Chapitre XI - Où Maître Corbeau tente le diable (1/3)

Notes de l’auteur : [Version mise à jour le 10/11/23 après les premiers commentaires. Merci pour vos lectures et nous vous souhaitons, à vous qui arrivez, bon chemin du repentir ~]

Si la routine était exténuante, Hyriel lui trouvait quelque part un aspect rassurant : la fin du labeur se faisait aussi prévisible que son début. Il fallait bien cela pour supporter sans devenir fou ces tâches jalonnées de prières. À leur difficulté s’ajoutaient les complications de ce maudit rhume, qui le poussaient à tousser sans relâche entre deux coulées de morve. Le malade se soulagea le nez dans son pan de manche déchirée quand onze heures arrivèrent. Une fois redressé sur ses béquilles, cambrer le dos l’aida à chasser les engourdissements. Afin de garder son peu d’idées claires au milieu des épais nuages, il ressassa de quoi juguler sa colère et les errances de sa raison : Lundi 19 janvier 1665. Ce n’est pas encore aujourd’hui, Bon Dieu, que tu recevras mon âme damnée à juger.

Il suivit la file, morose, jusqu’au réfectoire où il avala sans piper mot ses deux verres d’eau tiède, puisqu’il paraissait que ce remède le guérirait. Tel était du moins ce que devait recommander quelque obscur ouvrage où se documentait le Major. Pourtant, le patient sceptique gardait en tête l’enthousiaste suggestion d’Estienne. Si son compagnon misait sur ce corbeau de chirurgien, il ne devait pas négliger la piste. L’homme cachait probablement plus d’intelligence – peut-être même d’érudition – que ce qu’il laissait à voir et à entendre de prime abord : Hyriel avait rarement rencontré un individu aussi avare de paroles. Par prudence ? À moins que tout cela fût vaine spéculation, et le conseil d’un Estienne mû par trop de naïve espérance. Profitant de sa pause entre deux éternités de labeur, Hyriel disséquait ce qu’il pourrait tirer du Major dans l’optique de sa délivrance. Et ce dernier, qu’aurait-il à tirer de lui ? Et à quelles conditions ? Et pour cela, il faudrait d’abord qu’il guérît… Et… Son esprit embrumé tournait aussi en rond que son corps enrhumé.

Jusqu’à ce qu’un rituel vînt estomper la dévastatrice similarité des journées. Suite à un passage des enfermés à l’eau froide et au savon, les officiers et officières aidés de quelques pensionnaires parmi les plus valides collectèrent leurs sarraus. Ils allaient avoir le luxe d’être lavés. Dans l’attente de pouvoir reprendre ces hardes, chacun en reçut une autre à porter d’ici à la prochaine buée. Estienne sentit le vent glacial rouler sur lui tandis qu’il se changeait, mais il frémit moins de la température sur son dos que de savoir celui d’Hyriel livré à ce traitement, lui que la maladie éprouvait. Un agent réquisitionna le 93 pour aider à recueillir les vêtements, puis balayer les poils et pointes de cheveux tombant des crânes de ses camarades. Autant de sinistres petits tas qui, tels les grains d’un géant sablier, lui rappelaient l’effritement des vies entre ces cloisons.

Soudain, sur sa gauche, un heurt et des cris le dérobèrent à sa mélancolie : le vieil Yvon en pleine crise tentait d’arracher sa lame au gardien chargé de lui faire la barbe. Pauvre de lui, à quoi aurait-il utilisé l’arme ? Estienne préféra ne pas l’imaginer. L’homme fut maîtrisé. Alors que les murs décuplaient la violence des coups reçus par Yvon, Estienne porta les yeux ailleurs. Vers deux autres internés que des officiers rasaient. Puis vers Hyriel, qui frissonnait comme couvert de neige. Détail rassurant : son nez ne dégoulinait plus. Il profitait des va-et-vient de la lame sur son visage pour clore les paupières et gratter un peu de répit. Pour une fois qu’on travaillait pour eux.

