CONTRECOUP

Notes de l’auteur : Septième chapitre

Je me suis réveillé les membres douloureux comme si j’avais repeint un appartement la veille. Je me suis relevé et me suis accoudé sur le bord du lit. Je ne me souvenais pas d’avoir un lit si grand. Ni de porter des boucles d’oreilles non plus. J’avais dû faire une sacrée fiesta, hier, car je ne me rappelais plus de rien. Seulement d’un rêve. Un rêve fou. Dans lequel je possédais la belle Hélène. Je volais, je lui faisais l’amour en apesanteur et elle me disait qu’elle n’avait jamais connu un amant comme moi. C’est surtout cette dernière phrase qui me confortait dans l’idée qu’il s’agissait bien d’un rêve. Et puis j’ai entendu dans le désordre : une douche, une voix féminine qui chantonnait, le sifflement d’une machine à café, un marteau-piqueur, je n’ai pas le souvenir de travaux en cours dans ma rue, de la musique à la radio, je n’ai pas de radio ! et enfin une voix d’enfant qui disait en substance : « Maman, j’ai faim ! ». Je me suis levé d’un bond et je me suis recouché aussitôt car j’étais totalement nu. Où avais-je mis mon pyjama ? Réfléchissons. C’était décidément plus qu’une simple cuite. Je regardais autour de moi. Je ne reconnaissais rien vu que je n’étais pas chez moi. Et si je n’étais pas chez moi, c’est que j’étais chez quelqu’un d’autre. Cher Lapalisse, si tu n’avais pas existé, il aurait fallu t’inventer. Mais chez qui ? Une maman à priori. Mais quelle maman ? Et puis dans l’encadrement de la porte, elle apparut, enveloppée dans une sortie de bains que je trouvais immédiatement sexy bien qu’elle fût en gros coton peigné. A l’intérieur de la sortie de bains, il y avait Hélène. Elle tenait dans ses bras un gamin de 2 ou 3 ans pas plus. Je manquais de suffoquer et je devais avoir l’air ahuri car Hélène éclata d’un grand rire.

- Et bien, je vois que je te fais toujours de l’effet. Ça fait plaisir.

- Tu ne peux pas savoir à quel point.

- Tu as passé une bonne nuit ?

- Oui.

- Je te présente Ben. Tu ne l’as pas bien vu, parce qu’il dormait. Ben, tu dis bonjour à Denis ?

- Bonjour Dinis.

- Bonjour Ben.

- Tu viens prendre le petit déjeuner avec nous ?

- Heu… oui. Il faut juste que je remette la main sur mes affaires…

- Elles sont sur la commode.

- Vu. J’arrive.

Je restais seul, immobile sur ce grand lit à me demander si j’étais encore en train de rêver. Et puis l’odeur du café chaud remonta jusqu’à mes narines et je décidais de vivre ce rêve jusqu’au bout. Je verrais bien jusqu’où il me conduirait.

Il me conduisit, dans un premier temps, à la crèche où Hélène déposait le petit Ben chaque matin. Quand nous arrivâmes devant l’établissement, d’autres adultes entraient tenant par la main leur progéniture. A l’intérieur, le piaillement était à la limite du supportable et l’on avait du mal à concevoir comment on eut pu tenir une journée, voir seulement même quelques heures, dans un tel brouhaha. On avait l’impression d’être dans une volière puissance dix. Ben avait l’air assez à l’aise au milieu de « son monde ». Contrairement à la plupart des enfants, il affichait déjà une sérénité impressionnante pour son jeune âge, un calme presque olympien qui dénotait déjà chez lui d’un caractère bien trempé. Le regard qu’il posait sur les choses et les êtres semblait rempli d’intelligence et de bon sens. Ben ne semblait pas être du genre à pleurer pour tout et n’importe quoi. Dans ses yeux d’enfant on sentait déjà la volonté et la détermination. Aussi fut-il un des rares à ne pas être perturbé par l’intervention de la grosse dame en mauve. Cette dernière entra comme une furie dans la salle et se mit en devoir de soulever chaque enfant, presque à les secouer, comme si elle voulait voir s’il n’y en avait pas un caché dans les poches d’un autre. Les enfants, affolés par cette apparition se mirent à pleurer de concert. La femme, elle, cherchait sa petite fille partout sans succès. Après une période de complet découragement, elle prit à partie une jeune maîtresse lui reprochant son incapacité. Puis, elle l’insulta et en vint carrément aux mains avant de s’apercevoir qu’elle s’était trompée de crèche. La grosse femme s’excusa à peine et sortit, déplaçant avec elle un volume d’air en proportion relative à la masse susnommée et claquant la porte avec une violence appréciable sur l’échelle de Richter. Sympa les crèches à Paname. Hélène déposa le petit Ben, calme comme un lac suisse. Elle allait à un casting, puis avait rendez-vous avec son dentiste dans l’après-midi. Je lui fis un petit bisou sur les lèvres et je rentrais chez moi.

