Chapitre XXXIII : Les Parfums de l'Arc-en-ciel

Notes de l’auteur : Dans ce chapitre se trouve une image. Étant donné que je ne peux l'afficher, vous avez le lien directement dans le texte.

Le soir tombé, Ellalym mena Evannah vers un établissement. Plus accueillante que le reste de la ville, pourtant éclairée par les lumières apportées par les fénékos, sa façade de marbre était recouverte de plusieurs couches de peinture pour cacher les graffitis des passants. Au sommet d'une double porte sombre, une enseigne arborait un arc de cercle blanc rempli de sept parties. Inutile de se demander où se trouvaient les couleurs. Une grosse écriture noire se superposait et indiquait le nom du cabaret dans cet alphabet :

 

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Une fois qu'elles eurent passé la porte, la nervosité d'Evannah s'intensifia. Elle regretta de ne pas avoir le soutien de Saphir et d'Iuka qui devaient rester chez Ellalym pour ne pas se faire remarquer. Cachée sous une cape noire, elle protégea ses oreilles du brouhaha avec sa capuche. La salle possédait de petites lumières cristallines, mais les ténèbres dominaient et ne laissaient voir que des silhouettes. Sur scène, des femelles dansaient et chantaient, accompagnées de musiciens et de projecteurs.

Ellalym attrapa le bras d'Evannah et l'entraîna dans un long couloir qui menait aux coulisses.

- Tu danses ici ? demanda l'humaine qui esquivait les artistes qui marchaient en contresens.

- Parfois, oui, répondit la cilynas, j'ai eu ma période de gloire, mais je suis tombée dans l'oubli. C'est la vie d'une simple artiste comme moi. Allez, je suis sûre que tu vas leur en mettre plein les oreilles ! Mais évite de crier, tu sais très bien que nous sommes sensibles. Tu as choisi ta chanson ?

- Oui.

Evannah se surprit plusieurs fois à être en apnée. Elle se força à prendre de grandes inspirations, mais le monde étouffait l'air. Comme elle souhaitait que tout soit déjà terminé ! Elle était plus angoissée que la veille d'un examen oral, mais elle était aussi excitée. Depuis toute petite, elle avait toujours rêvé de monter sur scène et de faire entendre sa voix. Dans son imagination, le public hurlait d'extase dès les premières notes. D'autres restaient bouche bée et en étaient émus aux larmes. Sa chanson à peine terminée, toute la salle se levait, jubilante et la couvrant d'applaudissements.

Cependant, elle n'était pas en train de rêver. La réalité était tout autre et se montrerait cruelle. Elle ne chantait pas pour amuser des spectateurs, elle chantait pour sa vie.

Ellalym poussa une porte qui ouvrait sur les coulisses. Les artistes qui se changeaient tournèrent la tête vers elles. Leurs regards indifférents confirmèrent ce que la danseuse avait dit : elle était tombée dans l'oubli. Deux d'entre eux la reconnurent néanmoins et la serrèrent dans leurs bras, heureux de la revoir.

- Ellalym ! Tu vas danser ce soir ? demanda une jeune cilynas aux cheveux noirs et lisses.

- Non, Nessim. Mais elle, elle va chanter.

Evannah dévoila son visage et les deux inconnus s'étonnèrent face à son humanité.

- D'accord, dit le second qui était entièrement blanc, elle s'est inscrite sur la liste ?

- Non, répondit Ellalym, nous y allons.

- Bien, tu sais où c'est de toute façon. Nous serons là pour préparer... comment tu t'appelles ?

- Evannah.

- D'accord, Evannah ! Moi, c'est Mevarrim. On fera de toi une star, tu verras !

Elle esquissa un sourire gêné. Elle, une star ? Elle n'avait rien de tel !

Ellalym lui prit la main et la présenta à un cilynas qui surveillait les passages sur la scène. Affairé, il ne remarqua pas les deux arrivantes. Ses yeux se posaient sur son calepin ou sur les planches. Une fois la prestation terminée, les applaudissements ne retentirent pas, mais la mine satisfaite de l'hôte d'accueil et indiqua aux filles que tout s'était bien passé. Il sursauta quand il réalisa qu'Ellalym et une humaine le regardaient.

