CHAPITRE V – Les quatre chemins se rallient dans la clairière - Le second conseil du GRAAL Partie 1

Notes de l’auteur : Bonjour à tous, j’espère que cette scène vous plaira et vous donnera envie de lire la suite.
Cette scène est aussi en 2 parties, la suite dans 2 jours.
Finalement, que pensez-vous de la réunion du Conseil ? Elle est à la hauteur de ce que vous imaginiez ou, au contraire, trop peu engagée ? Et, bien sûr, vous avez hâte de partir en expédition avec eux ?
Si c’est le cas, vous aurez l’opportunité de les suivre dans un grand chapitre à scène unique (comme le III), de Genève jusqu’à cette mystérieuse Forêt d’en Bas…
N’hésitez pas à commenter ou partager mon travail autour de vous, et portez-vous bien.

Le second conseil du GRAAL

 

« J’aime bien votre Conseil ! Nous autres, les Anges, n’aurions même pas pu concevoir une telle idée, c’est si exotique ! Tant de diversité d’opinion réunie en quelques êtres si semblables, ça me rappelle de grands souvenirs, une époque où je croyais qu’il n’y avait que la lumière de Dieu en ce monde. Je me demande où votre division va mener. La nôtre a quand même rasé des mondes, des millénaires d’évolution disparus en une journée, puis oubliés le jour d’après. Mais, d’un côté, peut-être que la vôtre les ramènera, je crois beaucoup aux choses illogiques, on est plus confiant quand on est versatile... »

 

L’Archange Raziel, la tête dressée vers les étoiles, s’adressant à Marco-Aurelio sur le fil du lac de Corbara en Italie, 1867.

 

Et les élèves du Conseil furent si préoccupés par leurs affaires, que le jour venu, le 16 août 1881 où devait se tenir la réunion, personne ne vint troubler le calme du bel appartement genevois où se retrouvait d’habitude cette noble assemblée.

 

Il fallut attendre le lendemain matin, aux premiers coups de midi, pour qu’un membre du Conseil n’arrive sur les bords du Léman, afin d’y trouver un appartement vide où il ne perdit pas de temps pour s’installer, ni pour passer un peu de bon temps avant le moment fatidique où il devrait s’expliquer devant ses amis.

Il s’agissait d’Arcturus Seafox, accompagné des Nine Springs pour sa sécurité personnelle, et de Cyrus à la tête des Nine Autumns pour protéger le président dans tous les endroits où il pourrait être aperçu. Malheureusement, il put tout juste commencer à profiter des alcools qui se bonifiaient ici, qu’une présence plus sérieuse vint aussitôt l’interrompre, et cette dernière était très contrariée de voir qu’en plus d’être en retard, les autres l’étaient encore plus. D’autant plus que Maria attendait beaucoup de cette assemblée, ne serait-ce qu’un moyen de se soulager d’un peu de travail ou de faire rapidement progresser ses intérêts. C’était toujours le cas, chaque mois suivant la réunion de travail, et c’était bien pour cela qu’elle s’activait chaque été, pour se préparer à son rush d’automne. Par chance, elle n’eut à supporter l’amante arrogante d’Arcturus que pendant quelques heures, avant que le troisième membre n’arrive, avec l’air surpris que le quatrième ne soit pas présent. Cependant, la Lune Pâle et le Soleil Marin furent encore plus surpris de voir William arriver avec trois hommes armés, des chasseurs que le RFA semblait avoir débauché du fin fond de la Turquie. Et la Française eut tout juste le temps de comprendre qu’il s’agissait probablement de révolutionnaires, à la suite d’une question gênante de son collègue anglais, lorsque l’inquiétude finit par gagner les trois amis. Les heures passaient et Alessia n’arrivait pas, au point que Maria en vint à se ronger les ongles, pendant qu’Arcturus commençait à expliquer ses problèmes avec David, le maître de l’AP, comme s’il se préparait à devoir s’excuser de la mort d’une innocente. D’ailleurs, il en vint même à ordonner à ses Springs de partir à la recherche de la Florentine, pour que Siarl la découvre sur le pas de la porte, tout juste arrivée, en compagnie de deux mercenaires bizarres, habillés comme des croisés du XIIème siècle. En fait, Alessia avait simplement raté sa correspondance entre l’Arthurie Valdôtaine et Genève, à cause de ces fichus rails si facilement sabotés par les révolutionnaires.

