Chapitre sept

Par Oriane

Alara avait monté sa tente à la limite du campement et refusait que l'on vienne la voir. Elle savait être allée trop loin avec la capitaine. Lara n'avait fait qu'écouter ses éclaireuses. Il semblait logique que la troupe ennemie n'attaque que devant leurs lignes. Mais les batailles n'étaient pas toujours des sciences exactes. Il arrivait qu'il y ait des imprévus. Et puis, c'était ce qu'elle voulait, non ? Être au cœur de l'action. Elle avait été servie. Peut-être un peu trop. Sous ses dehors calmes, elle avait cru sa dernière heure arrivée. Elle avait eu de la chance d'entendre un craquement de branche tout à l'heure. Si ce n'avait pas été le cas...

Elle préférait ne pas y penser.

Elle se leva, ne supportant plus d'être assise à ressasser des idées noires. Il lui fallait bouger, marcher, s'éloigner du campement. Elle attrapa son arc et son carquois et se mit en route. Elle évita les feux de camps, se faufila entre les toiles en prenant bien garde de ne pas être vue. Le brouhaha incessant cacha les bruits de ses talons sur la terre sèche. Elle prit la direction des champs de blés non loin. Elle s'enfonça dans le plus proche.

Il ne lui fallut pas longtemps pour oublier les problèmes de la journée. Le picotement des épis de blé sur sa peau, le sifflement du vent entre les plans, tout cela la ramenait à une époque pas si révolue que ça, celle où elle n'était pas encore Kharmesi, où elle pouvait montrer son visage à tous. Un temps où personne ne s'inclinait devant elle et où n'était qu'Alara, pas la Déesse Rouge. Cela lui manquait. Venir ici en tant qu'Alara lui permettait de renouer un peu avec cette période.

Jusqu'à ce que Lara Harken oublie qu'elle n'était pas l'envoyée de la Déesse Rouge ici. Elle avait vu les regards étranges de l'archiviste lorsque la capitaine l'avait appelé "ma dame". Marco Nelu n'était pas bête. S'il n'avait pas encore compris, cela ne tarderait pas.

Elle devait faire quelque chose pour lui. Elvire le lui dirait, les Mères aussi. Il ne devait pas savoir, pas même se douter, de qui elle était. Pourtant, elle espérait presque qu'il découvre la vérité. Cela ne devait pas arriver. Ici, elle n'était pas la Kharmesi, juste sa messagère. A la Maison des Mères, elle porterait à nouveau le masque noir et rouge de sa fonction. Il ne pourrait pas faire le lien.

Alara sentit une certaine lassitude l’envahir. Elle se laissa tomber et s'allongea à même la terre. Au-dessus d'elle, les étoiles brillaient de mille feux. Le spectacle était beau. Elle s'en délectait, chassant toutes pensées négatives. Il y avait quelque chose d’apaisant à regarder cette immensité. Elle ferma les yeux. Son corps et son esprit se relâchèrent enfin.

Elle resta là longtemps. Assez pour que l'on remarque son absence et que l’on parte à sa recherche. Lorsqu'elle entendit les premiers appels, elle se redressa. Elle n'avait pas envie de rentrer. Pas encore. Elle écouta attentivement et comprit que l'on venait vers elle.

— Fais chier, grimaça-t-elle.

Elle se releva lentement, ne se dépliant pas totalement. Elle resta accroupie dans les blés, comptant les torches non loin. Seulement trois. Harken ne pouvait pas ameuter toutes les femmes de la troupe. Elle pouvait encore s'éloigner. La nuit n'était pas complètement noire mais assez pour que personne ne la remarque vraiment. C'était comme lorsqu'elle était plus jeune, à la ferme. Elle pouvait échapper aux recherches sans problème. Elle s'éloigna à pas de loup, cherchant à ne pas faire de bruit. Au bout d'une dizaine de pas, elle se mit franchement à courir.

Elle cavala à travers champs. Elle se retint de rire. Elle dépassa les épis, se trouva sur un chemin qu'elle traversa pour entrer dans une nouvelle parcelle. Elle prenait des risques. Des pillards pouvaient se trouver non loin. Elle n'y pensait pas vraiment, pour tout dire. Elle voulait juste rester seule, ne pas avoir à affronter une nouvelle fois sa capitaine.

