Chapitre Un

Par Oriane

La Mère tambourinait des ongles sur la table. En face d'elle, le masque rouge et blanc de la Kharmesi ne lui permettait pas de savoir à quoi celle-ci pensait. Mairenn craignait une nouvelle crise de colère. Elles devenaient de plus en plus fréquentes et problématiques. Elle devrait bientôt faire quelque chose à ce sujet. Mais pas maintenant.

Maintenant, il fallait lui tenir tête le plus possible.

— Si je comprends bien ce que vous êtes en train de me dire, nous n'avons pas de solution ? Les attaques contre notre peuple se font de plus en plus nombreuses et nous ne pouvons que compter sur l'armée de Lordet ?

Aucun émotion dans la voix de la Kharmesi. Le masque de la jeune femme lui renvoyait une image impassible, empêchant la Mère de la jauger. Encore moins de désamorcer une crise.

— C'est bien cela. Les paysans se défendent mais ils restent des paysans. Les hommes du comte ne sont pas assez nombreux, malheureusement, répondit Rita.

La Mère aux cheveux poivre et sel ne savait pas ce qu’elle venait de faire. La Kharmesi arrêta de faire les cent pas devant les fenêtres de la salle du conseil et la foudroya du regard, l’air mauvais.

— Donc, nous laissons faire ?

Mairenn se retint de baisser la tête. A côté d'elle, Anneke, sa seconde, n'en menait pas large, comme les autres. Elles sentaient venir la crise. La Kharmesi se remit en marche. Elles purent toutes voir ses poings s'ouvrir et se refermer.

Ce n'était pas bon signe. Ce n'était jamais bon signe.

— Est-ce que l'une de vous peut me rappeler à quoi cela sert d'être Kharmesi si je ne peux pas venir en aide aux personnes qui prient tous les jours la Déesse Rouge ?

Cette fois, Mairenn entendit le gel dans les paroles de la jeune femme. La Mère n'avait jamais craint les attaques des pillards, pas même lorsqu'elle était enfant et à leur merci. Elle ne craignait pas non plus de dire ses quatre vérités au comte Alan de Lordet lorsque cela se faisait sentir. Elle était Mère Supérieure depuis assez longtemps pour ne pas avoir peur des puissants.

Mais devant cette fille à peine sortie de l'adolescence, elle tremblait.

— Tu ne peux pas être partout à la fois, Alara.

Anneke regardait droit devant elle alors que la Kharmesi s'arrêtait juste à ses côtés. Elle continua :

— Tu es peut-être la Kharmesi mais tu n'es pas la Déesse. Je comprends que tu veuilles te battre pour ton peuple. C'est même ce que l'on attend de toi. Mais pas de la façon dont tu le voudrais. Nous ne pouvons pas t'envoyer aux combats. Pas alors que ce ne sont que des escarmouches.

— Et lorsque la guerre sera réellement déclarée, tu me diras la même chose ?

— C'est fort possible.

Le calme d’Anneke était impressionnant. Etait-il aussi réel qu’elle voulait le faire croire ? Elle continua :

— Tu es un symbole, Alara. En tant que tel, il est compliqué de te mettre en avant lors des combats. Notre ordre forme peut-être des combattantes, mais c'est la paix que nous promouvons avant tout. Et pour cela, rien de mieux qu'avoir une Kharmesi sans arme et à l’arrière, là où tout le monde peut la voir.

Elle était bien moins sûre d'elle que ce qu'elle donnait à voir. Mairenn le voyait à présent. Les yeux marrons de la femme revenaient trop souvent sur la jeune femme. Anneke comptait sur sa position. Depuis qu'elle avait trouvé la Kharmesi en Alara, celle-ci l'écoutait. Elle en avait fait une sorte de mentor. Parfois, cela désolait la Mère Supérieure. Elle aurait voulu prendre ce rôle pour la jeune femme.

— Je suppose que tu as raison, soupira la jeune femme.

— Tu sais très bien que c'est le cas. Passons à autre chose à présent.

La Kharmesi se rassit sans un mot de plus. Anneke avait réussi à la ramener à la raison sans que la crise n'empire. Les femmes autour de la table soufflèrent. Il était temps de passer au reste de la séance.

Les Mères finirent leurs divers rapports sans plus attendre. Les escarmouches venant des collines devenaient de plus en plus nombreuses, occultant presque tout ce qui concernait en temps normal la Maison des Mères. Pourtant, la vie ne s'arrêtait pas et il fallait arbitrer sur d'autres sujets.

