CHAPITRE V – Les quatre chemins se rallient dans la clairière - Arcturus - Partie 2

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Pourtant, ils finirent par approuver la théorie qu’il leur démontra, entre quelques bouffées de cigares pour accompagner cette ambiance de nouveau enthousiaste et motivée.

Car l’objectif n’était pas de faire un grand coup de communication contre son ennemi, mais plutôt une petite campagne rapide contre son image de maître incontesté. Pendant qu’il continuerait de purger Solar Gleam sans tenir compte de David, Arcturus prévoyait de tout faire pour contester ses choix, de profiter de la moindre occasion dans les galas pour se moquer de lui ou le provoquer, de soutenir ses rivaux ou le moindre article de presse contre lui, de dénigrer ses entreprises ou ses opinions auprès de tous ceux qu’ils croiseraient, en somme : profiter de la moindre faille. Plutôt que de chercher un moyen de tuer directement son emprise sur l’AP, Arcturus voulait commencer par tuer son image aux yeux du monde. En fait, il faut lui rentrer dedans, mais avec subtilité, comme il finit par le conclure en ricanant des opportunités qu’il voyait dès maintenant. Mais tandis que ses deux amis lui proposaient des bonnes occasions pour agir de la sorte, un frappement à la porte interrompit leur discussion.

Et, bien que le président fût réjoui de voir son père et son amante entrer dans le salon, il comprit aussitôt qu’ils apportaient de mauvaises nouvelles.

— David est annoncé à l’entrée principale, les Winters sont avec lui. » grogna Kennocha, sous le regard à la fois nerveux et pensif de Cyrus, visiblement curieux de la réaction de son fils. Seulement la première réponse qu’il reçut ne réconforta pas ses espoirs, puisqu’Eli et James étaient déjà paniqués à l’idée de voir le Roi des Marchands arriver maintenant, en plein complot.

— Du calme, les gars ! Il n’est qu’à la porte, non ? » demanda Arcturus en se levant de son siège pour aller voir à la fenêtre, pendant que l’Ecossaise lui confirmait que les Summers et les Autumns lui avaient refusé l’entrée, au grand plaisir de son amant.

 

Au moins, je peux compter sur la majorité de Semper Peace, pensa-t-il, en venant toiser d’un regard la rue devant son manoir, noire de monde.

Au milieu d’eux, il vit ainsi le petit maigrichon qui régnait sur l’AP et menaçait son Conseil, celui qui avait exilé son père et tué sa mère, au pied d’un fiacre sombre et sur le seuil de sa demeure, lançant déjà un sourire narquois à cette fenêtre comme s’il savait qu’Arcturus allait s’y pencher. David était effectivement entouré des Nine Winters et se tenait à côté de leur chef, Delano, un quarantenaire américain appréciant les mêmes chapeaux hauts-de-forme que son nouveau maître – toujours au sommet de la mode précédente. Et, bien sûr, il était entouré d’une pléiade de journalistes ou d’intrigants, si bien que c’était une véritable foule de serviles qui s’était formée autour du Roi des Marchands en moins de cinq minutes. Pourtant, Arcturus n’était ni impressionné, ni même furieux, il se contenta de le fixer durant de longues secondes, perdu dans ses propres pensées sans le montrer. En vérité, il n’était pas spécialement surpris de le voir arriver ici à l’improviste, il se demandait plutôt pour quoi il venait et, surtout, s’il était possible d’en finir ici.

Non, c’est encore trop tôt et il y a trop de témoins, se raisonna-t-il, avant de se questionner s’il n’était pas possible de retourner cette visite à son avantage, puis de sourire aussi brièvement qu’hypocritement à son invité indésirable.

— Faisons-le attendre. Qu’on ne fasse même pas entrer sa voiture pour l’instant, il reste en plein milieu de la rue, ça lui fera prendre l’air. » ordonna-t-il en revenant s’asseoir. « Je le recevrai dans quinze minutes, faites bien savoir à toute la rue que je suis occupé pour l’instant, les journalistes auront le bonheur de me voir quand j’aurai fini mes petites affaires. Dites-leur bien que ça ne sera pas long, ce n’est pas la peine de s’éloigner.

— Je vais m’occuper de lui annoncer cette nouvelle, ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu, après tout. » accepta aussitôt Cyrus, en quittant la pièce avec les poings serrés, malgré un léger soulagement dans la voix – réjoui de voir son fils résister avec subtilité.

