Chapitre XXXV : Le Monstre d'Oleïd

Saphir et Foudre Bleue bondirent pour esquiver les tentacules de Losdrel. Ils atterrirent sur des branches plus hautes afin de ne pas être emportés par un torrent de brumes. Quelques filets s'acharnaient à les attraper et s'évaporaient au contact de la pierre. La forêt frémissait dans cette fumée noire et se pétrifiait sous sa froideur. Losdrel hurlait comme la tempête et les âmes se débattaient en lui, tendaient des mains désespérées et des têtes sans visage. Malgré leurs paroles incompréhensibles, le groupe percevait leurs cris qui appelaient à l'aide ou qui les encourageaient à fuir.

Evannah se cramponnait jusqu'à arracher les poils de Saphir. Ses jambes cherchaient un appui sur le corps en mouvements et la vitesse les emportait à chaque obstacle. Les chutes du guerrier leur permirent de se raccrocher, mais elles rencontraient toujours ses pattes. La jeune fille les fléchissait, mais la pression de ses cuisses sur les flancs du yotora devenait faible, ce qui amenait à la première situation.

- Où on va ? cria-t-elle quand les sauts étaient moins fréquents.

- Loin de tout ça ! répondit Iuka qui agitait leur seule lampe devant les ténèbres, j'espère qu'il existe au moins un endroit où Losdrel n'a pas l'intention d'aller !

- Losdrel cherche le plus d'âmes possibles ! fit remarquer Saphir, nous ne sommes que quatre êtres vivants égarés sur son chemin ! Il ne s'acharnera pas à nous retrouver s'il nous perd !

- Sauf si nous sommes les derniers !

Fuir était l'unique solution. Si la chance leur souriait, un portail vagabond apparaîtrait. À quoi bon espérer un tel hasard ? Ils pourraient échapper à Losdrel pour se réfugier près des Protecteurs. Les fénékos accepteraient peut-être une trêve, mais personne ne voulait pas s'y risquer.

Un filament de brume surgit devant Saphir et fondit sur Evannah qui s'abaissa à temps. Une brise glaciale lui frôla la colonne vertébrale. D'autres les prirent d'assaut et le yotora remua dans tous les sens comme s'il subissait une attaque d'abeilles. Tout se passait trop vite. Evannah ne voyait pas leurs trajectoires jusqu'à ce que l'un d'eux lécha ses mains. Paniquée, elle lâcha prise et tomba du dos de Saphir. Les doigts du guerrier effleurèrent les siens avant qu'elle ne sombre dans le vide.

Les feuilles amortirent sa chute. Evannah glissa dessus comme sur de la toile et attrapa l'extrémité d'une branche. Elle se força à ne pas regarder en bas et tendit son bras vers un des creux. Deux mains l'empoignèrent et la soulevèrent pour la déposer sur la pierre. Evannah se pétrifia en découvrant son sauveur.

Yrradan ne la lâcha pas et planta dans ses yeux toute sa haine. Ses ongles s'enfoncèrent dans son bras. Une grosse lanterne abritant une lumière cristalline se tenait à côté de lui. Bien plus forte que celles ancrées aux arbres, elle éblouissait Evannah et éloignait les ombres qui les avaient repérés. Ses Nebulas s'agitèrent, menacées par cette clarté si vive.

- Tu pourrais au moins me remercier de t'avoir sauvée. Encore une fois, railla-t-il en maintenant plus fermement Evannah qui se démenait.

- Ou d'avoir tué Lyzel ?

- Ne reviens pas sur ça. Tu sais très bien que tout ça ne serait pas arrivé si tu nous avais livré l'enfant sans monde !

- Lyzel ne devait pas être une arme face à Losdrel ! Je sais que vous auriez exterminé les nilédias après avoir réglé le problème !

- Et tu es donc venue les aider, ce qui explique ta présence ici.

- Oui, mais je ne voulais pas déclencher tout ça !

- Qu'est-ce que tu pensais faire ? Raisonner des êtres assoiffés de sang et de vengeance ?

Evannah allait rétorquer, mais Yrradan la devança :

- Peu importe ! Je vais t'amener auprès des Veilleurs et tu finiras dans Uvrenel, toi et tes amis !

Evannah se débattit de nouveau, mais la main d'Yrradan la bloqua davantage. Elle lui donna des coups de pied dans les genoux, le poussa pour le faire basculer dans le vide, lui mordit le poignet, mais le corps du fénékos était comme une statue de marbre. Sa colère s'estompa quand elle sentit le contact froid et tranchant d'une dague sur sa gorge.

