Chapitre Quatre

 

- P

eter ! appela une petite voix flûtée.

Peter Butternut grogna et se retourna sous sa couverture dans la minuscule alcôve qui lui servait de lit au fond de l’arrière-cuisine.

- Peter ! insista de nouveau la voix, tandis que quelqu’un le secouait sans ménagement. Peter, réveille-toi !

Peter se redressa sur sa couche et manqua de se cogner la tête contre la planche où il rangeait ses affaires.

- Môman ?

- Mais, non, gros bêta ! C’est moi, Wendy !

- Wendy ? fit le jeune garçon en clignant ses petits yeux tout bouffis de sommeil. Que se passe-t-il ? J’ai encore oublié de me réveiller, c’est ça ? Misère ! Si Mme Dobson s’aperçoit que je n’ai pas ravivé le feu des fourneaux, ça va encore chauffer pour moi !

- Non ! Non ! Ce n’est pas cela, fit Wendy. Il n’est que quatre heures du matin. Tout le monde dort encore…

- Ah bon ! Quatre heures ! Tout va bien alors ! dit-il en se recouchant.

Puis se relevant comme un ressort :

- Quatre heures du matin ! s’étouffa-t-il. Mais tu n’es pas bien de me réveiller à une heure pareille ! Sais-tu quand j’ai fini de récurer les cuivres, hier soir ?

- Cesse de râler et lève-toi ! répliqua Wendy sans se laisser démonter. Je te prépare une tartine de confiture pendant que tu t’habilles. Ensuite, nous partons en mission.

- Misère de Misère ! grommela Peter en la regardant s’éloigner vers le garde-manger. Qu’a-t-elle bien pu encore inventer ?

Une fois habillé, Peter rejoignit Wendy dans l’office.

- Voici le plan, expliqua-t-elle. Mon oncle a quitté le château cette nuit en grand équipage. Je l’ai vu depuis la fenêtre de ma chambre. Il ne devrait pas être de retour avant plusieurs jours. Nous allons donc retourner dans son cabinet de travail et tâcher de découvrir par où il en est sorti hier quand nous nous cachions sous le bureau.

- Quoi ? Tu veux retourner là-bas ? s’écria Peter abasourdi. On a failli se faire pincer la dernière fois, je te rappelle ! ça ne t’a donc pas servi de leçon ?

- Ce que tu peux être ronchon quand tu t’y mets ! Je te dis qu’il n’y a rien à craindre ! Tout le monde dort et mon oncle est parti !... Mais si tu ne veux pas venir, j’irai toute seule !

Peter jeta un regard au petit visage obstiné de son amie. De toute évidence, elle ne changerait pas d’avis.

- C’est bon, bougonna-t-il. Tu as gagné, je viens avec toi !

- Ah ! Je savais que je pouvais compter sur toi, Peter ! s’exclama Wendy en lui sautant au cou et en lui embrassant les deux joues. Tu es un véritable ami !

Le visage cramoisi, le jeune garçon resta sans voix.

- Mais avant d’y aller, reprit Wendy sans paraître embarrassée le moins du monde, saurais-tu par hasard où Mme Dobdson a mis le chocolat qui sera servi à la vieille Medlock demain matin pour son petit-déjeuner ?

- Il est là, dans le petit placard près de l’horloge, répondit Peter en désignant l’endroit. Pourquoi cette question ?

- Pour rien ! répondit Wendy en songeant à son arrière-train encore endolori. Juste un petit compte à régler entre moi et la vieille carne !

Elle s’empara alors de la casserole où reposait l’onctueux breuvage et sortant une petite fiole de sa poche, elle versa son contenu dans le chocolat.

- Que fais-tu ? s’écria Peter affolé. Tu ne vas tout de même pas empoisonner Miss Medlock ?

- Ce n’est pas du poison ! C’est le concentré de jus de prunes que Sowerby utilise lorsqu’il est constipé. Je lui ai emprunté avant de venir. Hum ! J’ai comme l’impression que demain, la vieille Medlock fera quelques allers-retours aux toilettes ! ajouta Wendy avec un petit sourire satisfait. Elle verra à son tour ce que c’est que d’avoir le derrière en feu !

 

La première partie de la mission, qui consistait à se rendre jusqu’au bureau de Lord Fairchild sans se faire surprendre, crocheter la serrure et pénétrer de nouveau dans les lieux se déroula sans encombres. En revanche, découvrir le passage secret par lequel -Wendy en était persuadée- son oncle était sorti la veille était une autre affaire. Munis chacun d’une bougie enfermée dans un bocal en verre, les deux enfants ne distinguaient pas grand-chose dans la pénombre qui régnait dans la pièce.

- Si ça se trouve, il est tout simplement ressorti par la porte, grommela Peter.

- Je suis certaine que non, s’obstina Wendy. Il se tenait près de la cheminée lorsque j’ai entendu ces drôles de grincements. Il doit certainement y avoir un mécanisme dissimulé quelque part. Cherche du côté des rayonnages pendant que je réfléchis.

Tandis que Peter passait en revue les vieilles reliures de cuir dont la plupart des titres étaient écrits en latin, Wendy auscultait la cheminée. Elle était si vaste que trois hommes adultes auraient pu s’y tenir debout côte à côte sans être gênés. Son manteau avait été sculpté dans une pierre noire et dure et représentait, de part et d’autre du foyer, deux griffons ailés à la gueule ouverte. Wendy tenta d’enfoncer leurs yeux et de glisser sa main entre leurs mâchoires mais rien ne se produisit.