 

D’ailleurs, c’est avec un ton très serein et rassurant qu’il reprit à destination de ses deux fidèles associés, afin de leur confier qu’ils pouvaient quitter la demeure ou s’y cacher le temps qu’il confronte leur ennemi.

Mais Eli savait bien que ça ne servait à rien de fuir maintenant, que leur loyauté était déjà révélée, et James n’avait pas envie de passer pour un imbécile ou un lâche, même s’il faisait trembler son verre en le déclarant. Néanmoins, ce n’est pas la peine que vous restiez si c’est pour baisser les yeux ou se montrer penaud, ça ne fera que l’encourager, dut-il leur rappeler pour qu’ils se ressaisissent et persistent à rester, avant que leur président ne leur propose de reprendre tranquillement leur discussion. Et, pendant ce temps, le Roi des Marchands devait patienter dans la rue comme un vulgaire mendiant, avec l’élite de Semper Peace pour le fouiller sur le pas de la porte, sans un mot, le tout sous les airs méprisants de Cyrus. Puis, quand Arcturus consentit à le recevoir, il envoya un domestique pour le faire entrer, seul, tandis qu’il sortait au balcon de ce salon pour saluer la petite foule, dans une insolence qui parut tout juste faire sourire son invité. Il se croit vraiment en train de jouer ce crevard, lâcha-t-il intérieurement, tout en faisant de son mieux pour afficher son meilleur visage au monde, je vais déjà lui montrer que moi, je ne joue pas. Alors, après avoir demandé à son père de ne pas intervenir, il retourna s’asseoir pour finir son verre, en attendant le début de la confrontation que Kennocha comptait passer à ses côtés – l’air déjà prête à dégainer, bien qu’il lui eût demandé de ne pas intervenir non plus. Puis, dès que David entra dans le sillage de Lysander et Machar, Arcturus prit la parole afin de lui demander les raisons de sa venue, sans même lui laisser le temps de s’asseoir – afin de bien commencer la discussion.

Seulement, il en fallait plus pour décrocher le sourire carnassier du meurtrier de sa mère, aussi serein qu’il l’avait été durant les quinze minutes précédentes, si calme qu’il vint s’asseoir devant lui en prenant tout juste la peine d’envoyer un bref regard à Cyrus – adossé au fond de la pièce.

— Tu sembles beaucoup plus pressé de me parler tout à coup ! » ironisa David, avant de reprendre immédiatement sur un ton plus sérieux. « J’ai entendu toutes sortes de rumeurs regrettables ces derniers temps, en plus du tragique attentat dont tu as été victime –

— Je m’en suis bien remis, plus de peur que de mal, comme souvent avec les gens qui ont recours à l’intimidation. Mais si j’en crois la dernière lettre que les treize pontes m’ont envoyée, ce n’est pas pour des rumeurs que tu es venu. Ce n’est plus la peine de te cacher derrière tes jolies phrases, tu peux parler comme un homme ici, à visage découvert. » fit claquer Arcturus, sous les yeux d’Eli et James, mitigés entre l’espoir et l’inquiétude de voir leur ami se dresser aussi sèchement contre le Roi des Marchands.

 

Par chance, David n’était toujours pas de mauvaise humeur, au contraire, il semblait même très amusé de voir Kennocha le dévisager d’un regard perçant, elle qui avait les mêmes cheveux que la mère de son amant - la vie était si ironique …

D’abord, il prit la peine de rappeler que parler comme un homme, ce n’est pas grogner comme un chien, puis tourna immédiatement son regard vers le maillon faible pour commencer ses attaques : ce pauvre Eli qu’il connaissait depuis sa naissance. Depuis combien de temps tolères-tu des associés aussi malpolis, l’interrogea-t-il, en insistant sur ce que diraient son père ou ses frères, laissant le fils de Jakob se saisir de son thé sans un mot. Heureusement, Arcturus intervint aussitôt et, après avoir sobrement annoncé qu’Eli n’était ici que pour discuter affaire, il lui demanda pourquoi il cherchait quelqu’un derrière qui se cacher, alors que je suis juste devant toi. Cependant, il en fallait bien plus pour empêcher David de se tourner vers James, afin de lui demander s’il devait aviser Irvin sur le fait que son fils projetait de le trahir. Seulement là encore, Arcturus lui coupa la parole, pour rentrer cette fois dans le vif du sujet puisque son ennemi croyait pouvoir l’ignorer.