Estienne, occupé à collecter les guenilles, besogna de moins en moins vite sans s’en apercevoir. Hyriel toujours dans sa ligne de mire, il soupira au spectacle de ses grelottements. Si au moins le muet avait eu connaissance de la visite de son compagnon chez le chirurgien, il en eut été quelque peu rassuré, mais depuis leur soirée sous la couverture les deux amis n’avaient eu nulle occasion de communiquer. Aussi Estienne ignorait-il tout de cette consultation. Même la prise des verres d’eau tiède lui échappait, assigné qu’il était derrière son mur à chaque ration. Il ne supportait plus de voir Hyriel menacé par la maladie, livré aux aléas d’un hiver venteux susceptible de l’aggraver, sans agir. Une idée lui trotta donc dans la tête alors qu’il entassait un nouvel amas de hardes au panier, son demi-visage un peu trop tourné vers son ami, ses mouvements de bras un peu trop lents…

Cette salle où bourdonnaient les crissements des lames à rasage ne se situait pas loin des réserves à bonne mangeaille de ces Messieurs. Au moment de gagner le réfectoire, Hyriel et les autres circuleraient tout près. Estienne devrait être rapide. Dérober de l’eau chaude. Un bol. Des herbes – il ne pourrait pas les mettre à infuser sur un linge fin, mais tant pis, songea-t-il : il les plongerait directement dans le récipient. Avec une cuillerée de miel. Puis il cacherait le tout en attendant de le donner à Hyriel. Estiennne s’échauffait. Il inspira. Dompte-toi, soldat ! Sa tâche présente n’existait déjà plus, à côté de son projet. Il ne voyait ni les poils au sol, ni les dalles sur lesquelles il avançait sans réfléchir, ni les matraques. Le cœur battant, il secouait un énième sarrau pendant que son regard n’avait, pour unique objectif à l’horizon, que la silhouette malade d’Hyriel. Estienne se figurait ses pas précis et rapides traversant le couloir défendu aux internés, avec à l’arrivée cette réserve, ces plantes, ce miel qui sauveraient peut-être son comparse.

Une ombre. Un poing dans son champ de vision. Le muet fut tiré en avant par le col. Sa gorge serrée éructa de douleur. Les crachotis de sa glotte se précipitèrent. Mordiable ! Un garde lui asséna une claque. Il craignit de perdre l’équilibre quand la poigne d’un autre lui saisit les cheveux. Si fort. Il trembla. Se rattrapa. Grognement plaintif, étouffé par les vociférations de l’agent :

— J’va t’apprendre à bayer aux corneilles, ’spèce de sale fainéant !

Coups de botte dans les jambes. Outre la brûlure, Estienne sentit la honte palpiter sous sa chair. Il avait trop ralenti son travail, absorbé par le plan qu’il orchestrait. Il saisit de plein fouet la folie dudit plan ! Quelle démente tentation venait de faucher sa raison ? Son ébauche de mission était délirante : des gaffes l’attraperaient avant qu’il eût atteint la réserve ; où donc cèlerait-il un bol et des plantes sur lui ! En dix ans Estienne en avait côtoyés, des pensionnaires menacés par les fièvres. Mais Hyriel, il refusait de le perdre ! Ce ridicule projet de chapardage lui en faisait prendre conscience avec la force d’une gifle. Son affection à l’endroit de ce camarade-ci, plus puissante encore que celle ressentie trois jours en arrière, près de la cheminée, lui cuisait les joues de culpabilité. Ce dangereux attachement dépassait l’entendement… Ça le poussait à agir en déréglé ! Ça lui larguait au fond du ventre une pierre si lourde qu’il peina à respirer. Et les officiers étaient maintenant quatre à le dominer. Estienne ne pouvait se dégager et juste reprendre son travail. Sueur à son front.

L’ouïe d’Hyriel, atteinte par la maladie, parvint malgré tout à démêler ce qui arrivait. Il leva la tête en même temps que d’autres enfermés alarmés. Sa mâchoire trembla. Estienne, non ! Dans sa stupeur, il demeura statufié alors qu’autour de lui, aux ordres des surveillants, ça se remettait debout pour se diriger en rang d’oignon vers le corridor. Ses yeux pétrifiés restaient vissés à son camarade, à présent immobilisé à terre par des molosses décidés à se décharger sur lui.

Une posture de protection s’enclencha chez le vétéran. Son instinct martial le poussa à vouloir se relever, attaquer les gardes en retour, mais la terreur lui fit aussitôt rendre les armes : il n’y gagnerait qu’une correction décuplée. La botte le heurta de nouveau. Ses ongles crissèrent au creux des nervures du dallage. Aussi tétanisé que si le champ de bataille et ses pluies meurtrières venaient de réapparaître autour de lui, Estienne haleta, sua à grosses gouttes, resta là sans bouger.

Si Hyriel avait trouvé assez de ressources en lui pour reprendre appui sur ses béquilles, il fut cependant bien en peine de clopiner. Un voisin de rang poussa son corps hagard, hypnotisé par le tintement d’un crochet – un ceinturon brandi – au-dessus d’Estienne. Aux tressautements des omoplates du muet, aux torsions de ses poignets, le guérisseur devina combien la douleur lui lacérait les membres, remontait en déchirures le long de son dos. Hyriel reçut un heurt à l’épaule : les agents veillaient à ce que la queue avançât. Au mépris des sursauts des uns, des signes de croix des autres, des regards de terreur ou de pitié.

