CHAPITRE VI – La Forêt d’en Bas - Partie 15

William ne croyait pas si bien dire, puisque Maria n’allait pas tarder à s’impatienter, en dépit des panaches de fumées qu’elle vit bientôt s’élever du sanctuaire qu’Arcturus assiégeait – bien malgré lui.

À peine eurent-ils atteint la lisière des sous-bois, afin d’y apercevoir les petites bâtisses au pied de la montagne, que plusieurs sectateurs en sortirent pour ouvrir le feu sur les chasseurs, sans la moindre sommation. Surprise, l’expédition fut contrainte de se jeter à couvert, puis de répliquer dans la foulée, si vite et si fort que les flammes grimpaient déjà aux premiers balcons du refuge troglodyte. Pourtant, ces fanatiques continuent d’affluer, ils sont complètement suicidaires, en conclut Raphaël en observant ce carnage depuis le tronc d’arbre qu’il partageait avec sa maîtresse, absolument de marbre, presque détachée de ce tir au pigeon dont elle finit par détourner le regard. Toujours aucun signe de Jasper, s’agaça-t-elle avec son pistolet en main, prêt à retentir dès que cette fusillade lui offrirait une seconde d’accalmie, comme si cela avait une chance de le faire revenir plus vite. Naturellement, il était probablement plus judicieux de partir à sa recherche, quitte à faire un détour pour aller emprunter Renard à ses deux collègues, tel qu’elle hésitait encore à le faire. Toutefois, il n’était pas question d’abandonner son devoir, ni de laisser Arcturus piller ce sanctuaire pendant qu’elle s’absenterait pour des futilités. Elle n’escomptait pas y voler des trésors dans le dos du Conseil, tout comme elle ne craignait pas que son collègue anglais s’y abaisse, mais l’idée qu’il puisse manquer une découverte cruciale la dérangeait, presque autant que son impression de lui servir d’assistante. Car, cette fois, le président de Solar Gleam menait le siège en personne, grâce à la radio d’un de ses hommes allongés près de lui, au point que Lysander pouvait directement conduire l’avancée de ses autres camarades au travers des baraques en flammes. Quant aux Français, ils se contentaient de protéger leurs arrières d’un potentiel renfort, même si Alessandre et Théo ne se privaient pas de tirer lorsqu’ils le pouvaient, ou plutôt quand leurs alliés leur en laissaient l’opportunité.

Puisqu’au rythme où tombaient les derniers défenseurs, ce n’était plus qu’une question de secondes avant que l’équipe d’assaut des Springs n’en verrouille l’accès. La route est dégagée, nous nous regroupons à l’entrée, lança-t-il à sa collègue dès que le fracas des fusils céda au roulement des incendies, tandis que ses compagnons délaissaient déjà leurs abris pour s’élancer un à un dans la clairière. Passez devant, nous continuons à vous couvrir, lui répondit-elle en faisant signe à ses hommes de rester en position, avant de balayer les alentours du regard dans un ultime espoir, sans rien y apercevoir. Maîtresse, je pars le chercher jusqu’au fin fond de cette forêt si vous me l’ordonnez, lui proposa Raphaël, plus rongé par le malaise de sa patronne que par le danger de partir en solitaire dans cette jungle, au point d’insister en dépit des refus de cette dernière. Cependant, elle ne pouvait pas continuer à regarder Arcturus, tout accomplir seul, pendant qu’elle restait cachée derrière un tronc d’arbre, comme une paysanne tétanisée par l’incendie de son village. Alors, Maria décida de faire comme elle l’avait toujours fait, tel qu’elle l’avait confié à Alessia hier, et elle s’apprêtait à enfin donner le signal de l’attaque à ses hommes, lorsqu’un hurlement strident retentit derrière eux.

Aussitôt, les Français tournèrent leurs fusils dans la direction des bois, prêts à tirer au premier mouvement hostile, jusqu’à ce que même Maria baisse les épaules devant ce spectacle hallucinant : l’horizon tremblait sous la charge d’une menace terrible, si puissante qu’elle en déracinait les arbres dans des éclairs de lumières.

— Tenez-vous prêts à rejoindre les tunnels ! ordonna-t-elle.

Le silence retomba soudainement sur la forêt, timidement baignée par de fins cristaux qu’elle croyait voir se refléter à l’horizon, autour de la silhouette qu’elle vit finalement apparaître.

— C’est… Jasper ? lâcha-t-elle en discernant sa petite tignasse, sa tenue de chasse qu’elle lui avait offerte, et sa démarche toute fière vers laquelle ils se précipitèrent.

— Enfin te voilà ! As-tu conscience de l’ennui que tu m’as causée ?!

— Je pensais que tu serais heureuse de me voir prendre les devants ! lui répondit-il avec un sourire qu’elle finit par lui rendre.

Elle arriva près de lui, suffisamment proche pour reconnaître les habits de l’étranger qui le suivait : un agent du RFA ?

— Non, il ne travaille plus pour eux, et je lui dois la vie. Ne t’inquiète pas, je parie que vous allez vous entendre très vite.

— Enchanté de faire la connaissance d’une légende tel que vous, Madame, je suis Yerri Marckolsheim, ex-2ème renard du Département Impérial, condamné à mort par son directeur, ajouta le renégat.

Ce qui ramena un rictus satisfait sur le visage de Maria.

— J’ai cru comprendre que je pourrais vous être très utile dès maintenant. Il y a plusieurs trésors qui pourraient requérir votre intérêt ici-bas, et j’aimerais beaucoup les éloigner de votre ancien professeur, lui résuma-t-il en jetant un regard au président de Solar Gleam, en train de motiver ses hommes sur le seuil des souterrains.

— D’ailleurs, peut-être devrions-nous aller étudier d’autres de ces merveilles oubliées ? Vos amis anglais n’ont probablement pas besoin de votre aide, et je suppose que vous n’avez pas besoin de la leur non plus, si vous voyez ce que je veux dire…proposa Yerri.

— Hm ! Oui, je n’aime pas jouer les assistantes. En revanche, j’espère sincèrement que tes autres trésors valent mon déplacement. Je ne gagne pas grand-chose à passer derrière Arcturus, mais je ne suis pas venue ici pour gambader, lui asséna-t-elle pour que Yerri s’en amuse, sûr et certain qu’elle ne reviendrait pas les mains vides devant ses collègues, que les graines du Cœur de la Forêt seraient une récompense plus que pertinente.

Intriguée, Maria fit donc allumer sa radio pour avertir Arcturus de ses nouveaux plans : partir en quête de ce Cœur, puis revenir en compagnie du reste de l’expédition dans ce sanctuaire où il devait les attendre.

Cependant, si le Britannique n’appréciait pas l’idée de se séparer à nouveau, il se laissa convaincre quand elle lui confirma s’être trouvé un guide, ainsi qu’une route facile et directe à emprunter - à savoir cette grande voie de fleurs scintillantes qu’ils avaient déjà repérée près du sanctuaire. Évidemment, il trouvait tout de même étrange le fait de croiser un chasseur de trésor allemand errant ici, mais il avait bien mieux à faire pour le moment. Wallace et les autres ont déjà pris position en bas, nous descendons à votre signal, lui résuma Lysander avant d’ajouter que les tunnels ne seraient plus défendus, que c’était l’occasion d’en finir. Alors, dès qu’il eut vérifié le barillet de son revolver, Arcturus et ses hommes s’engouffrèrent à leur tour dans ce sanctuaire qu’ils découvrirent tout de marbre blanc, aux multiples plafonds couverts de lierres rayonnants, aux grandes façades tantôt sculptées d’or et d’argent, tantôt drapées de longs voiles ouvragés. En vérité, cette grande halle d’entrée était parmi les plus vastes et les plus fastueuses que le président n’avait jamais vu, au point qu’il se demandait comment une civilisation de reclus avait réussi à la creuser. Clairement, une construction pareille aurait dû rester dans la mémoire, elle a forcément été le centre d’un État capable de se procurer tout ça, se questionnait-il encore, lorsqu’il vit ses compagnons se figer sur le seuil de la prochaine salle, d’un seul coup, comme s’ils étaient choqués par ce qu’ils venaient d’y découvrir. Et pour cause ; de part et d’autre, d’un bout à l’autre de cette longue pièce plongée dans le silence, des dizaines de corps inertes se succédaient le long des murs, allongés dans les alcôves, adossés aux rebords ou gisant parfois à même le sol. Malheureusement, si Arcturus comprit très vite avec horreur qu’il n’y avait plus rien à faire pour eux, il découvrit aussi qu’ils étaient tous parfaitement indemnes, habillés, et encore chauds. On dirait presque qu’ils sont en train de dormir, s’horrifia-t-il en réalisant qu’ils n’avaient pas été tués, qu’ils s’étaient probablement tous suicidés à son approche, jusqu’à ce qu’il préfère ordonner à ses hommes de reprendre la route sans plus tarder, tant cette vision glauque le mettait mal à l’aise.

Non, il y a forcément une autre raison, ça ne tourne pas rond ici, Arcturus en était sûr, si certain qu’il ne fut même pas surpris de retrouver Wallace et Caolan dans le prochain couloir, devant la dépouille d’un sectateur allongé en travers d’une intersection des galeries.

— Il s’est suicidé dès que nous l’avons surpris, comme tous les autres. Eluned et Siarl font de leur mieux pour empêcher ceux qui n’ont pas encore eu le courage de sauter le pas à temps, mais… nous sommes désolés, Président, nous ne pouvons rien face à tant d’abnégation… lui confia Wallace, d’un air déçu que son expert en chimie ne partageait qu’à moitié.

— C’est un poison qu’ils s’injectent grâce à un dispositif caché sous leurs tuniques, et… c’est un sacré neurotoxique, je dois bien l’avouer ! Il semble paralyser l’action du LM pour un certain temps, en plus de tuer. On a déjà essayé de réanimer celui-là, mais que ce le stimulant ou le remède, aucun n’a eu d’effet, ajouta Caolan sous les airs abasourdis de son président, effrayé de voir des hommes plonger aussi volontairement dans le vide, sans chercher à lui parler, ni même à le combattre…

— Des putains de tarés… Ils se gardent forcément un moyen de ressusciter, il ne peut pas en être autrement, voulut-il en conclure pour se rassurer.

— Il s’agit d’une catalepsie très profonde, d’une forme de presque-mort temporaire, renchérit Caolan, spécialiste en poison.

— Quoi qu’il en soit, dépêchons-nous de rejoindre Eluned et Siarl. Et gardez les yeux ouverts, on ne sait jamais avec ce gen - reprenait-il lorsqu’un fracas métallique retentit brutalement, juste avant que le vacarme des combats n’emplisse les tunnels suivants.

Sans hésiter, Arcturus se précipita donc à leur secours, en priant qu’ils ne se soient pas fait surprendre dans ces galeries, bientôt à nouveau silencieuses.

Après tout, il suffit que l’un d’eux se soit relevé dans leur dos, ou même qu’il se soit simplement caché, s’angoissait-il au point d’en courir presque aussi vite que le chef des Springs, tout aussi nerveux que lui. Toutefois, c’est au-dessus d’un corps démembré et convulsant qu’ils retrouvèrent les deux Gallois, au beau milieu d’une gigantesque antichambre de marbre blanc, face à une immense porte de pierre noire. Ils en ont chopé un, bien joué les gars, se réjouit Cathair en accourant vers eux, soit l’inverse d’Eluned qui vint froidement confier son rapport au président : nous approchons des bassins, leur Haut-Prêtre ne devrait plus être très loin. Mais avant de s’y rendre, Arcturus voulait interroger l’homme qu’Iverna s’affairait à sauver, à grands renforts de LM, quitte à plonger son patient dans une sorte de demi-conscience, un état où il pouvait répondre sans être interrompu par la douleur, ni par la vision de son bras gisant près de lui. Néanmoins, les choses ne pouvaient être aussi simples, car même dans cette transe, le sectateur refusait de répondre à cette question simple : qu’y a -t-il au fond de ce tunnel.

— Pourquoi vous vous suicidez tous, bordel de merde ?! Qu’est-ce qui ne tourne pas rond ici ? finit par s’énerver Arcturus, en se retenant d’empoigner le col du prisonnier qui lui répondit qu’il préférait mourir que d’offrir la vérité à un corrupteur.

— Si vous me lâchiez vos vérités, ne serait-ce qu’une fois, je pourrais peut-être me laisser convaincre, et même vous aider ! Qu’est-ce qu’il se passe dans cette Forêt ? C’est quoi son rapport avec l’immortalité ?

— Regarde autour de toi… ces tunnels n’ont pas été faits par n’importe qui… ils ne renferment pas n’importe quoi… Regarde sur ces murs, même un gosse comprendrait qu’il n’a rien à faire ici… haleta son prisonnier dans un dernier délire, malgré tous les efforts d’Iverna pour le maintenir conscient, et toutes les insistances d’Arcturus pour obtenir des explications.

Malgré tout, lorsqu’il redressa le menton afin de balayer du regard les parois de cette antichambre immaculée, l’Anglais du Conseil était le premier à se questionner sur ses actes, puis à ressasser les avertissements d’Alessia.

De part et d’autre, les fresques semblaient décrire des scènes religieuses de la façon la plus fidèle possible, avec assez de talent pour que n’importe quel visiteur puisse apercevoir leurs détails, toujours intacts en dépit des siècles qu’ils avaient vu passés. Bien délimitées par des liserés de nachtstein, huit gravures se partageaient les longs murs tandis qu’une dernière semblait se dresser en bout de couloir, par-dessus l’unique porte de cette salle immense. Sur chacune des huit premières scènes, Arcturus discerna des petits êtres ailés opposés à des créatures gigantesques, aussi hautes que les montagnes soufflées par leur affrontement dantesque. Tels des Anges, les premiers étaient humanoïdes, auréolés de grand halo, somptueusement vêtus, et si innombrables qu’ils ressemblaient à une nuée d’insectes autour d’un lion. Quant à leurs ennemis, ils n’étaient pas dépourvus de curiosités non plus, bien au contraire, puisqu’ils étaient tous différents, en toutes choses. Ils n’avaient ni la même forme, ni la même couleur, ni la même opacité ou netteté dans leurs traits – comme si les auteurs avaient voulu représenter l’évanescence de leur matière. L’un d’eux ressemblait vaguement à une tortue insectoïde pâle, un autre à une sorte de serpent transparent, et d’autres étaient purement incomparable aux animaux trouvables sur Terre, sans même parler de ceux qui n’étaient incarnés que par des symboles étranges.

Néanmoins, ils résistaient tous aux assauts des êtres ailés avec le même acharnement, envoyant leurs lumières par-delà celles des Anges, à tel point que l’aura de ces grandes créatures paraissaient inonder le cadre de toutes les scènes.

— C’est du beau travail, n’empêche… lâcha Siarl d’un air admiratif, là où Caolan préférait en plaisanter.

— Je saurai pas dire, mon boulot à moi, c’est de détruire ce genre de trucs normalement, ou de le piéger à la limite ... Vous en pensez quoi, patron ?

— À vrai dire … je pense que ceux sont des Anges qui ont construit cet endroit et que ces fresques représentent des évènements de leur passé, finit-il par lui répondre.

Il avança de quelques pas vers la porte pour mieux voir la neuvième scène, sous les airs toujours abasourdis des Springs.

— Il n’est pas impossible que le Cœur ou la Voix d’en Bas ait un quelconque lien avec l’une des entités que nous voyons ici. Je vais avoir quelques questions très directes à poser à ce Haut-Prêtre, mais en attendant, faisons attention. Nous n’avons aucune idée de ce qu’il se passe ici et ceux qui savent, préfèrent mourir plutôt que de nous le dire… conclut Arcturus en levant le regard au-dessus de cette épaisse porte de nachtstein à peine entrouverte, afin d’y contempler cette immense fresque antique et s’y sentir si petit, si jeune, si ignorant durant l’espace d’un instant.

Visiblement, ce neuvième relief représentait un combat encore plus titanesque dans l’esprit des auteurs, quelque chose de crucial dans l’histoire de leur monde.

Nimbée d’une aura blanche d’argile, une silhouette juvénile se tenait sur une grande plaine lunaire flottant au milieu du Cosmos - représentée par une fine couche de nachtstein, perlée de toutes les pierres précieuses que la Terre pu compter à cette époque. Bien que des larmes coulaient sur ses joues, l’enfant restait courageusement dressé et jetait son regard passionné et résolu à l’étoile rayonnant au-dessus de lui, trônant au sommet d’un escalier de marbre plus vaste que les pyramides d’Égypte. D’ailleurs, la lumière de cette dernière était si pure qu’aucune forme ne s’y discernait, et son halo suffisait à engloutir le minuscule lopin de terre où dérivait l’enfant. Malheureusement, leur différend paraissait avoir abouti à la dernière solution, si fatalement que les autres astres éclataient parfois en fragments scintillants au gré de leur duel. À première vue, Arcturus croyait ainsi comprendre qu’un grand combat avait opposé les Anges, probablement concepteurs de ce sanctuaire, et ces grandes entités toutes différentes, sûrement une race rivale, ou des mutants plus terribles que tout ce que nous pourrions imaginer.

En fait, il pourrait peut-être s’agir de démon après tout, se corrigea-t-il en essayant de rassembler les maigres souvenirs de mythologie biblique hérités de sa mère, jusqu’à finalement revenir de nouveau sur ses hypothèses, ils paraissent tout de même très puissants, l’enfant aurait tenu tête au chef des Anges, ou à leur Dieu ?

— Enfin, c’est assez compliqué d’interpréter des légendes quand on n’a pas le background dans la tête, conclut-il avant de replonger dans ces pensées, lorsque Kennocha vint le sortir de ses rêveries interminables.

— Il y en a une autre au-dessus de la porte derrière nous, tu l’as vu ? lui demanda-t-elle en désignant ce qui devait probablement être une dixième confrontation.

Mais, Arcturus eut beau se concentrer du mieux qu’il puisse, il ne trouva qu’un seul protagoniste sur cette fresque, tout aussi grandiose que ses voisines.

Le décor y évoquait une grande lune dévastée, tellement lacérée que ses plaies suintaient des traînées de cendres et de fumées colossales, au point de pratiquement dépasser son halo presque éteint, comme si elle gisait vaincue et agonisante. Malheureusement, l’unique survivant de ce cataclysme n’était pas en meilleur état. Depuis la lune, un ange ensanglanté chutait au travers du manteau d’astéroïdes d’une planète en flammes. Malgré son aura toujours égale à celles des grandes créatures, celui-ci se prenait la tête dans ses mains comme s’il était sur le point de basculer dans la folie, dans une représentation si classique que l’Écossaise des Springs avait déjà conclu l’affaire.

— Il n’y a pas besoin d’être pasteur pour reconnaître l’histoire du Diable. Par contre, la Terre ne fait pas plaisir à voir, les Anges et les Démons l’avaient complètement foutue en l’air. D’ailleurs, il n’y a pas un seul être humain sur toutes ces gravures, si ? lâcha Kennocha pour trouver chez son amant un visage toujours pensif, dubitatif face à toutes ces analogies bibliques.

— Je n’en ai pas vu, cela s’est peut-être passé avant notre apparition. Enfin, tout est possible à partir du moment où l’on se met à admettre des mythologies antiques… voulut-il se raisonner.

Il imaginait ce que William ou Maria diraient s’ils l’entendaient délirer ainsi, avant de s’en retourner vers cette imposante porte noire.

— Remettons-nous en route, leur Haut-Prêtre répondra à toutes nos questions. Je compte sur vous pour l’empêcher de se suicider si nous parvenons à le dénicher vivant, leur lança-t-il, sous les airs soulagés des quelques Springs en position autour de l’embrasure des deux battants - le doigt toujours sur la gâchette pendant que leurs camarades jouaient aux archéologues avec leur président.

Finalement, ces derniers avaient peut-être bien raison, puisqu’il n’y avait plus personne pour les arrêter dans les escaliers de pierre-nuit qui suivirent, jusqu’à ce qu’ils franchissent le seuil d’un lieu singulier, même au yeux d’Arcturus.

Au pied de cet escalier, une grande plaine de terre écarlate couvrait les trois quarts de cette immense caverne noire, dont la voûte était également couverte d’une fine toile rouge, immobile, comme endormie. Naturellement, Arcturus comprit qu’il venait de trouver le bassin de LM qu’il cherchait, même s’il lui fallut plusieurs secondes pour s’en convaincre définitivement. En effet, il n’avait jamais entendu parler de filaments d’échos parfaitement immobiles, et personne n’avait jamais eu la stupidité de l’imaginer pour des raisons de physiques élémentaire. Quant au LM cristallisé, si Solar Gleam en fabriquait des tonnes chaque semaine, il n’existait pas à l’état naturel car la molécule nécessitait théoriquement un froid interstellaire pour entamer sa solidification – à moins d’être combinée avec d’autres atomes plus diplomates. Pourtant, il était bel et bien agenouillé sur cette terre rouge qu’il émiettait, sans prendre le risque d’ôter ses gants pour mieux la palper, tandis que ses protecteurs surveillaient les sorties de cette cavité depuis les rives - sauf un.

— Tiens, c’est marrant ça, lâcha soudainement Siarl, pendant qu’il formait comme une boule de LM avec un sourire en coin, sous les yeux stupéfaits de son président.

— N’essaie même pas de la jeter sur quelqu’un. En fait, tu ferais mieux de ne pas y toucher, tes gants ne sont pas comme les miens, lui conseilla-t-il.

Il se redressa pour balayer du regard les parois de nachtstein, l’air pensif, jusqu’à ce qu’il se rabatte vers la porte de marbre blanc trônant derrière ce lac, sur une petite estrade.

