Chapitre XII : Un trésor de papier

Le Marionnettiste était désormais occupé avec Iila, ce qui laissait le temps à Evannah de reprendre ses esprits et de se concentrer sur son problème principal. Bien sûr, ce n'était pas une pensée agréable et sa tête avait besoin de lumière dans toute cette noirceur.

Lumière.

Lyzel revint à la charge.

Evannah s'éloigna encore un peu plus du Fraral, embarrassée. Ses souvenirs semblaient hurler ses sentiments. Elle espérait qu'il n'y avait pas un télépathe dans les parages. D'ailleurs, les nilédias voyaient dans l'obscurité. Même si ce lieu était peu fréquenté, quelques passants devaient s'apercevoir de son malaise.

Evannah prit une grande inspiration et glissa sa main dans sa poche. Elle saisit son carnet et son cœur cessa de battre quand elle réalisa qu'il était abîmé. Elle le sortit à la hâte et le feuilleta. Elle s'avança vers la clarté du Fraral. Le désespoir la gagnait au fil des pages marquées par sa mésaventure dans la rivière des kirnels.

- Oh, non, non, non..., gémit-elle.

Iila s'avança vers elle et examina l'état du carnet. Elle posa une main réconfortante sur l'épaule de l'humaine.

- Ne t'en fais pas. Je connais quelqu'un qui pourra te le réparer.

- Oh, c'est vrai ?

- Oui, il s'appelle Yoni et saura quoi faire. Viens avec moi.

Iila attrapa sa main et Evannah rangea son cahier. Elle allait devoir marcher une nouvelle fois dans le noir, mais elle n'avait pas le choix. Même si ses allées et retours s'étaient déroulés sans problèmes, elle avait encore peur. Sur la route, la nilédia s'arrêta subitement et Evannah manqua de lui rentrer dedans.

- Un lépokyr ? s'exclama-t-elle, surprise, ici ?

La bête était silencieuse. Elle s'était peut-être endormie.

- Oui, c'est Lyzel et moi qui l'avons trouvé, raconta la jeune humaine, il cherchait après son frère.

- Meïlaa est en train de le soigner, donc.

- Oui. J'espère que Saphir ne le verra pas. Enfin, pas maintenant.

- La confrontation sera inévitable. Viens, Yoni est par-là.

Iila tira sur le bras d'Evannah pour lui faire traverser la grande route. Les filles se faufilèrent dans une petite ruelle, tout en contournant les poubelles. L'enfant toqua à la porte plusieurs fois.

- J'arrive ! cria une voix, j'en ai pour deux minutes.

Cela avait duré plus que prévu.

Un nilédia ouvrit, essoufflé. Evannah ne vit que son ombre.

- Iila ! s'exclama-t-il, je suis heureux de te revoir. Ça faisait un bail !

- Moi aussi, Yoni, répondit la petite avec sincérité, je suis désolée de te déranger, mais mon amie a besoin de ton aide.

- Tiens, une humaine dans ce trou perdu ! Euh... pardon, j'ai oublié les bonnes manières. Bonjour, je m'appelle Yoni, que puis-je faire pour vous ?

- Bonjour, moi c'est Evannah. Et bien, j'ai ce carnet qui me tient à cœur...

Elle le sortit et le nilédia le saisit. Elle entendit les pages se tourner et le cahier se fermer brusquement.

- Bien, j'en ai réparé des plus abîmés, déclara Yoni, ça prendra quelques secondes. Je vous inviterais bien, mais c'est le bazar, ici.

- Nous ne sommes que de passage, de toute façon, dit Iila, je pense qu'Evannah aimerait manger quelque chose après tout ce qu'elle a vécu.

L'humaine avait peur qu'elle en dise trop, mais Yoni ne se posait pas de questions.

- Je n'ai pas d'argent, lui rappela Evannah.

- Ce n'est pas grave, j'ai de la viande en réserve ! s'écria le nilédia.

- Non, vous n'êtes pas oblig...

Elle fut interrompue par une douce lueur bleue qui enveloppait son carnet. Les pages tournèrent à une vitesse folle et retrouvèrent leur état d'origine. Yoni lui rendit son trésor et Evannah le bombarda de mercis, ravie. Le Nébulien rentra et fouilla dans sa maison.

- Et qu'est-ce que je te dois ? demanda Iila.

- Rien, répondit Yoni qui semblait avoir trouvé ce qu'il cherchait, je n'ai eu aucun effort à faire.

Il revint auprès des filles et tendit un petit paquet à Evannah. L'humaine le refusa d'un signe de main.

- Prends-la, insista-t-il, j'en ai plein en réserve.

Dans un soupir, Evannah céda et le remercia. Même les nilédias étaient surpris par ce phénomène d'expiration.

