Chapitre V.

Notes de l’auteur : Je pense vous écrire un "petit" mot de temps en temps :
-N'ayez aucune hésitation à me pointer des erreurs d'orthographe, des incohérences ou à me faire des suggestions quelconques (notamment en matière de titres de chapitres).
-Je suis curieux d'avoir vos avis sur le style narratif, le temps choisi et, pour celles/ceux qui liraient aussi Héritier Perdus, vos préférences là-dessus et sur les personnages !
-Pour ceux de cette histoire, c'est pareil. Quelles sont vos impressions sur les personnages apparus jusqu'à présent et sur leurs interactions/relations ? Lesquels vous préférez et lesquels avez-vous envie de sauvagement piétiner ?
-L'histoire d'Adam est sensée être dévoilée progressivement, pensez-vous que ça va trop vite ?
-Comment évoluera-t-il d'après-vous ?? Est-ce une bonne idée d'ouvrir des verrous sans savoir qui les a placé… et pourquoi ???

Mais surtout, qui auriez-vous choisi vous ? La Sorcière drapée de mystères ou le ténébreux Vampire de vos rêves ?

Des rires. Encore et toujours des rires. Ils se font de plus en plus forts, clairs, cruels tandis que les ombres donnent corp à une nouvelle pièce dans la clarté. Encore une.

Une vingtaine d’adolescents rient aux éclats, échangent des regards complices en agitant leurs téléphones. Vingt-quatre pour être précis. Ils sont si heureux qu’on pourrait croire à une simple bande de potes profitant d’une paisible après-midi sous le clément soleil de printemps...

Ah ça, ils doivent prendre leur pied !

Car les images affichées sur leurs écrans sont toutes de moi. Moi, potassant un exercice de mathématiques complexe. De ceux après lesquels je suis consterné de voir que je les ai plus résolus sur ma figure que sur le papier. Moi mourant d’angoisse pendant une interrogation de physique…

Mais aussi des gros plans de moi, de dos, en blouse blanche constellée de tâches artificiellement reliées, à des endroits sélectionnés avec soin, pour ajouter une touche… conceptuelle à l’ensemble : des mains, des pieds et autres extrémités tout-à-fait suggestives. L’ensemble des clichés étant accompagné de légendes du style : “Vraiman un crack ds tt les matiaires, lui”, “Victim du bahut le jour/victim de la tess la nuit” et le fameux : “Bac mension homophilie pr le chouchou ! 👌”

Mon regard éberlué parcourt cette assemblée. Parmi eux, des gens que je n’ai jamais pu sentir, c’est vrai. Mais aussi des inconnus que je n’ai jamais regardé. Et des amis. Tellement, tellement d’amis tous là à rire à gorge déployés. Plus tard, j’apprendrais qu’ils se passaient ces clichés depuis le début de l’année.

Plus je les regarde, plus je les entends, plus ma gorge se serre, plus je sens monter en moi une douleur sourde. Les poings serrés au point que les jointures de mes doigts en blanchissent, les larmes trouble ma vision. La veille de ce jour maudit, je m’étais pourtant juré de ne plus jamais laisser personne m’atteindre… “Au moins, il ne le verront pas. Jamais”, m’étais-je alors promis en tournant les talons au mépris de ma rage, de ma haine et de mon impuissance.

Lamentable !

Mais pas cette fois.

À la place, mes yeux se fixent presque instinctivement sur une fille. Plus petite et grosse que les autres, elle a les yeux braqués dans les mien, scrutateurs, le rictus sur ses lèvres me défiant de bouger ne serait-ce que le petit doigt. Je me souviens, c’était elle l’instigatrice de cette formidable cabale.

Elle, je n’avais jamais pu la saquée. Mon intuition m’avait mise en garde dès que mes yeux avaient croisés les siens. Et maintenant que je les recroise, je les vois changer, comme tout son être. Ils se mettent à briller d’une lueur écarlate, ses dents noircissent son rictus mauvais et une langue de vipère pointe entre ses lèvres. Une vague de terreur brute me submerge, presque à me noyer. Presque.