De son côté, Peter continuait de scruter les rayonnages lorsque son attention fut soudain attirée par un petit livre glissé au milieu d’une série d’ouvrages traitant de l’histoire des rois d’Angleterre depuis Edouard le Confesseur jusqu’à Victoria, actuelle souveraine de l’Empire.

- Quelle idée bizarre ! s’exclama le jeune garçon.

- Que dis-tu Peter ? demanda Wendy en ressortant la tête de la cheminée.

- Rien, rien ! C’est juste ce drôle de petit livre, il a un titre complètement idiot. « De l’art d’ouvrir les portes ». Tu ne trouves pas ça curieux comme sujet ? Tout le monde sait comment ça s’ouvre une porte. Pas besoin d’écrire tout un bouquin là-dessus. Il y en a vraiment qui ont du temps à perdre !

- Peter, tu es un génie ! s’exclama Wendy rayonnante.

- Vraiment ? fit l’intéressé d’un air dubitatif.

Wendy se saisit du livre et tira dessus. Ainsi qu’elle s’y attendait, il s’agissait d’un livre factice qui bascula en arrière lorsqu’elle s’en empara, enclenchant par là même un mécanisme d’ouverture. Aussitôt, un faible bruit de poulies, de poids et de rouages se fit entendre dans la pièce, tandis que le fond de la cheminée pivotait sur lui-même, laissant pénétrer dans le bureau un courant d’air chargé d’humidité.

- Je le savais ! exulta Wendy d’un air triomphal.

- Misère de misère ! soupira Peter en considérant l’ouverture béante qui s’offrait à eux.

Les deux enfants s’avancèrent près de l’entrée du passage secret. Une volée de marche semblait s’enfoncer dans les entrailles du château.

- Es-tu prêt ? demanda Wendy.

- Tu crois vraiment que c’est une bonne idée de descendre là-dedans ? demanda Peter d’un air penaud. Je veux dire, si Lord Fairchild s’est donné tant de mal pour dissimuler cet endroit, je ne pense pas qu’il serait très heureux de nous y savoir. Et puis, il y a peut-être des pièges mortels dans ce tunnel. On pourrait tomber dans une oubliette et personne ne viendrait nous délivrer.

Pour toute réponse, Wendy l’entraîna à sa suite dans l’escalier secret.

 

Les deux enfants eurent à peine le temps de s’engager dans le passage, que le fond de la cheminée se referma sur eux dans un léger grincement.

- Misère de Misère ! gémit Peter. Nous voici coincés dans cet affreux endroit !

- Je ne pense pas, rétorqua Wendy. Il doit y avoir un mécanisme d’ouverture dissimulé quelque part dans le mur, sinon mon oncle ne pourrait pas ressortir. Nous le chercherons plus tard. Mais pour le moment, le plus important c’est de savoir ce qui se cache derrière tout ça !

Suivie d’un Peter tremblotant comme un bol de gelée, Wendy poursuivit son exploration. Après une descente qui leur parut durer un temps interminable, les deux enfants se retrouvèrent à l’entrée d’un long couloir, sombre et humide. Tandis qu’ils s’y engageaient, ils distinguèrent tout au fond les contours d’une porte. Ils s’en approchèrent prudemment, Peter redoutant plus que jamais de tomber dans une oubliette.

- Au secours ! cria-t-il soudain.

- Que se passe-t-il ? demanda Wendy en se retournant vivement. Tu vas bien Peter ?

- Je viens de sentir quelque chose me frôler le visage, répondit Peter en claquant des dents… Je suis certain que cet endroit est hanté !

- Ce que tu peux raconter comme bêtises quand tu t’y mets ! Il doit juste s’agir d’une toile d’araignée! Il y en a plein ici. Tiens voilà justement la coupable, ajouta Wendy en saisissant une minuscule araignée dans le creux de sa main pour le montrer à son ami… Allons, viens et cesse un peu de faire l’idiot.

- Une araignée ! Oh ! Misère ! C’est que ça pique ces bêtes-là !

Une fois parvenus devant la porte, Wendy se saisit de la poignée et la tourna sans qu’elle n’oppose de résistance.

- C’est ouvert ! s’exclama-t-elle d’un ton joyeux. Tu es prêt, Peter ? Nous allons enfin découvrir le secret de mon oncle ! N’est-ce pas excitant ?

Un « Humpf ! » plutôt bougon fut la seule réponse qu’elle obtint.

La pièce dans laquelle les deux enfants pénétrèrent faisait penser à une sorte de laboratoire. Seule la lumière phosphorescente qui émanait de deux gros globes de verre remplis d’un étrange liquide verdâtre l’éclairait. Cette lueur blafarde et glauque donnait aux lieux un aspect sépulcral qui provoqua chez Peter un frisson tout le long de sa colonne vertébrale.

- Cet endroit me donne la chair de poule, chuchota-t-il.

- Je me demande bien ce que mon oncle peut fabriquer ici, acquiesça Wendy.

La faible luminosité qui régnait dans la pièce ne leur permettait pas de distinguer grand-chose. C’est tout juste s’ils parvenaient à deviner la présence de bocaux et d’éprouvettes.

- On n’y voit rien ici ! Il faut absolument que nous trouvions de quoi nous éclairer, fit Wendy.

- Regarde, dit Peter, il y a des becs à gaz sur le mur ! Le bouton d’allumage ne doit pas être bien loin. Tiens ! Le voilà…

Une fois les lampes allumées, les deux enfants réalisèrent que la pièce où ils se tenaient était beaucoup plus vaste et bien plus étrange encore qu’ils ne l’avaient soupçonné.

 

 

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