- Tu vas me suivre sans faire d'histoires ou ton sort sera vite réglé, la menaça Yrradan d'une voix glaciale.

Evannah, tremblante de rage et de peur, soutint son regard. Elle devait se faire une raison : elle ne pouvait pas s'échapper et fuir sans lumière alors que Losdrel grondait au-dessus d'eux. Voler la lanterne était une idée, cependant elle était trop lourde pour qu'elle puisse courir avec. De plus, la téléportation s’avérait risqué dans une telle situation. Quel endroit était à l’abri de Losdrel ? Elle capitula sous l'intimidation d'Yrradan qui desserra sa poigne sans la lâcher.

Le Protecteur s'avança hâtivement sur les branches, traînant Evannah derrière lui qui manqua de trébucher plusieurs fois. Elle agita son poignet, mais Yrradan l'écrasait dès qu'il le sentait remuer. Ce n'était que devant une pente qu'il la libéra et la força à passer la première. D'abord hésitante, Evannah se laissa convaincre par la portée de la lumière. Yrradan la rejoignit au sommet avec agilité et étudia les environs. Les branches s'élevaient et se tortillaient, rendant tous les chemins inaccessibles. Il désigna un creux parmi elles et rattrapa le bras d'Evannah.

- C'est bon, grommela-t-elle, j'ai compris que je ne pourrais pas m'échapper. Vous pouvez me lâcher, maintenant.

Les doigts d'Yrradan se détachèrent un à un avec prudence. Comme l'humaine ne bougeait pas, il baissa sa garde et la poussa devant lui.

- Bien, tu sais très bien ce qui t'attendra si tu fuis.

- Et me faire dévorer par Losdrel, à quoi bon ? D'ailleurs, vous n'en avez pas envie ?

- Les brumes noires sont plus douces que le bannissement. Je veux t'entendre reconnaître tes fautes devant Ixarian.

- Qu'est-ce que vous faites seul ici ? Vous n'êtes pas avec un groupe de Protecteurs ?

- Je voulais te suivre dans la Dimension sans Couleur, mais, comme tu as pu le constater, il est très facile de se perdre, même avec un pouvoir comme le mien. Je suis donc retourné dans Ixarian pour faire un rapport sur ce qui s'est passé. Ensuite, j'ai rejoint un groupe de Protecteurs dans la Dimension du Silence pour éloigner les ombres. Lorsqu'on a été averti de la situation, on est revenus pour sauver le peuple, mais les brumes noires nous ont séparés.

- Malheureusement, ces lumières n'ont pas été efficaces.

Yrradan la fusilla du regard.

- Non, admit-il, nous avons sous-estimé les brumes noires et nous ne pensions pas qu'elles auraient explosé ainsi. Comme je te l'ai déjà expliqué, nous avons surtout fait en sorte que les lumières n'agressent pas l'âme des fénékos. Cette énergie est à manier avec précaution et les lumières doivent être faibles, mais suffisantes pour protéger le peuple. J'ai pris le risque d'en emporter une plus puissante avec moi. Mes Nuées Vitales s'agitent un peu, mais je n'ai pas le choix si je dois sauver la vie des autres et la mienne. Nous aurions pu en finir avec les brumes noires avant que cette catastrophe n'éclate, mais comme tu n'as pas voulu coopérer...

Face à son ton plein d'accusations, Evannah fronça les sourcils et continua de marcher. Elle gravit une pente dont l'écorce était plus rugueuse. Yrradan la suivit et la rattrapa, sans tenir compte de la lanterne qui se cognait contre la pierre. La jeune fille craignait qu'elle ne se brise, malgré la solidité du verre.

Ils poursuivirent dans un silence pesant. Evannah espérait échapper à Yrradan avant qu'ils n'arrivent devant les Veilleurs. Depuis qu'il l'avait lâchée, il surveillait ses gestes. Elle se sentait aussi oppressée que quand il lui comprimait le poignet. Aux alentours, les brumes de Losdrel l'étouffaient et menaçaient de la dévorer dès le moindre faux pas. Elle prenait garde à ne pas quitter la lumière, mais Yrradan la poussait sans cesse vers une nouvelle pente.

Evannah ne comptait plus les obstacles, trop préoccupée par la douleur dans ses bras. Même s'il la voyait serrer les dents quand elle s'agrippait, Yrradan ne s'en souciait pas. En tant que fénékos, grimper aux arbres était comme respirer. Il déciderait de faire une pause si c'était nécessaire pour lui.