Mais cette fois, plutôt que de le contenir comme je l’ai toujours fait, je laisse le tumulte d’émotions se déverser dans mes veines, me contentant de le guider. Car il y a longtemps que la tête d’ampoule pleurnicharde n’est plus. Aujourd’hui j’ai changé, tout a changé. Aujourd’hui, j’ai le Pouvoir, elle est dons mon, et je compte bien montrer à ce gnome vindicatif qui y commande. Même si pour ça je dois baigner mon souvenir de son sang. Je sens des larmes couler le long de mes joues alors que le décor autour de moi meurt peu à peu.

Une... Deux... Trois.

Je regarde le sol s’effriter au contact de l’épais liquide noir tombé de ma mâchoire, formant trois profonds cratères emplis de ténèbres. Trois serpents en sortent en sifflant et en bavant un liquide pourpre, luisant et vénéneux. Ils s’entremêlent à mes pieds, grossissent et s’allongent à mon contact, en s’abreuvant du poison de ma vengeance. La lune se met à rougeoyer, assoiffée de sang. Ses rayons brûlent ma peau exposée, tempérant mon ivresse. Je relève es yeux vers la bande de cafards qui va tant souffrir. Ils ne rient plus.

Et lâche les serpents.

C'est un carnage, un massacre, un bain de sang. Ils tombent tous un à un dans d‘atroces souffrances. Ne reste que la vipère naine, devenue un ignoble monstre tricéphale, quand-même bien pitoyable face à mes trois assassins reptiliens qui la fauchent de leur morsure. Elle s’éteint, elle aussi, mais sans un bruit. Elle qui ne faisait que ça de son vivant, n’a pas eu cet honneur dans la mort. Les trois reptiles la dévorent tandis que mon regard se perds dans le sien, livide, encore empreint de toute la douleur qu’elle n’a pu exprimer.

Maintenant nous sommes quittes.

Sans crier gare, une morsure corrosive lacère alors mon cœur noir. L’éclat de la lune s’intensifie au-dessus de moi, intensifiant le brasier sur ma peau. Enroulé à mon bras, un des serpents a ses crocs plantés dans ma poitrine. La douleur acide du venin jailli dans mes veines et je retourne à la réalité dans un flash, hurlant à la mort comme un damné.

Seylla accoure à mon chevet. Mon cerveau me donne la sensation d’avoir doublé de volume sans que mon crâne suive et mon pectoral gauche me fait atrocement souffrir. A croire que la morsure traitresse était bien réelle. Ma bienfaitrice écarte d’un geste les draps et dévoile mon torse nu luisant de sueur. Elle passe la main au niveau de mon cœur et je hurle à nouveau, elle fronce les sourcils.

“C’est moche.

—L’aurai pas deviné. Aaah...!”

Je n’ai même plus assez de souffle pour hurler et plus une larme à pleurer. Bien-sûr que c’est moche, vu comment ça tue il ne peut pas en être autrement ! Depuis le temps que je fais ces fichus rêves j’ai fini par me faire à cette idée. Non, le plus dur c’est encore de la voir elle, assise mon chevet, me regarder agoniser sans rien faire. Quand bien même, la tristesse et la sollicitude de ses yeux fatigués me prouvent que, si elle avait pu, elle m’aurait aidé. Mais elle ne peut pas. Personne ne peut.

Après ce qui me semble des éternités, le mal qui me ronge s’estompe peu à peu. Quand la douleur dans ma tête cesse enfin, la Magistria s’attelle à soigner mes blessures physiques. Car si le serpent félon qui m’a mordu dans mon rêve ne l’a pas fait dans la réalité, je sais que son venin m’y a suivi. La preuve en est la large zone de chair tuméfiée et purulente qui s’étend sur tout mon pectoral gauche.

Elle prononce quelques mots dans ce qui me semble être du ltain ou du grec et ses avant-bras et ses mains se mettent à luire d’une lumière dorée. Une chaleur réconfortante s’empare du haut de mon corps et je sens la zone contaminée s’étrécir peu à peu et la douleur s’estomper. Après un silence, mes neurones parviennent enfin à formuler une question à poser à Seylla :

“Vous savez combien de temps ça va encore durer ?

Elle me répond sans détourner les yeux de son travail, concentrée.

—Tu est le seul à le savoir, ou du moins, à pouvoir l’estimer. Comment te sens-tu ?

—J’ai l’impression qu’on m’a gonflé à bloc pour me rouler dessus au rouleau compresseur l’instant d’après. Comme d’hab’ quoi.

Elle lève vers moi un regard sévère.

