu’une envie : être samedi soir. C’est le meilleur moment. C’est notre instant de partage. On refait le monde, on en invente un meilleur. On débat sur nos idées qui nous paraissent être les meilleures alors qu’on n’a que vingt ans et quelques. Personne n’est là pour nous dire que nous avons tort, à part nous-mêmes et souvent l’alcool.

J’ai passé l’après-midi à réviser lorsque je n’étais pas en train de cuisiner pour ce soir. Je sais qu’on va me dire encore que j’en ai trop fait, mais j’y peux rien. J’adore faire plaisir à mes amis avec mes petits plats. Et finalement, ils ne sont jamais vraiment mécontents. C’est tout de même meilleur que ce qu’achète Agnès chez Picard.

Ce soir, on a décidé de faire un apéro dinatoire. Je crois surtout que Willy et Kilyan ont eu la flemme de préparer alors que c’est leur tour. On est six et toutes les semaines c’est un binôme différent qui invite et cuisine le plus gros. C’est facile pour Willy et Kilyan qui sont en colocation. Pareil, Myriam et Gabriel habitent ensemble depuis cette année. Mais Agnès et moi avons notre appart chacun donc on alterne une fois sur deux pour le lieu et c’est clairement moi qui m’occupe de ramener un petit quelque chose ou de cuisiner quand c’est notre tour.

Je n’y peux rien, c’est dans ma culture de ne pas arriver les mains vides chez quelqu’un. Je suis Malgache et mes parents m’ont appris les us et coutumes de Madagascar. Venir avec un plat à une soirée en fait partie. En général, je m’occupe du dessert. Ça peut être de simples salades de fruits en été ou alors des beignets de bananes. Ce que je préfère, c’est les beignets de tapioca ou de manioc. On appelle ça des mofo mangahazo.

Myriam et Agnès se moquent de moi. Pour elles, le manioc c’est une « pauvre plante que les aventuriers de Koh Lanta mangent pour survivre sur leur île ». À chaque fois, tout le monde rigole à cette blague, même moi. J’ai regardé cette émission par curiosité une fois. La production cache bien du manioc sur l’île pour les participants. Mais pour moi, c’est un aliment de base à beaucoup de plats malgaches. Maintenant qu’ils sont habitués et qu’ils trouvent ça bon, mes amis ne se moquent plus que pour la blague qui est restée entre nous.

Je vérifie mon dernier théorème. Une petite relecture demain après-midi suffira pour le devoir de lundi. Et s’il faut, j’irai aider Willy qui a un peu de mal en ce moment. Il s’est fait larguer deux fois en deux mois et ça commence à faire beaucoup pour ce petit cœur tout sensible. Un jour Agnès m’a demandé si je n’avais pas un crush sur Willy, mais je ne pourrai pas supporter son mauvais caractère au quotidien. Je pense que je finirai par le larguer comme Charlotte et Bastien viennent de le faire.

Mes petits muffins au kiwi et au citron sont prêts dans le sac cabas. J’y ajoute quelques biscuits à la cannelle que j’ai faits avec le trop-plein de pâte que j’avais. Je sors de mon placard une bouteille de rhum qui sera accompagné de jus de fruit ou de soda selon les goûts. Je le préfère pur, mais il parait que je ne suis pas saoul assez vite parce que je le déguste. 

Moi, ça me fait rire de voir mes amis ivres, Gabriel perd sa timidité et s’impose plus face à sa copine, Myriam. Kilyan se met souvent à parler politique alors qu’il n’y comprend rien. Willy dévore des yeux Agnès ou Myriam ou Gabriel ou Kilyan ou moi. Ça dépend des soirs. On lui a tous mis un stop une fois, je crois. Ce garçon est vraiment en manque d’amour, mais on ne peut pas l’aider plus que l’amour qu’on lui offre déjà en étant son ami. Enfin, quand on arrive à ce stade de la soirée, je range ma bonne bouteille et me sers dans les rhums bon marché pour finir dans le même état que les autres.

