Couleur menthe à l'eau - Eddy Mitchell

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/CCYN79b6_ks

J’avais 12 ans. C’était les vacances d’hiver, mais pour une fois nos habitudes changeaient. Je ne sais plus exactement pourquoi, mais il n’était pas question d’aller passer du temps dans la famille sarthoise de ma mère. À la place, mes parents avaient décidé de partir dans le Jura, louer un gîte pour la semaine avec des amis à eux et bien entendu, avec les enfants de tout le monde.

 

Même si la route changeait, le trajet était sensiblement identique. Nous étions encore une fois, avec mon frère et ma sœur parqués et serrés sur la banquette arrière entre les coussins et les valises. Nous étions presque grands, donc nous avions appris à nous tenir tranquilles et faire silence jusqu’à ce que le temps passe. Mais toujours, pour trahir l’ennui, ma mère fouillait dans sa collection de CD avant d’en sélectionner un à nous faire découvrir. Et cette fois-là, peut-être que mon père avait eu son mot à dire ? Elle avait choisi un album best of d’Eddy Mitchell.

 

Ce n’est pas vraiment ma génération, donc je peux me tromper. Mais en écoutant mon père et d’autres pères d’amis, j’ai cru comprendre qu’il y avait une guerre d’admirateurs entre les deux amis, Eddy Mitchell et Johnny Hallyday. Il y aurait chez le premier de meilleurs textes, écrits par lui-même, là où il y aurait plus de puissance d’interprétation chez le deuxième. La guerre est si intense qu’il se fallait de choisir un camp : on ne peut écouter que du Eddy ou que du Johnny, interdiction à la demi-mesure. Alors, désolé par avance si vous vous attendiez à tomber un jour sur une Musique Capsule dédiée à Johnny, pour son impact dans la musique qui aurait dû me marquer à un moment ou un autre de ma vie. Mon père avait choisi l’autre camp.

 

Il avait acheté des DVD de concerts, pour me montrer à quel point les instrumentistes cachés dans le fond étaient exceptionnels. Il m’avait constamment parlé du chant, de l’instrumentation et du fond des chansons d’Eddy Mitchell comme quelque chose d’incomparable à celui qui s’était toujours fait écrire pour lui. Mais jusque-là, j’avais écouté d’une oreille distraite. Je pense que je n’aurai même pas pu reconnaître son nom. Je ne me sentais pas concerné par la guerre. L’album tournait, alors que je regardais avec lassitude la fenêtre au ciel gris de la voiture. J’écoutais sans vraiment écouter : c’était le seul son qui enveloppait le véhicule, couvrant presque le bruit du moteur. L’ambiance entre le blues et le rock de la plupart des chansons qui défilaient me rendait comme triste. Ou peut-être, nostalgique ? Mais comment aurais-je pu être nostalgique, sans raison, de quelque chose que je n’avais jamais connu ? Puis est arrivé « Couleur menthe à l’eau ». J’ai immédiatement arrêté de faire semblant d’écouter. Sans le sentir, je me suis redressé en bousculant ma sœur à côté de moi.

 

Je ne sais pas ce qui a pu me parler dans cette chanson. Je n’avais jamais été amoureux de personne, à cette époque. Qu’est-ce que je pouvais en comprendre, de la couleur menthe à l’eau ? Et de ce que ressentait ce chanteur qui était invisible à ses yeux ? Pourtant, j’étais subjugué. Le rythme lent évoquait la nonchalance des mouvements de la jeune fille. Le piano créait la scène de la chanson : le bar, le jukebox, le flipper, le billard. Tout me paraissait clair, limpide. Je voyais ce que j’entendais. Mon ennui s’évapora immédiatement. J’aurais souhaité que la musique dure encore, dix minutes ou peut-être une heure de plus. C’était peut-être le propre de l’amour : aimer sans pouvoir comprendre ni pourquoi ni comment poser des mots pour le décrire. Le CD continua de faire défiler les succès d’Eddy Mitchell et quand il se termina, je demandai à ma mère de le remettre à son début. Curieusement, il n’y eut aucune protestation. Alors, je comptais les chansons avant « Couleur menthe à l’eau ». Elle était la septième de la compilation, plus que six, plus que cinq… Pour être sûr, je comptais sur mes doigts. Cela ne m’empêchait pas d’écouter et d’apprécier les autres, mais j’attendais celle qui se présentait sur le bout de ses talons, comme une star de cinéma dans un film noir. Celle pour laquelle j’étais tombé sous le charme.

 

J’avais toujours un iPod contenant l’intégralité de la bibliothèque musicale de mes parents. Pour le reste de la semaine, je passais mon temps avec mes écouteurs. Je laissais tourner les chansons d’Eddy Mitchell, elle et les autres. Leur ambiance m’apaisait. Nous étions dans un gîte en bois, comme une vieille maison de montagne, qui avait sa cheminée pour centre de salon, avec laquelle il était facile de cuisiner. Et même si les chansons d’Eddy semblent loin du cachet des chalets rustiques et de la neige d’hiver sur les monts du Jura, les deux mondes ont fusionné pour en créer un seul. J’ai, depuis, une Musique Capsule à la senteur des vacances, au craquement du parquet sous mes pas alors que je mimais les paroles à l’ambiance entre le blues, le rock et le jazz qui plaisait tant à mon père et qui désormais, me parlait également. Une Capsule unique qui me restera toujours à l’écoute ou à la vue de la couleur menthe à l’eau.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez