Chapitre VI.

Notes de l’auteur : Vous vous en êtes peut-être rendu compte, mais je suis en retard sur mon objectif de publication... Bonne nouvelle : pour me faire pardonner je vous rembourse cette semaine, à commencer par ce chapitre. Hâtez-vous, le prochain est en chemin !

Une douce brise caresse ma peau et les rayons d’un levé de soleil estival illuminent mon visage. Au loin, des oiseaux chantent. Je me retourne et m’étire, m’éveillant paresseusement en cette paisible journée.

En principe, je ne laisse jamais la fenêtre ouverte la nuit, comme je déteste me réveiller avec le soleil de bon matin. Mais dans cette modeste maisonnée il n’y a pas de volets aux fenêtres, alors il m’a fallu m’y habituer. Sans compter, je dois l’avouer, que la chaleur du soleil levant ici, est tout simplement exquise.

C'est donc avec un léger sourire aux lèvres que je sors du lit ce matin. Mon corps est couvert de courbatures et mes tempes sont encore douloureuses de ma nuit agitée mais, pour une fois, ça ne m‘afflige pas plus que ça. Un rire léger s’échappe d’entre mes lèvres. Apparemment, aujourd’hui est le jour blanc parmi les noirs.

Sur cette certitude et après avoir fait ma toilette et m’être habillé, je rejoins la salle à manger pour régler le seul point douloureusement sombre de cette matinée : mon appétit. J’ai l’impression de ne rien n’avoir avalé depuis des lustres !

C’est donc la bouche encore pleine, je sors enfin dans la clairière devant la petite maison. Mon guide y est assise en tailleur, droite, les cheveux au vent et ses traits sereins baignés par la lumière de l’étoile diurne.

Je ne vois pas son visage mais je sais qu’elle est ailleurs. Quelque part perdue au fond d’elle-même. Je m’approche et m’assois à côté d’elle. Curieusement, ce qu’elle dégage dans ses moments-là : ce calme olympien, cette quiétude qui émane d’elle et qui s’étend aux alentours, a le don de m’apaiser instantanément. Au bout d’un moment, elle ouvre les yeux et soupire d’aise.

“Bonjour Adam, dit-elle calmement, les yeux vers l’horizon.

—Chalut.

Elle se tourne vivement vers moi, un sourcil levé et les lèvres incurvées par un sourire enjoué.

—Et bien jeune homme, Morphée aurait-il emporté ton raffinement avec ton air pincé dans la nuit ?

Je hoche négligemment les épaules, avale ma dernière bouchée et la remplace par un bonbon à la pomme du cru de Seylla.

—Demain peut-être.

—Loué en soit le Zéphir !, rit-elle. Et comment te sens-tu ?

Je réfléchis un instant avant de répondre :

—Bien, léger. Je ne crois pas avoir jamais ressenti ça auparavant… ou alors depuis trop longtemps.

—Voyez-vous ça ? (Elle se lève alors et part en direction de la forêt). Eh bien profitons-en ! Suis-moi veux-tu ?”

Elle m’entraine dans une randonnée improvisée à travers les bois. Pendant toute la matinée nous explorons les alentours. Seylla me montre différentes plantes : lesquelles sont médicinales, lesquelles sont vénéneuses ; quels fruits ou champignons sont comestibles...

En effet, malgré mes réticences, mon guide tient à ce que mon instruction (que ce soit en matière de magie, de langues anciennes, ou comme dans le cas présent, de botanique) se fasse en parallèle du déverrouillage de mes dons.

Ce n’est pas que je ne veux pas recevoir son enseignement, bien au contraire. Seylla a l’art et la manière de transmettre son savoir (qui, j’en suis certain, est quasi-infini) de façon particulièrement stimulante. Mais moi, il faut encore que je m’habitue à ma “nouvelle vie”. Et me faire les gros yeux à chaque fois que j’emploie ce terme, ou me signaler que ma vie n’est en réalité pas si nouvelle parce que je suis né Magister et que donc, c’est plutôt ma vie humaine qui n’avait pas de sens, n’y changera rien : je veux prendre mon temps, un problème à après l’autre.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui impossible d’y couper visiblement.

Alors que nous passons sous un bosquet d’arbres verdoyants, mon guide s’arrête elle et ses explications. Elle s’assoit à nouveau en tailleur et me fait signe de prendre place en face d’elle, tout en sortant un rouleau de parchemin.

En le voyant, je comprends dans la seconde. Un frisson d’excitation me parcoure et un petit sourire se dessine sur mon mes lèvres. C'est parti !

“Voyons ce que ça donne cette fois.”

Elle réitère donc les mêmes opérations que la première fois : prélève une goutte de mon sang en piquant le bout de mon doigt, la mélange à la potion de sa composition (car évidemment, elle a prévu son coup) et verse le tout sur le cuir.

Comme la dernière fois, le liquide se met à bouger, comme la dernière fois, les deux phases apparaissent et valsent sur le support. Mais aujourd’hui, elles se figent. Pas de substance noire pour les engloutir et fausser le test.

Attendez, pas de noir ? Donc… ce pourrait-il que… ?

Lentement, j’approche mes mains tremblantes du papier, le touche, l’effleure, gratte, froisse... Incroyable !

Incapable de me contrôler, je fait résonner ma victoire jusqu’au-delà des cimes de banksia géants. En m’étalant sur le sol, je me préoccupe à peine de ce qu’un tel emportement n’est pas dans mes habitudes car les sifflements et applaudissements d’une Seylla tout sourire achèvent de me faire éclater de rire.

“Joli ! s'exclame-elle. Tu as enfin réussi.

—Pas trop tôt !, clame-je soulagé.”

Elle me tend le carré de parchemin et je remarque alors qu’il est plus grand que la dernière fois. Résultat : quatre cinquièmes pour la phase argentée et un cinquième pour la phase dorée. Je fais une moue dubitative.

“Ce n’était pas ce que vous aviez prévu on dirait.

Elle hausse nonchalamment les épaules.

—Tu n’es en effet peut-être pas aussi puissant que je le pensais, réplique-t-elle, pince sans rire. Ou alors...

—Ou alors, mon potentiel magique est encore plus abyssal que celui de mes cordes vocales, dis-je en bougeant mes sourcils de façon provocatrice.”

Elle éclate de rire et une question me vient alors :

“Au fait, Est-ce possible de quantifier la magie comme on quantifie le poids, par exemple ?

—Oui c’est possible, dit-elle après m’avoir regardé quelques secondes comme pour sonder le fond de mon âme. Mais assez compliqué, cher et somme toute limité : seul le potentiel dévoilé du mage est quantifiable... Cependant, en ajoutant quelques herbes, comme la marjolaine et la muscade à la potion que j’ai préparée pour ton test, et une goutte du sang du ou des mages que tu veux tester, tu peux en plus comparer leurs pouvoirs. Pourquoi ?

—Je suis seulement curieux, réponds-je en regardant mes mains. Curieux de savoir ce que ça change concrètement chez moi, d’avoir ouvert les verrous de mon potentiel.”

Je plante alors mes yeux dans les siens et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ses globes oculaires doublent de volume.

“C’est un “non” catégorique Adam, dit-elle d’un ton sans appel.

—Alleeezzz Seylla, juste pour voir !

—Non, je ne t’apprendrais pas la magie aujourd’hui. C’est ton jour de repos, tu te souviens ? De toute façon, nous devons avoir fini tes cours de langues anciennes d’abord.

Je fais la moue, boudeur. La magie est une énergie, obscure certes, mais une énergie quand-même : ça se saurait s’il était absolument indispensable de connaitre la version originale des Métamorphoses d’Ovide pour la maîtriser. Et elle n’a pas eu besoin d’ouvrir la bouche, elle, pour faire léviter son mobilier. Soudain, une idée me vient :

—Je n’ai jamais parlé de l’utiliser sous forme de sort...

Elle balaye ma tentative d’un revers de main, agacée par mon entêtement :

—Non c’est non. Te presser est inutile, et après les efforts que tu as dû fournir ces derniers temps, ce serait dangereux. Ton corps doit se reposer, ce n’est pas moi qui vais te l’apprendre. De toute façon, tu me l’as promis. La discussion est donc close.”

Bon, là elle n’est pas contente. C’est la première fois que je vois Seylla aussi… Rigide. Note pour plus tard : avec elle, une promesse est une promesse point. J'abdique donc en m’allongeant sur l’herbe avec un soupir de frustration. Elle ébouriffe alors affectueusement mes cheveux en se levant et s’étire.