Alors, sans trembler ni hésiter, en se retenant difficilement de ne pas se lever pour crier sa colère, le Soleil Marin lui lança que son règne immonde allait s’achever, qu’il allait le plonger dans un trou où il crèvera à petit feu, pour le plus grand plaisir de sa famille et du reste de l’Humanité. Mais le Roi des Marchands sourit.

— N’aggrave pas ton cas, Artus. Tu peux encore t’en sortir avec de simples excuses et un petit mot à mon égard lors du prochain gala de l’AP. Jakob et Irvin ne sont au courant de rien et, à vrai dire, je suis grand seigneur ces derniers temps. Je vous laisse tout passer pour cette fois, y compris la libération de ton père, allez boire des coups entre Seafox si vous le voulez. Ça me va. » finit-il par lui accorder, en commençant à tendre la main pour attraper la bouteille de whisky, sans s’attendre à ce que la main d’Arcturus vienne devancer la sienne.

— C’est toi qui viens pleurnicher ici, tu n’as rien à laisser passer ou à refuser, pour qui te prends-tu ? Quant à cette bouteille, tu n’y toucheras pas, on ne sert pas un whisky centenaire aux porcs. » lui asséna-t-il sèchement, pour que David perde enfin son sourire - lui qui n’avait déjà pas l’habitude d’être magnanime, il était encore moins habitué à ce que l’on refuse sa miséricorde avec autant d’insolence …

— Bien … On ne pourra pas dire que je n’aurai pas prévenu cette fois. Puisque tu insistes tant, toute l’AP sera avertie de ta trahison ; Solar Gleam va changer de main, tu n’es plus satisfaisant, Artus. » en conclut-il, tandis qu’il se levait de son siège pour quitter la pièce. « August va reprendre la direction de la firme, il te rendra probablement visite pour discuter avec toi de la passation de pouvoirs. Tu sais qu’il aime beaucoup mener les transitions en personne et j’ai cru comprendre que vous aviez certains … différends à éclaircir, toi, lui, ses anciens collègues ou les tiens. Vous règlerez ça tous ensemble, c’est lui qui s’occupera d’appliquer les sanctions de l’AP. Adieu, Arcturus, je ne pense pas que nous nous reverrons, et sache, que je suis déçu que tu n’aies pas su tenir ta place. Au revoir, Eli, au revoir, James.

— Ce n’est plus toi qui choisiras ma place, pas plus que tu ne choisiras celles de James, d’Eli, des citoyens de mes Arthuries ou ceux des autres villes ! Nous serons tous libres, lorsque toi, tu ne le seras plus ! » lui lança l’Anglais du Conseil, d’une voix qui résonna jusque dans le couloir.

 

Mais pour l’instant, Arcturus ne pouvait rien faire de plus que le laisser partir, et rassurer ses deux associés, inquiets à l’idée que leurs familles soient informées si tôt de leur trahison.

Bien sûr, il réfléchit à une dernière façon de ridiculiser son rival avant qu’il ne parte, mais il n’en avait ni l’envie, ni l’inspiration après cette entrevue. D’ailleurs, il ne croyait pas non plus à la proposition que lui fit aussitôt son père, celle d’envoyer les Nine Autumns en filature, à l’affût de la moindre occasion inespérée de le tuer sans que les Seafox ne soient soupçonnés, bien qu’il acceptât ne serait-ce que pour être tranquille. Finalement, Arcturus préféra s’en retourner au balcon, de manière à éclipser le départ de David en venant saluer cette petite foule, avec la meilleure figure possible. Et, dans les journaux du lendemain, les citoyens de l’Arthurie purent admirer une belle photographie de leur président si fringant : la première pierre de l’espoir qu’il espérait bâtir contre cette toile de peur, celle de ce monstre qu’il voyait remonter en voiture avec quelques gardes du corps. Les Nine Winters ne sont plus avec lui, remarqua soudainement Arcturus, avant de commencer à balayer du regard les rues des alentours, jusqu’à apercevoir neufs silhouettes côte-à-côte au sommet du grand entrepôt, situé sur l’autre versant de la vallée. Ces sales traîtres croient pouvoir me provoquer comme David, grogna-t-il, en les voyant tenir la pose avec un rictus qu’il croyait voir d’ici, si loin de leur maître, mais si sereinement debout sur son entrepôt à LM - sur son coffre-fort en somme.

Puis, lorsqu’il les vit repartir lentement vers le nord-est et les Alpes autrichiennes, à l’opposé du convoi de David, Arcturus sentit son sang bouillir et sa colère le gagner.