- Merci beaucoup. Nous devons y aller, maintenant, déclara Iila.

- Bien, je dois reprendre mon travail, dit Yoni, ravi, j'espère vous revoir bientôt. Au revoir !

Les filles le saluèrent et la porte se ferma. Iila conduisit Evannah sur le chemin du retour.

- Où est-ce que je pourrais faire cuire cette viande ? demanda l'humaine.

- La faire cuire ? s'étonna Iila. Mais pour quoi faire ? Ce n’est pas pour la manger finalement ?

- Bien sûr que je vais la manger !

- Les humains ne mangent pas leur viande crue, intervint une voix rauque.

Evannah sursauta. L'ombre d'un grand loup cornu se dressait derrière elle. En ce moment, elle demandait n'importe quelle source de lumière pour voir le visage de Saphir, même si elle éblouirait les badauds. Il n'était peut-être pas encore au courant pour le lépokyr.

- Oh, Saphir, fit Iila qui avait perdu son enthousiasme coutumier.

- Bonjour. Content de te revoir, Evannah.

La jeune humaine n'en croyait pas un mot. Après sa crise de nerfs, il ne devait pas la porter dans son cœur. Elle inclina la tête avec hésitation en guise de salut.

- J'ai rencontré ton ami le Marionnettiste, raconta-t-il, est-ce qu'il te l'a dit ?

- Euh... non, pas du tout, bredouilla Evannah, on est vite reparties, Iila et moi. Et vous lui avez parlé de quoi, alors ?

- Et bien, de ton problème.

Elle avait posé cette question en sachant quelle serait la réponse.

- Eilémas ne peut pas réguler tes Nebulas, l'informa-t-il, selon le Marionnettiste, cette particularité est rare chez les suvanels. Il ne connaît personne avec un tel pouvoir. Là-bas, ils contrôlent surtout le temps et les objets.

Le silence dépité d'Evannah l'incita à poursuivre :

- Nous avons parlé de ta détermination. Nous sommes d'accord sur le fait qu'elle soit sans faille.

- Iila, est-ce que tu peux nous laisser seuls, s'il te plaît ? lui pria Evannah.

- Bien sûr, mais tu n'as pas peur de te perdre ? s'inquiéta la nilédia.

- On se repérera grâce à mon flair, la rassura Saphir.

- Très bien, dans ce cas, je vous laisse. À la prochaine !

Les deux étrangers la saluèrent et la regardèrent disparaître dans les ténèbres. Evannah se sentait plus en sécurité aux côtés d'un guerrier, mais à la fois anxieuse qu'il attire les foudres des exilés.

- Accroche-toi à mon pelage, si tu veux, proposa-t-il d'une voix plus douce.

Un peu gênée, Evannah n'osa pas le toucher. En fin de compte, elle agrippa les poils de son dos et avoua que leur contact était plutôt agréable.

- Désolée pour tout à l'heure, c'était immature, s'excusa-t-elle.

- Je peux comprendre ta colère, mais je ne veux pas être responsable de ta mort.

- Oui, je peux comprendre aussi. Mais je n'ai plus le choix et vous le savez très bien.

Saphir réfléchit. Le vent frais indiquait qu'il avançait vers les ruines.

- Ton ami est prêt à te suivre, dit-il, il ne veut vraiment pas se séparer de toi. Lui aussi courrait un risque s'il venait.

Evannah opina de la tête.

- Je veux bien t'aider, mais promets-moi de m'obéir au moindre problème, annonça Saphir avec le plus grand sérieux.

La condition plaisait moyennement à la jeune fille, mais s'il était décidé à la mener dans Maciurim, elle devait s'y soumettre. Elle accepta sans lui montrer son hésitation et le remercia en se retenant de l'enlacer.

- J'avais bien compris que tu irais là-bas, peu importe mon avis, dit-il, mais je ne veux pas te savoir seule dans Leïvron.

- Merci ! Je ne pourrais jamais assez vous remercier !

- Ça suffira. Tu voulais faire cuire cette viande, n'est-ce pas ?

- Euh... oui !

- Bien, allons là-bas, il y a quelques feux qui sont allumés.

À quelques maisons, des flammes embrasaient des bûches sur un grand terrain. Des nilédias aux yeux bandés faisaient bouillir un liquide qu'Evannah ne pouvait identifier malgré la lumière. Elle était étonnée d'en voir si près du feu.

- Je pensais qu'ils mangeaient leur nourriture froide.

- Les nilédias aiment la viande crue, oui. Quant au sang, cela dépend, certains le préféreront froid, d'autres chaud.

