CHAPITRE IV – Une tempête d’étoiles entre les arbres - Alessia et Maria - Partie 2

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Elle eut tout juste le temps de se défaire de cette nouvelle idée de sa cadette, lorsque leur voiture s’arrêta sur la place de l’église où le prêtre local revenait, après avoir béni les cultures, les bêtes et les travailleurs.

En vérité, il atteignait tout juste le parvis de sa chapelle quand il aperçut la religieuse descendre de sa voiture, avec deux passagères très bien vêtues sur ses talons et une curieuse équipe de mercenaires dans une charrette. Seulement le curé était très âgé, et l’activité de ces derniers temps ne l’aidait pas à se souvenir du prénom de la religieuse qui lui avait fait parvenir cette lettre, lui demandant de garder une place pour les trois riches pélerines qu’elles étaient. Néanmoins, après un instant de réflexion, la mémoire finit par lui revenir, il put aussitôt les rassurer sur le fait qu’une de ses deux chambres s’était libérée ce matin et qu’il ne l’avait pas confiée à un autre. D’ailleurs, il ajouta que son église n’était pas habituée à recevoir autant de passage, à tel point qu’il était heureux qu’Alessia l’ait prévenu à l’avance, ou qu’elle ne soit pas arrivée plus tard dans la journée.

— Mais qui occupe la seconde chambre dont vous disposez pour accueillir, Monseigneur ?

— Un proche ami de sa nouvelle Sainteté. Un certain Monseigneur Sagrario, archevêque de Tolède et quelques autres titres qu’il s’est plu à m’énumérer, mais je ne les ai point tous retenus, sûrement les effets de l’âge … » ironisa le vieil homme, pendant qu’Alessia restait pensive en apprenant la présence de cet homme. Elle avait appris du Cardinal Paolo qu’il siégerait au Synode, qu’il faisait donc partie des gens qu’Alessia devait rallier à sa croisade contre l’usage abusif du LM et l’influence de Solar Gleam. « Et il y a aussi un autre de mes confrères portugais qui a beaucoup insisté afin de prendre votre place pour cette nuit même. C’était un jeune, grand, les cheveux bruns, assez agressif … » essayait-t-il de se rappeler pour qu’elle n’essaie de l’aider, en entendant Maria soupirer de ce curé qui s’éternisait déjà trop à son goût. « Je ne me souviens plus de son nom. Il s’est présenté tellement vite. » se contenta-t-il de préciser avant d’enfin se diriger vers l’église pour les guider jusqu’à leur chambre, en prenant son temps. « Il m’a juste demandé où étaient nos chers petits bergers et j’ai appris plus tard que les parents de ses derniers lui avaient dit de partir, malgré les insistances de ce confrère. Il se serait ensuite dirigé vers le coin de forêt où Notre Sainte Vierge Marie est apparue aux trois enfants, afin de réaliser des expériences comme il a dit. » expliqua le vieil homme pendant que sa consœur cherchait parmi la bonne centaine de confrère portugais qu’elle avait déjà rencontrée au fil de ses voyages, sans succès.

— Tant que ce n’est pas ce pseudo-inquisiteur itinérant qui avait réponse à tout et qui m’a pourri mon dernier séjour à la Dolce Lupe … » en conclut Maria, dans un espagnol presque aussi bon que son italien, son anglais ou son allemand, bien qu’Alessia n’ajoute que si elle avait accepté de débattre avec ce pseudo-inquisiteur plutôt que de le provoquer, tout se serait mieux passé. « Je n’ai pas à débattre avec les gens qui croient que l’Homme a été fait dans de l’argile… J’ai déjà un singe qui parle chez moi et ses bêtises me suffisent. » asséna sèchement la Lune Pâle, sous les rires du vieil homme, visiblement peu troublé par les mots qu’il venait d’entendre.

 

Décidément, il se fait de ces bêtises de nos jours, lâcha-t-il, tandis qu’il les guidait dans les annexes de l’église, avec la seule voix d’Alessia pour discuter avec le prêtre, tandis que Maria préférait imiter sa petite sœur – toujours à regarder partout autour d’elle.