Trois, quatre coups… Tout le corps d’Hyriel se crispa à cette frappe, puis à la suivante, et à toutes les autres. Une salive descendit sa gorge, si acide que le secours de ses cannes ne fut pas de trop. Pauvre Estienne… Pauvre Estienne ! Il aurait voulu se jeter vers les gardiens, leur déboîter les genoux de ses béquilles, protéger son camarade, plaider sa cause… Il n’en fit rien. Une peur viscérale retint l’élan de ses membres. Cinq. Six. Emporté par la progression de la file brouillonne, Hyriel fut contraint de claudiquer en avant. Ses prunelles brûlantes restaient clouées au supplice d’Estienne. Sans s’apercevoir que des larmes roulaient le long de ses joues, il aligna ses pas sporadiques. Sa voix étranglée murmura :

— Arrêtez… Laissez-le… Arrêtez… Non…

— La ferme. Avance.

Septième coup. Hyriel serra les dents, jusqu’à ce que la main calleuse du pair à sa gauche effleurât son poignet en marque de soutien. Il acquiesça sans vraiment y penser, trop occupé à maîtriser sa colère. En se reconcentrant sur sa marche, l’estropié repéra les mines d’autres enfermés autour – interloquées, celles-ci. Lèvres entrouvertes, il inspira brusquement dans l’espoir de dompter son souffle étranglé mais il était trop tard : tout son corps trahissait son état catastrophé, si bien que des voisins au front barré de défiance grimacèrent. Hyriel redouta ce qu’ils soupçonnaient. Leurs messes-basses confirmèrent ses craintes, au point qu’un courant glacé le saisît de pied en cap.

— On s’fait pas tant d’chagrin pour chaque puni !

— Qu’est-ce qu’y a de bizarre entre ces deux-là ?

Huit. La grêle cessa quand la file d’internés fut déjà loin. Alors qu’Estienne reprenait son souffle, appuyé sur ses paumes tremblantes, le surveillant rajusta son ceinturon à sa taille.

— Debout ! Termine ta besogne.

La douleur tordait ce qu’il lui restait de visage. En s’engageant avec son panier à fripes dans le corridor où deux enfermés faisaient le ménage, il déglutit. Les brûlures rongeaient son dos. Et la honte de ce regard… ce regard qu’il avait adressé beaucoup trop longtemps à Hyriel en ramassant les habits ! Les autres s’en étaient sans doute aperçus. Il pouvait déjà se figurer le chemin des rumeurs d’une bouche à une oreille, d’un œil au suivant. Infamant fil tissé entre Hyriel et lui.

— C’était d’un louche, l’état du sorcier ! murmurait un des détenus à son voisin.

Sorcier. Le mot paralysa Estienne autant que les griffures incandescentes laissées à ses épaules par le ceinturon. Il fallait s’y attendre, pourtant, entre les conversations des administrateurs, les injures du Georn, du Vronssac et autres fumiers. Ça avait mis le temps, mais en dépit des murs de mutisme dressés en permanence autour des enfermés, toute rumeur finissait par ruisseler vers eux. Entre eux. Contre certains d’eux. Ah, pénitents qui n’en étaient pas moins hommes ! Estienne brûlait de remords. Hyriel et lui avaient tout à craindre de pareils soupçons allumés. On lui avait raconté de ces épouvantables histoires de gens brûlés vifs, de hurlements fuyant des visages dont la peau éclatait en cloques et tombait, d’odeur de chair grillée qui imprégnait la grand’ place parfois des semaines durant… Ça leva le cœur d’Estienne. Il dut trouver une diversion. Une diversion, d’urgence ! Se concentrer sur les dalles et les compter sous ses pas, jusqu’à l’obsession, l’aida enfin à éloigner Hyriel de ses idées, de son corps, de ses sens, tandis qu’il rejoignait ses prochaines besognes. Et ce diable boiteux ne devait plus troubler sa corvée !

Les bruits se dissolurent le temps des corvées suivantes. À la buanderie, de nouveau exclu loin des autres travailleurs, Hyriel frotta les fripes en essayant de garder les yeux ouverts en dépit de la moiteur. Il trima, toussa, renifla. Sa peau devenait aussi douloureuse et épaisse que de la corne. Il essuya à plusieurs reprises ses mains rouges sur sa souquenille après s’être mouché. Au moins auraient-ils bientôt des guenilles propres. Puis revint la ration. Hyriel la passa dans la morosité la plus profonde, plié au-dessus de son bol à avaler sa soupe. Il relevait parfois les yeux vers le mur d’Estienne et sa gorge se serrait. Comment allait son ami ? Que pouvait-il faire, lui, malade impuissant ? Pauvres pécheurs. Voici la façon dont tout l’Hôpital risquerait de les appeler, Estienne et lui, si de nouveaux épisodes comme celui du jour fournissaient d’autres signes suspects. Le moindre battement de cils scruté savait donner lieu aux plus vilaines rumeurs. Quand on cherchait, on trouvait. Et pour certains, ça se terminait par la mort. Hyriel frémit. Estienne et lui devraient redoubler de prudence lorsqu’ils se retrouvaient. Son écuelle trembla entre ses doigts.