Le réveil est toujours compliqué, mais on est ensemble et c’est ce qu’on aime. D’ailleurs, il faut que nous profitions ce soir puisqu’après ce sera les vacances scolaires et chacun de nous rentrera dans sa famille pour Noël. Et nous remettrons ça le 31 décembre pour le réveillon. Je vérifie une dernière fois mes affaires. C’est bon, je peux y aller. 

Je sors dans le frais, emmitouflé dans quinze couches de vêtements. Je déteste l’hiver en France. Il fait vraiment trop froid. Heureusement, Gabriel m’a offert un bonnet l’année dernière. Je me demande qui va me faire un cadeau cette année. On se les échange pour le Nouvel An sans connaître à l’avance la personne qui nous l’offre. J’ai Agnès cette année pour la troisième fois consécutive. Je suis un peu à court d’idées.

Kilyan et Willy habitent à deux rues de chez moi, ce qui est bien pratique. Je marche assez vite et sonne à leur interphone. Lorsque j’arrive dans leur appartement, je suis le dernier. C’est assez rare, souvent on attend Myriam et Gabriel assez longtemps. Willy suppose qu’ils font l’amour avant de venir pour ne pas être tentés pendant la soirée. Je ne comprends pas du tout le raisonnement, mais c’est sûrement parce que je n’ai jamais connu de relation sexuelle.

Au début, mes amis me trouvaient bizarre par rapport à ça. La plupart n’étaient plus puceaux depuis de longues années et certains ont même eu des expériences plus ou moins exotiques. J’aime bien quand ils en parlent, ça m’amuse. J’ai l’impression de découvrir ça par leur biais. Intérieurement, je prends des notes sur ce qu’aiment les femmes et les hommes. Des fois, ça se rejoint et d’autres, non. C’est étonnant puisque tout le monde n’aime pas forcément la même chose. 

J’ai l’impression de potasser la théorie à fond, comme pour le théorème de Pythagore au collège. J’étudie chaque possibilité. Je pose des équations à plusieurs inconnues. Ces variables peuvent être complètement différentes d’une personne à l’autre. Je visualise dans ma tête en sachant que je ne passerai peut-être jamais à la pratique et cela m’importe peu, c’est comme un théorème qu’on apprend bêtement. Finalement, mes amis s’y sont faits. Ils m’aiment comme je suis.

— Vous aurez ta renibeny cette année ? me demande Agnès en me sortant de mon flot de pensées.

— Attends, je ne sais plus, ne me laisse pas répondre Kilyan qui commence à avoir un coup dans le nez. Renibeny c’est pour ta grand-mère paternelle ou maternelle ?

— Ralentis l’alcool Kil, rigole Willy. Tu poses la question chaque samedi, je crois.

— Et à chaque fois, on te dit que grand-reny c’est paternelle et renibeny, maternelle, rappelle Myriam.

— Retiens : l’homme est grand, ricane Willy avant de prendre une baffe de la part d’Agnès.

Celle-ci se retourne de nouveau vers moi et m’invite à répondre d’un signe de tête. Je crois que malgré ses goûts Picard, c’est une de mes amies les plus proches. Elle s’intéresse souvent à moi et m’écoute toujours. Je lui réponds alors que ma renibeny est à Madagascar cette année. Une de mes tantes va accoucher fin décembre et ma grand-mère veut y être comme c’est sa fille cadette qui va avoir son premier enfant.

Les petits fours partent rapidement tout comme l’alcool. Ça y est, Gabriel vient de dire non à un ordre de Myriam. C’est amusant, parce que nous avons tous remarqué que malgré ses airs durs de femme dominante, Myriam aime quand son chéri lui dit non. Bon bien sûr, elle préfère quand il fait tout ce qu’elle dit, mais on voit bien que la résistance, ça lui plait. Il y a cette lueur dans ses yeux à cet instant. Je crois que c’est de l’excitation. Si on n’était pas là, les amoureux se sauteraient dessus.