—Ça ne doit justement pas en devenir une. Ces rêves sont déjà éprouvant pour un Magister lambda qui s’éveille à ses dons, alors quand en plus il te faut toi, lever des verrous psychiques qui t’empêche d’y accéder...

—C’est cent fois plus dur.

—Et tu n’es pas fait pour en endurer autant ! Même les plus grands d’entre nous ont dû commencer doucement, parce que plus les pouvoirs sont importants plus il est dur pour le corps de s’y adapter.”

Je m’efforce de lui répondre sans relever le “nous”. Cela fait presque un mois que j’ai consenti à contre-cœur à quitter Renacimiento pour m’enfoncer avec elle dans les terres et lever, une bonne fois pour toute, le saut qui menace ma vie et me la gâche de surcroit. Il faut bien avouer mon petit “accrochage” avec l’autre psychopathe, m’a bien fait intégrer que je ne suis pas tout à fait normal. Malgré tout, je n’arrive toujours pas à me faire à l’idée que je suis un Magister, donc pas tout à fait humain. Je soupire.

“Je veux bien le croire... Bon c’est d’accord, je vais prendre quelques jours de repos, je suis fatigué.

Son regard s’adoucit et un léger sourire passe sur ses lèvres.

—Crois-moi, c’est la meilleure chose à faire. A vouloir trop vite marcher, un enfant tombe, et à force il se fait mal. Avec la magie c’est pareil, à la différence près que si on tombe trop souvent trop tôt-.

—On ne se relève plus, hein ?

Le regard entendu et on ne peut plus sérieux que le mien croise en dit plus que tous les proverbes à la mord-moi-l ’nœud du monde.

—Si c’est si dangereux, pourquoi ne pas m’avoir forcé la main ? Vous en êtes capable n’est-ce pas ?

—Ce n’est pas mon genre. Maintenant que tu as pris toi-même la décision qui te semble la meilleure, tu t’y tiendras bien mieux que si je te l’avais imposée moi. Souviens-toi bien que la volonté est la seule condition absolue à remplir pour pratiquer notre Art. Et puis de toute façon il faudrait t’assommer pour t’empêcher de rêver.

—Vous êtes sacrément douée pour cerner les gens vous. C'est vrai que la première fois, il m’a suffi de laisser mon esprit papillonner quelques minutes sous la lune pour sombrer dans un de ses maudits songes...

—Je m’en souviens, rit-elle. Tu n’étais pas encore prêt. Te faire sortir m’a réclamé une quantité colossale d’énergie.”

Alors que le silence s’installe, je remarque qu’elle a terminé de me soigner, et une question qui me taraude depuis mon premier cauchemar “modifié” me revient. Une question qu’elle s’applique toujours à éluder.

“La fois suivante, vous avez laissé entendre que dommages que causent ce genre de rêves sont uniquement psychiques, alors pourquoi les miens donnent-ils ça ? (Je montre du doigt la zone qui, sans les soins de Seylla, me ferai encore souffrir le martyr.) J’ai besoin d’une réponse Seylla, quelle qu’elle soit.

Ses sourcils noirs sur son visage au teint cuivré et sans aucune ride se froncent dans une expression embarrassée.

—N’oublie pas que la magie ne se plie pas aux règles du monde, finit-elle par répondre en envoyant vivement ses cheveux derrière son épaule. Un rêve empreint de magie peut très bien influer sur ton état physique : te donner de violentes migraines, te rendre malade aussi et parfois même te montrer l’avenir. C'est ce que les humains se bornent à qualifier de «sensation de déjà-vu».

—Je croyais que… les humains n’avaient pas accès à la magie.

—Là encore, ce n’est pas tout-à-fait exact. Ils ne peuvent la maitriser, cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas la ressentir ou en être témoin parfois. Quoi qu’il en soit, il est aussi possible pour un Magister puissant de blesser une personne ou d’en altérer l’état à travers un songe. Cela dit, il est plus rare que les rêves d’un Magister qui s’éveille le marquent à ce point… (Elle avise ce qui n’est plus qu’une vilaine ecchymose.) Cela dépend entre autres de la teneur du songe : rêve ou cauchemars. Dans le pire des cas le novice s’en sort avec quelques bleus et cela témoigne déjà d’un grand pouvoir. Mais ça…”

Elle ne poursuit pas et ne l’y invite pas non plus. Son visage fermé, ses traits tirés et l’inquiétude dans son regard parlent bien assez d’eux-mêmes.