C’est seulement une fois seul dans mon petit studio que j’eu ce qu’on appelle un « contrecoup ». Je me suis mis, dans le désordre, à chialer, crier, bouffer n’importe quoi, prendre un bain brûlant, appeler à l’aide, me cogner la tête contre les murs, jeter ma télé aux ordures, écouter de la musique à fond sur mon baladeur, appeler ma mère, fumer mon stock d’herbe et puis après je crois que je me suis écroulé. Quand j’ai refait surface 72 heures plus tard, j’étais plus le même mec.

Déjà, j’avais perdu mon boulot vu que j’avais planté deux représentations. Mon répondeur débordait de messages d’insultes du metteur en scène et de la production, mais aussi de messages d’Hélène qui se demandait pourquoi j’avais abandonné le spectacle. Mais tout cela me passait par-dessus la tête. J’avais vécu une expérience mystique. Une expérience ultime et je n’avais qu’une envie, c’était que cela se reproduise. Je voulais me fondre de nouveau dans cette noirceur ouatée et observer ma vie en silence. J’étais désemparé au début, mais ce que j’avais ressenti ensuite avec Hélène était tellement fantastique que j’aurais tout donné pour revivre ces instants.

Je cherchais le téléphone, et je le retrouvais à la place du pommeau de douche. J’avais dû prendre une douche avec le combiné. Logique. Je remettais le pommeau à sa place et j’optais pour la solution jet d’eau glacé et tonifiant. Avec les yeux un peu plus en face des trous, j’y voyais plus clair mais ce n’est pas pour autant que je retrouvais tous mes esprits. Déjà, je ne savais pas que j’en avais plusieurs des esprits. A cet instant, un seul m’aurait grandement suffi. Mais bon. J’arrivai néanmoins à prendre la décision de m’habiller pour sortir. Entre la prise de décision et le moment où je me retrouvais dans la rue, il s’était quand même passé plusieurs heures, mais il y avait de l’amélioration. J’étais dehors, soit. Mais pour aller où ? Aucune Idée. J’avais juste besoin de prendre l’air, de marcher sans but et sans me poser de question. Je crois que j’attendais ce qui allait suivre. C’est pour cela que lorsqu’elle se coula en moi je fus à peine surpris. Je compris instantanément ce qui arrivait. Et j’en étais ravie. C’était elle, elle reprenait le contrôle, elle aussi avait dû aimer ce qu’elle avait vécu et elle n’avait pas l’intention d’en rester là. Et elle n’avait pas l’intention non plus de me demander mon avis. Mais je m’en foutais royalement. C’était bien pour moi. J’avais encore envie de vivre ça au moins une fois. De nouveau je me sentis comme happée par du moelleux, entourée de ouate silencieuse avec une impression de flottement sidéral. Je me sentais bien. J’étais heureuse de suivre de nouveau mon ombre incarnée, ma silhouette de graphite. Sans le moindre sentiment de culpabilité ou de révolte, je me laissais voluptueusement guidée au rythme de ses décisions et de ses envies.

 

Vous aurez peut-être remarqué, pour les plus perspicace ou pour les pointilleux de l’orthographe, que depuis un moment je parle de moi au féminin. Oui, je profite de cette parenthèse pour vous livrer un peu mes états d’âme concernant ma perception en tant qu’individu. « Individu ? » Je ne sais même plus ce que je suis. Je sais que j’appartiens au genre féminin et c’est là où je veux en venir. Désolée de vous prendre en otage avec mes histoires, mais vous êtes les seuls à m’écouter en ce moment. Donc, voici où je veux en venir. Je ne sais pas ce qui est le plus étrange dans tout ce que je vis. Être une ombre et être ballottée, trimballée comme la plus docile des esclaves à l’insu de mon plein gré dans cette solitude ouatée comme je l’ai déjà dit un peu plus haut ou bien me sentir femme ? Parce que les gars, être une femme, vous ne pouvez même pas imaginer ce que c’est. Sensibilité, intuition, prémonition, irrationalité, mystère. Pour la première fois, je me sens vraiment femme.