— Kennocha, va chercher Ghjovan et ses Summers, nous devons punir les Winters. » lança-t-il en revenant dans le salon, sous les airs enthousiastes de son amante qui s’empressa de s’exécuter, soulagée qu’il commence enfin à sévir vraiment.

 

Car c’est bien l’exécution des Neufs Hivers par les Étés que décréta Arcturus, il ne les laisserait pas nuire une nouvelle fois, David leur a sûrement confiés une mission s’ils ne repartent pas avec lui.

En tout honnêteté, il n’avait pas la moindre idée d’où ils allaient, ni ce qu’ils comptaient faire, mais il s’en fichait, et c’est bien pour cela que les Nine Summers étaient parfaits pour cette mission. Quelle que soit leur destination ou le refuge que les Winters croiront trouver en chemin, ils feraient s’abattre une pluie de feu sur eux à la moindre opportunité. Ce sera déjà un bon message envoyé à tous les vrais fidèles de Semper Peace, confia Arcturus à ses deux chers associés, avec ce charisme serein qu’il avait emprunté à William dès leur première rencontre, et ce sera la preuve que je peux incarner cet espoir que je veux redonner, que je peux répliquer, que je vais gagner. D’ailleurs, il signa même une lettre à destination du RFA et d’Emil, afin de protéger ses hommes s’ils devaient chasser les Winters en territoire germanique, comme pour autoriser les Allemands à faire tout ce qu’ils voulaient de ces renégats. Après tout, n’importe quelle alliance sera bonne contre David, comme il le conclut, lorsque James finit par demander à changer de sujet, ne serait-ce que le temps d’une tasse de thé. En vérité, ils étaient si gênés que le président se demandait s’il pourrait continuer à compter sur eux, même si les deux hommes lui assuraient qu’ils resteraient de son côté.

Alors, pour leur redonner du courage comme pour répondre à la requête de son ami, l’Anglais du Conseil leur parla d’une source d’espoir à laquelle ils ne s’attendaient pas, un espoir qui serait caché tout au fond d’un sanctuaire souterrain. Évidemment, Eli et James eurent bien du mal à comprendre ce qu’il espérait trouver dans ce recoin perdu, en quoi cela allait les sauver d’une défaite évidente contre le Roi des Marchands, jusqu’à ce qu’ils comprennent quelle arme pouvait surpasser sa toile de peur : l’immortalité. Après tout, il n’était pas le Soleil Marin pour rien, il allait partager son rêve de jouvence et de plaisirs perpétuels avec tous ceux qui l’accepteraient, il allait les libérer de la servitude contrainte avec la perspective d’un gain purement et simplement infini. Si je découvre un remède à la Vieillesse, toute l’AP sera prête à trahir David pour en boire la moindre goutte, leur assura-t-il, en se retenant tout juste de promettre la fin de la Mort elle-même, la fontaine de jouvence se trouve peut-être à quelques montagnes d’ici, imaginez que je négocie avec le vieil empereur allemand ou la Reine en leur faisant miroiter une telle grandeur.  

Et tandis qu’il monologuait sur les perspectives de pouvoirs et d’alliances que pouvaient lui offrir une telle marchandise, Matthijs revint auprès de son président, avec un plein carton de documents au sujet de ce sanctuaire ou des dangers que son expédition pourrait rencontrer. Mais Arcturus ne craignait plus les mutants, ni les sectateurs, ni quoi que ce soit d’autres. J’irai là-bas avec mes Springs, mon père et les Autumns ; quoiqu’il y ait en face, il regrettera d’avoir été sur ma route, assura-t-il au légat des échos, soulagé de le voir si sérieux. Pourtant, Arcturus devait encore patienter avant de se lancer à l’assaut de cette forêt cachée, il devait attendre la réunion du Conseil pour s’y rendre.

Au moins, cela me laisse le temps d’en finir ici, de passer purger la Valdôtaine et de préparer mes prochains coups contre David, se consolait-il du mieux qu’il puisse, plutôt que se répéter qu’il perdait tout de même un temps précieux, j’espère que mes Arthuries d’Inde seront moins contaminées par sa corruption 

 

« Arcturus … Si tu venais à découvrir la vie éternelle, tu la passerais avec moi ou avec Jayde ? […] J’étais sûr que tu te défilerais encore ! T’as le courage de vouloir libérer tes cités, et même le monde entier, mais pas les femmes que tu prétends aimer ?! »

 

Kennocha des Nine Springs à Arcturus, lors d’une nuit à l’Arthurie Valdôtaine, 1881.

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