CHAPITRE III – Ce chemin était un fleuve et cette forêt une jungle - Partie 7

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Après tout, il suffisait de voir la tristesse d’Alessia, la déception d’Arcturus ou la rage froide de Maria pour comprendre que les élèves n’étaient pas coupables de la mort de Maxime.

En plus, la situation était davantage à la vengeance qu’à la division tel qu’il le souligna auprès de ses compagnons. C’est donc sans plus tarder, et non sans menaces, que le groupe convainquit le pauvre artisan de les guider jusqu’aux alentours du repaire des bandits d’August, quitte à ce qu’il doive ramasser l’une des armes à feu des marins morts pour les accompagner. Seul Théodose resta en arrière pour protéger Alessia et Tyr à l’entrée de la grotte, pendant que les autres remontaient dans la forêt afin d’accomplir leur vengeance – ou leur plan. Ainsi, ils suivirent l’artisan jusqu’à une large baraque vieillie et isolée, coincée dans un creux en pan de montagnes, obscurcie par une végétation envahissante qui la rendait presque introuvable, tel un ancien relais ou sanctuaire dédié aux pèlerins.

Immédiatement, le groupe se positionna discrètement, Jasper et Maria d’un côté, Alessandre et Arcturus de l’autre, derrière les arbres pour observer la bâtisse silencieuse à seulement une dizaine de mètres devant eux.

— Vous savez sacrément bien porter un fusil. » ne put s’empêcher de commenter l’Alsacien, en voyant comment Maria se mouvait avec l’arme en main.

— Je préfère l’épée, ou le pistolet. Mais une noble doit apprendre à manier même les armes les plus vulgaires. » lui répondit-elle pour qu’il s’étonne de la voir considérer une arme comme plus vulgaire qu’une autre. « C’était une façon de parler. Finalement, c’est la meilleure arme qui l’emporte, pas forcément la plus belle, aussi triste que ce soit … » s’exaspéra-t-elle lorsqu’Arcturus les interrompit.

— Écoutez ! » leur chuchota-t-il vivement, en désignant les fines et vieilles cloisons de cette bâtisse d’un signe de la tête. « Il n’y a l’air d’y avoir personne. » ajouta-t-il, avant que Jasper ne remarque qu’Alessandre bouillait déjà d’impatience, et qu’il ne décide de repenser aux paroles de Maxime.

— Ça marche, mais on reste en alerte. Alessandre et moi en ouverture, Arcturus en appui et Maria surveille nos arrières, ça vous va ? » proposa-t-il, encore débutant dans l’art de donner des ordres, sans s’attendre à ce que sa future patronne ne corrige son plan : elle passait en appui et Arcturus s’occupait de leurs arrières.

 

Bien sûr, l’Anglais accepta volontiers de laisser sa place, pour que le jeune et nouveau chef des Francs de Saïgon donne enfin le signal du départ.

D’un pas feutré, chacun remplit ainsi son rôle jusqu’à l’entrée que les deux mercenaires cernèrent, avant que Jasper ne l’ouvre discrètement, sous la vigilance d’Alessandre et de Maria. Depuis le seuil, ils virent deux bandits autour d’une table, préparant tranquillement le corps d’une bête pour le repas tout en discutant calmement, visiblement persuadés que tous leurs camarades allaient revenir. Alors ils eurent à peine le temps de se retourner, quand les trois Français strièrent leurs jambes de balles sans hésiter un instant. Lorsque le groupe entra aussitôt pour se saisir des prisonniers, Jasper dut retenir Alessandre pour qu’il ne les massacre pas, et qu’ils puissent parler contre leur commanditaire. Heureusement, Maria sut comment le consoler, il pouvait toujours se satisfaire du spectacle de cette cabane en feu pour apaiser une part de sa douleur, tandis qu’il restait assis sur un tronc d’arbres, avec les yeux dans le tumulte des flammes et Jasper à ses côtés. Quant aux deux élèves, ils continuaient de conspirer à l’écart en interrogeant leurs captifs, sur tout ce qu’ils savaient d’August ou ce qu’il avait pu laisser derrière lui. Et avec tout ce qu’ils apprirent, le Pionnier Hollandais était fichu. D’autant plus que malgré toute l’influence qu’il pouvait avoir, l’Italie ou l’Internationale des Travailleurs avaient perdu leurs meilleurs esprits, il était donc fort probable que ce soit directement le premier ministre italien et le secrétariat général de l’OIT qui soutiennent cette action en justice – sans parler de leurs alliés.