“J’apprécies franchement l’intérêt que tu portes à cet héritage dont on t’a si longtemps privé Adam. Mais en tant que ton humble guide je dois m’assurer de t’apporter le meilleur enseignement, dans les règles de l’art.

—La magie ne suit pas les règles, réponds-je du tac-au-tac.”

Elle se retourne vers moi avec un mince sourire. Vue de là où je suis, en contre-jour et avec les arbres, la prairie verdoyante et le canyon désertique au loin en arrière-plan, elle est juste magnifique. La lumière du soleil qui souligne ses contours semble lui faire comme une auréole au niveau du visage. La légère brise qui fait délicieusement murmurer les arbres, fait aussi frémir les pans de la tunique bleu ciel simple qu’elle porte. On dirait une nymphe tout-droit sortie d’entre les arbres.

Sa réponse éclate ma petite bulle :

“C’est justement pour cela que les Magisters doivent s’en imposer. La magie, toute aussi fascinante qu’elle puisse être, n’est qu’un outil au service du maintien de l’équilibre du monde. C'est pour cela que chacun de tes sorts, chacune de ses utilisations entraine systématiquement des conséquences...

—Car la Nature n’offre jamais rien, elle échange.

Son sourire s’élargit.

—Et ceux qui s’en moquent finissent toujours par en payer le prix. Tôt ou tard. Demain Adam, c’est une promesse ajoute-elle en me tendant la main. Je la saisis et me relève.

—Marché conclu, dis-je en lui rendant son sourire. Mais ‘zètes vachement dure en affaire quand-même, m’dame.

—Juste ciel, encore un mot et je t’exorcise, misérable !”

Nous avons ensuite passé le reste de la journée à explorer la forêt. Seylla a été très satisfaite de me voir captivé par ce qu’elle m’apprenait. Sur le chemin du retour cela-dit, j’étais plus focalisé sur les courbatures monstrueuses que je me taperai le lendemain que sur le danger mortel que pouvait représenter les différentes espèces d’amanites ou le Guy...

Durant notre escapade pédagogique Seylla s’est égalemnt livrée à la cueillette de quelques champignons, fleurs et autres herbes aromatiques dont elle a agrémenté une poêlé de légumes de son potager pour le diner. Nous nous sommes donc attablés dans un silence reposant avant d’aller nous coucher en nous souhaitant une bonne nuit.

Une fois sous le drap fin, je laisse mon esprit vagabonder dans mes souvenir de la journée que je viens de passer et, de fil en aiguille, j’en viens a repenser à ce que signifient les résultats de mon nouveau test : après des nuits et des nuits de tourments, j’ai enfin réussi à me débarrasser seul de ces saletés d’entraves psychiques.

À cette pensé, je revois ma vie défiler par flashs. Plus tôt, j’avais dit à Seylla, que j’étais curieux de voir ce qui avait changé en moi, mais la vérité est que je le sais très bien en fait. Quand j’avais dû me contraindre à raconter à mon guide les pires moments de ma vie, elle m’avait expliqué que l’impuissance qui m’avait toujours frappé à ces moments-là : la sensation que mes forces étaient comme aspirées par les ténèbres de la peur ou de la honte qui me paralysaient, étaient sans doute l’effet de ce sortilège.

En effet, chez les jeunes Magisters, se sont souvent des émotions fortes comme la peur, la rage, la honte, la haine, l’amitié ou l’amour, qui provoquent les premières manifestations de leurs pouvoirs. Or, d’après elle, le sceau avait justement pour but et effet d’emprisonner mes pouvoir, de les garder à l’intérieur de moi. Il était donc actif tout le temps, mais tournait à plein régime au paroxysme de mon tumulte intérieur.

Toutefois, maintenant que je lui ai réglé son compte, ce trop-plein qui, quand il ne me foudroyait pas, pesait sur mon cœur comme un boulet toujours plus lourd a disparu. Pour toujours. Me laissant plus léger et avec un potentiel magique non négligeable à exploiter en guise de dédommagement.

“Demain”, m’avait dit mon guide, demain j’entrerai officiellement dans un nouveau monde, duquel jusque-là, je n’ai pu que rêver. Sur cette dernière pensée, je tombe dans les bras de Morphée.

Sans me douter une seule seconde du tournant que prendra ma destinée à l’aube.

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