Derrière son mur, Estienne aspirait sa bouillasse sans envie. Ses gestes étaient pâteux, mais moins que son âme embourbée. Il ne voulait pas devenir ce qu’on disait des hommes qui s’aimaient. Serait-il déréglé – abjection en ce temps qui vantait la Raison ? Faible et lascif ? Était-il la bête que ses grognements laissaient imaginer ? À l’abri des regards, les yeux coupables du vétéran restaient vissés au tuyau enfoncé dans sa gorge. L’épaisse mixture qui lui servait de ration y rampait de la gourde jusque dans son œsophage. Ses doigts gonflés serraient le tube introduit au creux de sa béance, pendant que ses pensées considéraient avec l’horreur de l’inconnu ces émois souvent drainés par Hyriel – ou par la seule crainte de le perdre. Son pouce et son index tournaient et effleuraient distraitement la paille quand, soudain, Estienne frémit de dégoût pour son geste. Pour lui-même. Lui et ses humeurs incontrôlables. Il s’obligea à avaler, puis s’arracha le tuyau hors de la gueule d’un élan plein de terreur. Déréglé. Une bête aux attitudes irraisonnées. Appétit coupé. Il repoussa le tube, aussi répugné, aussi effrayé que face à un serpent prêt à le mordre.

oOo

Les jours suivants furent pour Hyriel une longue épreuve. Là où d’habitude son esprit arrivait à se détacher de son corps durant les tâches et la messe, l’office de ce matin donna siège aux ruminations qui ne le quittaient pas. Il eut beau se contraindre à sa litanie – Mercredi 21 janvier 1665. Ce n’est pas encore aujourd’hui, Bon Dieu, que tu recevras mon âme damnée à juger. – ses yeux étaient pour Estienne que, de loin, il voyait prostré, l’ardoise qui tanguait comme un pendu devant son torse courbé. Sombre ami esseulé, emmuré… Où étaient ses devinettes, ses joyeux mimes, ses trottinements de chevalier ? Hyriel souffrait de ne pouvoir l’aider, hormis en se jurant de participer à lui rendre sa fantaisie par bien d’autres conversations clandestines, aussitôt qu’il serait délivré de son rhume. Ah, ce rhume tenace ! Diable, il s’en souviendrait, du Major et de ses verres d’eau tiède ! Sûr qu’il allait guérir, mais ce ne serait que grâce aux ressources de son corps, quand bien même le praticien aurait tout loisir de croire – ou faire croire ? – le contraire.

Son nouveau passage au confessionnal offrit, paradoxalement, une éclaircie au milieu des nuages. En face de ce vicaire loin d’être aussi dur que les recteurs, Hyriel n’eut d’autre choix que de reprendre sa comédie où il l’avait laissée. Le lambeau de manche qui l’accompagnait comme mouchoir dans sa maladie devint un accessoire de théâtre parfait. L’humble pénitent ne manqua pas de le tamponner au liseré de ses yeux, encore gros et rouges de larmes. Certes, du fait de son rhume davantage que par repentir, mais il n’était pas obligé de le dire…

Au contraire, Hyriel capta la bienveillance de l’auditeur en prétendant qu’il acceptait sa fâcheuse affection comme n’importe quel événement a priori négatif envoyé par Dieu, en ce meilleur des mondes possibles. Qu’il ne lui appartenait pas de juger l’ordre infiniment grand des choses. Que la positivité de sa foi agirait sur lui puisque, lui, ne pouvait de toute manière agir qu’en s’en remettant au Ciel. Que cette épreuve visait – au même titre que son infirmité – à le rapprocher des Souffrances du Crucifié… et un chapelet d’autres fadaises de cette trempe.

Hyriel sortit ragaillardi de sa performance pour regagner le réfectoire. Il prit sa pitance à l’écart avant de s’apprêter à rejoindre la file lorsque, au fond de la pièce, une étreinte d’Estienne et Théa attira son attention. Hyriel inspecta les alentours : ils ne risquaient pas d’avoir un gardien tout de suite. Bien. Il béquilla vers ses deux camarades. Tant qu’il ne les touchait pas…

Il sourit à Théa et leva timidement la tête vers Estienne, qui de sa paume à l’épaule de leur amie l’empêcha en douceur d’aller se frotter au malade. Mais déjà, l’attention de la femme fut distraite par tout autre chose, au point qu’elle en oublia la frustration d’une embrassade manquée.