Finalement, les élèves ne s’en sortirent pas si mal, mais rien n’était venu consoler Jasper et les siens …

— Pour nous, c’est plus qu’un mauvais souvenir … » en conclut-il devant Henri, compatissant à la fin tragique de ce récit, même s’il savait déjà qu’il n’était pas joyeux.

— C’est donc ainsi que vous êtes entrés au service de Maria … J’espère qu’elle est venue vous proposer de prendre en charge Tyr d’elle-même … » lui déclara-t-il, avant que Jasper ne lui détaille brièvement l’accord qu’elle était effectivement venue lui soumettre, près de cette cabane enflammée.

 

En résumé, elle lui promit de s’occuper de Tyr et de financer les obsèques de Maxime, s’ils acceptaient d’entrer à son service pour une bonne solde et un travail qui dépasserait rarement les limites de l’Europe – en somme, l’offre d’Arcturus en légèrement mieux.

Face à ça, en pensant aux deux compagnons qui lui restaient ou à l’espoir de revoir le troisième, Jasper oublia ses idéaux de mercenaire libre et décida de mettre ce qui restait des Cinq Francs de Saïgon au service de Maria – avec le consentement de ces derniers bien évidemment. Mais aujourd’hui encore, près de dix ans plus tard, l’Alsacien n’était pas sûr d’avoir fait le bon choix, même si Henri était là pour le lui assurer. Après tout, il y a encore de l’espoir pour Tyr, vous pouvez en croire l’oncle de son médecin, voulut-il le consoler, en ramenant son regard vers les deux trentenaires qui combattaient au milieu de la petite arène, sans parler de vos compagnons qui sont encore en vie, bien portants et souriants, ça n’aurait peut-être pas été le cas autrement.

Alors, Jasper finit par se remonter le moral, de reprendre foi en l’avenir, au moment précis où son plus grand espoir revenait dans la salle, d’un pas aussi serein que son visage était impassible, malgré l’annonce historique qu’elle allait faire.

— La France a déclaré la guerre à l’Allemagne. Entre autres. » déclara-t-elle sobrement, en s’avançant vers le canapé où Jasper sortait de ses souvenirs - mais pas aussi vivement qu’Henri.

— Co prosze ?! » s’exclama le vieux Polonais, interloqué, pour que sa nièce s’apprête à ajouter un bref exposé du cours des évènements : l’Angleterre a suivi et la Russie y est déjà, avec l’Autriche.

— Eh ben … Ravi de ne pas en être … » en conclut l’Alsacien, songeant aux milliers de jeunes hommes qui allaient découvrir l’épreuve du feu comme lui en son temps. Cependant, quelque chose au fond de lui savait déjà la réponse qu’il allait recevoir : Maria comptait bien en être, c’était le moment plus que jamais.

— L’Armée Française va avoir besoin du LM pour l’emporter face à l’Allemagne et son RFA. Je suis toute désignée pour prendre la tête des recherches en la matière et mener un Département de Médecine Nouvelle, ce serait stupide que je laisse cette opportunité me passer sous le nez. Sans compter que cela pourrait m’apporter beaucoup d’argent, de moyens ou de privilèges. Et je ne parle même pas du plaisir d’emmerder les Allemands. » résuma-t-elle avant que son oncle ne lui déconseille encore d’attirer la colère de ce RFA, sans succès. « Au contraire, j’aurais l’Armée et les services français pour me servir de bouclier, le RFA va lui aussi se concentrer sur la guerre et enfin cesser de m’ennuyer. De toute façon, c’est un risque à prendre, pour une opportunité en or de les détruire. Arcturus et Solar Gleam vont aussi participer à l’effort de guerre. Et je vais retourner voir ce cher général Gabriel dans les prochains jours. » reprit-elle sans le moindre doute, pendant que Jasper s’inquiétait maintenant de ce que sa patronne pourrait leur demander, puisqu’elle avait promis de ne jamais les envoyer participer à une offensive ou être enrôlé.

