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Notes de l’auteur : Quatrième chapitre

Après l’épisode de la réunion Tupperware, j’étais resté en observation à l’hôpital pendant deux jours avant de rentrer chez moi. Deux jours de repos complet où on m’avait mis sous perfusion. J’en avais profité pour dormir comme une bête. Je ne me souvenais pas de ces deux jours, mais j’étais complètement reposé. Ce que m’avait raconté Richard et ma mère m’avait glacé d’effroi. J’avais bien sûr aussitôt fait le rapprochement entre ce qui m’était arrivé et les événements mystérieux qui émaillaient ma vie depuis plusieurs jours. Maintenant, j’étais persuadé d’être un mutant. Il y avait un autre moi-même à l’intérieur de moi ! Un autre moi-même, mais version monstrueuse. Une entité qui le jour venu allait déchirer mon corps et s’en extirper avant de répandre sa malédiction sur la terre. J’avais lu une BD comme ça un jour. Je me demandais si j’avais un quelconque pouvoir de maîtriser cette chose. Si seulement j’avais pu contacter les X-MEN et le professeur Xavier. Mais les X-MEN n’existaient pas. C’était de la science fiction. Pourtant mon corps avait subi d’étranges phénomènes. Le médecin qui m’avait ausculté aux urgences avait simplement évoqué une forme d’éléphantiasis instantané et auto résorbant, seule explication selon lui à cette augmentation considérable de certaines parties de mon corps. Il m’avait demandé si j’avais fait un récent voyage dans un pays intertropical, la cause majeure d'éléphantiasis étant la filariose lymphatique transmise par les moustiques. J’avais répondu que le pays le plus éloigné où je m’étais rendu, c’était la Suisse et il n’avait pas insisté. Par acquis de conscience, j’avais tapé éléphantiasis sur Google. L’horreur ! Les photos des déformations crées par cette malformation du système lymphatique étaient absolument choquantes. J’en frissonne encore.

Je repoussai les couvertures et me traînai péniblement jusqu’à ma fenêtre. Dehors, les nuages étaient bas et lourds. L’atmosphère semblait chargée d’électricité. Je suai comme une motte de beurre au soleil. Ma gorge était sèche. J’avais besoin de boire quelque chose. J’allais jusqu’à la salle de bains et fit couler le robinet jusqu’à ce que l’eau soit suffisamment fraîche à mon goût. Du creux de la main, je recueilli le frais liquide et après m’être désaltéré, je m’en aspergeai le visage abondamment. Tout en m’essuyant, j’observai longuement mon visage devant le miroir. Je m’attendais à voir ma tête enfler, mes yeux sortir de leurs orbites et ma bouche s’ouvrir de manière démesurée pour y laisser apparaître une autre tête. La mienne, mais déformée, hideuse. Je frissonnai. On m’avait conseillé de m’adresser à un spécialiste. Un exorciste, oui ! Car c’était clair comme de l’eau de roche. J’étais possédé.

Comment fait-on pour dialoguer avec une chose qui est à l’intérieur de soi ? Je n’allais quand même pas me frapper la poitrine jusqu’à ce qu’une voix me dise d’entrer ? Je me palpais sous toutes les coutures, examinais chaque recoin de ma peau devant et derrière. Il y avait peut-être une ouverture, une sorte de fermeture éclair que j’aurais ignoré jusqu’à présent ? Je regardais encore une fois mon corps. Particulièrement mon épaule gauche. Celle que ma mère avait vu doubler de volume. Pourtant, elle n’avait rien d’exceptionnelle cette épaule. Elle était même plutôt chétive. Alors que j’allais la remuer, Je surpris un mouvement dans le reflet de la glace. Je n’avais pas bougé, ça, j’en étais sûr. Ce mouvement, ce n’était pas le mien. J’avais haussé les épaules, mais ce n’était pas mon geste. J’avais bien pensé le faire, mais le mouvement avait, en quelque sorte, devancé mes pensées. Cette découverte me laissa perplexe un long moment. Au prix d’un effort incroyable, je me forçais à rester immobile et dans le même temps je visualisais mon bras en train de se lever. Je regardais dans la glace le résultat de ma petite expérience. Elle dépassa toutes mes prévisions. Je vis mon ombre, à mes côtés, autour de moi, l’ombre de mon bras se lever exactement comme je l’avais simulé en pensée. Mais mon bras n’avait pas bougé. Je levai alors physiquement mon bras et l’ombre s’accorda au mouvement, selon les lois naturelles qui veulent qu’un corps opaque - son propre corps - crée une zone sombre au contact de la lumière. Oui, c’était exactement ce qui se passa, sauf que cela n’avait rien de naturel. L’ombre suivait bien mes mouvements, mais dans un autre rythme. Un rythme décalé.