- Oh ! Je suppose que vous voulez impressionner Nalirym ? comprit-il, enjoué. Bravo, Mellyr, c'était super !

La prestataire, une vupsan en pagne, entra dans les coulisses et le remercia d'un signe de tête.

- Bien, poursuivit le cilynas, pressé, quels sont vos noms ?

- Je ne me produis pas devant Nalirym, le renseigna Ellalym, mais elle, oui. Elle s'appelle Evannah.

- D'accord. Et quelle sera ta prestation, Evannah ?

- Je vais chanter.

- Parfait ! Tu peux aller te changer et je t'appellerai quand ça sera ton tour. N'oublie pas que tu dois chanter tout en douceur. Si tu hurles, tu nous assommeras. Dellyan et Kaéran, à vous !

Deux fénékos arrivèrent alors qu'Ellalym et Evannah rejoignirent Nessim et Mevarrim. Les cilynas saisirent la jeune fille et la firent s'asseoir devant une coiffeuse. Comme une poupée entre les mains d'enfants, elle se laissa faire et fit confiance à leur professionnalisme. Mevarrim brossa ses cheveux et confectionna une tresse sophistiquée. Puis, il déposa un fond de teint pour cacher ses blessures et la maquilla de noir. Evannah craignait de ne plus se reconnaître dans le miroir, elle qui n'avait jamais touché au maquillage, excepté pour des soirées déguisées, mais le résultat lui plut. Ses yeux étaient surlignés d'eye-liner et de mascara, ses lèvres fines étaient de jais et elle se retint de se pourlécher.

Mevarrim la présenta à Nessim qui la complimenta avec excitation. À son bras pendait une robe sombre gonflée de froufrous et de dentelles. Elle emmena Evannah dans un vestiaire. Quand l'humaine sortit, Nessim la bombarda d'éloges jusqu'à ce que tous les regards se tournent vers elles. Evannah voulait être invisible jusqu'à sa représentation. Elle jeta un œil dans les grands miroirs qui couvraient les murs et se souvint qu'elle ne pouvait plus rougir. Tout ce noir et sa pâleur lui donnaient l'allure d'une poupée gothique.

- Evannah ! C'est à toi !

Son nom sonna comme un coup de fusil et elle sursauta. Elle n'eut pas le temps de se préparer psychologiquement, car Nessim et Mevarrim la poussèrent vers la scène. Elle croisa Ellalym qui l'encouragea d'un sourire. Le cilynas qui gérait les prestations l'invita à rencontrer le public. Evannah prit une grande inspiration et s'avança. Son cœur se débattait comme un lapin entre les crocs de l'angoisse qui demeurait dans son esprit et son corps, méprisant toutes les armes qu'Evannah se servait pour la chasser. La jeune fille espérait que ses tremblements étaient invisibles aux yeux des gens. Face à elle, une foule de cilynas agitait les mains en l'air en guise d'applaudissements. Elle ne vit pas leur visage et ne savait pas si cela la rassurait. Qu'exprimaient-ils ? La surprise vis-à-vis de son manque de couleurs ? Le mépris car elle n'était qu'une humaine ? La raillerie à cause de sa petite taille et de son manque d'assurance ?

Evannah parcourut les loges des yeux, mais rien n'indiquait la position de Nalirym. Elle craignait qu'il se soit absenté durant sa prestation. Mais non, comme Ellalym l'avait dit plus tôt dans la journée, il adorait les spectacles. Il était là à la regarder avec curiosité, elle le savait.

Une douche de lumière l'aspergea. Elle se sentait nue comme jamais. Elle désirait se sauver, mais ses jambes étaient pétrifiées par le devoir. Ses doutes l'assaillirent. Et si elle n'était pas aussi talentueuse finalement ? Si sa voix était une parmi tant d'autres ? Et après tout, pourquoi elle, Evannah, réussirait à impressionner Nalirym, un passionné du spectacle qui avait vu tellement d'artistes défilés devant lui ?

Mais parmi ses peurs, les paroles de Lyzel résonnèrent :

Tu es plus forte que tu ne le crois.

Une étincelle de courage illumina son cœur. Des coulisses, le cilynas lui fit signe de commencer. Evannah inspira et libéra sa voix :

 

Je vis dans ce monde gris,

Sous les débris

Des rêves brisés.