La Kharmesi écoutait d'une oreille distraite et se prononçait rarement contre l'avis des neuf autres femmes. Son esprit était tendu vers la bataille, vers les paysans souffrant des raids contre eux. Mairenn n'aimait pas beaucoup ça. Elle devait trouver un moyen de lui faire oublier tout cela. Ce n'était pas la rencontre qui se profilait après cette réunion qui allait l'aider.

Les Mères quittèrent la salle une par une, tête haute. Un observateur extérieur n’aurait jamais pu deviner qu’elles avaient encore peur de ce qu’il aurait pu se passer. Elles donnaient le change, toujours. Seules trois femmes restèrent dans la pièce. La soirée n'était pas finie pour elles. Elles avaient encore des obligations. Mais avant de recevoir le comte de Lordet, il fallait calmer pour de bon la Kharmesi.

Comme toujours, Anneke prit les devants :

— A présent, je suppose que tu vas nous expliquer pourquoi cela te tient tant à cœur. Tu n'en faisais pas autant il y a quelques mois. Ces attaques ont toujours eu lieu. Nous nous défendons toujours avec l'aide des soldats du comte. Et d'un coup, tu veux te porter aux devants des combats ? Pourquoi ?

La question aurait pris de court n'importe qui. Pas la Kharmesi. Elle ne répondit pas, prit d'abord le temps d'enlever son masque, dévoilant un visage plus si juvénile que ça. Elle avait perdu les rondeurs qu'elle affichait à peine six mois plus tôt, lorsqu'elle était devenue l'avatar de la Déesse.

— Parce que je suis Kharmesi, répondit-elle simplement.

Mairenn s'étonna de la lassitude qu'elle aperçut dans les yeux d'un gris presque blanc de la jeune femme. Pas de colère, pas cette fois. Elle se demandait si ce n'était finalement pas pire. Au moins, les éclats, elle savait les gérer.

— Je vois, répondit Anneke. Et tu penses donc que tous les malheurs du monde doivent te retomber dessus. Alara, tu es une idiote.

Une lueur s'alluma dans les yeux d'Alara. Mairenn sourit malgré elle. Elle retrouvait celle qu'elle connaissait depuis son arrivée. Celle que toutes les Mères avaient appris à craindre.

— Être Kharmesi ne veut pas dire se lancer aux devants du malheur, des combats et de la mort. C'est bien plus que ça. Oui, la Déesse Rouge est une déesse combattante mais elle est surtout une déesse de paix, comme je te l'ai déjà dit maintes fois. Mieux encore, elle est une déesse d'espoir. Essaie donc de ne pas l'oublier. La prochaine fois que nous t'entendrons parler de te battre ou une idiotie dans le même genre, je te promets que je te fais enfermer pour de bon.

— Tu n'es pas Mère Supérieure pour décider ce genre de chose, Anneke, riposta Alara.

— Mais je le suis, moi, déclara alors Mairenn. Écoute Anneke, Alara. Cela ne te fera pas de mal.

La jeune femme hocha la tête, soumise. Dire que pour le peuple, elle était la Déesse Rouge. Si les gens savaient que les Mères tiraient les ficelles... Mairenn chassa cette pensée aussi vite qu'elle était venue. Elles n'avaient pas le choix. Alara avait besoin de guides. Elles étaient les mieux placées pour cela. Elles connaissaient le comté, les gens qui le peuplaient, ceux qui gouvernaient. Elles avaient une conscience politique supérieure à celle d’Alara.

Bien sûr, un jour, ce ne serait plus le cas. La Kharmesi volerait de ses propres ailes, elle prendrait les décisions qu'il faut. Mais ce jour n'était pas encore arrivé. Elle avait besoin des conseils des Mères, tout comme elle avait besoin de ceux du comte de Lordet qui attendait dans les couloirs de la Maison.

— Si tu es plus calme, continua-t-elle, nous pouvons recevoir nos invités, je pense.

Alara soupira une nouvelle fois. Elle reprit son masque et l'ajusta à son visage. En quelques secondes, la jeune femme résignée disparut pour laisser place à la Kharmesi. Tout changea en elle, de la lueur froide dans ses yeux à sa posture, bien plus droite et résolue. La transformation étonnait toujours Mairenn. Il y avait quelque chose dans cette démonstration qui la mettait toujours mal à l'aise.

— Faites les entrer, ordonna la Kharmesi.