Car il y avait des belles choses ici, même si c’est devant une porte des plus modestes qu’il s’arrêta, avant de l’ouvrir pour révéler à ses invités une petite alcôve, riche d’un vieux lit, d’une commode usée et de quelques autres affaires de la vie quotidienne gracieusement offertes par les paroissiens. Et si Alessia n’y voyait aucun problème majeur, les expressions de Maria comme de sa petite sœur se décomposèrent en quelques secondes à la vue de cette chambre piteuse et poussiéreuse, aussi décrépie que son curé. Les vacances avaient leurs limites quand même …

— C’est tout ? » lâcha simplement la Française, abasourdie, laissant à peine le curé se justifier en rappelant qu’il gérait une église de paroisse, ma fille, pas un hôtel de Lisbonne. « Je ne suis pas votre fille. Et si vos gens ont autant de passion pour leur église, ils pourraient la nettoyer de temps à autre avant d’y prier, non ? Est-ce trop demander à leur foi ? Plus sérieusement personne ne fait le ménage ici ? » continuait-elle d’insister, en serrant la pauvre Anastasia contre elle, sous les sourires contenus d’Alessia qui ne pouvait s’empêcher de penser qu’une petite baignade d’humilité ne pourrait pas faire de mal aux de La Tour.

— Bon, je vais vous laisser à ces discussions pour aller saluer Monseigneur Sagrario. Mais prenez-garde, mon père, elle mord ! » plaisanta-t-elle en sentant que c’était le moment pour s’éclipser, sans que le prêtre en soit impressionné.

— Une vraie paysanne !

— Pardon ?! » s’étrangla Maria en jetant les couvertures miteuses à la figure de son hôte. « Et les draps que vous nous donnez, ils datent au moins du siècle précédent ! 

— Franchement, je ne saurai vous dire de quand ils datent, mais ceux sont de très bons lainages, un artisanat qui ne survit qu’avec difficulté face aux pratiques sans âmes de notre époque. J’apprécie particulièrement cette qualité. Une dame de noble rang comme vous devrait y prêter attention, vous n’avez pas que votre âme à honorer, mais aussi votre sang. » répliqua-t-il pour que la Française semble reprendre son calme, si bien qu’Alessia s’arrêta juste après le seuil de la porte, curieuse de voir s’ils allaient engager une conversation cordiale.

— Je suis d’accord, seulement on peut aimer l’artisanat sans aimer les choses miséreuses. Je n’ai aucune honte à faire venir des tapis de Perse ou d’Inde pour mon bon plaisir. » lui confia-t-elle très naturellement pour que le prêtre lui réponde sans s’attarder sur sa vantardise gratuite, en lui apprenant que tous ces draps venaient bien évidemment de ses paroissiens.

 

En entendant ça, Alessia préféra donc reprendre sa marche, en imaginant très vite ce que Maria allait découvrir, en se rappelant que la chambre venait de se libérer ce matin ou que le curé était sûrement trop vieux pour faire des allers-retours au lavoir.

En clair, les draps n’étaient pas lavés depuis quelques semaines, en plus d’être ceux dont les villageois s’étaient pieusement défaussés. Et la Florentine pouvait se sentir soulagée d’avoir atteint l’étage lorsque sa collègue traversa la nef d’un air furieux, en clamant qu’elle ne dormirait pas dans des draps galeux, qu’elle comptait bien les faire laver par d’autres, même par ce pauvre Jasper s’il le faut. En tout cas, les prochains jours vont être sacrément amusants, préféra-t-elle en sourire, sachant pertinemment que Maria ferait plus rire les villageois portugais qu’autre chose, ils ne devaient même pas comprendre ce qu’elle baragouinait en français avec son fond d’accent polonais. D’ailleurs, ce petit scandale ne les empêche pas de prier, se réjouit-elle en jetant un regard satisfait à cette nef remplie de pèlerins comme si c’était la messe de Pâques, après tout, c’est un moment unique, si ces trois bergers ont reçu des secrets de Notre Sainte Dame, ils sont peut-être prophètes Je me demande ce que Monseigneur Sagrario a pu apprendre à ce sujet, s’interrogea-t-elle en se ressassant toutes les rumeurs qu’elle avait entendues, jusqu’aux affirmations ou aux moqueries des sceptiques comme Maria, l’archevêque de Tolède et Primat d’Espagne est sûrement un homme pieux, il ne doutera pas. En plus, c’était une merveilleuse occasion de rencontrer un futur collègue du Synode et potentiel allié, car même s’il était proche du nouveau Pape ou de Solar Gleam, cela ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas être un ami tel que l’était Arcturus. C’est donc dans un état d’esprit des plus positifs qu’elle frappa à sa porte, afin d’y être accueillie par une voix tout aussi sympathique et enthousiaste. L’archevêque de Tolède semblait à son aise dans la meilleure chambre de cette vieille église, assis près d’une petite table et en compagnie de deux autres hommes, un clerc et quelqu’un de plus étrange - vêtu dans le même style qu’Ezio ou Appolonio. Il doit être chasseur de démons lui-aussi, peut-être partent-ils tous deux en mission, s’interrogea-t-elle, en sentant une certaine tension chez les deux invités dès son entrée, bien qu’elle se soit très poliment annoncée.

