Chapitre XVI

Point de vue : elle

Son téléphone sonne, quelqu'un appelle. Il se réveille. Il a mal au dos. Ce n'était pas une très bonne idée de s'endormir tout recroquevillé sur le canapé. Le numéro est inconnu. Il ne répond pas. Il n'est pas assez réveillé pour le faire. Il se prépare un café. Il attend que ça refroidisse un instant. Un message vocal. Elle lui demande de la rappeler.

Il n'ose pas le faire. Par timidité. Il n'ose surtout pas le faire lui-même. Il ne saurait pas quoi dire une fois au bout du fil, il ne saurait pas comment aborder l'accident. Il ne sait jamais comment le faire et il a dans la tête qu'il ne le saura jamais. Quelle connerie ! Je ne sais pas comment c'est arrivé jusque dans son cerveau, mais ça m'a tout l'air d'être difficile à ôter, tellement ça doit être ancré.

Le téléphone vibre une nouvelle fois. Il ne peut pas ne pas répondre. Il n'ose même pas imaginer ce qu'elle penserait de lui, après l'avoir consolée et ramenée chez elle suite à l'accident de voitures. Impoli, irrespectueux. Lâche aussi. Tout ce qu'il n'est pas. Il décroche. Sa respiration est saccadée, rapide. Il entame la conversation.

« - Bonjour, vous allez bien ?

- Salut ! Ça va , ça vient, vous savez. J'essaie d'occuper mon esprit à d'autres tâches. Y a des fois où j'y pense et où je ne m'arrête plus de pleurer. Et vous ? »

Andrew s'assoit à la table de la cuisine. Il mange les deux madeleines qui restaient. Il trempe la dernière dans son café.

« - Ça pourrait aller mieux mais ça va passer. C'est une question de jours. Je crois que je me suis habitué à vivre avec ma peine. Que j'apprends chaque jour à faire avec, malgré tout. Comment va son frère ?

- Il s'est renfermé sur lui-même. Il ne communique plus beaucoup avec nous. Il n'a pourtant pas l'air si affecté, à première vue. Je sais qu'il se relèvera. J'en suis certaine. C'est un brave garçon. Vous seriez dispo le 4 à 10h30 ?

- Oui, bien entendu. Je serai là, comptez sur moi.

- Merci. Vous n'êtes pas obligé, vous savez.

- Je le sais, oui... Je le sais même parfaitement. Mais, ça me tient à cœur. Vraiment. Il a beau n'être ni mon fils, ni mon frère, j'y ai comme laissé un être cher. Dans cette voiture. Quelqu'un qui m'était vraiment très proche.

- Merci. A bientôt ! »

Elle raccroche, prise par les émotions. Ou peut-être pas. Juste un imprévu, quelqu'un qui arrive dans la pièce. On ne sait pas.

« - A bientôt... »

Il sourit en éloignant le téléphone de son oreille. Elle aussi, laisse échapper un sourire. Ils étaient loin de penser que la conversation coulerait aussi doucement, qu'ils parleraient si facilement de ça, alors qu'ils se connaissent à peine. Imaginer que ça soit aussi simple aurait été de l'irréalisme. L'atmosphère était si peu tendue. Un brin de soulagement vient de naître dans leurs yeux, comme s'ils redécouvraient de nouveau le côté paisible et agréable de la vie.

Andrew se demande ce qu'il en est de Lilly. La pauvre... Elle a perdu son grand-père le jour de son anniversaire. Devant ses yeux, parce qu'elle a crié. Par sa faute. Il espère qu'elle s'en sortira, qu'elle ne se sentira pas coupable de sa mort. Moi aussi, je l'espère. Il aurait aimé être tenu au courant de l'enterrement, malgré tout. Ils ont son numéro, ils auraient pu le contacter. Mais il reste sans nouvelle. Il n'aime pas ça. Et moi, ça ne me plaît pas de le voir si inquiet. C'est mauvais pour sa santé morale. Son physique n'y gagne pas beaucoup non plus parce que l'appréhension fait que le pouls s'accélère dans certaines situations qui peuvent être stressantes.

Il se change. Il va courir pour se vider l'esprit, croisant les doigts pour que son mal de dos disparaisse. Il prépare ses affaires. Une bouteille d'eau, une serviette pour s'essuyer et une barre de céréales. Ses papiers, son portable. Casque sur les oreilles, il dévale les escaliers à grand pas. Il pousse les portes de l'immeuble à deux mains, comme pour se faire de la place et laisser le néant engloutir tous ses soucis.

Il va dans un parc. Il s'échauffe un peu pour que son corps se réveille. Il est parti pour les quelques kilomètres quotidiens. Sa respiration est régulière, il laisse le vide l'envahir. Il se libère de cette pression qui le noie tous les jours. Il remonte enfin à la surface... depuis le temps qu'il attendait ça ! Il serait allé courir plus tôt, s'il avait pu savoir les bienfaits qu'il ressentirait. Il perd la notion du temps. Il sort du parc et traverse la rue. Il passe dans d'étroites ruelles, celles qui se font calmes et d'où le monde s'est écarté parce qu'elles sont assez sombres et qui font peur.

Il s'arrête. Le temps de reprendre son souffle, le temps de respirer un peu. Il boit quelques gorgées d'eau. Il mange sa barre de céréales avant de reprendre sa course pour une heure encore. Il rentre chez lui. Il attrape des habits propres au passage. Il passe sous la douche pour se décrasser. Ce soir, il mange dehors. Il achète une pizza quatre fromages qu'il emporte. Il s'installe dans le parc de tout à l'heure. Il s'assoit sur le seul banc libre. Il pose le carton à côté. Il regarde autour de lui. Les enfants qui courent dans tous les sens. Certains rient aux éclats, d'autres papotent de tout et de rien. Il fixe une personne et l'observe. Il s'imagine qui elle est, la vie qu'elle mène. Ce qu'elle traverse aujourd'hui, ce qu'elle ressent à ce moment même. Au fond, ça ne lui apporte pas grand chose, de faire ça. Mais au moins, il s'éloigne un peu plus de sa propre réalité. Comme s'il essayait de repousser ses problèmes.

Il veut sourire à la vie, mais quelque chose l'en empêche. Il ne sait pas quoi, mais moi, je le sais. C'est moi qui le retiens de sourire. Comme la Précédente m'avait empêchée de sourire auparavant. Je le fais malgré moi.

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