À travers les hurlements des âmes et le brouillard, ils perçurent l'eau s'écouler sur la pierre. Les feuilles vibraient comme des ailes de libellules et les arrosèrent de gouttes froides. Échauffée par l'escalade, Evannah se détendit au contact du liquide sur ses joues. Yrradan la pressa de nouveau alors qu'elle reprenait à peine son souffle. Quand ils montèrent sur une branche, elle aperçut le bord du lac. Un endroit idéal pour Losdrel.

- Les Protecteurs s'occupent des habitants, dit Yrradan, ils ont dû poser quelques lumières. J'ignore combien de temps ils vont tenir.

- J'espère que les ténèbres de Losdrel ne peuvent rien contre eux.

- J'espère au moins qu'il a dévoré les enfants de l'obscurité, que le fléau s'est débarrassé de ses créateurs !

- Seul Oleïd a créé Losdrel et Niyen a tenté de le contrôler. Ses Nebulas ont sans doute augmenté la puissance du monstre, ce qui explique cette explosion des ténèbres.

- Tu peux être fière de toi !

- Je ne voulais pas ça !

- Que voulais-tu ? Reprendre l'idée de ton amie et les mener vers un monde meilleur ? Tu as une solution pour ouvrir un portail vers le Monde Invisible alors que les Protecteurs n'y sont pas arrivés ?

- Non, je ne sais pas, mais...

- Dans ce cas, la colère des brumes noires était dans tes intentions. Tu as voulu aider ce Niyen à récupérer Terlana et tu lui as demandé de faire une démonstration de ses pouvoirs. J'ignore la suite de ton plan, mais je sais que ton amie t'a endoctrinée et tu l'as suivie pour ressusciter le Jardin du Chaos. D'ailleurs, comment l'as-tu réveillée quand elle dormait sous le cristal ? En chantant le Jardin de Camoren ? Je ne serais pas étonné de t'entendre la chant...

Yrradan tomba après avoir reçu un coup de pied dans les jambes. Il roula jusqu'en bas avec la lanterne qui s'arrêta un peu plus loin. Alors qu'il tendait une main pour la saisir, Evannah bondit sur lui et lui vola sa dague. Il resta cependant calme malgré la pointe qui menaçait de l'égorger.

- Allez, tue-moi ! lança-t-il d'un air de défi.

Evannah soutint son regard, la respiration en saccade et les mains crispées sur le pommeau.

- Qu'est-ce que tu attends ? Tu en rêvais, n'est-ce pas ? Tuer l'assassin de ton amie. Tu sais ce qu'elle serait devenue si elle avait accepté ma proposition.

Le visage d'Yrradan se contracta lorsqu'il sentit la pointe se planter lentement dans sa gorge. Un mince filet argenté coula le long de son cou.

- Tuer pour sa propre justice... As-tu pensé à ce qui arrivera ensuite ? Tu auras enlevé un père à trois filles, un mari à une femme.

Et le garçon à la joue ensanglantée apparut dans l'esprit d'Evannah. Un acte qui l'avait amenée dans cette errance et dans la peur.

Non, elle n'avait pas pensé à ce qui se passerait après.

Evannah retira la dague, les mains frémissantes. Yrradan la dégagea d'un coup de poing, reprit son arme et se leva. Il souleva la jeune fille par les cheveux, en lui arrachant des gémissements.

- Je ne te lâche plus jusqu'à ce qu'on arrive aux Veilleurs, déclara-t-il, la lame sous la gorge d'Evannah, tu seras aussi jugée pour tentative de meurtre envers un Protecteur.

Yrradan serra son poignet jusqu'à lui faire craquer les os. Evannah geignit et crut qu'il les avait brisés. Elle essaya de se débattre, de s'accrocher à tout ce qu'elle croisait, mais elle n'était qu'une poupée de chiffon entre les mains de ce guerrier. Les ombres les suivaient de près et les imploraient. Mais d'autres promettaient de les dévorer s'ils quittaient la lumière. Les pleurs étaient de plus en plus forts et Yrradan secouait la lanterne pour éloigner Losdrel qui forma un immense brouillard. Evannah se blottit inconsciemment contre son ennemi, les oreilles meurtries par les cris et le corps transi de froid. Ils ne distinguaient rien dans cette purée de pois. Yrradan marchait à petits pas. L'avancée fut très lente et Evannah craignait que Losdrel les ait capturés, une bonne fois pour toutes.

