Chapitre XIII

Point de vue : lui

On sort de la salle. Mme Hawthorn reste à son bureau. On marche dans les couloirs. On descend les escaliers. On ne dit pas un mot. Je récupère mes affaires avant de tourner la tête vers Sarah.

« - Merci. Ecoute, je pensais pas que l'enterrement de mamie me ferait cet effet. Je ne pensais même pas ressentir un brin d'émotion. Je l'ai peu connue, tu sais. J'étais persuadé que tu serais trop inquiète pour fermer pas l'œil de la nuit si je t'en parlais. »

Sarah me lance un regard, je n'ai plus besoin de parler. Je m'interromps, on poursuit notre chemin vers le prochain cours. On attend une dizaine de minutes avant qu'il ne commence. Certains prennent leur ordinateur, d'autres leur cahier. Le cours se passe, sans surprise. Un cours parmi tant d'autres.

On se retrouve avec des gens de la promo dans un bar à deux rues de l'université pour boire un coup, se faire un petit apéro. On avance en contournant les chaises. On s'assoit à une table dans un coin mal éclairé mais tranquille. On discute. On prend cinq boissons. J'ai du mal à respirer. J'ai chaud, je transpire. Je fais un malaise. Je m'effondre sur le sol.

Je suis à l'extérieur. Il fait nuit noire. La pleine lune émet sa lumière douce et froide. C'est rassurant et angoissant à la fois. Ça annonce le réveil des loups-garous. Des grilles noires et métalliques s'élèvent devant moi. Il y a quelque chose d'indiqué sur le panneau. Il est très abîmé et beaucoup trop haut pour que je parvienne à le déchiffrer. Du lierre grimpe sur le long des barreaux. Une serrure cassée, un gros cadenas encore ouvert. On a visiblement oublié de le fermer. Je pousse de toutes mes forces pour ouvrir. Ça fait un grincement infernal. Des frissons parcourent mon dos de bas en haut. C'est désagréable. Je me rattrape juste avant de tomber.

Les feuilles mortes envahissent le sol parce qu'on ne les a pas ramassées. L'herbe est presque sèche et disséminée un peu partout parce qu'on ne l'a pas entretenue. Il y a des amas de terre par-ci par-là. Des petits arbustes parsemés sur tout le terrain. Des fusains et des abelias, des lauriers et des jasmins d'hiver. Quelques tulipes à certains endroits. Il y a peu de végétation mais elle a au moins le mérite d'être diversifiée.

Des choses rectangulaires et perpendiculaires au sol. Elles paraissent dures. Au toucher, je dirais que c'est de la pierre. Il y a des inscriptions en relief dessus. La lumière bleuâtre de la lune n'est pas dans le bon sens pour pouvoir les lire correctement. Probablement des lettres et des chiffres. Des prénoms, des noms et des dates. Je crois bien que je suis dans un cimetière. Je ne sais pas lequel. Je ne connais pas non plus toutes les villes aux alentours.

Je ne suis pas rassuré, la peur s'empare petit à petit de moi. J'avance entre les pierres. Des croix sortent de toutes parts. Certains bouquets de fleurs sont fanées sur les tombes, d'autres sont encore frais du matin même. Peut-être des habitués, des gens qui viennent ici pour se recueillir. Je continue de marcher. Je ne sais pas où je vais. Une brise légère se faufile entre mes doigts, frôlant mes joues jusqu'à s'engouffrer dans mes cheveux.

Je crois que j'arrive à l'un des bouts de la nécropole. Derrière, un grand champ et de l'herbe à perte de vue. Une partie plus sombre que les autres. Un peu comme des choses qu'on aurait volontairement entassées et mises au milieu de ce terrain vague. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas si je dois aller voir. D'un côté, ma raison me retient ici. Ce n'est pas raisonnable. Et de l'autre, ma curiosité ne cesse de me répéter que je ne peux pas rester à attendre que le jour se lève pour voir ce qu'il y a.

J'accélère le mouvement dans cette direction, comme attiré par un aimant. Plus je m'enfonce, plus la lueur de la lune me permet de distinguer précisément. Une odeur nauséabonde s'incruste dans mes narines. C'est ignoble, à la limite du supportable. Je mets mon bras en travers de mon visage pour tenter d'éviter de sentir. Je m'approche de plus en plus près. On dirait des mains et des pieds, des têtes et des jambes. Des corps tout entiers. Un, deux... Il doit y en avoir au moins cinq. Des mouches et des petites bestioles volantes. Pas de traces de sang ni de lutte. Un parfum douceâtre, des émanations de chloroforme. Des personnes assassinées. Je ne sais pas pourquoi, ni qui elles sont.

Aucune trace de pas, aucune marque de pneus dans la terre. Pas d'effets personnels oubliés. La nuit ne m'aide pas beaucoup non plus. Je n'arrive pas à entrevoir l'âge ou le sexe des corps. Ça me perturbe, j'aurais quand même bien aimé savoir. L'odeur m'incommode vraiment. Je m'éloigne. Je ne peux plus faire grand chose pour eux. J'arrive bel et bien trop tard. Ce n'est pas ce soir que je sauverai une vie. Tant pis, une autre fois. J'aurais vraiment aimé pouvoir faire quelque chose pour ces gens. Je n'ai même pas pensé à regarder s'il y avait un survivant. La police sera prévenue demain, ça ne presse pas.

J'enjambe les quelques branches envahissant le sol. Je me balade à travers ce champ. Tout est silencieux. Pas un bruit, mise à part un grillon. Je parcours un kilomètre, peut-être même deux. Je m'assois par terre. Je souffle un peu avant de m'allonger. J'enfonce ma tête dans les étoiles. J'essaie de repérer l'étoile du berger. J'observe. Les cratères de la lune et le nuage presque transparent qui passe devant. Je compare les étoiles, pour voir laquelle brille le plus. Je ne saurais pas dire.

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Edouard PArle
Posté le 19/02/2022
Coucou !
Un cimetière et un charnier... Ca ne semble pas choquer Andrew outre mesure^^ Je me demande si c'est une manifestation de "elle" et si oui dans quel but.
J'ai l'impression (je ne sais pas si c'est voulu) qu'Andrew perd peu à peu ses émotions, se déshumanise progressivement. Alors qu'elle fait le chemin inverse. Comme si tu préparais une inversion des rôles (je me trompe peut-être xD).
Pressé de lire la suite,
A bientôt !
InTheKiosk
Posté le 27/02/2022
Coucou, ravie de te revoir :)
Il est vrai qu'il ne semble pas particulièrement choqué (peut-être devrais-je ajouter quelques touches d'émotions). La réponse devrait être dans la suite, j'espère que tu ne seras pas déçu :)
Ce n'était pas voulu, mais je suis contente que ça te produise cet effet (je ne te dirais pas si tu te trompes, tu le sauras par la suite).
Contente de voir que tu sembles enthousiaste à l'idée de lire la suite, ça me fait vraiment plaisir !
A très vite !
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