C’est donc dans cette ambiance particulière que la réunion estivale du Conseil de 1881 put débuter, chacun de ses membres avec ses inquiétudes et ses espoirs, et avec une Maria déjà plus qu’agacée par ces retards.

— Maintenant que nous sommes réunis, dites-moi tout ce qui vous rend si nerveux. Sinon, nous ne pourrons pas commencer dans de bonnes conditions. Il n’y en a aucun de vous qui semble capable de mener un exposé de ses recherches dans des conditions acceptables. » lança-t-elle avec un sourire nerveux et un verre de vin à la main, qu’elle proposa aux autres pour ne trouver que du refus ou le verre plein d’Arcturus.

— Je veux bien vous expliquer ma situation en détail et dès maintenant. Mais … ça risque de me prendre une bonne heure au moins. » avoua ce dernier, avec une pointe d’amertume, alors que William reprenait aussitôt pour vider son sac.

— Moi aussi, j’ai beaucoup de choses à vous dire, des choses très importantes. » confia-t-il en prenant un verre de whisky à la prestigieuse bouteille de son collègue anglais, pendant qu’Alessia opinait de la tête, visiblement dans la même situation.

— Bon, eh bien commençons par William. Mais je vous préviens, j’aimerais beaucoup que nous consacrions une partie de la réunion à cette Forêt d’en Bas que les échos nous auraient révélés. » décida-t-elle d’en conclure, en tournant son regard impassible vers l’Allemand qui se sentait déjà visé, même s’il se rassurait en se disant que ce n’était pas le cas. Pourtant, Maria comprit très vite qu’elle n’avait pas débuté par la partie la plus simple de cette réunion, bien au contraire …

 

William raconta donc à ses trois amis du Conseil tout ce qui lui était arrivé depuis son départ d’Amsterdam, de sa capture à son travail forcé, en passant par son enfermement dans une prison souterraine des plus lugubres.

Puis, sous les airs inquiets d’Alessia, encore plus nerveuse que ses deux collègues, il leur confia même tous les secrets qu’il avait pu apprendre, que ce soient les recherches sur la conscience humaine qui y seraient menées ou les exploits incroyables des chasseurs en Pologne. Il n’y eut que sur sa libération qu’il omit quelques détails, oubliant de préciser qu’il avait terminé une formidable thérapie pour le RFA ou que, parmi ceux qui l’avaient libéré, il n’y avait bien plus qu’un renégat du Département et quelques camarades au cœur noble. Mais malgré la confiance qu’Alessia accordait aux paroles de son ami, Maria et Arcturus doutaient déjà de son récit. La Française supposait qu’il était impossible que William ait fuit aussi facilement une base secrète du RFA, qu’il cachait quelque chose. Quant à l’Anglais, il semblait persuadé que c’étaient bien des révolutionnaires organisés qui avait sauvé son cher ami, et que ce dernier jouait, petit à petit, un rôle dangereux. Je suis persuadé qu’il a repris le projet secret d’Achille, semblaient-ils se dire, tout en se lançant des regards pleins de sens, pendant que William se défendait tant bien que mal de ces accusations. Et l’Italienne eut beau leur demander de le croire, les deux autres membres du Conseil restaient incontestablement suspicieux. Ils étaient persuadés que quelque chose leur était caché, quelque chose qui n’allait pas arranger le vrai problème soulevé par la nouvelle situation de William : qu’est-ce que le Conseil devait maintenant faire de lui ?

Le Souffle Pourpre ne pouvait plus opérer en Allemagne pour le moment, c’était une évidence, seulement lorsqu’il proposa l’idée de s’installer en Russie, il n’eut même pas le temps de s’expliquer que les soupçons fusèrent déjà.

— Tu comptes rejoindre la Révolution Russe, avoue-le. C’est presque un aveu maintenant… » s’exaspéra aussitôt Maria, d’un ton froid à l’opposé de la voix paniquée d’Alessia qui prit le relais.