Étouffée par vos lois,

Mon âme ne peut chanter.

Sur vos chemins,

Ma vie ne vaut rien.

Mais quels sont mes choix ?

 

Je veux sortir de vos rangs,

Combler ce néant

Par ma plume et par mes mots.

Je veux recoudre ces terres déchirées,

Dessiner des fleurs dans l'eau,

Peindre des plages safran,

Colorer les forêts

Et habiller les plaines de blanc.

 

Laissez-moi déverser mes couleurs.

Laissez-moi dessiner mon bonheur.

Votre monde n'est fait que de haillons

Je pars pour la terre des saisons.

 

J'ai rampé dans des champs d'épines,

Vogué sur des mers de chagrin

Pour fuir votre monde de ruines.

J'ai échoué dans ce jardin

Où mille sourires m'ont accueillie.

Où je peux me sentir aimée.

J'ai laissé mon passé

Mourir sur vos terres meurtries.

 

Laissez-moi fuir votre noirceur.

Laissez-moi suivre mon cœur.

Votre monde est bercé d'illusions.

Je mourrai sur la terre des saisons.

 

Je sais que d'autres ne sont pas chez eux.

Je les guiderai sur les routes.

Les fleurs chasseront leurs doutes

Et les rendront éternellement heureux.

Contre les arbres aux feuilles vermeilles,

Nous dormirons sous le soleil.

Et nous monterons ces monts enneigés

Pour contempler cette terre rêvée.

 

Laissez-moi sécher vos pleurs.

Laissez-moi chasser votre aigreur.

Dans ce monde, nous vivons sans cloison.

Je vous mènerai vers la terre des saisons.

 

La terre des saisons.

La terre des saisons.

La terre des saisons.

 

La dernière note explosa, ignorant l'ouïe hypersensible des cilynas. Quand Evannah termina sa chanson, elle craignait d'en avoir assommé quelques-uns. Cette seconde de doute s'écroula sous l'ovation silencieuse du public qui tonna dans le cœur de la jeune fille. Les murmures et les exclamations admiratifs se ruèrent sur elle pour l'étreindre et une chaleur d'émotions la submergea. Incapable de bredouiller un merci, Evannah sourit et inclina la tête. L'hôte d'accueil sautilla de joie et la reçut dans ses bras. Lorsqu'il la lâcha, c'était au tour d'Ellalym, de Nessim et de Mevarrim de l'enlacer. La pression de la scène et l'euphorie de l'humaine éclatèrent en un flot de larmes. Tout en la félicitant, les cilynas la menèrent vers un banc et la firent asseoir. Nessim partit et revint avec un verre d'eau qu'Evannah refusa. La boisson épicée allait la faire transpirer davantage.

Les deux prestations suivantes conclurent la soirée. Ellalym assura que Nalirym viendrait faire un tour pour saluer les artistes. L'angoisse avait quitté Evannah bien qu'elle était dans l'attente d'une réponse définitive.

Nalirym entra et imposa le silence par sa présence. Plus petit que les cilynas, il inspirait pourtant le respect. Ses deux cornes blanches longeaient l'arrondi de son crâne où étaient plaqués des cheveux charbonneux et gominés. Sa peau de cire brillait à la faible lueur des coulisses. Comme il était vêtu de noir de la tête au pied, Evannah n'était pas étonnée de ne pas l'avoir aperçu dans la foule. Ses yeux d'encre jaugèrent chaque artiste. Il resta de marbre quand il croisa le regard de la jeune humaine, comme s'il avait vu beaucoup de chanteuses comme elle passer dans sa vie.

Jovial, Nalirym s'avança vers deux danseuses. Il les félicita et souhaita les revoir ici. Il combla encore trois chanteurs d'éloges qui promirent de revenir. Alors que tout espoir l'abandonna, Evannah se surprit à voir Nalirym lui sourire avec admiration.

- Evannah, c'est ça ? demanda-t-il avec douceur.

La jeune fille hocha la tête.

- J'ai aimé ta chanson, lui confia-t-il, un de mes amis aurait adoré les paroles.

- Une de mes amies aussi, lui répondit Evannah.

- D'où sort cette chanson ? D'un artiste quelconque de ton monde ?