— Cette porte est fermée, nous verrons s’il est possible de la faire sauter plus tard, selon ce que donnera la capture de leur pape. Continuons dans l’autre tunnel, ordonna-t-il pour que Lysander remette ses Springs en marche, vers le simple voile beige qu’ils voyaient doucement voleter au-devant d’une ouverture, à une trentaine de mètres le long de la paroi sombre – et parfaitement épurée, sans le moindre relief.

D’ailleurs, Arcturus ne manqua pas de remarquer cette différence de taille avec les souterrains précédents, ni le fait qu’il n’était plus question d’architecture ou d’autres fioritures, mais de stricte nécessité.

Si je suis cette logique, ceux qui ont creusé cette annexe, devaient faire la taille d’un être humain, pensa-t-il tandis que ses chasseurs lui ouvraient le chemin, jusqu’à ce rideau légèrement transparent qu’ils franchirent, tout canon dehors. Pourtant, ils n’eurent pas la moindre peine à trouver leur proie, seule dans un cabinet aussi antique qu’élégant ; ni trop faste, ni trop sobre ; passant des couleurs ternes aux vives selon ce qui semblait mis en valeur dans cette sorte d’archive. D’ailleurs, le Haut-Prêtre du Vol de Jais était très calme, rien à voir avec l’état d’esprit des sectateurs que le Conseil avait croisés jusque-là, et c’est tout juste s’il leva la tête de son livre de prière pour voir le président s’avancer prudemment de son bureau.

— Vous arrivez exactement à la fin du verset, Soleil Marin. C’est … intrigant, déclara-t-il en se redressant légèrement sur son fauteuil de métal clair.

Arcturus lui répondit qu’il s’agissait simplement de la ponctualité anglaise, puis il enchaîna aussitôt en lui demandant s’il n’avait pas peur de lui et de ses hommes.  

— J’ai entendu vos coups de feu. Seulement, je ne crains pas la mort à vrai dire. Le devrais-je, selon vous ?

— Si vous me dites la vérité tout ira bien. Je vais être clair tout de suite, j’ai plusieurs choses importantes à vous demander, donc j’ai besoin de réponses claires et rapides. D’abord, comment connaissez-vous mon pseudonyme du Conseil ?

— Par le Prophète et le Testament, bien sûr, lui sourit le vieil homme.

 Arcturus fut surpris par son invité qui pensait qu’Alessia était l’unique détentrice de cet ouvrage mystérieux.

— Hm ! C’était un peu la Bible de l’époque, il a été réécrit de nombreuses fois, sous différentes versions, plus ou moins fiables ou bien conservées. Certes, je n’ai pas la chance d’avoir l’exemplaire original et complet comme vos professeurs ; en revanche, le Vol a trouvé des fragments, des extraits, et même d’autres ouvrages rédigés en parallèle. Vous, le Soleil Marin, apparaissez dans le Livre des Enfers, un nom ravissant, n’est-ce pas ? ironisa-t-il sous les sourires nerveux de l’Anglais.

Celui-ci se contenta de l’interroger s’il apparaissait en bien ou en mal.

— Ah… Tout de suite les grands mots ! C’est une coutume chez vous les Anglo-Saxons de séparer les gens en bons ou en mauvais ?

— Il y a des cas qui ne prêtent pas équivoque. Enfin, nous allons laisser vos prédictions de côté pour le moment. Qui est le Prophète ? reprit-il en s’asseyant sur le bureau, sans que ça ne dérange le vieux pontife, déjà trop las de ne pouvoir répondre à sa question.

— Je ne me répéterai pas, insista Arcturus.

Le Haut-Prêtre lui répliqua qu’il ne se répéterait pas non plus. Il le questionna sur ses opinions à propos du Prophète.

— Pour l’instant, je veux surtout lui parler, je n’ai aucune haine envers lu –

— Eh bien moi si ! Et, si je pouvais livrer son identité en pâture au monde entier, je le ferai ! Pour le seul plaisir de voir ses nombreux ennemis lui défoncer le crâne à grands coups de bottes, acheva le vieil homme, malgré l’air déjà interloqué d’Arcturus, loin de s’attendre à un aveu si brutal.

Néanmoins, ça n’empêcha pas le Haut-Prêtre d’ajouter que ce prétendu prophète était désormais pire que Satan lui-même, pour nous comme pour les plus grands des dieux.

D’ailleurs, son emprise aurait déjà gagné le Monde d’en Bas, d’innombrables galeries seraient ainsi tombées aux mains de ses fidèles, ou des autres sectes qu’il avait corrompues, absorbées, puis cachées sous la surface, loin du monde extérieur qu’il détestait profondément. Cependant, le président l’interrompit sans plus attendre, puisqu’il n’était pas venu pour participer à des règlements de comptes entre fanatiques, il s’en fichait complétement. Et c’est bien dommage, comme lui fit remarquer son hôte, parce qu’il avait un marché très intéressant à lui proposer, un arrangement que le Britannique écouta attentivement car c’était exactement là où il voulait en venir. Ainsi, le pontife du Vol de Jais lui fit miroiter la promesse de l’immortalité que la secte avait découverte ici, en fouillant les tunnels d’en Bas jusqu’à trouver les traces d’une civilisation disparue, dont le clergé avait conservé un véritable remède contre la mort. Malheureusement, les espoirs d’Arcturus se virent douchés dès qu’il eut la jugeote de questionner précisément la soi-disant thérapie que ces illuminés auraient exhumée, et si cette dernière provenait du peuple à l’origine de ce sanctuaire ou des Étrusques dont Alessia lui avait parlé. Car cette résurrection n’était clairement pas digne des créateurs de ce lieu aussi abouti, sans compter le fait qu’elle n’était pas non plus sans séquelles.

