Chassés

Š.  Son petit corps contre mon épaule a cessé de chanter. Dans notre sillage, l'écho de son royaume étendu dans la boue et la cadence des bottes nous poursuivant.

- Deux cibles restantes ! Ils se dirigent dans le verger !

Je lorgnais la nuit devenue frissons et crissements. Mes propres chausses me paraissaient si lourdes à cet instant. L'atmosphère humide. S'était-il mis à pluie-voir ? Mes joues ruisselantes et la brume gonflant mon souffle. J'asphyxiais.

La balle avait sifflé d'abord. C'était un petit oiseau accouché d'un canon étouffé. J'ai rencontré la terre, mon menton vrillait de douleur. L'épaule-éponge à la chaleur pressée hors de mon corps. Le petit être écrasé gisait. Là. Maintenant. Il ne chanterait plus. Le froid de l'échec envahissant, il entrait dans mon épaule perforée.

La forêt autour si propre, si alignée. Elle paraissait morte elle aussi. Bien avant nous.

— Cibles à terre ! J'approche.

— Votre pos-i-tions, cracha son engin.

L’automate-homme avança vers moi. Une ombre dans la nuit trouée d'un laser rouge. Une seule étoile visible. Ses bottes. Crsh.Crsh.Crsh.

Je me tins garenne. Fige. Fixe. Le regard ouvert, la peur tremblait dans mes membres, attentive à sa mouvance, à l'approche de sa masse, au bruit des plaques de kevlar qui frottent, au chant des toiles qui le compriment. Pesant l'homme au jugé de l'oreille, voyant le heaume mat accrocher le reflet d'un rayon de lune. Le gravier tout propre se tassait sous les bottes du soldat.

Encore un pas. Le P®olicier était silence soufflant. Il se pencha sur nos corps échoués.

— Cibles éliminées.

crsh.crsh, fit la radio.

Il retira un gant. D'un coup d'épaule, il fit remonter son fusil par-dessus elle. Sa main chaude s'engouffra dans mon encolure.

— T'es encore vivant, mon salaud ! Bien. Très B...

Le borborygme fit rouler sa glotte et sa langue dans la salive et le sang. Au bout de mon bras lancé, mon couteau s'était fait un chemin de sa gorge à son crâne. Le Pr®olicier fut source chaude et rivière puis son corps s'affala, chuta dans le gravier qui était tout propre auparavant.

Je n'avais jamais tué un homme.

J’ai pris sa veste et son plastron, les ai délestés de leur techno-infectieuse. C’était encore chaud au-dedans. L’odeur du sang sur le col me monta à la tête. J’ai essuyé le couteau. J’ai pleuré. J’ai reniflé. J’ai eu peur et j’ai fuis loin du sentier mortuaire, m’enfonçant plus encore dans la ferme permaco-agricole.

Trop vite, le bruit de mes poursuivants fut de nouveau audible. Trop tôt. Je titubais. Aboiements de chien. Le verger tout beau, tout taillé, était peuplé de petites ornières, de racines, de monticules à me tordre les chevilles tous les mètres.

Au bout des arbres en rang d’oignons, la blancheur de la craie dans la nuit. Une vaste falaise calcaire surplombait la ferme. Lumineuse. Lunaire. Le ruisseau au-devant d’elle était large en coulée de pierre de lave lisses, des creux et des plis en veux-tu en voilà pour s’y casser une jambe, y mourir bêtement en s’enfuyant trop vite.

L’eau si rare et si précieuse, je m’en aspergeais  jusqu’à la tête, je plongeais dans la gadoue et je me couvris d’algues. Gluant, poisseux et camouflé, je poursuivais l’autre berge, vers les buissons touffus qui pourraient m’abriter. Mais les roches lisses cédaient sous mon poids, elles m’entrainaient mètre après mètre vers l’aval.