— Oh là là, vous avez vu ? Y a des oiseaux ! intervint Théa en tapant dans ses mains.

Elle pointa la famille de merles apparue là-haut au coin d’une fenêtre. Hyriel sourit de sa touchante sensibilité aux petites choses de la vie, que tant de gens méprisaient.

— Oui, et ils sont très mignons !

Estienne acquiesça d’un air absent. Hyriel cala une béquille sous son bras et lui caressa l’épaule, déversant en lui un frisson sans le savoir. Le muet ramena ses mains moites dans son dos et commença à se les y tortiller à l’abri des regards. Théa pour sa part pointa le plus gros des merles, occupé à tendre la becquée au son d’un concert de gazouillis.

— La maman nourrit ses petits ! Oh… Ils s’envolent déjà. Très loin… Au revoir !

Sa paume potelée s’agita au départ du groupe à tire d’ailes, jusqu’à le voir devenir quatre grains sur le ciel, puis disparaître. Les deux hommes, portés par la rêverie de leur amie, saluèrent également l’envolée. S’ils s’envolaient eux aussi un jour, ils trouveraient comment emmener Théa, se promit Hyriel, rattrapé par l’idée d’une fuite à la vue de ces merles. Il repensa à ce qu’il avait imaginé tant de fois déjà à la corvée : dérober une fourchette… la cacher dans ses attelles… subtiliser des bougies… amadouer un involontaire complice… Son pouls s’emballa. Il devait en faire part à Estienne ! Ainsi augmenteraient-ils leurs chances à deux ! À trois, se reprit-il. Et ensuite ils regagneraient la forêt, ils s’allongeraient dans la clairière avec mille autres oiseaux… L’approche d’un officier brisa son élan. Hyriel sentit la colère monter, là toute prête à s’expulser sous forme d’un crachat. Il se calma en regardant Estienne pousser doucement Théa, laquelle comprit le message et s’éclipsa. Tous se remirent dans la queue pour recevoir les ordres du gaffe :

— 93, aux éclairages… 251, la manufacture… Et toi, la 149, au pliage des draps…

Il en profita pour barrer la route au muet à l’aide de sa matraque. Le souffle d’Hyriel se glaça. Son ami n’avait commis nulle faute, depuis le triste épisode du ceinturon. Que lui voulait-on ? Qu’avait-il fait ? Que n’avait-il pas fait ? Il se rassura en voyant l’agent se contenter de fouiller la poche au bas de la souquenille que portait Estienne. À l’absence de réaction de ce dernier, Hyriel comprit : même si c’était la première fois que, lui, assistait à cette procédure, elle arrivait sans doute fréquemment à son compagnon. La main du surveillant passa quelques instants à vérifier que l’habit ne contenait bien que les craies et le chiffon – rien d’autre. Satisfait, il laissa enfin le 93 filer.

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blairelle
Posté le 15/03/2024
Je donnerai mon avis sur le chapitre à la fin de celui-ci mais je vais juste noter deux points :

"L’épaisse mixture qui lui servait de ration y rampait de la gourde jusque dedans sa trachée."
=> la trachée c'est le conduit respiratoire, là ça veut dire qu'il est en train de s'étouffer avec sa nourriture, le conduit gastrique c'est l'œsophage

"Mais déjà, l’attention de la femme fut distraite par tout autre chose, au point qu’elle en oublia la frustration d’une embrassade manquée.
— Oh là là, vous avez vu ? Y a des oiseaux ! intervint Théa en tapant dans ses mains."
=> je trouve que le "intervint" est assez bizarre. Si elle "intervient" c'est qu'il se passait autre chose et puis boum elle se met à parler d'oiseaux. Et c'est techniquement ce qui se passe du point de vue d'Hyriel et Estienne, mais pas dans la narration vu que juste avant il est précisé que son attention est distraite par autre chose. Bon après c'est peut-être juste moi.
JeannieC.
Posté le 16/03/2024
Hello ! :D
Oh lala oui, étourderie de vocabulaire ahah. Merci d'avoir relevé ça, nous allons nous noter de corriger ça - pour la trachée / œsophage =)
Aramis
Posté le 25/10/2023
Une fois n’est pas coutume, me revoilà, six ans plus tard ! J’ai lu quelques parties/chapitres à la suite et je crois que ce mode de lecture me convient mieux, héhé, d’autant plus que j’imagine qu’avec le temps passé depuis vous devez avoir peut-être bien reçu vos retours de BL et retravaillé le texte ? Je ne sais (d’ailleurs y aura-t-il l’intégral sur PA, ou ça va dépendre un peu de votre planning d’envoie, qui a peut-être d’ailleurs déjà commencé ?)
En tout cas, j’aime beaucoup l’idée que ces deux futurs papas malgré eux embarquent la petite Théa et forment une sorte de famille recomposée ! Idem, le personnage du chirurgien a un potentiel de dynamique intéressant ! J’ai l’impression que les choses commencent à s’accélérer doucement dans le drame, et j’avoue que j’en suis très contente même si c’est horrible à dire (pardon Estienne, pardon Hyriel :’) )