Un grondement de tonnerre, résonna dans le lointain. Mes cheveux se hérissèrent et je sentis comme une petite décharge sur le bout des doigts. L’orage se rapprochait. Dans quelques heures, peut-être moins, il serait là. Cela n’avait aucune importance en soi, mais bizarrement l’événement – sans que je sache exactement pourquoi – revêtit une signification particulière.

Je retentais l’expérience avec les deux bras cette fois, puis avec tout mon corps et à chaque fois, ce même sentiment de décalage.

Maintenant je n’avais plus aucun doute quant à l’existence de cette entité émanant de moi-même. J’allais devoir affronter l’incroyable.

- Qui êtes-vous ? demandais-je d’un ton anxieux en espérant du fond du cœur que je n’obtiendrais pas de réponse.

- Enfin, vous acceptez l’évidence.

- Qui êtes-vous ? répétais-je en m’accrochant désespérément à ce qui me restait encore de raison. L’Ombre resta muette. Vous êtes… ? vous êtes moi ? Vous êtes mon côté obscur ?

C’est exactement comme ça quand on devient fou, Je subis le « Syndrome Hamlet » Je dialogue avec moi-même. Je dialogue avec mon ombre.

- Je suis bien votre ombre, dit–elle comme si elle avait lu dans mes pensées.

Je me secouai énergiquement.

- Vous… vous n’êtes pas à l’intérieur de moi, alors ?

- Je suis là où tout ombre doit être. A votre portée. Je reproduis plus ou moins votre corps… je présume.

Arghhhh !!! Il y a mon ombre qui présume !!

Je croisai mon regard dans le miroir. Deux grands yeux exorbités et brillants. Un large rictus animait mon visage tout entier.

Finalement, ce n’est pas si désagréable que ça d’être fou.

- Et vous qu’est-ce que vous êtes ? me demanda – t-elle ?

- Moi, je suis Denis.

- Et Denis, c’est quoi ?

- Comment ça, c’est quoi ? C’est moi, c’est mon nom.

- Mais c’est quoi, MOI ?

- Moi, c’est ce que je suis. Un homme, un être humain si vous préférez.

- Expliquez le concept.

Sa voix était monocorde, sans intention particulière. Je me demandais quand même d’où sortait le son. Je n’imaginais pas de cordes vocales à cette chose et encore moins une langue.

- Je ne suis pas un concept. Je suis vivant.

- Expliquez le concept.

- La vie, c’est…

Je sentais bien que j’étais mal embarqué avec cette ombre inquisitrice qui me pilonnait de questions comme si j’étais un prisonnier de guerre. Je contre attaquais.

- Et vous, vous êtes comme une âme ou quelque chose dans le genre ?

- Je ne sais pas ce qu’est une âme. Je ne suis qu’une Ombre. Vous êtes un être humain, dites-vous ? Expliquez.

Elle ne me lâcherait pas, j’en avais la certitude.

- Hé bien, les êtres humains sont des individus masculins ou féminins…

- Quelle est la différence ?