— William, tu es fou de te rendre là-bas ! Ces gens sont des barbares, ils s’en sont pris à leurs prêtres et leurs chapelles, ils haïssent tout ce qui est pieux et pillent tout ce qui a un tant soit peu de richesses. Tu ne peux pas cautionner ça, William, ces malades mentaux seraient prêts à nous tuer tous les trois s’ils en avaient l’occasion. » le suppliait-elle quand Arcturus ajouta un dernier détail que personne n’avait soulevé.

— Sans compter que tu risques sérieusement d’y passer. Je te rappelle que tu restes un Allemand aux yeux des Russes, personne ne peut savoir où ces révoltes vont conduire. Cela pourrait très bien déboucher en guerre civile, en massacres pour le pouvoir. Et tu seras une cible facile, il leur suffira de quelques fausses preuves pour te menacer d’un autre travail forcé. » lui confia-t-il pour que William réponde sans perdre une seconde, et sans avoir encore perdu l’espoir d’obtenir quelque chose d’eux.

— C’est justement le devoir de notre Conseil que d’empêcher l’avènement du mal. Nous semblons l’avoir oublié depuis nos dernières années, mais nous avons déjà réussi à retenir des conflits par le passé, nous avons déjà sauvé concrètement des milliers de vies. À quoi servons-nous sinon à parer ce genre d’évènements ? » clama-t-il pour ensuite prendre un ton plus apitoyant. « Et je n’ai plus de foyer, de toute façon, soyez compréhensifs. D’autant plus que c’est aussi une occasion à saisir, nous devrions y réfléchir. Quel que soit le pouvoir qui ressorte en Russie, je pourrai en faire partie et continuer à agir pour le Conseil.

— C’est en Allemagne que nous avons besoin de toi, pas au fin fond de la Russie … » s’agaça immédiatement Maria, avant qu’il ne lui demande si le fait qu’il ait été expulsé du RFA le chassait également du Conseil. « Non, bien sûr. Mais je me demande surtout si tu ne l’as pas fait exprès, ou si tu ne t’es pas laissé entraîner, je te connais bien, William … Je ne veux pas que notre serment commun serve ta Cause personnelle, ce doit être l’inverse, c’est ainsi que fonctionne le Conseil de nos professeurs. Une allégeance à ta Révolution est incompatible avec celle du Conseil, et je veux que tu restes parmi nous. » essaya-t-elle de lui expliquer plus calmement, mais pas plus chaleureusement, bien qu’Arcturus enchaîne avec des mots plus accusateurs.

— Moi aussi, et j’ajouterais une chose en plus : Tu as toujours eu l’habitude de te laisser entraîner par des belles paroles, dans des affaires qui te dépassent et dans lesquelles tu es manipulé. Tu ferais mieux de ne pas t’impliquer dans un évènement aussi explosif, ça ne ferait que mettre de l’huile sur le feu.

— Vous êtes … très … culottés de me dire ces choses-là, vous deux. Vous avez, tous les deux, jetés des dynamiques abjectes sur le monde, que ce soit Solar Gleam et l’AP ou les amitiés de Maria avec l’Armée Française qui … ravage la Rhénanie. Vous avez, tous les deux, attiré des menaces sur le Conseil, et créer des drames incontrôlables, en donnant votre pouvoir à des grands marchands ou des généraux. Vous êtes parmi les premiers déclencheurs de cette révolution, et vous me reprochez de vouloir désespérément la raccrocher au Conseil ?! Et tous ces gens qui croient en cette même Cause que moi ne comptent-t-ils pas à vos yeux ? » commença à s’emballer le Souffle Pourpre, sensiblement touché par les accusations injustes de ses collègues.

 

Mais heureusement, au nom de l’amitié, le Cœur Astral intervint pour que le ton arrête de monter, et que personne ne vienne l’attiser davantage. Après tout, à l’origine, le Conseil était là pour régler les problèmes, pas pour en créer de nouveau, alors c’est avec une douce voix qu’elle proposa à chacun de poser sa condition pour qu’un consensus puisse ressortir, tel que cela se faisait entre bons amis. Malgré cela, le Souffle Pourpre ne pouvait pas aller en Russie.