Mes petites remarques, qui arrivent sans doute bien trop tard vous me dites !

- la première concerne le dernier passage avant le changement de point de vue, lorsqu’Etsienne réfléchit à sa relation à Hyriel et semble ne pas trop trop se sentir à l’aise avec l’idée d’une potentielle homosexualité ou homoromantisme vis à vis de son partenaire. J’ai eu l’impression que c’était un peu paradoxale avec la rapidité avec laquelle il accepte qu’il est amoureux. On n’avait pas forcément eu d’indications, ou de gradation indiqué vis à vis de cette ambiguïté chez Estienne, et le fait que ça puisse le mettre mal à l’aise. Du coup ça m’a semblé étonnant qu’il ne vive pas une partie de déni, ou de rejet vis à vis de ces sentiments spécifiques, sans forcément renier l’amitié qu’il porte à Hyriel (je ne sais pas si je fais sens ?)

- Ensuite, je sais que le contexte oblige, mais il y a pas mal de répétitions de scènes où les personnages se font roués de coups, et je n’ai pas forcément eu une impression d’évolution dans la violence de ces scènes ce qui, à mon sens, pourrait être intéressant ! Je vous soumet l’idée au cas, évidement, vous en faites bien ce que vous voulez hehe…

Et je poursuit ma lecture d’escargot ! Des bisous !
JeannieC.
Posté le 26/10/2023
Coucou Aramis ! =D
Merci beaucoup pour ton passage, on est toujours très contentes de te lire par ici <3

Alors, pour répondre à tes quelques questions :
- les avis demeurent les bienvenus ! Même si nous avons reçu des BL détaillées, on ne crache jamais sur des lectures et des impressions qui peuvent venir confirmer certains retours de BL ou apporter de nouveaux éclairages. Tant que nous n'avons pas envoyé le texte, on estime toujours légitime de prendre des avis même si, en effet, le gros du travail a déjà été fait sur un bon tiers du roman. Brefouille, tu es toujours la bienvenue !
- Oui, on va continuer de publier (lentement mais sûrement) le roman sur PA. C'est seulement si un beau jour un éditeur nous l'accepte que, là, il faudra que nous le passions en privé.

Sur ce, un grand merci pour tes retours de lecture. <3
Tu confirmes ce que des BL nous ont souligné : il faut 1) rendre plus concrets des signes d'amour naissants entre les deux loulous, notamment Estienne. Et 2) faire bien plus sentir le tiraillement d'Estienne - à quel point il est amoureux d'Hyriel mais en même temps a honte de ressentir ça, par rapport à tout ce qu'on lui a inculqué. x) Nous avons déjà commencé à retravailler ces éléments.
Quant aux scènes de "correction" et maltraitances, malheureusement oui le contexte fait que ces tabassages étaient tristement banals. Tout comme les bagarres, les ruades d'enfermés et le fait que, derrière, ils se fassent rosser. Cela dit, oui, on peut réfléchir à comment varier davantage ces scènes. =)

Pour le reste, awwww c'est adorable ce côté "Hyriel et Estienne sont deux papas" comme tu dis. <3 Il y a de ça. Et là, oui, ça s'accélère dans la recherche de façons de s'évader - et à défaut, en attendant, de façons d'enquiquiner les administrateurs ahah. Notamment du côté d'Hyriel. La romance aussi va se corser héhé ~

Thanks again !
Bisous !
Louison-
Posté le 23/07/2023
Hello !

Et mouh, mes pauvres petits bibous :( On le sent venir le plan d'Estienne de rapporter du miel à Hyriel qui va foirer, et là pour le coup la punition est bien rude... Comme toujours, votre plume arrive à retranscrire la dureté de la sentence tout en mettant bien en avant l'impact émotionnel que ça a sur les personnages, en l'occurrence pour Hyriel. Je rejoins l'avis des autres plumes qui ont apprécié le fait que les autres internés regardent d'un mauvais oeil Hyriel, ça ajoute pas mal de nuance ! Peut-être que s'ils voient Hyriel et Estienne se rapprocher, ça va engendrer une autre forme de discrimination... gneh.