- C'est moi qui l'ai écrite.

- Oh ! s'exclama-t-il, élogieux.

Evannah sourit. L'attention dans les coulisses était désormais sur elle.

- En tant que chanteuse et parolière, tu as une brillante carrière devant toi, la flatta-t-il, j'espère te revoir un jour. Tu seras toujours la bienvenue ici, tant que tu continues à régaler mes oreilles. Si tu as quelque chose à me demander, n'hésite pas.

- J'aimerais juste v... te demander un service.

- Bien. Attends-moi.

Alors que Nalirym se dirigeait vers un groupe d'illusionnistes, Ellalym posa une main sur l'épaule d'Evannah et la félicita. Quand le cabaretier eut fini son tour, il les emmena vers sa loge. La salle était noire de photographies qu'Evannah contempla dans le but de repérer Ellalym, mais Nalirym l'interrompit :

- Bien, qu'est-ce que tu veux me demander ? Apparemment, ça a l'air sérieux.

- Très sérieux, rectifia Ellalym.

- Je suis devenue Nébulienne à la suite d'un accident, expliqua Evannah, j'ai besoin de votre aide pour redevenir Fluvienne.

- À la suite d'un accident, comment ça ?

Evannah avait perdu le réflexe de montrer sa blessure à la poitrine. La marque s'était cicatrisée et ne donnait plus aucune preuve.

- Un morceau d'un objet s'est planté dans mon corps. Depuis, mes Nebulas ont été modifiées.

- Oh, fit Nalirym, l'air grave, j'imagine que tu en as souffert.

Evannah opina de la tête, le cœur lourd.

- Quelles Nebulas ont été modifiées ? s'enquit-il.

- Celle de l'Espace. Je suis capable de me téléporter. J'ai fui Mitrisiane pour ne pas finir à Uvrenel.

- Mmmh. Écoute, je vais t'examiner et je vais voir si je peux faire quelque chose. Suis-moi.

Nalirym poussa sa coiffeuse et appuya sur le mur qui s'ouvrit sur un sombre escalier. Il tourna une manivelle qui éclaira l'endroit et descendit, les deux artistes sur ses talons. En bas des marches, il déverrouilla une porte de métal et laissa passer ses deux patientes.

La salle était tout aussi obscure. Une lampe baignait une large table dans la lumière. Une vitre se tenait perpendiculaire à elle. Sur sa surface ondulaient des reflets bleus et violets. Nalirym invita la jeune humaine à s'allonger et elle s'exécuta aussitôt.

Une fois couchée, le cœur d'Evannah s'emballa. Elle s'attendait à avoir les plus graves maladies de Synoradel, à être déchiquetée par un cilynas qui n'avait aucun diplôme en poche. Après tout, elle ne savait rien de Nalirym et elle se demandait s'il avait déjà fait des opérations complexes.

Le cabaretier rabattit la vitre au-dessus d'elle et tourna une manivelle sous la table. Les reflets laissèrent place à de longues nuées multicolores qui serpentaient et formaient une silhouette humaine. Malgré la peur, Evannah poussa un soupir d'admiration à la vue de ses Nebulas. Une seule circulait plus rapidement et s'agitait de manière anarchique dans son âme et surtout dans ses jambes. Ses sœurs essayaient de suivre le rythme, mais elle ne faisait que les heurter. C'était elle. Sa Nebula de l'Espace.

- Magnifique, n'est-ce pas ? murmura Nalirym, émerveillé, même ces couleurs foisonnent dans le corps d'un cilynas. Notre essence est pleine de richesses, de lumières et de parfums. Je ne m'habituerai jamais à la beauté des Nebulas, peu importe le corps qu'elles habitent.

Son observation paraissait lui prendre des minutes alors qu'elle ne durait que quelques secondes. Il tourna la tête vers Evannah et déclara :

- Ta Nebula de l'Espace est effectivement anormale pour une humaine. Comme tu peux le voir, elle en touche d'autres : celles des Sens, celles du Squelette, de l’Énergie et de la Vélocité, celles de la Mémoire, des Rêves et de l'Intelligence, celles de la Température et de la Pesanteur surtout. Tu as de la chance d'avoir survécu…

Il s'arrêta brusquement, hésitant. Il reprit avec plus d'assurance :

- La remettre dans son état normal sera très compliqué. Tu risques d'en mourir. Je ne touche jamais à ces Nebulas qui sont fortement liées à d'autres. Aucun Nébulogue ne le fait. On ne peut pas modifier une âme à sa guise. Eh ! Tu as un parasite, là.