Evannah réprima un haut-le-cœur lorsque l'un des bannis but son verre cul sec. Elle s'approcha d'un feu et étala son repas sur la grille. Après avoir pris sa forme anthropomorphique, Saphir saisit un morceau de bois et veilla sur la cuisson. Bientôt, une odeur de chien monta dans les narines de la jeune humaine qui se demandait si elle avait toujours faim.

Saphir posa la viande dans l'emballage que tenait Evannah. Cette dernière craignait de se faire brûler et la plaça sur un des tabourets qui cernaient le feu. Comme elle n'avait pas de couverts à disposition, elle attendit que son repas refroidisse. Mais c'était surtout le dégoût qui repoussait son appétit. Elle se décida cependant à manger et mastiqua un premier morceau en tentant d'oublier le goût infect.

- Donc, Meïlaa soigne un moadrin ? demanda Saphir avec une fausse ignorance.

Evannah manqua de s'étouffer et recracha sa nourriture. Elle resta sans voix puis bégaya :

- Euh... j'ai... je l'ai trouvé dans les ruines avec son lépokyr. Je veux savoir ce qui lui est arrivé. Vous n'allez pas lui faire de mal ?

- Oui, son lépokyr... il n'est pas très discret. Et je l'avais flairé, tout à l'heure. Je ne veux pas lui faire de mal. Du moins, pas pour le moment. À quoi ressemblaient-ils, tous les deux ?

- Le moadrin est plutôt quelconque. Je ne sais pas s'il s'agit d'un homme ou d'une femme. Les pointes de ses cheveux sont bleues comme les signes peints sur le pelage du lépokyr.

La description du blessé avait égaré Saphir dans ses réflexions. Puis, il conclut la conversation :

- Nous viendrons le voir une fois qu'il sera rétabli. Mais je ne te promets pas que ça se terminera bien.

Evannah continua de manger avec plus de mal. Son estomac se noua en imaginant la rencontre entre Saphir et le moadrin. Le regard du yotora était fixé sur les flammes dansantes. Son œil bleu brillait à leur lueur et était vide d'émotion. Evannah laissa son repas et décida qu'il serait le seul de sa journée. Saphir le termina sous l'air surpris de la jeune fille.

- Les yotoras mangent aussi de la viande... canine ?

- Je ne vois pas où est le problème, répondit Saphir en se pourléchant.

- Je pensais que vous mangiez d'autres animaux.

- Ah, je vois ! Ce qui te perturbe, c'est que chaque espèce a plus ou moins les mêmes traits que les kirnels. Nos parents nous ont sculptés à leur image. Les yotoras ne mangent que de la viande, qu'importe l'animal.

- Est-ce que les yotoras mangent les lépokyrs ?

L’œil de Saphir devint rond comme une bille.

- Non ! Bien sûr que non ! Leur viande est immonde. Nous leur arrachons volontiers la tête ou les membres, mais nous n'aurons jamais l'idée de les manger. À moins d'être complètement fou.

Consciente de la stupidité de sa question, Evannah rit et se leva. Saphir l'imita et lui proposa de la reconduire auprès du Marionnettiste.

Ils marchèrent tranquillement jusqu'à ce qu'une ombre courut vers eux. D'abord inquiète, la jeune fille se détendit en reconnaissant la petite silhouette d'Iila.

- Evannah ! J'espère que je ne te dérange pas...

- Non, pas du tout. Qu'est-ce qu'il y a ?

La tête de la nilédia se tourna vers Saphir puis de nouveau vers Evannah.

- Le moadrin s'est réveillé. Tu veux aller le voir ?

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Alice_Lath
Posté le 13/10/2020
Mmh, je me demande si la partie avec Yoni est vraiment utile haha, on en ressort un peu avec un sentiment de "so what", je la trouve un peu en trop
Puis pour le revirement de Saphir, ça fait un peu sorti de nulle part haha, il la vue genre cinq minutes et ça suffit à le faire changer d'avis et à risquer sa vie pour elle haha je ne suis pas certaine de saisir toute sa psychologie
Sinon, en dehors de ça, c'est toujours aussi imaginatif et agréable à lire ! Je prends vraiment plaisir à découvrir ton univers
DraikoPinpix
Posté le 13/10/2020
Je verrai pour la partie avec Yoni. Je voulais inclure le journal d'Evannah. Quant à Saphir, il va dans Leïvron et il accepte qu'Evannah l'accompagne finalement. Il n'irait pas risquer sa vie pour elle s'il ne devait pas y aller.
Je suis heureuse que ça te plaise et que tu ais envie de continuer :)
Eryn
Posté le 07/09/2020
Encore une fois, je suis impressionnée par la richesse de ton univers, il y a tellement de choses, de coutumes, de créatures, de lieux...
ça n'avance pas énormément par contre, même s'il est plaisant de suivre les personnages dans leurs relations/conversations.
DraikoPinpix
Posté le 07/09/2020
Coucou !
Je suis heureuse que ça te plaise ^^ Oui, ce chapitre est un peu calme. Il donne quelques éléments essentiels pour la suite, en fait :)
Merci de me suivre :3
Xanne
Posté le 24/06/2020
Un chapitre plutôt lent, mais la rencontre entre Saphir et le yotora promet de l'action. Le calme avant la tempête?