Et puis la fin, ce désir de fuite inscrit sur l'ardoise, ça apporte une petite teinte de lumière au milieu de toute cette sombrité ! Théa joue aussi beaucoup là-dedans ^^

Un plaisir, comme toujours ! ^^ (même si en l'occurrence, c'est un bien rude chapitre :((
JeannieC.
Posté le 24/07/2023
Coucou <3

Mow voui, comme je te disais IRL pendant les vacances ce chapitre était un sale quart d'heure pour Estiriel x) Merci de notre part à toutes les deux, pour tes impressions. Notamment à propos de l'impact émotionnel sur Hyriel et sur les autres détenus, qui comme tu le dis très bien sentent pointer quelque chose qui est toujours l'occasion d'une nouvelle couche d'ostracisation.

"sombrité", c'est super beau comme mot ! J'adopte <3 Clairement - si j'ose dire x) - oui là l'idée d'une évasion commence à se pointer.

Thanks again !
À bientôt =D
ClementNobrad
Posté le 02/03/2023
Bonsoir,

Ahhh le début des préparatifs pour une fugue ? Je suis bien curieux de voir comment ils vont mener tout ça.

J'ai l'impression que plus ils veulent aider leur prochain, plus ils se font malmener.... une sacrée leçon de religiosité.

Toujours aussi emportant, j'ai l'impression d'être interné avec eux et d'assister impuissant, comme tous les autres internés, aux malheurs des uns et des autres. Puis-je les aider à se sortir de là ? Mon premier choix serait la cheminée... mais bon, handicapés comme ils le sont, je ne vois pas comment ils feraient..