Ses pensées se tournèrent vers Saphir et Iuka. Son estomac se noua à l'idée qu'ils s'étaient fait dévorer. Les ombres se déchaînaient contre eux quand Evannah était tombée et il n'y avait aucune issue possible dans Ixarian. Et si, au final, elle était la seule à avoir survécu à ce périple ? Elle rejeta violemment cette pensée. Non, Saphir et Iuka étaient forts et avaient toujours su s'en tirer.

Le brouillard se diluait et Yrradan pressa le pas. Une fois sortis des ténèbres, la jeune fille lança un regard en arrière et frissonna à la vue de ce fléau. Losdrel se faufilait dans les arbres comme un torrent de nuages noirs.

- Tiens donc ! s'exclama Yrradan, sarcastique, voilà la cité de tes amis !

À travers un feu obscur se dressait Terlana. Piteuse et morte, l'explosion de cristal l'avait davantage détruite. Le cœur d'Evannah se serra quand elle se remémora sa traversée. Le Jardin de Camoren se fit entendre dans sa tête jusqu'à ce qu'un cri déchira ses souvenirs. Losdrel volait au-dessus d'eux. Ses ailes balayèrent les ombres comme une tempête de sable. Le monstre se posa au sommet de la tour et poussa un hurlement qui secoua le brouillard.

- Niyen ! appela Evannah.

La créature ne réagit pas. Alors que l'humaine avança d'un pas, Yrradan la tira brusquement à l'opposé. Evannah tordit son poignet, mais les doigts du fénékos bloquèrent la circulation de son sang. Elle mordit ses phalanges jusqu'à lui déchirer la peau et Yrradan desserra enfin son emprise. Mais il la pressa sur sa poitrine avec son bras et l'emmena. Il la tourna vers la direction voulue et les yeux de la jeune fille se posèrent sur l'extrémité d'une branche. Elle s'agrippa au bras du Protecteur et se téléporta. Son ennemi la lâcha sous la surprise et tomba dans le vide.

Suffocante, Evannah regarda Yrradan disparaître dans les ténèbres. Elle n'arrivait pas à s'en réjouir, mais elle était libre désormais et elle pouvait agir. La lampe d'Yrradan luisait et l'appelait. Sans tarder, elle revint près d'elle et l'emporta dans le brouillard.

Tant que la lumière est avec moi, je ne crains rien, se répéta-t-elle alors qu'elle s'engouffrait dans les ruelles.

Il n'était plus possible de raisonner Niyen. Il était perdu dans les brumes et ne faisait qu'un avec ce monstre de folie. Peut-être Evannah pouvait-elle y faire quelque chose. Non, Iuka avait essayé, mais elle avait risqué sa vie. Ensuite, Lyzel était arrivée et...

La jeune fille porta sa main sur l'étoile. Sa bien-aimée avait libéré une puissante lumière qui avait chassé les ténèbres d'Ermyr. Selon elle, elle contenait ses peurs, ses colères et ses chagrins les plus profonds. Pour empêcher toute cristallisation.

- Lyzel, tu ne pouvais exprimer tes émotions comme les autres. Tu n'as fait que renfermer tes peines dans cette étoile.

Evannah se tint en haut des marches et regarda ces vagues d'ombres se déchaîner. Ses Nebulas chauffaient à la lumière de la lampe qu'elle tendit pour éloigner l'obscurité. Plus déterminée que jamais, elle plongea dans cette mer. Les brumes s'écartèrent malgré leurs menaces et leur colère. Le chemin se referma derrière elle. Elle enjamba les planches et monta l'escalier. La jeune fille avait du mal à porter la lanterne qui s'alourdissait à chaque marche. Les ombres grondaient au-dehors et cernaient la tour comme une tornade. La lumière chassa l'obscurité de ces lieux.

La demeure fut ébranlée d'un puissant tremblement et des morceaux de bois tombèrent du plafond. Evannah s'accrocha à la rampe et soutint la lampe qui lui glissait presque des doigts. Losdrel sentait son heure approcher et ne l'acceptait pas. Sa colère apeura Evannah qui ne se découragea pas pour autant. Elle monta les dernières marches à la hâte en s'attendant à une nouvelle secousse.

Enfin au sommet, elle se dirigea prudemment sur le balcon. Losdrel poussa de puissants cris qui se changèrent en de longs grognements quand il aperçut la jeune fille sortir.

Evannah fixa le dragon sans visage. Malgré la lumière, il resta calme et l'observa.

- Losdrel, je suis venue ici pour mettre fin à tes souffrances ! déclara Evannah. Je te libère, toi ainsi que ton maître et ami, Oleïd !