Lorsque j'ai lu "il s'appelle Yoni et saura quoi faire. Viens avec moi.", j'ai pensé: oh non, encore une rencontre? ça commence à en faire trop... Mais c'était rapide, donc bon.

Evannah n'aime pas les steaks tartare? Moi j'en raffole. ^^

Au début j'ai cru qu'Evannah marchait à côté de Saphir, la main posée sur son dos, mais quand j'ai lu "Le vent frais indiquait qu'il avançait vers les ruines.", j'avais l'impression qu'elle était assise sur lui ^^'

" Elle était étonnée d'en voir si près du feu" Moi aussi, à vrai dire.

"Bientôt, une odeur de chien monta dans les narines de la jeune humaine qui se demandait si elle avait toujours faim." D'où est-ce qu'elle sait quelle odeur a la viande de chien cuite??

La respiration, l'alimentation, les cinq sens ... il y a beaucoup de sujets "organiques" dans ton roman. J'aime bien ^^ C'est le genre de thème que j'aimerais aborder dans mes propres écrits, un jour.
DraikoPinpix
Posté le 24/06/2020
Non, c'est bon, la plupart sont des personnages rencontrés sont très secondaires x)
Quant au chien, et bien... les chiens ont une odeur et cette même odeur se propage (comme le cheval : l'animal a la même odeur que sa viande XD Oui, c'est glauque, mais j'ai toujours eu cette forte impression ^^)
Ça me fait plaisir de voir que tu poursuis et que mon style te plaise :)
AudreyLys
Posté le 12/05/2020
Coucou ! J'aime toujours autant ton histoire^^ Je note cependant une petite baisse de rythme, tu fais du développement de perso (Lyzel <3) mais le scénario n'avance pas vraiment. Pour l'instant ça ne me dérange pas trop, mais comme j'aime bien quand ça va vite, ça va peut-être être le cas.
En attendant coquillettes :
XI :
>Ses blessures n'avaient pas l'air pas si graves -> n’avait pas l’air si grave (un « pas » en trop)
>de tout son cœur que son frère survivrait. Elle n'avait pas le cœur -> répétition de « coeur »

XII :
>il cherchait après son frère. -> il cherchait son frère
Voili^^
DraikoPinpix
Posté le 12/05/2020
Coucou ! (Tu es revenue <3 <3)
Effectivement, ces chapitres sont là pour développer les personnages et les relations.
Punaise, c'est dingue ce que je peux louper parfois ! Il faudrait vraiment que j'ouvre les yeux. Merci d'être là ^^
A bientôt !
AudreyLys
Posté le 12/05/2020
(J'ai un rythme lent, mais j'avance ! x))
Franchement les coquilles, tu n'en fais pas trop. Y en a toujours qui passent entre les mailles du filet de toute façon.
Pluma Atramenta
Posté le 01/05/2020
Re-Coucou !

Comme d'habitude (car oui, ça devient une habitude) je te félicite pour ce chapitre super bien écrit et sans aucune coquille (ou sinon, elles sont merveilleusement bien cachées) !!!

J'ai juste une petite remarque, quelque chose qui a un peu troublé ma lecture : Evannah semble à peine impressionnée par toutes les créatures qui l'entoure (le lapin, le loup cornu) Elle devrait un minimum être apeurée ou émerveillée, non?

Mais je sais que parfois, lorsqu'on écrit de la Fantasy, qu'on a un peu marre de décrire l'ahurissement de nos persos pas habitués par les successions d'événements étranges (et crois-moi, je sais de quoi je parle) mais je ne crois pas que je resterais indifférente si un loup cornu - qui parle par dessus le marché - surgi devant moi.

Voili-Voilou. Sinon, je suis complètement entraînée dans ton histoire magique, à l’atmosphère irréelle, pleine de créatures bizarres et de suspens !
Je lirai la suite avec beaucoup de plaisir,
Plume.
DraikoPinpix
Posté le 01/05/2020
Je te remercie pour ton commentaire ! (Encore et encore <3)
Effectivement, Evannah n'est pas plus impressionnée que ça car toutes ces créatures, elle les connait mais ne les a jamais rencontrés. Donc, le fait qu'un yotora parle n'est pas une surprise.
À bientôt !
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