Il désigna la Nebula, au niveau de l'épaule gauche. Evannah ne pouvait voir de quoi il s'agissait, pourtant elle comprit quel était le problème.

- Un fénékos m'a marquée pour me retrouver en cas de téléportation, raconta-t-elle.

- Je vois ça, dit Nalirym, tu as dû rencontrer Yrradan, c'est bien ça ?

- Tu le connais ?

- Oui. Enfin, un ami le connaissait. Relève-toi, dit-il en écartant la vitre.

Evannah obtempéra et Nalirym passa derrière. Il dénuda son épaule et observa la marque avant de la toucher de son doigt. Evannah, qui s'attendait à souffrir, s'étonna lorsqu'il annonça qu'il avait fini. Comme elle ne le croyait pas, il le lui prouva à l'aide de deux miroirs. En tenant l'un d'eux, Evannah inspecta son épaule et fut soulagée de voir que la spirale avait bel et bien disparu.

Evannah se rallongea et Nalirym l'étudia à nouveau. Cette fois-ci, son analyse durait de longues minutes. L'écran zoomait et dézoomait à chaque coup de manivelle.

- Tu sais que tu ne pourras plus retourner dans Mitrisiane, la prévint Nalirym, les yeux encore rivés sur les Nebulas.

- Oui, je le sais. À vrai dire, j'ai bien réfléchi à tout ça. Si elle ne peut pas redevenir normale, je veux au moins qu'elle arrête de me faire mal.

- C'est un brusque changement qui a engendré cette douleur. Et surtout, c'est une Nebula très délicate dont il s'agit. Tu n'as pas eu de chance, ce jour-là. Les Nebulas doivent être modifiées avec la plus grande des précautions.

- Je vais en mourir, n'est-ce pas ?

La question pétrifia Nalirym. Evannah ne le lâcha pas des yeux et voyait bien qu'il connaissait la réponse depuis qu'elle lui avait expliqué son cas. Elle ne ressentait ni colère, ni peur, ni tristesse. Juste un sentiment de vide qui l'avait submergée quand elle avait prononcé ces mots. Elle regarda Ellalym qui était absorbée dans la contemplation des outils posés sur les tables. Le cilynas se ressaisit pour se remettre calmement au travail.

- Il y a des chances, oui, répondit-il, l'air grave.

Evannah sentit son sang se glacer. Elle s'attendait à voir ses Nebulas se pétrifier et se ternir, mais elles poursuivaient leur ronde. Au fond d'elle, elle savait qu'il n'y avait aucune solution depuis le début. Cependant, l'espoir ne l'avait pas quittée et l'avait menée si loin. Même maintenant, elle continuait d'espérer.

- Il y a quelque chose... là... au niveau de ton cœur, remarqua Nalirym qui zooma un peu plus.

Et elle aussi le voyait. Une poudre de cristal tournoyait dans sa Nebula, comme des feuilles dans le vent. Evannah porta une main à cet endroit. Comme elle le pensait, l'aiguille qui s'était plantée dans sa poitrine avait contaminé son âme.

- C'est le morceau d'un objet qui s'est brisé, c'est bien ce que tu m'as dit ? se rappela Nalirym.

- Oui, confirma Evannah.

- C'est comme du cristal... exactement comme un cristal... n'est-ce pas ?

- Oui, c'était un objet de cristal. Il a éclaté comme s'il contenait une force invisible.

Nalirym se redressa soudainement et fit les cent pas dans la salle. Ellalym le fixa avec curiosité, comme si elle essayait de lire ses pensées.

- Mitrisiane, oui, c'était sur Mitrisiane !

Nalirym se tourna vers Evannah qui le regardait avec inquiétude. Il était sous le choc d'une révélation qu'il avait toujours attendue.

- La fleur d'Alérian... Un seul morceau a survécu. Et il est en toi.

- Une fleur ? C'était donc ça, le travail d'Alérian ? Ce qui permettait de mener les nilédias vers Sérannévya ? s'enquit Evannah, interdite.