Le monstre hurla. De colère ou d'approbation ? Impossible de percer ses sentiments.

Après avoir prononcé ces mots, un tentacule se détacha de la vouivre et prit la forme d’un nilédia lorsqu’il toucha le balcon. La silhouette était directement liée au poitrail de Losdrel. Ses longs cheveux dansaient comme des flammes. Oleïd, son créateur, se tenait devant la jeune fille. Sa tête sans visage s’inclina. Lui aussi désirait en finir.

L'humaine ramassa un des morceaux de miroir qui jonchaient le sol et arracha un pan de sa robe avec lequel elle se banda les yeux. Elle retira le pendentif et entendit Losdrel remuer nerveusement au-dessus d'elle. Oleïd s’agenouilla près d’elle et la laissa faire. Sans hésitation, elle posa le bijou sur le balcon et le brisa à l'aide du fragment. Une vive lumière explosa et Losdrel rugit à en faire trembler la tour. Malgré le tissu, Evannah fut éblouie et s'étala par terre, la tête dans les bras, pour échapper à l'aveuglement. Elle se boucha les oreilles quand les milliers de voix hurlèrent à l'unisson, comme emportées dans un tourbillon. Au blizzard de chaleur se mêla une tempête glaciale. Ses Nebulas se déchaînèrent dans ce chaos et la firent transpirer.

Puis, ce fut le silence. Evannah semblait surgir d'un sommeil de cauchemars. Elle crut que les cris et Losdrel l'avaient rendue sourde et elle resta étendue par terre. Elle souleva le bandeau de son pouce et épia les environs. L'obscurité n'était plus. Elle avait laissé place à une nuit rouge et calme.

Evannah ôta le morceau de tissu, se redressa et leva la tête. Ses pieds heurtèrent la lampe qui s'était brisée à ses côtés. Il ne restait plus d'elle qu'une pierre grise et les fragments de l'étoile se mêlaient à ceux de son verre.

Plusieurs battements d'ailes rompirent le silence. Quatre Dragons Veilleurs firent irruption dans le ciel et tournoyèrent pour se poser sur la place. En bas, des fénékos et des cilynas s'agglutinèrent et fixèrent le balcon. Quelques nilédias s'avancèrent en se tenant à l'écart. Ils ne devaient pas être une centaine. Avec beaucoup d'appréhension, Evannah descendit et s'arrêta face aux Dragons. Les Intermédiaires, qui les chevauchaient, mirent pied à terre et l'un d'eux traduisit :

- Est-ce toi qui as provoqué cette explosion de lumière ?

- Oui, répondit Evannah.

Le Veilleur derrière lui siffla.

- Les brumes noires ont disparu d'Ixarian et de la Dimension Sans Couleur. Cette lumière que tu as libérée a percé le cœur du monstre.

Evannah n'en croyait toujours pas. Elle avait détruit Losdrel. Elle avait réussi là où les Protecteurs avaient échoué. Le Dragon s'adressa à elle dans sa langue et s'inclina. Les autres limitèrent. Evannah n'eut pas besoin de traduction, mais l'Intermédiaire la lui communiqua :

- Tu as sauvé la Mère et les Quatre Sœurs d'un fléau insaisissable. Elles te remercient infiniment.

Le cœur d'Evannah s'emballa quand toutes les races se prosternèrent à leur tour. Elle bredouilla en secouant la tête. L'interprète lui sourit et répéta les dires du Dragon :

- C'est un hasard de voir une enfant des pluies dans Ixarian. Qu'est-ce qui t'a amenée ici ?

- Eh bien..., commença Evannah.

Elle se tourna vers les nilédias. Malgré leurs bandeaux, ils se sentaient tous perdus et attendaient une grave sentence.

- J'avais un ami nilédia, poursuivit-elle, je pensais pouvoir faire quelque chose pour lui, mais il a été emporté par... les brumes noires. J'espérais emmener sa famille dans un autre monde, à l'abri du fléau.

- Je vois, dit l'Intermédiaire, et cette Enfant de Lumière et de Cristal qui a figé cette cité était aussi ton amie ? Ainsi que le yotora et le moadrin qui ont attiré les brumes noires dans la Dimension Sans Couleur ?

L'estomac d'Evannah se tordit jusqu'à la douleur.

- Oui, articula-t-elle en s'attendant au pire.

L'interprète fit une pause et écouta le verdict du Veilleur. Le Dragon siffla, mais aucune menace, aucune colère ne se faisait sentir dans sa voix.