Kilyan vient de se lancer dans les élections américaines. Elles sont terminées depuis deux mois, mais il veut encore en parler. Il raconte des inepties et tout le monde rigole sauf Agnès qui essaie de lui faire comprendre qu’il est limite dans certains propos.

— Laisse tomber, je lui glisse en même temps qu’un plat de toast au chèvre fondu.

Elle bougonne et j’aime bien quand elle fait cette tête. Elle me prend l’assiette et remarque en même temps que moi son contenu. Il n’en reste plus qu’un. Le dernier toast.

— STOP, nous crions en cœur. 

Tout le monde sursaute sous nos rires. Les autres découvrent alors la raison de notre arrêt. Nous avons une tradition. À chaque dernier dans un plat partagé, nous devons nous battre pour pouvoir le récupérer.

— Bon déjà, Gabriel est hors compet’, s’exclame fort Willy qui se lèche les babines. C’est du fromage.

— T’inquiète, je lorgne le saucisson depuis une demi-heure, frère. Mon tour viendra.

On est donc cinq. On se regarde dans les yeux. La bataille va commencer. Ça tombe bien que Gabriel ne joue pas, il va pouvoir lancer le round 1. Sinon, on fait à la courte paille. Il va lancer un mot et on doit tous dire à quoi ça nous fait penser. Ceux qui ont un mot en commun sont éliminés.

— OK, j’en ai trouvé un pas mal, s’amuse Gabriel en se redressant dans son siège. Celui-là est pour toi, ma chérie.

J’ai vu Myriam rougir, elle est aux anges. Kilyan et Willy ont crié « favoritisme », quant à Agnès et moi on est concentré comme jamais.

— Quantique ! lance Gabriel avant de faire le décompte. Trois, deux, un, GO !

La physique quantique est effectivement le sujet de prédilection de Myriam. Sans surprise, elle sort le nom Plank sans avoir réfléchi. Mais le père de cette science née au XXe siècle ne la sauve aucunement puisque Kilyan donne la même réponse. Agnès m’étonne avec le mot nucléaire qui est accepté et Willy sort physique. C’est discuté, mais finalement validé. Je m’en sors avec un facile énergie. 

Pendant que Myriam et Kilyan boudent et grognent face à leur élimination. Gabriel choisit son second mot. « Hélicoptère » a eu le mérite de perdre Willy qui n’était pas prêt et n’a pas donné sa réponse au GO. Agnès répond « hélice » et moi « sauveteur ». C’est validé. On a continué plusieurs rounds comme ça, mais à deux c’est facile de sortir des mots différents.

Myriam nous arrête finalement, sûrement un peu lassée.

— C’est seulement si vous le voulez bien tous les deux, mais je vous propose de partager le dernier toast. Sinon Gabriel va finir par louper le dernier saucisson lui.

J’ai regardé Agnès et on s’est mis d’accord. Le partage aussi est une tradition. Je l’ai laissé mettre la moitié du toast entre ses dents et je me suis approchée d’elle. Sous les rires de nos amis, nous avons croqué dedans en même temps tandis que nos lèvres se sont frôlées. Je crois que je me suis mis des miettes partout sur mon tee-shirt pendant que j’éclatais moi-même de rire.

J’adore nos samedis soirs. Et nos jeux débiles. Et mes amis.

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charleaute.c
Posté le 19/11/2020
Tiyphe,
Je te rassure, tu ne m'as pas perdue avec les différents personnages.
Ce récit rappelera à tous ses lecteurs beaucoup de souvenirs.
Chacun peut se retrouver dans les différentes anecdotes.
Bon, et puis avec la période actuelle, on ne peut que se dire que ce genre de moments est chouette.
Merci pour la nostalgie que ton récit entraîne.
tiyphe
Posté le 19/11/2020
Ah super que je ne t'ai pas perdu ahah !
Je me suis bien amusée à me souvenir de mes années d'étudiantes avant le boulot et avant le covid surtout ! C'est clair que ce genre d'ambiance manque !
Merci à toi pour ton commentaire !
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