- Exactement ! Comment es-tu au courant de cette histoire ?

- Mon amour, une damorian du nom de Lyzel, a connu Niyen. Niyen lui a raconté les projets d'Alérian. Lyzel m'a fait part de ces informations avant de mourir... des mains d'Yrradan.

Nalirym resta sans voix. Derrière lui, Ellalym était tout aussi bouleversée. Le cabaretier serra Evannah dans ses bras et la regarda, plein d'espoir.

- Écoute, commença-t-il, Yrradan a marqué mon ami Alérian avant qu'il ne lui échappe. Avec l'aide des autres Protecteurs, il l'a poursuivi à travers les mondes pour détruire son projet. Mais ils n'ont pas réussi.

Nalirym s'agenouilla et lui prit les mains, les yeux brillants d'émotion.

- Alérian était un Protecteur qui avait participé au massacre des nilédias. Il a regretté ses actes et s'est tourné vers les exilés en leur promettant de les mener dans Sérannévya, là où personne ne pourra les persécuter. Alérian avait fait de nombreuses recherches sur Sérannévya et avait repéré sa position. Encore fidèle à Ixarian au moment où il l'avait localisé, il avait fait part de ses trouvailles aux Protecteurs. Tous ont essayé d'ouvrir un portail vers ce monde, mais leurs tentatives ont échoué. Un champ de force, pareil à Uvrenel, empêché tout passage vers lui. Alérian avait aussi révélé ses découvertes à Maciurim qui avait déjà eu un Démiurge, Valiarim, frère d'Handor. Il était un de mes amis. J'ai sauvé sa sœur d'une crise nébulienne sévère. Depuis, on n'a pas cessé de se rendre mutuellement service. Et un jour, il a débarqué ici en m'expliquant son projet.

Nalirym se redressa et se dirigea vers une armoire de laquelle il sortit un petit coffre. Il le déverrouilla et présenta un loup bleu perlé de violet.

- Sa fleur ouvrirait un portail pour un aller dans Sérannévya et ce loup garantit un retour. Poursuivi par les Protecteurs, Alérian me l'avait confié jusqu'à ce qu'il revienne, c'est-à-dire quand il aurait terminé son œuvre. Lorsque j'ai appris sa mort, je n'y ai plus touché... jusqu'à ce jour. Il est à toi, maintenant.

Il tendit le masque à Evannah qui le regarda, déroutée.

- Donc... je suis capable de me téléporter dans Sérannévya ?

- J'en suis sûr. Un si petit morceau t'a permis de voyager d'un monde à l'autre. La fleur détenait un immense pouvoir de téléportation.

- De toute façon, je dois aller voir Niyen. Il doit être au courant et surtout, m'écouter.

Evannah tendit la main pour prendre le loup, mais Nalirym le rangea dans le coffre.

- Cache-le bien, la prévint-il, tu n'es pas censée en avoir un sur toi. Il sera important pour ouvrir un portail de Sérannévya à Leïvron -ou n'importe quel monde.

- Mais il faut une Nebula des Objets, n'est-ce pas ?

Seule une telle Nebula pouvait réveiller le pouvoir d'un masque comme celui-ci. Étant humaine, Evannah n'en possédait pas.

- Oui, mais Axan, en tant que Leïvronien de naissance, en a une. Tu devras le convaincre et j'ai bien peur que ça ne soit pas facile.

- Rien ne sera facile, de toute façon. Merci pour tout, Nalirym.

Evannah descendit de la table et Nalirym la serra dans ses bras. Ses yeux luisaient de larmes. L'espoir brisé d'un ami venait de se reconstruire.

- Nalirym, intervint Ellalym, nous ne pouvons pas emprunter un portail. J'ai des invités... assez spéciaux qui risquent d'avoir des problèmes si on les voit.

- Je suis très réputée, ma chère, lui rappela-t-il en donnant le coffre à Evannah et en se dirigeant vers l'armoire, je suis aussi demandé dans les dimensions voisines pour soigner les Nebulas et j'ai de quoi voyager.

D'une autre boîte, il sortit un loup blanc et noir qu'il présenta aux deux artistes. Il le rangea et l'emporta. Il éteignit tout en tournant la manivelle dans le sens inverse et invita Ellalym et Evannah à quitter la salle.