- Tu as libéré cette cité des pouvoirs d'un Enfant de Lumière et de Cristal et tu as échappé aux Protecteurs pour ne pas leur livrer ton amie, traduisit l'Intermédiaire, nous comprenons tout à fait ton choix, mais tu as conscience que tu as retardé la solution au fléau. Cependant, Ixarian te pardonne, car tu nous as débarrassé de lui. Maintenant, enfant des pluies, que veux-tu faire ?

- Je veux que les nilédias retrouvent leurs familles dans Ibyulis, sous les îles Garyon. Je ne veux plus voir de massacres dans Ixarian, que ce soit de vies fénékos ou nilédias.

- Soit. Ixarian a connu beaucoup de pertes et de sang et elle ne désire que la paix. Un de nos Protecteurs te mènera au portail, toi et les enfants de l'obscurité.

Les bannis se regardèrent, incrédules. L'Intermédiaire appela un fénékos qui fit signe à Evannah de le suivre. Les exilés laissèrent leur réticence derrière eux et acceptèrent d'être guidés jusqu'à Ibyulis.

Sur le chemin, Evannah fut soulagée de voir que Losdrel n'avait pas tout dévoré. Ixarian avait subi des pertes, mais les Protecteurs avaient joué leur rôle du mieux qu'ils le pouvaient. Les grosses lanternes s'étaient éteintes et les habitants couraient dans la joie, à profiter de cette première nuit sans frayeur. Les yeux d'Evannah ne regardaient pas la dimension. Ils cherchaient Saphir et Iuka. Le cœur serré, elle espérait les voir surgir un moment ou un autre.

L'humaine et les nilédias arrivèrent près d'un bâtiment creusé dans la pierre. Le fénékos expliqua leur venue aux gardiens qui s'écartèrent sans poser de questions. L'un d'eux entra et sortit avec un loup. Il ouvrit un passage entre Ixarian et les îles Garyon devant les exilés. Le premier banni traversa le portail et confirma la vérité. Apaisés, les autres suivirent alors en remerciant Evannah. Les vigiles s'étaient éloignés pour discuter avec le Protecteur. De ce que la jeune fille entendait, ils racontèrent comment ils avaient échappé au fléau et quels étaient les dégâts dans cette région. Une fois tout le monde parti, l'humaine lança un dernier regard vers les arbres violacés. Deux ombres surgirent soudainement et sautèrent dans le portail avant qu'elle ne se retourne. Evannah poussa un hoquet de surprise qui alerta les fénékos.

- Que se passe-t-il ? s'écria l'un d'eux.

- Rien ! assura Evannah, folle de joie, tout va pour le mieux ! Merci pour tout !

Les gardiens haussèrent les épaules et la saluèrent. Sans plus tarder, la jeune fille traversa la brèche qui se referma aussitôt derrière elle.

Evannah n'eut pas besoin de lumière pour savoir ce qui se déroulait ensuite. Dans toute leur liesse, les familles s'embrassèrent et pleurèrent de soulagement. Une langue râpeuse lui lécha le visage et les mains alors que des cris stridents sautillaient autour d'elle. On l'étreignit jusqu'à lui couper le souffle et un museau se frotta contre sa joue. Rassurée, Evannah essuya ses larmes et s'exclama :

- Je savais que vous viendriez !

- On savait que tu finirais par trouver une solution, confia Saphir.

- Tout va bien ? Vous avez encore le masque ?

- Oui, Foudre Bleue en a pris soin, lui garantit Iuka. Evannah, tu m'impressionnes de plus en plus pour une humaine. Tu t'es débarrassée d'Yrradan ?

- Oui, affirma-t-elle sombrement, je ne voulais pas que ça se termine comme ça.

- Tu n'avais pas le choix. Il t'aurait éliminé de toute façon. Enfin, Leïvron est sauvé, nous sommes en vie et les nilédias ont retrouvé leurs familles. Il te reste une chose à faire.

- Oui. Allons-y.

Iuka détacha le coffre, l'ouvrit et donna le masque à Evannah qui s'avança devant les exilés. Elle réclama leur attention et les voix se turent.

- Je suis tellement heureuse de vous avoir sortis d'Ixarian, de vous avoir conduits à vos amis et à vos familles. Mais je n'ai pas l'intention de m'arrêter là. Vous serez sans cesse menacés par les autres mondes. Ibyulis pourrait se débarrasser de vous et pour éviter un nouveau massacre, je veux vous offrir un foyer.

- Quel est ce foyer ? demanda un nilédia.