Heureusement, Thiago Sagrario se montrait autrement aimable et décontracté, en cette radieuse fin de matinée, ce qui accentuait encore son air bien plus jeune que le Cardinal Paolo - alors qu’il devait à peu près avoir le même âge.

— Enchanté de vous rencontrer, ma sœur. Je vous présente l’un de mes diacres et mon protecteur, ne vous sentez pas dérangée par leurs visages fermés, nous discutions de sujets trop tragiques pour cette belle journée. Comment vous portez-vous ? » lui lança-t-il, d’un ton amical qu’elle se pressa d’imiter pour le remercier et lui retourner la question. « Magnifiquement bien, ces temps heureux ne pouvaient mieux tomber, rien ne vaut une apparition de la Vierge pour acclamer un nouveau chapitre de notre clergé. 

— C’est d’ailleurs ce sujet qui m’amène devant vous. Que vous-ont dit les enfants à propos de l’apparition de Notre Sainte Dame ? » l’interrogea-t-elle sans attendre, tout en s’avançant devant l’évêque que ses deux invités venaient épauler silencieusement.

— Je ne les ai pas vus, ni interrogés. Mais je doute fortement que leur histoire soit vraie. 

— Vous pensez qu’ils mentent ? » s’étonna-t-elle sur un ton qui ne cachait pas le fait qu’elle croyait l’inverse, au grand amusement de l’Espagnol.

 

Pour Thiago, cette histoire n’était qu’un mélange de caprices d’enfants en mal d’attention et d’hallucinations collectives dues au LM - exactement la théorie que Maria avait déjà conclue.

D’ailleurs, c’était bien pour ces raisons qu’ils prétendaient garder de soi-disant secrets de la Sainte Vierge Marie, c’était pour tenir en haleine et faire entrer les fidèles dans leur récit. Pourtant, ce mensonge n’était pas un problème pour le Primat d’Espagne, il comptait même l’encourager comme il le confia à Alessia, les apparitions sont toujours une aubaine pour le clergé. Et la religieuse avait beau réfléchir, elle sentait qu’elle ne comprenait pas tout ce que Thiago essayait de lui dire, il n’avait aucune raison d’encourager un tel mensonge, elle devait mal le comprendre. J’espère réaliser ici un grand lieu de pèlerinage qui attirera des fidèles du monde entier, poursuivait-il, tandis que le visage d’Alessia se décomposait en entendant l’énoncé qu’il lui faisait, au sujet des richesses que cela génèrerait pour ce petit village rural comme pour l’ensemble de la Chrétienté, là est le vrai miracle. Visiblement, il n’y avait que la Florentine pour penser à Dieu ou à la Vérité, à tel point qu’elle ne savait plus quoi dire pour qualifier les outrages qu’elle entendait. C’était donc ainsi qu’il voyait l’apparition de la Sainte Vierge Marie, comme un heureux mensonge qui créerait de la richesse à partir de rien, un mensonge qu’il prétendait même truquer s’il le fallait.

Peut-être même qu’il n’a rejoint notre clergé que pour jouir d’une bonne place et de privilèges, en venait-elle à se demander, tandis qu’elle commençait à sermonner celui qu’elle avait cru pouvoir rallier à sa cause. Mais avec une telle mentalité, il ne faisait aucun doute que Thiago soit de ses opposants, voire de ses ennemis, l’un de ceux qui détournerait le Synode de son but originel, quels que soient les avertissements de Marco-Aurelio. D’autant plus qu’il était persuadé de la justesse de ses objectifs, ce n’était pas un obscurantisme niais comme celui d’Alessia qui ferait prospérer le clergé catholique dans les temps à venir, il fallait être réaliste et pragmatique. À ses yeux, le rôle de l’Église était avant tout social et moral plutôt que politique et divin, que ces apparitions soient vraies ou fausses n’avait aucune importance dans le fond, tant que les gens retenaient les bonnes morales. La croyance n’était qu’une croyance après tout …

Et la nuance avec Alessia était de taille, à tel point qu’elle finit par lui demander s’il avait foi en la Sainte Trinité, s’il était prêt à répéter ces paroles impies le jour du Jugement Dernier, lorsque son Seigneur reviendra ici-bas pour trier le vrai du faux et y accomplir son Royaume.