Si les guerriers ou les clercs de la secte parvenaient à revenir à la vie, c’était grâce à un minuscule ver qu’ils avaient bu, un parasite originaire des marais du nord de la Forêt d’en Bas, à la fois très friands et très tolérants envers ses hôtes. Ce ver de Kalen, tel qu’ils les nommaient, n’engendrait en effet aucune conséquence sur le métabolisme du corps humain, ne gênerait ni gêne ni douleur, et ne disposait même pas de la capacité de se multiplier tant qu’il infectait un autre corps. En plus, il réduisait grandement les risques de mutation, si bien que les Étrusques d’en Bas l’avaient massivement diffusé au sein de leur population. Seulement pour exprimer tout son potentiel, il devait se nourrir de souvenirs et d’émotions, ce qui pouvait entraîner une forme de dégénérescence mentale au fil des décès reportés. Bref, ce n’était pas ça qui allait devenir le prochain produit phare de Solar Gleam, la seule idée de vivre avec un ver donnait visiblement des nausées à son amante. D’autant plus qu’Arcturus rêvait d’une vie de plaisirs perpétuels, pas d’une lente descente vers la sénilité éternelle, alors il ne se fit pas prier pour dire au pontife qu’il ferait mieux d’avoir des remèdes moins contraignants, s’il espérait vraiment obtenir un accord du Soleil Marin. Et bien que ce fut le cas, ce dernier dut retenir sa colère lorsque ce fanatique se mit à évoquer les sacrifices humains, dont il aurait entendu parler chez certaines civilisations du Testament. Vous n’avez donc rien de réaliste ou de sain d’esprit à me proposer, finit-il par s’agacer en jetant un regard désabusé vers la voûte noire de cette petite annexe, jusqu’à ce que son hôte finisse par lui confier un ultime espoir, après une brève hésitation.

Un peu partout sur Terre, nombre de lieux plus oubliés que la Forêt d’en Bas recèlerait de vestiges grandioses, façonnés ou découverts par des peuples disparus ayant approché les Anges, les Démons, voir les Dieux eux-mêmes. Selon le Testament, l’un de ces sanctuaires abritait un être capable de le guider dans tous les rêves qu’il pouvait nourrir : un oracle plus vieux que n’importe lequel d’entre-nous. D’ailleurs, cet éternel ami de l’Humanité s’y serait fait enfermer, d’après le peu d’informations que le Vol avait pu collecter à son sujet, et celui qui le libèrerait de ses millénaires de solitude serait donc sûr d’avoir toute sa gratitude. Évidemment, le Soleil Marin était tout désigné pour accomplir ce devoir, il était si motivé à l’idée d’aller délivrer ce puissant allié qu’il s’empressa de lui demander où chercher cet être si mystérieux. Mais c’était bien ça le problème, cet oracle pouvait être partout et nulle part, le pontife ne pouvait même pas lui donner un nom, ni le moindre détail qui puisse circonscrire une zone de recherche – il pouvait aussi bien être détenu au sommet des Andes qu’au fond d’un marais de Sibérie, sans compter l’en Bas ou les océans.

En clair, j’ai plus de chances de trouver l’immortalité par mes propres recherches qu’en écoutant vos foutues légendes, vous ne m’êtes toujours d’aucun secours, en venait-il à s’agacer à nouveau, malgré tous les efforts du Haut-Prêtre.

— Vous aviez, vraiment, cru que ça serait si simple ? Qu’il suffirait de se promener dans une vieille caverne pour y trouver des trésors que personne n’aurait jamais aperçus avant vous ? Je vous rappelle que l’Humanité est vieille de plusieurs millénaires. D’ailleurs, il ne suffit pas, non plus, d’aller frapper à la porte des sanctuaires oubliés pour qu’ils s’ouvrent. Ce n’est pas la caverne d’Ali Baba ici, les fouineurs et les mendiants restent sur le pas de la porte. Enfin, vous n’êtes pas venu pour rien, rassurez-vous, se reprit-il en voyant le président froncer les sourcils à l’écoute de cette comparaison douteuse avec des mendiants.

— Pour être aussi sûr de vous, j’espère que vous avez quelque chose de vraiment pertinent à me proposer, maintenant et tout de suite… se contenta de lâcher Arcturus pour que son hôte opine du chef, puis ne lui désigne d’un geste l’étrange objet que le Britannique avait remarqué dès son arrivée, même dans un endroit si curieux.

Il s’agissait d’un cône plat et effilé, semblable à une épine d’argent finement veinée de saphir, enfermé dans une grande goutte d’eau flottante au centre d’un socle percé de santomarbro, sur un meuble de bois terne coincé entre deux étagères.

Bien entendu, Arcturus en profita pour apprendre du Haut-Prêtre que les Anges conservaient certains de leurs outils de cette façon, afin que personne ne puisse les localiser à l’aide d’aucune magie, puisque les échos ne traversaient pas les véritables eaux bénites comme celle-ci. Et cet outil dont s’approchait l’Anglais n’était pas n’importe lequel, c’était typiquement le genre d’objet qui ne devait pas tomber entre les mains de n’importe qui : la clé angélique.

— Elle vous permettra de libérer cet Oracle, mais aussi d’accéder aux endroits d’où je préfère savoir le Prophète éloigné. En gage de bonne volonté, je vous laisse la prendre sans rien dire, j’accepte même de vous expliquer comment l’utiliser. Allez-y, prenez-la, confia-t-il à son invité.