Je suis déjà récalcitrant à m’éveiller compte tenu de ce que mon pouvoir a fait à Atlas – à savoir six côtes écrasées et deux bras cassés. Alors, même si je luis suis reconnaissant d’avoir été franche, je ne peux m’empêcher de regretter ma curiosité. C’est sans doute la raison pour laquelle elle éludait sans cesse la question.

L’évocation de mon ex-collègue me ramène aux jours qui ont suivi l’incident. Seylla s’est arrangée avec mon parton pour m’avoir une année sabbatique pleine et entière, revendiquant que c’était le minimum syndical à m’accorder pour me remettre d’une tentative de meurtre. Là-dessus, j’ai bien voulu la croire, même sans savoir comment elle avait fait pour le prouver. Patron psychorigide ou non, j’ai eu la preuve en direct que dans ce patelin où elle fait office de grande manitou, tout se règle sous le manteau.

En revanche, vu le peu de temps que j’avais travaillé à la réserve, la notoriété dont bénéficie aussi Atlas et son mépris total pour toute forme d’autorité, je suis certain qu’elle a obtenu son année de salaire en indemnité... comme par enchantement, si vous voyez ce que je veux dire.

Toujours est-il que, depuis, je m’applique toutes les nuits à lever chaque verrou qui me barre l’accès à mon pouvoir. Et bien sûr, ils se cachent dans mes pires cauchemars pour être sûr que je ne me risque jamais à les ouvrir pas accident. Une pratique courante selon ma bienfaitrice. Après tout, quoi de plus logique que d’exploiter les pires peurs d’une personne pour lui cacher quelque chose de si important.

Ah, j’ai oublié de mentionner que ma “retraite spirituelle” comme l’appelle Seylla, a commencé par une introspection de mon potentiel magique. Donc, après qu’on a fait plus ample connaissance (id est, qu’elle ait tenté de me tirer les vers du nez pendant trois jours, sur des sujets tout ce qu’il y a de plus personnels, tout en esquivant la moindre de mes questions) elle avait voulu connaitre l’étendu de mon pouvoir actuel et de mon potentiel.

D’après elle, il y a deux manières pour un novice d’éveiller son pouvoir : en autodidacte, ou avec l’aide d’un guide : un Magister assez avancé dans l’Art pour l’accompagner dans la découverte de ses propres dons (elle, en l’occurrence). Or, cette étape était primordiale, d’après elle, pour mener à bien la mission qu’elle s’est auto-attribuée.

Pour cela, elle avait eu recours à une méthode assez complexe impliquant une goutte de mon sang mélangée à une potion de son cru, un vieux parchemin et une incantation prononcée dans un latin fluide et sans bavure. Elle avait versé le mélange sur le parchemin et c’est ainsi que sous mes yeux ébahis, le mélange s’était mu, comme pourvu d’une volonté propre. La flaque de liquide s’était mise à grandir et rétrécir encore et encore sur le support.

Deux phases s’étaient rapidement distinguées : une dorée au centre, et une argentée, en périphérie. On aurait dit qu’elles se battaient pour la surface du parchemin. Elles se confondaient et se séparaient, guerroyant au son d’un cor inaudible pour moi. Soudain, une troisième phase, d’un noir de jais cette fois, avait surgit du centre et englouti les deux autres. Le mélange s’était enfin figé, absorbé par le derme caprin.

À la fois fasciné et un dérouté, je me suis tourné vers Seylla, à sa tête, ce n’était effectivement pas censé se passer comme ça. Elle s’est rendu compte que je l’observais, a pris le parchemin et m’as expliqué :

“La phase dorée que tu as vu plus tôt représente ton pouvoir actuel, c’est-à-dire la quantité de magie que tu peux utiliser maintenant. La phase argentée elle, représente ton potentiel : la quantité de pouvoir que tu peux encore développer en t’exerçant. Je m’attendais à ce que la phase argentée prenne tout le parchemin et que la phase dorée fasse... un quart de celle-ci : formidable potentiel et remarquable capacité à l’exploiter. Très rare et doué. Tout à fait toi.”