— Ah ! Parce que vous croyez vraiment au retour d’une sorte d’être métahybride décédé il y a bientôt deux millénaires, conçu entre une vierge cananéenne et un Dieu tout-puissant, né d’un vide absolu et antérieur à toutes matières ? » lui asséna-t-il d’une traite, avec un ton méprisant que même Maria ne se permettrait pas, au point d’en faire enrager Alessia, rendue à serrer sa robe de bonne sœur pour ne pas s’arracher le voile en entendant des choses pareilles.

— Bien sûr ! Sinon à quoi bon croire au message d’un Dieu qui n’existerait pas ? Que pouvez-vous bien raconter à vos fidèles ? Que vous êtes là pour accompagner leurs peurs et leurs espoirs, mais pas leurs âmes ni leurs quêtes de salut ?! Dieu ne retient aucune de leurs âmes dans sa divine emprise et qu’il n’y a que le vide hors de la vie qu’il nous confie ?! Que les justes sont des crédules impertinents et que les mauvais n’ont pas à craindre leur jugement ?! Que la Bible est un roman et Notre Seigneur un menteur ?! Ce qui est certain, c’est que vous êtes, au mieux, un menteur envers toutes les âmes que vous êtes censé guider, au pire, un charlatan et un parasite de la cause la plus noble qui soit ! Aucune de vos paroles n’a de valeur, vous êtes un serpent !

— Vous serez priée de changer de ton, ma sœur. Il serait dommage que je doive prendre des dispositions à votre encontre. » la menaça calmement, lassé de ce petit jeu et convaincu que cette future collègue était irrécupérable, lorsque la réponse d’Alessia fut coupée par l’ouverture soudaine de la porte laissée entrouverte.

— Ma sœur vous emmerde. Et sa sœur aussi. » lâcha Maria en s’avançant dans la pièce, l’air plus qu’énervée par les menaces qu’elle entendait contre Alessia, sans que ça ne fasse plus que faire sourire l’archevêque, tout comme ses deux invités, visiblement amusés par cette entrée – et absolument pas inquiets de ce scandale ridicule.

 

D’ailleurs, Thiago ne se démonta pas devant cette jeune femme qu’il reconnut immédiatement pour avoir sûrement déjà entendu parler d’elle en tant que chercheuse émérite, ou en tant que directrice de Solar Gleam France en Indochine.

En revanche, il ne s’attendait pas à la voir voler au secours de l’obscurantisme, bien qu’elle n’y voie aucun problème et qu’elle préfère lui demander comment il avait pu mettre la Florentine dans un état pareil. Mais comme Alessia l’asséna avant de partir d’un pas furieux, elle allait très bien, et elle ira encore mieux lorsque la Providence aura confirmé les dires de ces enfants. Pourtant, elle était si agacée qu’elle n’en ferma même pas la porte derrière elle, et descendit sans un mot jusqu’à ce que Maria ne finisse par la rattraper sur le parvis de l’église.

— Alors, ce confrère, qu’est-ce qu’il sait sur la version des enfants ? 

— Il ne les a même pas interrogés ! Il n’y croit pas, il ne croit pas tout court ! Nous, nous allons y aller sans perdre de temps, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. » répondit sèchement Alessia tandis que sa collègue était surtout étonnée de se retrouver d’office mêlée à ça, elle qui ne croyait à rien non plus. « Oui, tu vas m’aider à faire triompher la vérité ici, parce que je t’ai aidé pour tes stupides histoires de guerre ! » reprit-elle en se plongeant dans la réflexion de son plan, laissant tout juste à son amie le temps de s’étonner sur le sens de ses priorités.

 

Pourtant, même après plusieurs années à la fréquenter, Maria devait bien avouer qu’elle l’avait rarement vu aussi motivée, allant jusqu’à ordonner la suite des opérations à Jasper et ses compères – encore occupés à négocier cette histoire de draps avec des villageois.