- Entre les hommes et les femmes ? Houlà… vous avez une éternité devant vous, parce que… Bon, je vais faire simple. Tout, ou à peu près tout, nous oppose mais nous ne pouvons pas vivre séparément.

- Comme nous.

- Voilà. Par exemple.

- Si vous êtes un homme, je suis une femme, alors.

- Vous êtes d’un genre féminin, mais c’est un peu plus complexe que ça. Alors pour terminer sur l’être humain, on vit, on respire, on meurt. C’est la nature, quoi. Mais nous ne sommes pas les seuls êtres vivants sur la planète. Il y a aussi les animaux, les fleurs et les plantes et tout ça, ça vit, ça respire et ça meurt pareil que nous.

- Ça meurt ? Expliquez.

- La mort, c’est la fin de la vie et peut-être le commencement d’une autre, mais là c’est un avis personnel.

- Et moi ? Est-ce que j’ai le droit de dire « moi », si je ne suis pas un être humain ?

Comme tu veux ma grande, fais-toi plaisir.

- Vous n’êtes ni vivant, ni mort. Vous n’avez pas d’existence propre. Sans vouloir vous offenser, vous n’êtes qu’une zone sombre créée par un corps opaque, votre serviteur, qui intercepte les rayons d’une source lumineuse, cette lampe en l’occurrence. C’est ce que vous êtes. Enfin, je crois. Non ?

- Je ne sais pas. Je vous le demande.

- Ben c’est ça. Sauf que jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les ombres ne parlaient pas.

- Moi, si.

- Je le vois bien.

- Comment expliquez vous ça ?

- Je ne l’explique pas. C’est bien là le problème.

Je me surprenais moi-même de la facilité avec laquelle j’avais accepté ce postulat qui reposait soit sur l’acceptation complète et totale d’un état de folie furieuse soit sur cette réalité fantastique d’ombre qui me faisait la causette. De toute façon, quel que soit mon choix j’étais condamné à être enfermer immédiatement si j’en parlait à qui que ce soit. Et cette ombre inconnue était là, en plein milieu de la nuit, dans ma salle de bains, elle « présumait » et me posait des questions existentielles. Qui suis-je, où vais-je, dans quel état…

Et tout allait bien. Je n’étais plus du tout effrayé. On pourrait même dire qu’une nouvelle vitalité s’était installée en moi. La sensation était loin d’être désagréable. L’Ombre passa machinalement sa main dans ce que je présumais être des cheveux. Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas présumer, moi aussi. Hé ! Ça, c’était un de mes gestes.

- Je me suis aperçu que j’ai une certaine autonomie de mouvement, dit l’Ombre comme pour répondre à mes interrogations muettes, mais je reste pourtant liée à vos pas.

- C’est un peu normal si vous êtes vraiment ce que vous dites. On peut savoir ce que vous avez l’intention de faire, maintenant ? Vous allez vous en aller ?

- Je ne peux pas. Comme vous l’avez démontré, je n’existe pas sans vous.

MAIS TU N’EXISTES PAS DU TOUT ! TU N’ES RIEN D’AUTRE QU’UNE ABSENCE DE LUMIERE. UNE PROJECTION OBSCURE DES CONTOURS DE MON CORPS ! UNE IMAGE, UNE APPARENCE. TU N’ES PAS REELLE !

- Je suppose que je vais devoir me contenter de cette situation.

Elle suppose maintenant. J’ai une ombre qui présume et qui suppose et qui me prends la tête dans ma salle de bains. Super.

- J’aimerais savoir ce que c’est que d’être vivant.

- Pardon ?

- J’aimerais connaître la vie, me sentir vivant. Pouvoir aller où bon me semble.

- J’ai bien peur que ce ne soit pas possible.