- Sérannévya.

Des exclamations de surprise éclatèrent, suivies de murmures incrédules, voire furieux. Evannah tourna de nouveau l'attention sur elle.

- Je sais ce qui vous est arrivé ! Alérian vous a promis un monde et ne vous l'a pas donné. Mais je sais désormais qu'il n'était pas un menteur, comme le faisait croire Niyen. Dans Maciurim, j'ai rencontré Nalirym, un de ses amis. Il m'a dit qu'un fragment d'une fleur de cristal s'était planté en moi, ce qui m'a permis de me téléporter. Cette même fleur devait le mener dans Sérannévya, mais les Protecteurs ont attrapé Alérian avant qu'il ne vienne vers vous et l'ont tué. Nalirym m'a donné ce masque pour un retour et pour vous faire entrer dans Sérannévya. Et je veux vous prouver que ce monde existe et que je peux convaincre Axan.

Des murmures de méfiance s'élevèrent. Alors qu'Evannah pensait que son plan allait être rejeté, un nilédia cria :

- Eh bien, prouve-le ! Qu'est-ce que tu as à perdre de toute façon ? Téléporte-toi et reviens nous dire si Sérannévya existe !

Des voix d'approbation le soutinrent.

- Bien, je le ferai, déclara Evannah, mais j'ignore combien de temps ça prendra. Je ne sais pas si je serais de retour dans une heure ou dans une semaine.

Aucun nilédia ne se manifesta. Evannah sentit des centaines de paires d'yeux sur elle. Elle se concentra, capta l'énergie d'un monde qu'elle n'avait pas encore visité. Quand elle perçut deux terres protégées par une barrière infranchissable. L'une ne révélait rien derrière, mais l'autre foisonnait d'activités et son âme lui assura qu'elle pouvait y entrer. La jeune humaine sollicita sa Nebula pour pénétrer dans ce nouveau monde.

Et devant la foule d'exilés, Evannah disparut.

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Alice_Lath
Posté le 28/10/2020
"Les chutes du guerrier leur permirent de se raccrocher, mais elles rencontraient toujours ses pattes" => J'avoue que je n'ai pas compris cette phrase haha
Encore un chapitre très dense dis-moi ! Pour le coup d'Yrradan, je pense que ça pourrait gagner en détail, mais c'est déjà un bon rebondissement haha.
Pour la suite, jsuis un poil plus circonspecte : comment elle sait qu'il faut briser le médaillon ? Pourquoi à cet endroit et pas ailleurs ? Pis le dénouement fait un poil rapide "merci les sauveurs et au revoir" haha, ça fait un peu fin de jeux vidéo, c'est dommage, j'aurais aimé en lire plus sur ce passage
Bref, le fond est vraiment très cool, mais mériterait d'être retravaillé un poil je trouve haha, histoire qu'on puisse vraiment visualiser tous les éléments de cette tragédie
DraikoPinpix
Posté le 28/10/2020
Les jambes d'Evannah sont gênées par les pattes de Saphir, en fait ^^
Sinon, je tiens à revoir la résolution du problème dans ma nouvelle version. Surtout que j'ai modifié des choses par rapport à Losdrel et Lyzel.
Là, encore, j'ai oublié de préciser certaines choses : Les réflexions d'Evannah par rapport au pendentif. C'est vrai que je voulais surtout que mon lectorat réfléchisse.
Xanne
Posté le 22/08/2020
Bonjour Draiko, me voilà enfin pour laisser mes impressions pour ce nouveau chapitre.

Je n'ai pas bien compris le passage où Evannah chevauche Saphir. J'ai compris qu'elle était secouée dans tous les sens et qu'elle se "détache" momentanément de lui par manque d'appui, mais les tournures de phrases me semblaient un peu farfelues.
En revanche, j'ai bien aimé le dialogue qui a suivit. On sent la tension, ils s'empressent de trouver une solution, j'y ai presque trouvé une touche d'humour.

Je ne m'attendais pas à revoir Yrradan. Comment a-t-il fait pour trouver Evannah? Je croyais qu'elle n'avait plus la marque... Mais même si c'est juste un hasard, le choc était bien réel lorsque j'ai lu ce passage.

C'est bien d'avoir expliqué pourquoi elle ne choisit pas de se téléporter, car c'est une question que je me posais en lisant le passage où elle se débat contre Yrradan.

Quelques temps après, elle se téléporte. Pourrais-tu préciser vers où? J'imagine qu'elle a juste fait un bond de quelques mètres pour rester dans la lumière et que sa téléportation avait pour principal but de surprendre son agresseur, mais je ne suis pas sûre que c'est ce que tu aimerais faire comprendre.