Le groupe allait se rendre au hameau de berger dès maintenant, afin d’y arriver aux heures de repas où il aurait le plus de chance de rencontrer les petits bergers. Ensuite, elle gagnerait la confiance des enfants qui la conduiraient au lieu où s’est produite l’apparition, puis lui révèleraient les secrets de la Sainte Vierge Marie. Et pour y arriver, Alessia comptait sur une arme de choc, une petite fille adorable et légèrement plus vieille qu’eux, capable de rivaliser avec leurs croyances à eux : Anastasia. Quant à Maria, elle accepta le plan, en se contentant d’ajouter que sa cadette adorait jouer les espionnes et qu’une femme devait apprendre la roublardise. Presque aussitôt, ils se mirent donc en route pour le hameau des bergers, après que l’espionne eut accepté son devoir avec enthousiasme, non sans avoir d’abord contesté l’idée de voler un secret jusqu’à ce que sa sœur lui promette une nuit à la belle étoile. Ensuite, les deux sœurs prirent un malin plaisir à partager toutes sortes d’astuces pour mettre son interlocuteur au pied du mur avec les bonnes répliques, au bon moment et sur le bon ton de parole, à croire qu’elles tenaient ça de leurs parents. Et même Jasper finit par s’y mettre, suivi par Théo et Raphaël, si bien que le groupe en discutait encore lorsqu’ils aperçurent le village à l’horizon, dans une plaine étroite enserrée par des bocages clairsemés et des petits reliefs boisés, peuplé par les campagnards les plus modestes de Fatima. Ceux-ci vivaient alors dans de véritables taudis qu’ils partageaient souvent avec leurs bêtes, avec une simplicité toute paysanne qui enchantèrent Alessia comme la petite Anastasia.

Bien sûr, ils n’étaient pas les premiers à venir poser des questions, nombres de journalistes et de sceptiques venaient les importuner à toute heure, toujours pour remettre en cause les affirmations de leurs enfants. Néanmoins, si les parents se méfièrent d’emblée de Maria et son escorte, la religieuse et cette adorable adolescente surent trouver les mots pour les rassurer sur leurs intentions. D’ailleurs, la Florentine était clairement la plus agréable et respectable des inconnus qui étaient venus s’intéresser à cette histoire, et les parents acceptèrent qu’elle les interroge sur les apparitions – malgré leurs labeurs quotidiens. Mais avant cela, il fallait se plier aux règles de l’hospitalité et partager le repas de midi, au grand dam de Maria qui finit par s’en convaincre en se contentant de quelques aliments, soit tout l’inverse de sa collègue. Ainsi, ils purent rencontrer deux des trois petits bergers, une sœur et son frère, avant de rencontrer l’autre jeune fille qui avait été témoin de l’apparition, à l’issue du repas.

Et comme l’avaient supposé les dames du Conseil, Anastasia prit très vite l’ascendant sur les enfants qui l’acceptèrent très vite, malgré toutes les différences sociales ou linguistiques qui les séparaient. Elle n’était pas juste plus âgée ou radieuse de joie de vivre, elle était au courant de tant de choses que les 3 jeunes ne savaient pas, en plus d’être fascinée réciproquement par eux puisqu’elle était loin d’être aussi hautaine ou rationnelle que son aînée. Les trois enfants avaient beau avoir vu la Vierge, elle, elle avait une grande sœur aux expériences étranges, un singe qui parle et un mercenaire alsacien aux yeux très bizarres quand on les regardait de près – et qu’il forçait un peu sur son regard pour les faire rire. Bref, cela semblait faire son effet sur les gosses, surtout quand ils comprirent que cette religieuse étrangère venue les interroger croyait sincèrement aux apparitions, sans douter d’eux un seul moment. Sans compter que l’Italienne n’était pas n’importe quelle bonne sœur, elle savait comment se comporter avec les enfants, comment gagner leur admiration, surtout lorsqu’elle leur parla de la mission de vérité qu’elle poursuivait en mémoire de son très pieux professeur – en somme, elle-aussi œuvrait à la Vérité et au Grand Dessein de leur Dieu. Cependant, les secrets mariaux n’allaient pas être révélés si facilement, même s’ils acceptèrent volontiers de tout leur raconter en détail pendant qu’ils les guideraient au lieu de l’apparition.

Mais il fallait se méfier du prêtre noir ayant juré de s’y rendre, ce méchant qui posait des questions malines à tout le monde, tel qu’ils le décrivaient à une Anastasia qui comprenait presque sans mal leur patois portugais.

— S’il nous embête, je le dis à ma grande sœur !