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TheRedLady
Posté le 02/02/2022
Hello !
ça commence très fort ton histoire ! On a déjà une guerre en perspective et un leader "manipulé". J'aurais aimé avoir le point de vue d'Alara, surtout si c'est elle le perso principal, mais pour le moment, je vais continuer ma lecture n_n
Oriane
Posté le 03/02/2022
Bonjour,
Merci de ton passage. J'espère que le reste te plaira tout autant.
csbeambong
Posté le 28/01/2022
J'aime ce premier chapitre. Votre écriture est fluide, élégante et chaque mot est bien pensé, bien à sa place. En ce qui concerne l'intrigue, je suis particulièrement intéressée par l'univers que vous êtes en train de mettre sur pied mais aussi par ce fameux Lordet. Bon courage pour la suite.
Oriane
Posté le 28/01/2022
Bonjour,
Merci beaucoup ! J'espère que la suite vous plaira !
Lylyyyz
Posté le 24/01/2022
Après avoir lu ce premier chapitre, j'ai bien envie de faire la connaissance du compte Lordet. L'écriture est légère et facile d'accès, j'aime beaucoup. Le seul point que j'aurais à relever est que j'aurais aimé que le texte soit plus explicite sur qui prend la parole, qui est où dans la pièce, car les noms fusent et l'absence d'incises dans les dialogues ainsi que le manque d'explications dans la narration rend la compréhension de la scène un peu ardue. Le problème n'est pas tant dans le nombre de personnage introduit mais plus dans le manque de description selon moi.
Oriane
Posté le 27/01/2022
Merci beaucoup pour ton passage.
Il est vrai qu'il y a pas mal de personnage dans ce premier chapitre, peut-être trop et qu'en plus, elles semblent toutes se ressemblaient. C'est un point que je vais retravailler.
Grisélidis80
Posté le 17/10/2021
J'aime bien ton écriture fluide et le texte est agréable à lire.
J'aimerais bien savoir pourquoi la kharmesi porte un masque.
Je ne me suis pas perdue dans les personnages mais , en revanche, j'ai eu du mal à comprendre les différents points de vue.
Bon week end!
Oriane
Posté le 27/10/2021
Bonjour Girsélidis et merci pour ton passage.
Pour le masque, c'est en fait une question de religion. La Kharmesi représente une déesse, le rôle est transmis de génération en génération. Le masque invisibilise la personne pour ne garder que l'aspect divin.
Edouard PArle
Posté le 25/08/2021
Hey !
Bonne surprise ton histoire, elle se lit très bien, beaucoup de mystères intéressants. Peut-être un peu trop de personnages à la fois pour un premier chapitre mais on finit par les identifier.
Pas remarqué de fautes d'orthographe
Hâte de lire la suite (=
Oriane
Posté le 25/08/2021
Bonjour !
Merci beaucoup.
Oui, les personnages sont nombreux et je vois qu'effectivement, ça peut déranger un peu. C'est un point qu'il va me falloir revoir par la suite je pense. Il est possible que certaines des Mères "fusionnent" avec les plus importantes pour éviter ce problème dans une version future.
Edouard PArle
Posté le 25/08/2021
Après le nombre de personnages n'est pas un problème en soit, mais peut-être fais un premier chapitre avec 2-3 personnages seulement puis en ajouter au fur et à mesure.
Ella Palace
Posté le 06/07/2021
Bonjour Oriane,

Voilà que je découvre ton histoire et je dois dire qu'elle est remplie de mystères.
Ça se laisse lire même si, au début, j'ai eu un petit peu de mal avec tous ces prénoms mais, ensuite, ça va 😉.
Pourquoi un masque? Quel âge a la Kharmesi ?
Cela me fait un peu penser aux chevaliers du zodiaque 😅... la déesse et son avatar, le masque porté... D'ailleurs, vers la fin, il est dit qu'elle remet le masque mais je ne me souviens pas qu'elle l'ait enlevé...

Petites remarques, si cela peut t'aider:

- "Mais devant cette fille à peine sortit de l'adolescence, elle tremblait", sortie
- "de te mettre en avant lors de combat", combats? Du combat? Des combats?
- "Son esprit était tendue vers la bataille", tendu
- "La question aurait prit de court", pris
- "La prochaine que nous t'entendrons parler", prochaine fois
- "Cela ne te feras",fera

Au plaisir
Oriane
Posté le 07/07/2021
Bonjour Ella,

Merci pour les retours. Ils sont appréciables et appréciés.

Pour le côté Chevaliers du Zodiaque y effectivement un truc. Le personnage d'Alara (qui a une vingtaine d'année) a pris beaucoup d'un ancien personnage basée sur les femmes chevaliers. Mais c'est à peu prés tout ce qui les relie. Pour le côté avatar de la déesse, c'est totalement inconscient par contre.

Si, si, elle enlève bien son masque, juste après le départ de la plupart des femmes du conseil.
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