Suffisamment méfiant pour que ce soit Wallace qui vienne plonger sa main gantée dans cette goutte, avant de tendre la clé au président, toujours circonspect à la vue de cette maigre consolation.

— Mais je vais être honnête avec vous, je ne fais pas cela de bon cœur. Je me doute que vous comptez faire main basse sur tous les refuges que cette clé pourrait vous offrir. Seulement, j’ai l’audace d’espérer que vous n’êtes pas aussi fou que le Prophète, que vous êtes à la hauteur du nom que le Destin vous a chuchoté lorsque vint le moment de succéder à vos illustres prédécesseurs… Prenez garde aux forces que vous pourriez déterrer avec cette Clé, et ne méprisez pas tous ceux qui nous se sont perdus avant nous. Si les créateurs de ce lieu, si parfait, l’ont scellé entre des murs si glorieux, ça n’est pas sans raison… Cette prison doit rester fermée le plus longtemps possible, continua le Haut-Prêtre.

— De quelle prison me parlez-vous ? Il y a-t-il un rapport avec le fait que vos fidèles ont préféré se tuer que me répondre ? Et je veux une réponse précise, si vous tenez vraiment à ce que je prenne vos avertissements au sérieux, mettez les pieds dans le plat qu’on en finisse. 

— Non… parce que la… révélation de cette vérité… pourrait vous corrompre vous-aussi, tout comme elle a poussé le Prophète à former les rêves les plus fous. Mal-transmise, cette vérité transformerait le beau Soleil Marin en une boule de feu instable, elle vous plongerait dans une fuite en avant terrible. Croyez-moi, si mes informateurs de la Grisonne sont bien renseignés, vous n’avez pas besoin de ça en ce moment… Inspectez ce sanctuaire autant de temps que vous le voudrez, prenez-y tout ce que vous voulez, mais ne troublez pas le Cœur de cette Forêt, lui concéda-t-il.

Il ajouta que le second Conseil ne devait pas reproduire l’erreur que ses professeurs étaient venus commettre ici, lorsqu’ils avaient commis le péché de forcer les différentes portes de ce refuge.

— Tenez-vous à cela et je serai ravi de continuer à vous aider. J’ose croire que je vous ai donné des preuves suffisantes de ma bonne foi.

— C’est vrai… Mais je vais être franc moi-aussi. J’ai bien l’intention d’ouvrir la porte qui se trouve derrière ce bassin, et la Lune Pâle est déjà en chemin vers ce Cœur, lui confia Arcturus.

Le sectateur soupira, impuissant, désemparé au point de reconnaître que cela devait arriver, avant de noyer ses regrets dans sa tasse de thé.

— Non, ce qui risque vraiment d’arriver, c’est que je perde patience si vous continuez à jouer les mystiques et me faire perdre mon temps. Je veux bien vous croire lorsque vous prétendez ne pas craindre la mort, mais je préfèrerai éviter de voir si vous craignez la torture. Alors, cette fois, répondez aux questions que je vous ai posées, insista le président en posant sa main sur l’épaule du pontife, d’un air suffisamment sincère pour espérer qu’un peu de contact corporel suffise à conclure l’affaire sans violence.

Malheureusement, j’ai déjà fait ce qui était en mon pouvoir, s’exaspéra le vieil homme tandis qu’il rabaissait sa tête vers son vieux livre de prière, en dépit des insistances d’Arcturus qui resserra un peu de sa poigne sur son épaule, de plus en plus molle.

Lorsque l’Anglais se mit à le secouer et comprit ce qu’il venait de se passer, il était déjà trop tard. Le Haut-Prêtre glissa de sa chaise pour s’effondrer au sol, complètement inerte, foudroyé par le neurotoxique qu’il venait de boire à l’insu de ses invités abasourdis. Certes, le chef des Springs ordonna immédiatement à Iverna et Caolan d’essayer de le sauver, mais Arcturus savait qu’il ne restait plus qu’à s’en vouloir, qu’il s’était fait endormir à force de papoter, comme son amante le lui asséna pendant qu’il fixait cette dépouille en silence. Pourtant, il n’était pas véritablement peiné d’assister à ce triste spectacle, après tout ce qu’il avait déjà vu aujourd’hui. Ce qui le choquait profondément, c’était ce suicide si désinvolte et insouciant qu’il venait de provoquer, c’était autant un sentiment d’échec et de culpabilité qu’une vision d’horreur et de malaise. Fanatiques ou non, comment est-ce possible de mettre fin à sa vie comme ça, s’angoissait-il, lui qui redoutait tant le vide éternel de la mort. Il a beau être probablement contaminé par son foutu ver, il faut en avoir du courage pour faire ce genre de pari contre la vie, parvint-il à se ressaisir, jusqu’à ramener son regard désabusé vers l’artéfact qu’il tenait en main, cette fameuse clé dont il soupçonnait si peu de choses. Alors sans perdre plus de temps, il s’empressa de vider les meubles et les tiroirs du bureau, en espérant y trouver des documents pertinents à bourrer dans le sac que Wallace vint lui tenir dès qu’il le vit s’affairer.

Seulement, il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que le bruissement des feuilles brassées dans sa fouille soit soudainement interrompu.

— Je… suis… riche ! s’exclama Cathair en sortant toutes sortes de bijoux somptueux qu’il venait de trouver dans un coffret.