Hâte de voir ce que vous nous mijotez !
JeannieC.
Posté le 04/03/2023
Coucou !
Ahah, en effet l'idée se précise sérieusement - réfléchir à comment sortir définitivement de cet endroit. (et bien d'accord avec toi, vive la chrétienté de l'endroit xD )
Edouard PArle
Posté le 20/12/2022
Coucou !
De retour après une petite pause PA (=
Triste la tentative ratée d'Etienne. Ca faisait longtemps qu'il n'avait plus vécu un échec avec de telles conséquences. Dur retour à la réalité après les espoirs des chapitres précédents. C'est intéressant aussi de montrer que les autres prisonniers / internés ne sont pas tous unis derrière Hyriel, qu'ils sont parfois aussi durs que les gardiens. Ca rend la chose beaucoup plus crédible.
Théa est vraiment mignonne dans son intervention en fin de chapitre. Au début elle me laissait assez indifférent mais j'accroche de plus en plus au personnage. Je la trouve très complémentaire avec les deux personnages principaux.
Mes remarques :
"Bien analysées les données en présence" -> analyser ?
"et quelques autres billevesées de cette trempe." rien que pour avoir utilisé le mot billevesées bravo xD
Un plaisir,
A bientôt !
JeannieC.
Posté le 27/12/2022
Hey coucou Edouard !
Ravies de te recroiser par ici et merci beaucoup pour tes retours <3 Ah lala, la "pause PA" après le marathon de lecture des Histoires d'Or, on est passées par là nous aussi xD
C'est bien noté pour la petite coquille, nous avons corrigé ça, et thanks pour tes impressions autour de Théa et des autres prisonniers - qui en effet sont loin d'être tous solidaires. Les jalousies, la loi du plus fort, les suspicions...
Clairement, les deux amoureux clandestins commencent à avoir chaud aux fesses xD
Merci encore et à bientôt =)
ZeGoldKat
Posté le 12/11/2022
Salut,
Haha le titre du chapitre annonce du lourd. Je pressens le retour du chirurgien, mais j'ai peur de ce qu'il va bien pouvoir faire faire à Hyriel (enfin si "le diable" vise Hyriel, je me trompe peut-être ? Ou alors c'est le directeur ou Georn, mais dans ce cas là une telle alliance de malfaisance, aaaah ça sent pas bon xD)
Mais j'arrête là avec mes pronostics bizarres ! Retour au chapitre...
Aaaaaaaaah noooon les coups de ceinture, c'est affreux ! On ne fouette pas le gros nounours ! Pauvre Estienne.
Et le pire, c'est la réaction en chaîne qui suit. Hyriel pleure (big up à lui. Sa révolte contenue est tellement saisissante à la lecture), du coup ça attire l'attention des autres pensionnaires, du coup ils soupçonnent un truc, du coup Estienne et Hyriel vont encore plus devoir se cacher. Le moindre petit grain de sel peut venir perturber un bonheur qui a mis des semaines à s'installer. C'est super efficace pour rendre la précarité de cet endroit. La menace est permanente. Même de la part des autres prisonniers (ça aussi, bon point : c'est pas manichéen du genre les prisonniers contre des affreux gardes et directeurs).
Bien aimé sinon le passage de réflexions d'Hyriel sur le major. Est-ce qu'il peut lui faire confiance ? Est-ce que c'est un bon gars mais qui doit dissimuler ce qu'il est pour ne pas s'attirer les foudres ? Je dois reconnaître que moi aussi, je me pose plein de questions. Et comme Hyriel, je suis méfiant à son sujet, pas aussi optimiste qu'Estienne.
Le dernier passage fait du bien au moral. Théa, toujours là pour faire sourire les deux compères. Les oiseaux, mais bichette xD L'idée sérieuse d'une évasion commence à faire son petit chemin.
JeannieC.
Posté le 13/11/2022
Coucou !
Mais pas de soucis hein, n'hésite pas à noter tes pronostics - ce n'est pas gênant du tout, au contraire. :D
Le gros nounours te remercie pour ta sollicitude héhé. Nous sommes contentes par ailleurs que tu aies été sensible à cette fragilité permanente du moindre petit bonheur. Le moindre petit geste est en effet susceptible de prendre des proportions inconsidérées dans un environnement aussi clos et surveillé.
Quant au Moajor, nous te laissons voir héhé =)
Merci pour ta lecture !
M. de Mont-Tombe
Posté le 11/09/2022
Oh oui ! Une évasion! :D Je vais de ce pas lire la suite.
C'est encore un très bon chapitre que vous nous avez écrit. Je m'interroge cependant sur les moments où vous écrivez à l'imparfait (ou le "tell" dans l'expression "show don't tell") Je vous redis dès que j'ai terminé de vous lire !
JeannieC.
Posté le 13/09/2022
Coucou ! Contentes de te recroiser par ici <3
Héhé ouiiii, l'idée de foutre le camp comment de plus en plus à s'installer dans leur tête. xD Merci beaucoup pour ta lecture et tes retours.
Hortense
Posté le 03/07/2022
Bonjour, Helasabeth et JeannieC
Rude journée pour Estienne et épreuve supplémentaire que celle d’affronter, en plus, la réprobation de tous (excepté Théa). Comme quoi, la solidarité et la compassion que devraient entraîner tant de mauvais traitements, ne franchissent pas les murs désolés de cette prison. La vie des amis semble donc condamnée à se compliquer davantage. Comment espèrent-ils se tirer de ce mauvais pas ? Je vois mal comment ils pourraient y parvenir sans une aide extérieure. Le docteur pourrait-il être cette aide ? Rien pour l’instant ne permet de le deviner. Mais ce monde de désolation mériterait un vrai rayon de soleil (autre que Théa ).
Quelques remarques :
- quelque obscur ouvrage où se documentait le Major : dans lequel ?
- Au milieu de son labeur : là, il est au réfectoire. Je trouve que « au milieu de son labeur », ne fonctionne pas trop, même si l’on comprend ce que tu veux dire.
- des va-et-vient de la lame à son visage pour clore : sur son visage ?
- Hyriel essuya parfois ses mains rouges : essuyait ?
- assigné au mur qu’il était à chaque ration : je ne comprends pas ce que tu veux dire.
- ces bonnes choses étalées : ces bonnes victuailles ?
- restaient clouées au supplice : au supplicier ?
A très bientôt
JeannieC.
Posté le 03/07/2022
Bonjour Hortense !

Contentes de te recroiser par ici... même si c'est pour une des sections les plus sinistres du roman ! On te l'accorde, là c'est la descente aux enfers.
Peut-être d'ailleurs, nous sommes-nous dit en te lisant, que ça vaudrait le coup de souligner quand même davantage dans cette partie que c'est bien via le chirurgien qu'Hyriel va avoir une de ses clés de sortie de ce cauchemar. Cela préparerait le moment où, d'ici deux scènes, il va être re-convoqué par lui après un petit moment érotique avec Estienne. Et cela remettrait un peu d'énergie et d'espoir, en plus de la présence de Théa et de l'idée d'une évasion qui germe mine de rien. :)

Merci pour ta lecture, et les petits détails toujours très pertinents que tu pointes. C'est vrai, petite incohérence sur la position d'Hyriel au début ! On va corriger ça en "Profitant de sa pause entre deux éternités de labeur". Et le mur aussi, on va clarifier ça, c'est le fait qu'Estienne doit manger caché derrière un mur à chaque repas.

A une prochaine fois !
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