Chacun pour leurs raisons, les trois autres craignaient l’extrémisme de cette révolution pseudo-socialiste, au point que l’idée d’un vote à ce sujet n’était même pas envisageable. Cependant, Alessia trouva la solution pour qu’ils en ressortent par le haut, il suffit que William n’aille pas en Russie, voir même qu’il puisse revenir en Allemagne pour que tout rentre dans l’ordre. Ainsi, il y avait donc une solution toute prête juste sous nos yeux, comme elle le fit remarquer au grand étonnement de son collègue saxon. Il fallait qu’une révolution réussisse en Allemagne sous le contrôle de William. Comme ça, tout le monde sera satisfait et tu pourras même t’appuyer sur la pontife allemande, Sœur Elfriede, pour que ta révolution convienne davantage au Conseil, en conclut-elle d’un sourire soulagé, sous les acquiescements des autres membres. D’autant plus que le Saxon semblait déjà plus qu’emballé à cette idée, et que Maria comme Arcturus en étaient beaucoup plus rassurés, prêts à reconnaître que les Allemands seraient probablement moins extrémistes que les Russes. En plus, personne ne voulait se déchirer éternellement sur cette question, il valait mieux trouver une sortie à ce problème, même si elle n’était que temporaire. Alors, quand le moment du vote arriva, tous acceptèrent cette nouvelle mission du Conseil, quasiment imposée par l’attitude de William : se reconquérir une place en Allemagne, à la faveur de la guerre et de sa révolution.

Arcturus lui proposa donc une aide financière et le soutien infaillible de Solar Gleam, et Alessia l’aiderait à se rapprocher des catholiques que la Prusse avait souvent bafoués, avant que Maria n’annonce qu’elle saboterait l’approvisionnement de LM des envahisseurs s’ils venaient à menacer cette jeune révolution, voir qu’elle concentrerait le DMN contre le RFA. Ainsi, après de nombreuses répliques désagréables qu’il garderait longtemps en mémoire et cette ambiance de soupçons flottant encore, William put enfin retrouver ses amis et leurs conseils, sans jugements agressifs ou moraux. Au fond, comme c’était toujours le cas, ce n’est pas après mon utopie, ni ma vision du monde qu’ils en ont, ils craignent sincèrement des conséquences que je pourrais moi-même regretter, comprit le Saxon, en se reprochant d’avoir douté de ses meilleurs compagnons, d’avoir cru que sa place n’était pas auprès de ses trois vrais camarades. Certes, le débat avait été tendu, mais il sentait bien qu’aucun de ses amis ne lui en tenait rigueur pour autant. D’ailleurs, s’il était encore loin de pouvoir révéler à ses amis l’ampleur du rôle qu’il jouait dans la Révolution, cela restait un excellent début. William n’aurait pas imaginé que ses trois amis lui proposent de l’aide pour renverser le Kaiser. Mieux, ils proposèrent de le reloger dès aujourd’hui, dans une Arthurie suisse ou quelque part en Italie, partout où il pourrait profiter de la protection du Conseil et d’une vie paisible, car la France ou l’Angleterre étaient trop germanophobes pour l’accueillir. Arcturus alla même jusqu’à lui proposer des protecteurs supplémentaires, que son meilleur ami dut refuser poliment en prétextant que ses soi-disant renégats du RFA suffisaient amplement. D’autant plus que tu as déjà tes propres problèmes à gérer, tel que l’Allemand lui fit remarquer, avant que Maria n’annonce que c’était au tour du Britannique de s’expliquer.

Aussitôt, mais non sans mal, Arcturus détailla donc très sincèrement l’ampleur de son problème, quitte à se perdre parfois dans des subtilités économiques et juridiques qu’Alessia peinait à comprendre. Après tout, il était lié à David par bien d’autres choses qu’une simple vengeance, il fallait expliquer le jeu des actions et de la bourse, des réseaux et des trusts, des grands contrats aux clauses sous-entendues dans leurs lignes, son cas n’avait rien à voir avec celui de William. Néanmoins, il y a deux dangers que les trois autres membres comprirent très vite, quand bien même Arcturus faisait de son mieux pour leur transmettre son espoir : Solar Gleam risquait de passer à l’ennemi et David menaçait directement la vie du Conseil.

Seulement, personne ne semblait imaginer le Seafox capable de s’imposer à la tête de l’AP, y compris Alessia.