L’Ombre laissa échapper ce qu’on pouvait prendre pour un soupir. Elle se renfrogna ce qui eu pour effet qu’elle se détache plus nettement sur le mur. Ses contours étaient maintenant parfaitement visibles et j’eus le loisir de l’observer plus attentivement. Je n’avais jamais fait attention à elle jusqu’à maintenant. Pourquoi l’aurais-je fait ? Elle suivait bien les contours de mon corps, mais il y avait quelque chose d’autre. Elle semblait plus grande, plus élancée. Elle dégageait un sentiment de puissance. Comme un félin. Une panthère noire, c’est l’image qui me vint.

- Vous êtes mon ombre, dites-vous ?

- Oui.

- Pourtant, vous me représentez de façon différente. Vous semblez plus imposante que je ne le suis en réalité.

- Je ne sais pas. Je reproduis votre corps, tel qu’il est. C’est ma fonction.

- Est-ce que vous voulez dire que ce que je suis vraiment est en réalité plus grand que mon corps actuel.

- Je suis vous, tel que vous êtes. Je n’ai pas d’autres explications.

- Est-ce que vous avez déjà cherché à vous séparer de moi ?

Elle ne répondit pas.

- L’autre fois, chez mes parents. Quand je suis tombé par terre, on m’a dit que certaines parties de mon corps avaient doublé de volume. C’était vous, n’est-ce pas ?

- Oui.

- Pourquoi ?

- Je n’ai fait cela que pour vous sensibiliser à ma présence. Vous n’arrêtiez pas de me fuir.

- Vous essayez de vous manifester depuis plusieurs mois, maintenant. Je me trompe ?

- Des mois ? Expliquez.

- Du temps qui passe. Des jours qui se suivent encore et encore.

- Je ne comprends pas.

- En ce moment, par exemple, nous parlons depuis un certain temps, vous comprenez ? C’est ça le temps.

- Oui, je comprends. J’essaye de vous contacter depuis de nombreux temps… je crois.

- Comment est-ce arrivé ? Comment en êtes-vous venue à exister ?

- Je comptais sur vous pour me l’apprendre.

- Comment voulez-vous que je le sache ? C’est de la métaphysique. Je n’ai pas pris ça comme option à l’école. Je ne suis qu’un intermittent du spectacle, moi. Un comédien.

- Je sais. J’ai participé à plusieurs de vos « représentations » comme vous dites. Quel intérêt trouvez-vous à recommencer chaque temps la même chose ? Je ne vois pas ce qu’il y a là, de palpitant.

- Attendez. C’est vous qui parlez ou c’est une pensée qui m’appartient et que vous vous êtes approprié ?

- Cela ne peut pas être de moi, puisque je n’ai pas d’existence propre.

- Pourtant, vous vous exprimez, vous portez un jugement, vous donnez votre avis, vous suivez une conversation. Cela prouve bien que vous avez une volonté.

- Vous croyez ? Pourtant, d’après vous, je n’existe que parce que je vous suis rattachée.

- J’ai l’impression que c’est un peu plus complexe que ça, malheureusement.

J’avais besoin de marcher un peu pour remettre mes idées en place. Je m’avançai jusqu’à la fenêtre près de mon bureau et je regardai les quelques gouttes de pluies qui commençaient à tomber. Je respirai profondément. L’air était à présent saturé d’électricité. L’orage avait progressé de manière impressionnante. Un puissant coup de tonnerre éclata quelque part au nord. Il fut presque immédiatement suivi par un formidable éclair qui illumina le ciel. L’éclair ! Le photomaton ! Tout mon corps se hérissa et pendant un court instant je crus qu’il s’irradiait. Tout me revenait en mémoire comme si je venais à l’instant de sortir de la cabine fumante. Cela ne pouvait pas être qu’un hasard. J’allai retourner dans la salle de bains pour faire part de mon illumination à mon ombre quand je réalisais qu’elle était juste à côté de moi. Evidemment. J’allumai la lampe de bureau pour mieux la voir.

- Je crois que ça a un rapport avec l’électricité.

 

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