 

Dans les mois qui suivirent, l’ombre se substitua à moi de plus en plus fréquemment. Incarnée, elle multipliait les expériences, vivait sa vie d’être humain, suivait son instinct, osait des choses que je n’aurais jamais osé entreprendre moi-même. Petit à petit, j’avais l’impression qu’elle faisait de moi un être meilleur, plus complet. Moi, je me nourrissais secrètement de ses extravagances, les faisant miennes à chaque fois que je réintégrais mon corps. Drôle d’impression. C’était comme une naissance. Ou plutôt une renaissance. Chaque nouvelle étape me remplissait d’audace et de confiance. Mais ce n’était pas un échange unilatéral. Mon ombre aussi en tirait bénéfice. Elle vivait ! Elle qui n’avait toujours été qu’absence était devenue présence. Aussi radicale que de passer d’une vie de poisson à celle de mammifère. Elle avait réussi à me décrocher le rôle principal dans la pièce de Vincenti. Trois mois de représentation au théâtre de la madeleine… dans le subventionné s’il vous plait. Subventionné et Madeleine, deux mots que je n’aurais jamais pu imaginer inscrire un jour dans mon CV. Rapidement, et en grande partie grâce à notre prestation, la pièce prolongea et fut nominée aux Molière. Tout s’était enchainé si vite, que je n’avais pas eu le temps de mettre de l’ordre dans ma vie.

Et pour commencer, régler l’affaire Tartinelli. Je le trouvais comme d’habitude, pendu au téléphone avec un de ses « protégés » dans un échange assez musclé concernant des histoires de droits Internet. Il raccrocha en colère, mais sa mine renfrognée changea aussitôt quand il m’aperçut.

- Denis ! Enfin un rayon de soleil dans cette journée maussade. J’ai un truc pour toi. Enfin un truc… plein de trucs ! Ça tombe de partout, Denis. C’est la folie. Regarde ! Il attrapa fébrilement plusieurs post-it disséminés de-ci delà au milieu du foutoir qu’était son bureau et les exhiba triomphalement. Une pub, un événement dans un super marché, une autre pub… et ça, c’est… c’est quoi déjà…?

- Joseph !

- Attends, attends ! Tu vas voir, ça c’est du lourd.

- Joseph !!

- Quoi ?

- Je ne suis pas venu pour ça. Je voulais te dire que j’arrêtais.

- Tu arrêtes ? Le métier, tu veux dire ? Mais tu es fou, c’est maintenant ! C’est parti. Tu es sur les rails. C’est ce qu’on attendait toi et moi.

- Non, Joseph. Je parle de notre collaboration. C’est fini.

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Nous deux c’est fini, Joseph. Il est temps de tourner la page. J’ai une autre proposition et elle me semble mieux servir mes intérêts dans l’évolution de ma carrière.

Cela lui fit l’effet d’une douche froide.

- Je ne comprends pas, Denis. J’ai toujours été sympa avec toi. Je t’ai toujours soutenu, je t’ai toujours aidé. Tu me jettes ta carrière au visage. Mais tu me dois une partie de ta « carrière ». Tu ne crois pas ? Cette pièce à laquelle tu dois ton succès et tous les succès à venir, elle n’est pas tombée du ciel.

- Je ne dis pas le contraire, Joseph et je te remercie du fond du cœur… d’avoir fait ton boulot. Mais je te ferais remarquer que tu as été plutôt bien payé avec cette pièce. 

- Ce n’est pas qu’une question d’argent.

- Si, Joseph. Avec toi, ça a toujours été une question d’argent. Et je ne te le reproche pas. C’est ton boulot. Mais maintenant, je veux passer à autre chose.

- Petit salopard.

Je fis comme si je n’avais rien entendu.

- Je te remercie pour tout ce que tu as fait, mais je ne te dois rien. Absolument rien. Tu as été grassement rémunéré et si je peux me permettre une petite parenthèse ce que tu as touché a largement compensé tes « années » d’efforts.

- Je ne te reconnais pas, Denis. Tu as changé. Tu ne peux pas me faire ça.

- Non seulement je peux, mais je vais !

- Je vais te foutre un procès au cul pour rupture de contrat ! Il tapa du poing sur son bureau.

- Bonne chance avec ça. Et mon contrat est arrivé à son terme il y’a deux semaines. Si tu n’étais pas aussi bordélique, tu t’en serais déjà aperçu. Je le dévisageais. Son visage était devenu cramoisi et il s’était imperceptiblement enfoncé dans son siège. Mon conseil ? Investis dans une secrétaire. Avec tout le fric que tu m’as pompé cette dernière année, tu peux te le permettre et ça t’évitera ce genre de déboire à l’avenir.

- Va te faire foutre, Denis !

Je me retournais une dernière fois sur le pas de la porte.

- Toi aussi, Joseph. Sincèrement.

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