Elle s'arrêta à bout de souffle au milieu des allées. Les torches partaient de l'autre côté. Cela étonna Alara. Harken avait-elle fini par comprendre qu'elle voulait être seule ? Peut-être. Elle souffla, essuya la sueur sur son front. Elle se laissa tomber par terre. Elle ne s’était jamais sentie aussi bien depuis des mois.

Elle avait sous-estimé ses poursuivants, du moins l’un d’eux. Un craquement dans les épis lui fit relever la tête. L’archiviste se planta face à elle. Il ne portait pas de torche. Elle ne l’avait ni vu ni entendu s’approcher.

La jeune femme ne se leva pas. Marco s'assit assez loin, n'osant pas vraiment la regarder. Son attitude ne changeait pas, il était toujours distant, qu'elle porte ou non son masque. A bien y réfléchir, il était comme ça avec presque tout le monde, si ce n'était Enric, et encore.

— Que faites-vous ici ? demanda-t-elle.

— J'obéis.

— A quel ordre ? Celui de me suivre partout ? Ou celui de me ramener ?

— Y a-t-il un seul moment où vous n'êtes pas sur la défensive ?

Le ton de sa voix se voulait neutre. Il ne la regardait toujours pas. A quoi pouvait-il penser ?

— Vous ne répondez pas à ma question, archiviste, finit-elle par dire. Et pour information, non, il n'y a pas un seul moment où je ne suis pas sur la défensive, comme vous dites. Je n'en ai pas le loisir.

Elle en disait trop. Il ne tarderait pas à comprendre qu'elle était plus qu'une messagère. Plus elle y pensait, plus elle en avait envie. Étrange. Elle connaissait le tabou qui pesait sur son identité en tant que Kharmesi. La voix de Mairenn résonna à ses oreilles. Aucun homme ne devait savoir qui elle était. C’était interdit.

— Celui de vous protéger, répondit-il finalement. Un ordre plutôt compliqué à mettre en œuvre, je dois dire.

— Peut-être parce qu'il est inutile ?

— Ce n'est pas parce que vous êtes plutôt douée avec un arc en main que c'est inutile. Tant que vous ne me l'aurez pas prouvé, je serai dans l'obligation de vous suivre.

Elle crut déceler un sourire sous ses paroles. Un défi aussi. L'archiviste était peut-être un peu plus amusant qu'il n'en donnait l'impression au premier abord.

— Et si je n'ai pas envie de vous le prouver ? minauda-t-elle.

— C'est vous qui voyez, Alara. Si ça ne vous dérange pas de m'avoir dans vos pattes tout le temps, alors, je ne vois pas de problème.

Elle observa le jeune homme. Il regardait toujours droit devant lui, évitant son regard. Elle n'arrivait décidément pas à le cerner. Jusque-là, elle le voyait comme un gentil archiviste, plus préoccupé par son travail et ses papiers que par ce qu’il se déroulait autour de lui. Elle le découvrait plus humain. Et un peu plus agaçant aussi, au final.

— Bien. Donc vous ne verrez pas le moindre problème à venir avec moi maintenant ?

Elle se leva sans attendre de réponse. Elle épousseta ses vêtements et s'avança vers lui. Elle lui tendit la main et l'aida à se mettre sur ses deux pieds. Leurs regards se croisèrent. Une légère rougeur colora ses joues.

— Où comptez-vous aller ? demanda-t-il.

— Promener. Venez.

Elle l’entraîna à sa suite sans lui en dire plus. Alara n'avait pas la moindre idée de là où elle allait, ni même de ce qu'elle allait faire. Avoir Marco avec elle l'amusait. Sa présence lui rappelait qu'elle était encore et toujours la Kharmesi, qu'elle avait besoin d'une protection particulière même au milieu d'une petite armée. En même temps, il faisait aussi ressortir la jeune femme qu'elle était sous le masque. Rien que pour ça, elle était prête à supporter l'archiviste jusqu'à ce qu'elle retourne à la Maison des Mères.