— Ça ne nous concerne pas particulièrement à nous, si ? » s’intrigua-t-il pour qu’elle le rassure aussitôt, elle agirait à l’écart comme d’habitude et toujours comme prévu, à croire qu’elle avait déjà tout anticipé. « Hm ! Jamais prise de court …

— Tu ne t’en rends compte qu’aujourd’hui ? » lui sourit-elle, pour qu’il ne l’imite en lui demandant si elle comptait reprendre l’entraînement. « Ce serait dommage de ne pas profiter d’autant de fines lames ! » lui avoua-t-elle en partant renfiler ses protections, tandis que Jasper saisissait le sabre de bois que venait lui tendre Théo – déjà bien fatigué et trop refroidi par la nouvelle de ce matin pour continuer l’entraînement.

— Utilise ta tête Jasper. Elle est peut-être plus intelligente, mais toi, tu es plus fourbe. » lui conseilla-t-il d’ailleurs très sincèrement, en s’affalant sur le velours du canapé qu’Henri abandonnait lui-aussi, non sans passer le pichet d’eau et un verre à l’Aquitain. Mais Jasper eut tout juste le temps de lui répondre un remerciement pour ce conseil assez particulier, qu’il comprit à quelle fine lame Maria faisait allusion.

— Bon, Japette, tu viens ?! » l’interpela Alessandre, à quelques mètres derrière lui, trépignant sur le sable de la petite arène que Maria traversait pour aller croiser le bois avec son oncle, dans des exercices d’escrime très académiques, au grand dam de l’Alsacien.

 

Pourquoi c’est contre toi que je me bats, se désespéra-t-il, en souriant tout de même à cette façon qu’elle avait de le mener en bateau, avant d’encaisser le style très nerveux de son camarade provençal - le tout sous les yeux de Théodose qui serrait son médaillon de bois. Quant à Marco-Aurelio, personne ne savait à quoi il rêvait inlassablement, bloqué comme Tyr dans ce coma artificiel du LM, peut-être en proie aux pensées délirantes qui avaient conduit Achille à l’asile dès son réveil au port de Marseille. D’ailleurs, personne n’était vraiment capable de dire si les effets que le LM avait eu sur le savant français se limitaient juste à sa santé mentale. Après tout, ils étaient quand même tombés dans un bassin, ils avaient dû communier avec la nappe …

En vérité, ce serait même triste qu’ils n’aient pas changés plus que ça, en venait parfois à reconnaître la Lune Pâle dans un élan de cynisme, pour ensuite se demander quelles vérités pourraient la rendre folle si elle tombait elle aussi dans un bassin. Ce devait être des révélations si grandioses, une forme d’élévation supérieure à tout ce qu’elle rêvait. Est-ce qu’elle en resterait humaine et consciente elle-aussi ?

D’ailleurs, à quoi ressemble leur coma, et dans quel état se réveillera son professeur italien si ce jour heureux venait à arriver ? Tout ça ne pouvait pas être sans conséquences …

 

« Ah ! Qu’est-ce-que – vous les voyez ?! Levez la tête ! Il y en a partout, ils sont tout, ils recouvrent tout ! Et c’est nous qu’ils regardent à travers le Voile ! Regardez comment ils le déchirent, c’est nous qu’ils veulent, on est tous seuls ! Si vous ne m’écoutez pas, nous n’en réchapperons pas ! Ils vont nous consumer, nous bouffer ! »

 

Achille, ses premiers mots à son réveil, sous les yeux incrédules de tout le port, sous un beau ciel bleu d’août 1871, Marseille.

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