Dans d’autres circonstances, j’aurais souri à son compliment, surtout que les paroles en l’air n’étaient pas le genre de la maison. Mais son air tendu ne prêtait pas tant que ça à rire.

—Mais ça n’est pas arrivé, dis-je en désignant du menton le parchemin entre ses mains. Cette tache noire, signifie que je ne suis ni l’un ni l’autre ? Je suis censé ne pas avoir de magie ?? Je suis inapte ???

—C’est ce que c’est censé vouloir dire, a-t-elle répondu les sourcils froncés, les yeux rivés sur le parchemin, comme si elle était en présence d’un évènement totalement déraisonnable. Et c’était le cas.

-C-C’est aberrant !, ai-je bégayé stupéfait. Réessayons.

Ses yeux levés sur moi en réponse, semblaient dire : “Elle est bonne celle-là !”.

—La magie ne peut mentir, m’avait-elle répondu, et on ne ment pas à la magie. Sauf si... Elle m’avait fait assoir sur une chaise en face d’elle avant de préciser, les yeux brillants : ce test utilise une goutte de ton sang, parce que la magie coule dans nos veines, à nous les Magisters, en quantité significative. Qu’on soit initié à l’Art ou non. Mais certains sorts peuvent empêcher son utilisation, à court comme à long terme. Cela peut se faire de plusieurs façons, l’une d’entre elle consiste à en bloquer l’écoulement dans l’organisme. C’est la seule possibilité de fausser ce test. Cependant, il reste alors tout de même des traces de la magie déjà en circulation pendant un moment. Si aucune trace de magie n’est détectée dans le tien, c’est que le sceau doit être présent, je dirai... au moins depuis ton plus jeune âge.”

J’ai alors posé la question que je regrette depuis près d'un mois maintenant, parce qu’elle a achevé de bouleverser ma vie, et Seylla a beau me maintenir le contraire, certainement pas pour le meilleur.

—Et comment je le brise ?”

Et voilà pourquoi depuis vingt-sept nuits, je bois un breuvage infect avant de m’endormir en fixant la lune avec inquiétude. Pour plonger dans mes pires cauchemars et faire sauter un à un les verrous qui s’y cachent. Et compte tenu de l’effet que cette méthode a sur moi, je n’ai qu’une certitude : le jour ou je retrouverai celui ou celle qui m’a marqué de la sorte, je l’étriperai.

Seylla pose affectueusement sa main sur mon épaule, interrompant ma vindicte intérieure. Le regard qu’elle pose sur moi déborde de chaleur.

“Je sais que ce n’est pas facile, crois-moi sur parole. Mais le sort qu’on t’a jeté consiste seulement à verrouiller tes points de synthèse magique et à cacher les verrous dans tes pires souvenirs. Les séquelles que tu gardes après les avoir ouverts résultent soit de tes cauchemars en eux-mêmes, soit de ta façon de les exorciser et donc d’ouvrir les verrous. Dans ce cas tu peux y remédier. À toi d’en trouver la force. La force de voir la lumière dans les plus noires ténèbres, la force de pardonner.

Elle est l’une des rares à qui j’ai trouvé le courage de raconter certains desdits souvenirs, et l’une des seules qui ne m’ait pas une fois jugé susceptible, coincé ou irrémédiablement névrosé.

—Sinon quoi ?, ne peux-je m’empêcher de riposter.

Son regard assombrit.

—Sinon, tu devras supporter le contrecoup de ta haine. Mais quoi que tu choisisses, je serais là.”

Je me retourne dos à elle. J’apprécie Seylla, vraiment. Je ne sais pourquoi, mais en à peine un mois elle a réussi là où tant d’autres ont échoué avant elle : elle est devenue importante pour moi. Mais tout comme elle n’est pas près de le savoir, je ne suis pas près de m’autoriser à verser une larme devant elle.

Je lui réponds d'une voix monocorde, diamétralement opposée au tumulte d’émotions qui me prend à la gorge :

—Merci.”

De sa voix douce, dans laquelle j’entends le petit sourire qui doit se peindre sur son visage, elle me glisse, en passant une main dans mes cheveux :

—Bonne nuit Adam.”

Elle sort alors de la chambre et referme la porte derrière elle sans un bruit. Je jette un dernier regard à la lune haute dans le ciel et petite comme une balle de ping-pong et m’endors sous son halo de lumière immaculé. Il y avait longtemps.

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