"Evannah se tint en haut des marches" Quelles marches? Celle de la tour où est posé Losdrel? Evannah s'est donc téléportée en haut de la tour?
"Elle enjamba les planches et monta l'escalier. " Mais elle est déjà en haut des marches, non? Visiblement non, car tu précises ensuite qu'elle atteint le sommet. Je suis un peu perdue en ce qui concerne la position d'Evannah dans la cité.

"Oleïd [...] aussi désirait en finir". Pourquoi est-il si conciliant? En fait, je m'interroge sur les motivations de Losdrel et sur sa conscience. Qui est-ce qui le "contrôle"? Qui décide de ses choix? Est-ce que les âmes qu'il emprisonnent sont une sorte de "nourriture" ou est-ce qu'elles viennent compléter les brumes qui le compose?
Désolée si je t'embête avec ces questions, j'ai encore un peu de mal à cerner cet antagoniste malgré tes explications. Je n'ai peut-être pas été assez attentive?

A partir du moment où Evannah brise l'étoile de Lyzel, les actions s’enchaînent trop vite à mon goût. En l'espace de quelques lignes, quatre dragons (un par dimension ?) apparaissent et comprennent en quelques échanges à peine qu'Evannah vient de les sauver et il la remercient. C'est un peu rapide, même si elle donne quelques explications par la suite.

"des cris stridents sautillaient autour d'elle." What? des cris qui sautent? XD

Oh mon dieu. La fin de ce chapitre... J'ai un horrible présentiment...
A la fin de ce chapitre, Evannah sent deux mondes protégés par une barrière infranchissable et elle choisit d'aller dans celui où "foisonne l'activité"...

Non.

Draiko, ne me dit pas qu'Evannah est allée dans Uvrenel de son plein gré...
DraikoPinpix
Posté le 22/08/2020
Coucou !
Alors, concernant la position d'Evannah, c'est vrai que je devrais être plus clair (car ça l'est forcément dans ma tête XD) : Le haut des marches, ce sont les marches qui mènent vers la grande place où se tient la tour. Et ensuite, elle rentre dans la tour, passe au-dessus des planches (car la tour est pétée), puis monte l'escalier de la tour.
Oui, Yrradan l'a trouvée par pur hasard. La téléportation d'Evannah a effectivement été là pour le surprendre et se débarrasser de lui.
D'accord pour le passage avec les Dragons (les Veilleurs sont plusieurs dans un monde/dimension, contrairement aux Maîtres).
Oui, je pense que Losdrel mérite des explications. Même si j'aime garder une part du mystère, voir des théories fuser sur lui. Pour moi, Losdrel est fou et est juste une grosse bêbête qui dévore tout sur son passage.
Oui, les cris désignent Foudre Bleue qui sautille XDD
Oh, théorie intéressante et très sombre, surtout.
A bientôt pour le prochain chapitre !
Xanne
Posté le 22/08/2020
Si c'est le cas, Evannah va peut-être réussir à sauver son frère!
Pluma Atramenta
Posté le 18/08/2020
Coucou !
C'est toujours une joie de retrouver la "petite troupe". J'aime franchement le groupe que tu as créé : un lapin géant, un loup cornu ; une jeune fille sans deuxième mot ; et Iuka. Ca fait rêveur, c'es très beau. Je trouve également que tu as bien géré les émotions d'Evannah dans ce chapitre. En revanche, j'ai quelques remarques :
- Tu n'as pas assez coupé les dialogues et parfois, on a un doute sur la personne qui parle.
- A plusieurs reprises, tu emploies le terme "Evannah soutint son regard". Il faudrait un peu plus varier, pour ne pas que cela soit répétitif.
- Et dernièrement, j'ai l'impression que tout se déroule un peu trop rapidement.

En tout cas, je suis bluffée par ta capacité à "enchaîner" les différentes situations et aussi, comme régulièrement, par ton imagination foisonnante. Hâte de savoir la suite !
Que ton inspiration s'élève jusqu'à la Lune !
Pluma.
DraikoPinpix
Posté le 18/08/2020
Coucou !
Ca fait plaisir de te revoir :3
Okay pour tes remarques, je prends en compte les deux premières. J'ai pas l'impression d'avoir un sentiment de rapidité dans les événements. Je ne sais pas si c'est parce que je suis l'autrice de cette histoire.

Merci de me suivre et à bientôt :)
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