— Je crois en toi, Arcturus, mais … Tu ne prendras pas l’AP avec de beaux discours, ces gens ne connaissent pas la morale et l’espoir d’aider, ils ne pensent qu’avec l’argent et la peur de perdre ce qu’ils ont construit. Je te répète que je crois en toi, comme en chacun d’entre vous, mais pour vaincre David, tu vas devoir manœuvrer avec ta fortune et Solar Gleam ? Tu feras couler le sang et tu déverseras des litres de LM sur le monde. Tu vas chercher à saisir toutes les opportunités pour te renforcer, ainsi qu’empêcher David de le faire, et c’est bien normal … Malheureusement, il y aura de graves conséquences sur la planète et sur la spiritualité des civilisations. La situation est déjà dramatique de ce côté-là, je ne peux pas encourager ça …

— Alessia a plutôt bien résumé mon point de vue. » renchaîna aussitôt William, sur un ton tout aussi conciliant. « Même si tu te doutes que ce sont plutôt les conséquences économiques et sociales de ce combat qui m’inquiètent. Ce genre de luttes peut signifier des faillites d’entreprises par dizaines et une exploitation de la misère à des fins illégales encore plus graves. Il n’y a que les secteurs du crime et du mercenariat qui ressortent gagnant d’une histoire comme celle-là. L’AP est déjà ignoble quand elle est en paix, et plus encore quand les nations sont en guerre, alors je préfère éviter de voir ce que donnerai sa guerre civile dans notre contexte actuel. En revanche, ça ne veut pas dire que nous n’allons pas t’aider, nous le devons. » conclut-il en souriant à son ami pour le réconforter un peu, là où la troisième réponse vers laquelle Arcturus tourna son regard ne comptait pas se retenir.

— Je crois que vous saisissez mal la gravité de l’information. C’est notre approvisionnement de LM qui est menacé directement. Sans lui, plus de Conseil et nous pouvons tous rentrer chez nous avec la tête baissée en espérant ne pas nous faire assassiner ou soumettre par l’AP. Tu as commis une erreur très grave, Arcturus, tu nous as tous mis dans la main de ton chef, c’est bien plus néfaste que les soupçons d’Emil contre William ou que n’importe quelle révolution. David peut potentiellement mettre fin au Conseil, il a les moyens de nous révéler au monde entier et d’être cru, en plus de nous enlever nos matières premières. Tu nous as mis un canon sur la tempe. » expédia sèchement Maria, sans le lâcher de son regard perçant, comme si elle avait oublié que le Soleil Marin allait s’emporter face à cette attitude.

— Et qu’est-ce que j’étais censé faire ? Tu aurais fait mieux peut-être ? Tu vas peut-être me dire que j’aurais dû m’écarter de l’AP dès que j’ai reçu Solar Gleam, mais le Conseil avait besoin d’argent et d’influence ! Il fallait déjà protéger l’héritage de nos professeurs, aucun de nous n’en avait les moyens, il n’y avait que l’AP. On avait 25 piges à l’époque, je te rappelle ! » finit-il par hausser le ton, si bien que la Française préféra détourner le regard vers William, intervenant aussitôt sous les acquiescements d’Alessia.

— Je crois que Maria s’est mal exprimée, et que tu surinterprètes un peu ses propos. Je pense qu’elle te reproche surtout de ne pas nous avoir tenu au courant plus tôt de cette situation. Les choses auraient peut-être été différentes si tu nous avais informés petit à petit, ne serait-ce que nous prévenir de la libération de ton père. » essaya-t-il, avant que la Lune Pâle ne précise une pensée légèrement différente, sur un ton vaguement plus compréhensif.

— Je pense surtout que tu aurais dû faire différemment depuis le début, Arcturus, je te l’ai déjà dit, mais tu as toujours préféré prendre ça à la rigolade. Attirer l’AP contre nous est une des pires erreurs que nous pouvions commettre, Rutheyet n’aurait même pas du connaître notre existence. Enfin soit.

— Je n’allais pas rester sans rien faire ! C’est vrai que j’ai peut-être fauté par excès de fierté ou pour ne pas vous inquiéter, de façon que le Conseil poursuive son devoir comme nous le voulions tous. Mais je n’allais pas continuer à sourire à l’assassin de ma mère, ni le laisser enchaîner mon avenir ! » commençait-il encore à s’exciter, jusqu’à ce qu’Alessia ne l’apaise, en lui rappelant qu’ils avaient déjà connaissance de ses rancunes envers David, et qu’ils allaient tout faire pour aider leur ami.