— Même mes enfants seront riches avec ça ! Va falloir que j’en fasse d’ailleurs ! Je cramerai pas ce pognon tout seul, se réjouissait-il en enfilant au moins cinq colliers de dorures et de joyaux autour de son cou, pendant que le plus robuste des Springs, Machar, arrivait avec une grande besace vide.

Car c’était une tradition chez Semper Peace, une coutume héritée du Seafox et des lois de la Golden Owl.

À chaque expédition aux risques inconnus, ils avaient le droit du bénéfice inconnu, celui de pouvoir emporter, puis garder ou revendre tout objet de valeur qui n’avait d’autre intérêt manifeste que son prix marchand. Bien sûr, cela ne devait pas empiéter sur leur devoir, mais tant qu’ils restaient en mesure de l’accomplir, les Springs étaient libres de piller tout ce qu’ils voulaient, quitte à revenir chargés comme des mulets – tel qu’ils l’avaient déjà fait. D’ailleurs, il n’y avait bien qu’Iverna et Siarl pour garder autant d’états d’âmes face à l’avidité débridée de leurs camarades, Kennocha n’allait pas se gêner pour se rembourser la flèche qu’elle avait prise. Arcturus est d’accord, moi je me réserve ça, ça et ça, leur annonça-t-elle sans que son président ne prenne le temps de confirmer, trop pressé qu’il était par ses lectures de plus en plus fascinantes. Dans tout ce fouillis qu’il empilait devant le secrétaire, il y avait des dizaines de savoirs qu’il saisissait à peine, des schémas représentant des compositions inédites de LM, des théories sur le fonctionnement profond des échos jusqu’à leur usage magique, tel que l’écrivaient ces savants amateurs.

En revanche, là où seule Alessia s’intéressait vraiment aux origines du LM au sein du Conseil, le Vol de Jais s’était passionné pour cette question. La secte avait ainsi des dizaines d’hypothèses pour expliquer pourquoi les nappes avaient échappé aux hommes durant tant d’années, ou pourquoi elles semblaient avoir été cachées par ces Anges. Alors, tandis que le barda de ce pauvre Wallace commençait presque à déborder, le Soleil Marin finit par tomber sur un passage des plus intrigants, au détour d’une synthèse des dernières avancées de la secte sur la nachtstein : La nachtstein serait donc produite par les Anges, à partir de leur propre corps ou de leur système nerveux. Cette dernière permettrait le cloisonnement du verbe des dieux, seulement les mesures de sécurité n’ont pas tenu pour d’obscures raisons. Si nous en croyons les anciens, ce serait même la seconde fois que les confinements échouent. De toute évidence, les plans des Anges pour contenir le LM semblent voués à l’échec, un échec que tous cherchent à éviter. Heureusement, les élus savent que l’erreur naît de l’obstination, et ils se doutent que le monopole divin est la raison qui poussa Dieu à créer ces prisons de nachtstein, par l’intermédiaire des Anges. Pour la plus grande gloire de l’Humanité et de la Création, les élus du Vol de Jais doivent rompre le monopole divin et offrir à chacun sa place derrière le Voile, très lentement, paisiblement, par la voie la plus naturelle qui soit, comme le dogme l’exige. Apprendre à percer en toute sécurité les prisons de Dieu sera donc l’objet du prochain rapport de nos recherches sur la nachtstein, si le RFA d’Emil nous en laisse l’opportunité – comme notre Prophète l’a annoncé. Malgré tous nos efforts, recourir à la Clé nous paraît toujours trop dangereux ; Satan ou les Gardiens l’apprendraient aussi sûrement que le requin sent sa proie vibrer dans l’océan. Nous ne pouvons risquer d’attirer la colère de tels êtres si nous souhaitons un dénouement paisible aux poudrières que représentent les Mondes d’en Bas. A la lecture de cet extrait, Arcturus se sentit légèrement perturbé par cet objet qu’il avait posé sur le bureau, juste devant lui…

Le Diable saurait que je suis ici, s’étonna-t-il, incapable de chasser la peur d’être observé pendant un bref instant, jusqu’à s’interroger s’il croyait réellement à l’existence du Diable ou à un quelconque équivalent, quand une autre question fusa dans son esprit, c’est qui les Gardiens, ces barjots n’en n’ont en jamais parlé. Néanmoins, il était du genre à rester suffisamment lucide pour se rappeler son entretien avec Matthijs, le directeur des Antiquités de la Grisonne, celui qui l’avait encouragé à enquêter sur de vieilles stèles latines. Le seul problème, c’est qu’il se souvenait davantage de ses dernières beuveries avec les Springs que des termes exacts gravés par cet Aegidius, ou par Mérovée, ou par un autre gars, je ne sais plus trop. Enfin, tant pis, je verrai bien, soupira-t-il en refermant ce dossier pour le tendre à Wallace d’un air contrarié, plus épuisé par tous ces secrets qu’énervé envers le vieux pontife, dont le corps gisait toujours à ses pieds. Malgré tous ses efforts pour obtenir des réponses, il avait, surtout, récolté de nouvelles questions, ainsi que cet étrange sentiment de flirter avec des connaissances cachées qui lui donnait envie de croire tout ce qu’il lisait. Heureusement, Kennocha était là pour s’assurer qu’il garde bien les pieds sur terre, car tout ce qu’ils avaient vu pour l’instant, c’étaient des délires de suicidés et des fresques religieuses.

D’ailleurs, il n’y avait aucune raison de s’attarder davantage ici, et de ne pas aller ouvrir la grande porte qui se trouvait de l’autre côté du bassin. Après tout, je ne suis pas venu jusqu’ici pour reculer, August et David n’abandonneraient pas si près du but

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