Ils passèrent le reste de la nuit à se promener dans les champs. Elle le fit parler, beaucoup. Elle voulait savoir ce qu'était sa vie dans la demeure des Lordet. Tout ce qui la sortait de sa propre existence l’intéressait. Elle n'arrêta pas de lui poser des questions, évitant ainsi qu'il fasse de même. Elle avait beau jouer avec Marco, il ne devait pas comprendre qui elle était. Elle pensait y arriver sans trop de difficulté. Elle se doutait que parfois, elle pouvait lâcher une ou deux informations sur son identité. Il ne disait rien, la réconfortant sans même le savoir. Son secret resterait bien garder.

Ils revinrent au campement juste avant le lever du soleil. Alara laissa Marco devant sa tente. Elle le regarda s'éloigner, un petit sourire aux lèvres.

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Edouard PArle
Posté le 09/09/2021
Salut !
J'avais laissé ton histoire de côté quelques jours (il y a trop de choses à lire sur PA mdrr) mais je reviens avec plaisir. Je me rappelle bien des personnages, ce qui montre que tes chapitres d'exposition étaient efficaces.
Quand à ce chapitre, il permet de développer la relation Marco-Alara, à voir ce que tu vas en faire, je te fais confiance (=
Pas vu de fautes,
Bien à toi !
Oriane
Posté le 10/09/2021
Salut,
Totalement d'accord, il y a trop de chose à lire sur PA (je galère aussi à me tenir à jour).
Merci pour ton commentaire. Je suis contente de voir que ça te plait toujours.
Ella Palace
Posté le 09/09/2021
Re,

J’ai trouvé intéressant et plaisant qu’Alara s’éloigne pour se recentrer ! Comme tu as pu le constater, j’aime l’émotionnel, le sensible et ce genre de passage va plus m’interpeller donc.
J’ai souris quand elle se cachait dans les champs, je voyais les images et je ressentais cette petite sensation que l’on avait quand on jouait à cache-cache lol. L’apparition de Marco est une surprise et il semblerait qu’une romance pourrait naître entre eux…
Un chapitre doux et agréable 😊

Remarques :

-« Elle prit la direction des champs de blés non loin », redondance de non loin.
-« Un temps où personne ne s'inclinait devant elle et où elle était elle, pas la Déesse Rouge », un peu trop de « elle », et si : « Un temps où personne ne s’inclinait sur son passage et où elle était juste Alara, pas la Déesse Rouge » ??
-« Il ne devait pas savoir, pas même se douter, de qui elle était », je pense qu’il faut enlever la virgule après « douter ».
-« Pourtant, elle espérait presque qu'il découvre la vérité. Cela ne risquait pas », je ne comprends pas. Plus haut, tu dis qu’il ne va pas tarder à le découvrir car il n’est pas bête et ici, tu dis que ça ne risque pas.
-« Elle écouta attentivement, comprit que l'on venait vers elle », je mettrais un « et » au lieu de la virgule.
-« Elle ne s’était jamais senti aussi bien depuis des mois », sentie.
-« Elle avait sous estimée ses poursuivants, du moins l’un d’eux », le voilà le « e » retiré de « sentie » lol : sous-estimé.
-« Marco prit place à côté d'elle. Il s'assit assez loin, n'osant pas vraiment la regarder », ce n’est pas cohérant, tu dis « à côté » puis « assez loin ».
-« Tant que vous ne me l'aurez pas prouvé, je serais dans l'obligation de vous suivre », je serai.
-« Avoir Marco à sa suite l'amusait », redondance de « à sa suite ».
-« non loin du campement », un peu trop souvent de « non loin ».
-« Elle avait beau joué avec Marco », « jouer ».

Bien à toi
Oriane
Posté le 09/09/2021
Re,

Je suis ravie que tu es pu voir la scène. Elle me tient à cœur parce que c'est une de celles qui me sont apparus alors que je commençais à peine à réfléchir au roman (elles sont trois, celle-ci, une à la fin et une qui ne tardera pas à arriver). Effectivement, ce sont mes vieux souvenirs de quand je jouais dans les vignes qui me sont revenus quand j'écrivais.
Merci comme toujours pour les remarques.
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