 

D’autant plus que, selon elle, Arcturus n’avait pas entièrement tort lorsqu’il prétendait que l’AP finirait par devenir un instrument du Conseil s’il l’emportait – ce serait même un meilleur instrument que Solar Gleam.

William et Maria ne pouvaient qu’acquiescer à cette idée, même si elle semblait bien plus lointaine que la fin de la guerre qui embrasait l’Europe, voir plus éloignée que l’éradication de la Vieillesse ou de la Misère. De toute façon, ce qui est fait est fait, comme le rappela Alessia, ça ne sert à rien de se lamenter, il faut se tourner vers l’avenir. Alors, le Conseil du Graal pardonna également à Arcturus, malgré ses dissimulations et les menaces qu’il avait attirées sur eux. Cependant, il ne trouva pas chez ses amis le même soutien aveugle que celui dont avait bénéficié son collègue allemand, c’était davantage une pénitence qu’ils entendaient lui imposer. Pour que les trois autres membres agissent contre David, ils devaient au moins se doter de moyens pour faire pression sur lui tout en s’en protégeant, il leur fallait des prises sur l’AP pour aider le Soleil Marin à prendre le pouvoir – et en garantie qu’Arcturus reste le nouveau maître.

Tout d’abord, Alessia lui demanda de transformer complètement l’influence qu’il exerçait sur le Vatican et son Synode. Plutôt que de soutenir les intérêts de l’AP et donc ceux de David par ricochet, les lobbyistes de Solar Gleam allaient maintenant soutenir les intérêts des Intégristes, afin qu’elle puisse plus facilement se faire entendre auprès des fidèles. Ensuite, elle comptait l’aider à détruire l’image du Roi des Marchands, avec la participation de Paolo, d’Andrés, de Massimo et de tous ceux qu’elle pourrait rallier dans ce combat – comme Elfriede ou les deux Croisés du Synode. En somme, Arcturus n’allait pas simplement perdre un bon outil marketing, il devait le retourner contre les intérêts de sa propre entreprise, et il l’avait bien compris. Pourtant, ce sentiment de se tirer une balle dans le pied ne faisait que commencer, puisque vint ensuite la part de la Lune Pâle, toujours la plus exigeante. Maria voulait ni plus ni moins réquisitionner toutes les installations Solar Gleam des empires franco-belges, afin de les réunir au sein du Déméne, pour y purger l’influence de l’AP en un temps record avec le soutien de l’Armée Française, incorruptible en ces temps de guerre totale. Évidemment, elle comptait agir d’un seul coup, de manière à pouvoir saisir toutes les archives qu’elle inspecterait à la recherche de tout ce qui pourrait alimenter un dossier d’accusations contre David. L’idée était de se préparer à le traduire en justice au premier moment de faiblesse, ce qu’Arcturus ne pouvait qu’encourager, même si la perte de sa filiale française ne lui plaisait guère. Enfin, et heureusement, son meilleur ami était moins invasif que sa collègue, puisque William prévoyait lui aussi d’agir contre l’image du maître de l’AP ou de monter les prolétaires contre ce dernier, à grands renforts d’articles ou pamphlets clandestins. Néanmoins, le Souffle Pourpre avait également d’autres projets en tête, des outils que le vieux David ne connaissait peut-être pas encore, l’une des premières grandes réussites d’Achille qui avait sacrément participé à leurs fondations : les syndicats.

Certes, Alessia a bien raison, il faut faire feu de tout bois contre David, mais entre les réquisitions et la propagande anti-AP qu’il se retrouvait à supporter, Arcturus avait plutôt l’impression d’avoir été affaibli, voir sanctionné, que d’avoir été soutenu. Alors, non sans amertume, le Britannique accepta le verdict du Conseil au nom de l’amitié et, surtout, au nom de sa vengeance. En vérité, il était bien prêt à se couper le doigt si ça pouvait enlever une main à son ennemi - même s’il aurait préféré que ça ne soit pas ses propres amis qui l’amputent. Mais lorsqu’il s’apprêta à révéler son arme ultime pour défaire le Roi des Marchands, il fut poliment interrompu par sa collègue italienne, dont l’exposé ne pouvait plus attendre après tout ce qu’elle avait déjà entendu.

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