— S’il m’embête, je lui donne deux gifles. Et je vais le dire à toute l’Europe. » conclut-elle, ce qui fit ricaner le reste du groupe, tandis qu’ils se mettaient en chemin vers ces collines de chênes et de pins.

 

Selon les enfants, l’endroit en question n’était qu’une petite grotte dans un sous-bois, en marge de la clairière où paissaient les bêtes dont ils avaient parfois la garde, à plusieurs dizaines de minutes du bourg et presque tout autant de leur hameau, rien qui ne soit particulièrement extraordinaire. En revanche, le récit qu’ils firent des apparitions, à Alessia, se montra bien différent de tout ce qu’elle avait pu entendre au travers des rumeurs ou des journaux. Et pour cause, ils étaient déjà en train de lui en révéler plus qu’à beaucoup d’autres, avec une liberté qu’ils ne pourraient même pas avoir avec leurs parents.

C’est ainsi qu’elle apprit que la première apparition remontait à deux ans, et qu’elle était très différente des suivantes. Un jour comme un autre, alors qu’ils avaient joué et prié ensemble près de la plaine où vaquaient les bêtes, un homme étrange apparut sur la petite hauteur face à la grotte. Vêtu d’une longue tunique grise, couronné par une luxuriante chevelure d’un noir abyssal aux boucles tombantes autour d’un visage pâle comme la neige, son apparence était si singulière et son élégance si marquante que les enfants s’en souvenaient comme si c’était arrivé ce matin. Bien qu’il soit loin de l’image que les enfants se faisaient d’un ange, il parla très sagement et amicalement, gagnant très vite la confiance leur confiance, allant même jusqu’à plaisanter ou jouer avec eux. Cependant, lorsqu’ils lui demandèrent son identité, il peina à se définir, jusqu’à finalement se nommer Ange du Portugal, puisqu’il était tombé non loin d’ici, il y a bien longtemps. Aussitôt, les petits bergers prirent peur, croyant qu’il s’agissait du Diable, et ce dernier eut beau s’essayer à les rassurer, il comprit vite que c’était peine perdue face à trois âmes si pieuses et innocentes. Alors il décida de partir, mais avant cela, il leur octroya une prédiction, ce qu’ils considérèrent comme leur premier secret, celui qu’ils livraient pour la première fois - à Alessia et Anastasia seulement, pendant que le reste de la troupe les suivait. Il leur conseilla de perdre toute foi en leur clergé et de guider les croyants vers un endroit reculé où la Providence les protègera de la tempête à venir. Selon ses propres dires, la société dans laquelle vivaient les enfants était corrompue, elle deviendrait semblable à une mer informe et immobile s’évaporant sous la chaleur d’un soleil ardent, si elle n’est pas engloutie dans une nuit perpétuellement ravivée.

Ensuite, il disparut en annonçant qu’il ne reviendrait plus, laissant ces derniers dans l’incompréhension, l’hésitation, à tel point qu’ils n’en reparlèrent qu’une ou deux fois entre eux, jusqu’à ce jour curieux. Puisque l’ange revint, un mois plus tard, il était même déjà dans la petite grotte quand ils y vinrent profiter de l’ombre et prier pour leurs troupeaux. Mais il tint un discours complètement opposé, il leur présenta ses excuses et leur dit de ne pas croire aux paroles immondes qu’il avait proférées. Il confessa qu’il était fou, que ses actes avaient causé énormément de mal et qu’il ne fallait certainement pas l’écouter ou lui accorder vénération, qu’ils devaient pieusement écouter leurs aînés et croire dans le Bon Dieu. D’ailleurs, il ajouta qu’il espérait ne plus jamais revoir les enfants par crainte de leur faire du mal, allant même jusqu’à les encourager à fuir en hurlant à l’aide s’ils venaient à l’apercevoir de nouveau.

Puis il s’éleva vers le ciel en dispersant progressivement de son opacité dans le vent, et ne revint plus jamais …

— Alors ce serait plutôt un ange ou un démon ? » demanda immédiatement Anastasia, pour que les enfants n’ajoutent qu’ils puissent également s’agir d’un prophète ou d’un corrupteur décrit dans le Livre qu’ils n’auraient pas reconnu.

— Honnêtement, je vois mal un démon se comporter ainsi, ni un ange, mais je ne vois pas de quel personnage biblique il pourrait s’agir … » leur confia-t-elle, pendant que sa collègue bouillait visiblement d’envie de donner sa version, celle que la Florentine se refusait à admettre.

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