Il y avait près du ruisseau une trappe dissimulée près d’un arbre pourrissant. Ma jambe y fut avalée tout entière et c’est ainsi que je trouvais un abri imprévu. Je bondis dans la cave et en refermais l’entrée de ses leurres, ses branches et ses ronces éloigne-clebs.

J’ai entendu les traqueurs gagner du terrain, les aboiements des chiens. La trappe jamais dérangée. Le boucan de mon cœur. Les éclats de voix. Les bottes nombreuses. Le glissement des pierres du ruisseau. L’eau goutte à goutte s’infiltrant dans la pierre.

Le noir se fit plus profond quand ils s’éloignèrent. La douleur plus grande. Puis plus douce. Puis plus rien.

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Silver Smile
Posté le 22/05/2022
Hello,

Ce début est vraiment intéressant et le rythme nous plonge vraiment dans la traque des personnages. Ton style est assez particulier mais plaisant. J'ai hâte de découvrir la suite ;)
Dodonosaure
Posté le 22/05/2022
Merci Silver ! Ton commentaire fait du bien à la motivation ;)
Mado
Posté le 10/09/2021
Coucou Dodonosaure! J'ai été intrigué par le titre que je trouve très poétique ... et je ne regrette pas! La cadence soutenue et rapide fait vraiment penser à un animal en fuite et marche vraiment bien avec ce prologue qui commence par une chasse a l'homme. L'utilisation du passé me fait penser que ce début est un souvenir du PP mais peut être que je me trompe? En tout cas, j'adore vraiment beacoup ta manière d'écrire. Certaines phrases sont très belles.

P.S. Ca a déjà été dit mais P®olicier est ecrit Pr®olicier la deuxième fois (intentioné?).
Dodonosaure
Posté le 10/09/2021
Merci Mado ! Je suis ravie que tu aies pris plaisir à lire ce chapitre.

Les fautes sur les mots spéciaux et les noms ne sont pas intentionnelles. J'attends de terminer l'écrit avant de repasser dessus.
Pour l'exemple, je ne suis pas encore satisfaite de la graphie Pr(r)olicier ou p(r)olicier. Je me cherche encore.

A mes yeux, les accents, la ponctuation... tous ces éléments peuvent modifier la manière dont on va faire chanter le nom en le lisant.
Bref, je dois y réfléchir encore.
Edouard PArle
Posté le 29/08/2021
Hey !
Le prologue est sympa, c'est bien écrit, mais je vais attendre de lire un peu plus pour me faire mon idée.
Quelques remarques :
"S'était-il mis à pluie-voir" c'est un verbe que tu as inventé ?
"La douleur plus grande. Puis plus douce. Puis plus rien." Je trouve cette conclusion très réussie.
Pas vu de fautes d'orthographe.
Dodonosaure
Posté le 29/08/2021
Merci Edouard ! J'espère que la suite de la lecture te plaira tout autant.
robruelle
Posté le 04/03/2021
Hello,
Allez, je commence cette nouvelle histoire !

Alors je vais commencer par les petits points purement formels
Je ne sais pas si le S couronné en tout début de chapitre est exprès ou pas
Il manque le tiret cadratin au tout premier dialogue (pour uniformiser avec les autres)
Enfin, parfois il y a "P®olicier" et parfois "Pr®olicier" avec un r en plus. Comme je en suis pas sûr qu'il s'agisse de ton univers ou d'une coquille, je préfère le signaler

Voilà qui est fait
Pour le fond, et bien c'est super bien écrit !! Ca met dans une espèce d'ambiance assez affreuse mais dans un décor qui d'ordinaire serait plutôt apaisant. L'usage du "je", les phrases courtes, tout ca contribue à nous plonger dans l'urgence de sa fuite

J'aime beaucoup
A bientôt !
Dodonosaure
Posté le 04/03/2021
Merci Robruelle !
Le S est spécialement là pour repérer qui parle. Tu le verras par la suite, Les deux personnages se partagent la narration.
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