Une fois revenus aux coulisses, la plupart des prestataires étaient partis. Ceux qui restaient discutaient entre eux et lancèrent des regards furtifs et des sourires radieux à Nalirym qui les leur rendit. La jeune fille nettoya son visage et enleva sa robe qu'elle déposa délicatement sur la chaise de la coiffeuse. Elle aurait aimé dire au revoir à Nessim et Mevarrim et les remercier pour leur aide, mais ils n'étaient plus là.

Cachée sous sa cape, Evannah suivit Ellalym de près. Nalirym attirait l'attention sur lui par sa popularité, ce qui la rassurait un peu. Ils marchèrent tranquillement jusqu'à la maison malgré les regards hostiles et les remarques haineuses que lançaient les Nébuliens au cabaretier. Quand Ellalym ouvrit la porte, Foudre Bleue poussa des cris joyeux qu'Iuka s'empressa de faire taire. Tous entrèrent à la hâte. Evannah fut accueillie par des accolades et des coups de langue.

- Alors ? demandèrent Saphir et Iuka, pleins d'inquiétude.

- Mes Nebulas resteront comme telles, répondit Evannah, mais... il y a autre chose. Nous devons retourner dans Ixarian.

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Alice_Lath
Posté le 28/10/2020
Eh bien haha, sacré chapitre avec la masse de révélations comme on les aime ! Je dois dire que j'ai bien aimé le passage de Evannah sur scène, mais surtout les implications au sujet du cristal en elle
En revanche, quelques petites choses m'ont chiffonnée huhu :
- La première, c'est que je suis pas certaine d'avoir tout compris. Les noms s'emmêlent dans mon cerveau, je comprends plus qui à fait quoi à quel moment. Disons que j'ai retenu : "Une fleur magique qui permet de se téléporter dans le monde rêvé de Lyzel et des nilédias est dans le coeur d'Evannah." Voilà, en gros haha
- La seconde, c'est le terme "mon amour" : Evannah parle comme une vieille veuve qui aurait perdu sa.on partenaire des décennies plus tôt. Son deuil est vraiment mega ultra rapide quand même Oo
Alors, voilà, c'est pas grand-chose haha, mais ces deux éléments m'ont gênée dans la lecture :/ donc ça me semblait important de te les souligner
DraikoPinpix
Posté le 28/10/2020
Coucou ! Merci de poursuivre ta lecture, ça fait plaisir :)
Alors :
- Oui, en effet, c'est ça. Bon. C'est un débris mais tu as compris l'idée ^^
- Tiens, je ne savais pas que l'expression gênerait tant. Surtout qu'Evannah est encore chagrinée. J'y reviendrai dessus ;)
A la prochaine :)
AudreyLys
Posté le 07/08/2020
Coucou ! Et voilà, j’ai rattrapé mon retard !
J’ai particulièrement aimé ce chapitre, la prestation d’Evannah fait très réaliste, moi qui me suis déjà produite sur scène je ne peux que comprendre son stress O_O
Par contre il y a quelques petites choses que je n’ai pas comprises. Premièrement l’histoire des ères que tu mentionnes dans le chapitre précédent, puis les instruments qu’utilise Nalirym pour examiner Evannah, je pense que ça mériterait un peu plus d’explications. J’ai aussi oublié qui était Axan.
Sinon je trouve que tu devrais un peu plus parler de la réaction de Saphir et Iuka à l’annonce de la mort de Lyzel, là c’est expédié un peu vite. D’autant que Saphir avait l’air sûr qu’elle était vivante (je l’engagerais pas comme devin x))
Sinon petite coquille : un passionné du spectacle qui avait vu tellement d'artistes défilés devant lui -> défiler
Voilà ! Zoubi !
DraikoPinpix
Posté le 07/08/2020
Coucou !
D'acc', je toucherai quelques mots sur les Ères, alors. Pour être plus claire dans ce commentaire, les ères se composent de plusieurs grandes périodes : l’Ère de l'Innocence est la première ère de tout Synoradel. Les espèces étaient des animaux et ont évolué comme on les connaît aujourd'hui. Arrivées en fin d'évolution, elles sont arrivées dans l'Ere des Nids. C'est une longue période où chaque espèce vivait leur histoire de leur côté. En gros, les mondes ne se connaissaient pas entre eux. Puis, il y a eu l’Ère du Premier Contact. Comme son nom l'indique, elle est la période où les espèces se rencontrent entre elles jusqu'à tisser des liens. Dans mes romans, nous sommes dans la quatrième Ère, dont je ne vais révéler le nom.
Okay, je rappellerai qui était Axan. Même s'il sera mentionné dans les prochains chapitres.
Je verrai pour les réactions de Saphir et Iuka face à Lyzel. J'aimerais éviter tous les dialogues du style "mais qu'est-ce qui s'est passé ? Machin, truc, chouette". Bref, ça devient chiant XD
Oui, en effet, je me suis aussi déjà produite sur scène et j'ai retranscrit ce que j'ai ressenti à ce moment-là. De même pour des exposés, c'est un stress quasi similaire.
A bientôt et merci de me suivre :3
AudreyLys
Posté le 07/08/2020
Ah, en fait la phrase qui m'a confuse c'est "les espèces étaient des animaux". Pour moi ça ne veut rien dire, puisque les animaux sont forcément composés d'espèces diverses. Il m'a fallu relire plusieurs fois avant de comprendre que tu parlais des êtres intelligents de Synoradel. Du coup je pense que tu devrais remplacer par autre chose, genre "peuples", histoire d'être plus claire.
Oki !
DraikoPinpix
Posté le 07/08/2020
Oui, c'est vrai que j'avais résumé la chose assez rapidement. ^^
Xanne
Posté le 05/08/2020
Youpidou me voilà enfin!

Si j'ai bien compris, l'alphabet comprend les mêmes lettres que les nôtres, mais qui s'écrivent avec des caractères différents? C'est chouette comme écriture, en tout cas.

Depuis que tu m'as expliqué que les noms des habitants riment avec la dimension dans laquelle ils vivent, j'apprécie d'autant plus la sonorité des noms ^^

J'aimerais tellement voir un dessin d'Evannah avec sa tenue d'artiste. Et qu'est-ce que j'aimerais entendre la mélodie de ce chant! Tu ne voudrais pas en faire un film ou une série? :D

Le stress d'Evannah, sa prestation et ses sensations à la fin de sa performance sont vraiment réalistes. T'es-tu inspirée de tes propres expériences pour écrire ce passage?

La "cabinet médical" juste en-dessous du cabaret m'a un peu surprise. Je m'attendais à ce qu'Evannah quitte le cabaret pour s'y rendre, mais ce n'est qu'un détail.

Nalirym voit-il les couleurs? Ou bien les sent-ils avec son odorat? Je pose la question parce que tu parles "d'observation".

Au moment où Evannah demande " Je vais en mourir, n'est-ce pas ?", j'ai eu peur de la perdre, elle aussi. Je me suis attachée à elle et tu as déjà tué Lyzel (écrire ces mots est encore douloureux, tu te rends compte de ce que tu m'as fait?! Mais je commence à comprendre pourquoi tu l'as fait. C'est juste dur à accepter. )

La fin du chapitre est très dense en révélations (plot-twist sur plot-twist, j'ai relu plusieurs fois pour comprendre). Je t'avoue que je ne sais plus qui est Axan.

Petite coquille: "- Je suis très réputée, ma chère, lui rappela-t-il" il y a un "e" en trop, je crois.

Ce chapitre soulève pas mal de questions, mais je sens que la fin n'est plus bien loin (à mon grand regret...). Je comprends mieux comment sont liés les différents événements et l'accident d'Evannah a pris une toute autre signification maintenant.

Je pense que je reviendrai sur ce chapitre, il contient beaucoup d'informations.
A bientôt!
DraikoPinpix
Posté le 05/08/2020
Coucou ! ❤
Merci pour ton commentaire !
En effet, je chante depuis deux ans et je voudrais les chanter un jour 😊
Je pense que je devrais rappeler qui est Axan, oui.
Et en effet, Nalyrim sent les couleurs comme les autres.
Pour les sentiments d'Evannah, je me suis inspirée de mes expériences personnelles, en effet.
À bientôt alors ! Il reste quelques chapitres avant la fin 😉
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