Chapitre III

Point de vue : lui

J'ouvre des yeux qui me piquent, l'esprit tout engourdi et le visage mal réveillé. Je baille, la main devant la bouche. Une larme coule, je l'essuie. J'ai mal au dos, peut-être que j'ai pris une mauvaise position pendant que je dormais. C'est plutôt agréable de faire une coupure entre tous ces évènements.

J'ai fait un rêve étrange, pas très commun. Je ne m'en souviens pas très bien mais je suis presque sûr d'avoir vu une femme toute sale, les mains écorchées et les vêtements troués. Elle a étalé une substance noire sur un gars assez jeune je crois, et il a fait une sorte de crise cardiaque. Je ne sais pas qui il est, ni qui est cette femme. Je sais ce qu'elle a fait mais je me demande comment ça se peut. Une ou deux minutes s'écoulent. Mon téléphone vibre au fond de ma poche. Un nouveau message. Je le sors, de brefs coups d'œil dans la salle pour vérifier que personne ne me regarde. Le numéro est à dix chiffres mais reste inconnu, il n'est pas enregistré dans mon répertoire.

Le vieux est mort parce que tu as souhaité qu'il s'en aille. Je sais que tu étais là et je sais aussi ce que tu as vu. J'aurais besoin de toi dans le futur. A bientôt !

Je ne comprends pas ce qu'il se passe, pourquoi ce message m'est destiné. Je ne sais pas si ça a un rapport avec ce que je viens de rêver. Tout ça n'a pas de sens.

Un second message. N'aie pas d'inquiétude, tout va bien.

Cet expéditeur est dans l'église. Il me voit, décrypte mes expressions. Il a préparé son coup. Mais je ne vois personne qui pourrait avoir ce profil, qui a l'air de me fixer ou de s'intéresser à ma personne. J'aurais préféré la trouver directement, la tâche aurait été plus facile. J'aurai pu mettre un visage à ces deux messages même si je ne pense pas que ça me soit utile de toute manière. Je ne suis pas plus avancé qu'il y a quelques minutes auparavant. Je ne comprends pas. Le corps qui se raidit, le souffle qui s'écourte, se saccade. La cage thoracique qui se soulève, péniblement. Et puis les mains, qui tremblent un peu. Les yeux fermés, je tente de me calmer. Je respire lentement, doucement. Comment se fait-il qu'elle sache ce que j'ai rêvé et qu'elle me contacte comme ça ? Je ne suis pas sûr de pouvoir me rassurer tant que je ne trouverais aucune réponse rationnelle.

L'homme en blanc avait fini de parler quand j'ai levé les yeux de mon portable. Quatre hommes en noir assez baraqués posent le cercueil sur leur épaule. Le silence s'impose en chacun de nous. Seuls le bruit des pas et le son silencieux des larmes se font entendre. Les gens se lèvent. Lentement. Certains restent paralysés pendant quelques instants avant de reprendre leur route, d'autres sortent sans que leur corps ne dévie du chemin qu'ils ont en tête. Mamie s'éloigne, de plus en plus, emportant avec elle une petite part de moi, et ça bien malgré moi.

Comme si cette part de moi était morte avec elle. C'est maintenant que je pense aux derniers mots que j'ai pu lui dire, au sujet de notre dernière discussion. Je ne suis pas sûr de lui avoir dit au revoir mais je crois que oui. Enfin, j'espère que oui. Je l'espère profondément. Qu'elle garde un bon souvenir de moi, malgré tout.

Je ne crois pas en l'existence d'une vie après la mort. Mais ce dont je suis sûr, c'est que mamie sera toujours là, avec moi, en moi. Quelque part dans mon cœur. J'aimerais qu'elle garde une belle image de moi, pour qu'elle reste un peu plus longtemps avec moi. Je ne pense pas que ça change quelque chose mais je pars du principe que oui, pour me rassurer, en quelque sorte. Parfois, je me dis que je ne suis pas logique. Je m'ennuyais parce que je trouvais pas d'intérêt à penser à ma grand-mère que je n'ai presque pas connue, et là, je me surprends à me dire qu'elle me manque. Que finalement, elle compte pour moi, ma grand-mère.

Je rejoins mes parents dans le salon d'à côté. Des sacs, vestes et autres affaires posés en vrac sur les quelques fauteuils. Une table, une boîte de mouchoirs et de quoi les jeter. Une plante verte, une baie vitrée, des murs blancs. Rien d'autre. C'est simple, clair et efficace.

Les gens attendent leur tour dans le couloir. Ils entrent les uns après les autres pour nous enlacer de leurs bras et nous faire la bise comme pour nous donner du courage. Des gens me parlent, je ne les connais même pas. Enfin, je ne m'en souviens pas. Ils ne parlent que du temps où j'étais encore tout petit, quand j'apprenais encore à marcher et à parler. J'ai juste l'impression d'être là pour les écouter parler du passé, et de devoir les consoler une fois tous ces souvenirs remémorés. Puis ils s'en vont, peut-être le cœur un peu plus léger, d'en avoir parler à d'autres. Mais peut-être pas, au fond. Les voitures démarrent et sortent du parking, elles partent on ne sait où.

Il n'empêche que ça ne doit pas être drôle de travailler tous les jours dans des pompes funèbres. De voir des gens qui pleurent à longueur de journée, d'aider et d'accompagner les proches dans leurs choix de cercueils et de cérémonies. J'aimerais savoir ce qui les pousse à exercer ce métier, le pourquoi du comment. A quel moment ils ont su, comment l'idée leur est venue. S'ils sont heureux quand ils se lèvent le matin avant d'aller bosser, les études qu'il faut faire. S'il y en a du moins.

Je ne sais pas si ça me plairait de faire ça. Je ne pense pas, ça semble beaucoup trop monotone. Faire toujours la même chose et voir ces visages rongés par la tristesse ne me donne aucune envie de faire ce genre de métier.

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sifriane
Posté le 26/01/2022
Re,
L'alternance des pdv donne un bon rythme, c'est agréable.
Ici, le côté fantastique de l'histoire prend vraiment le dessus, hâte de voir ce que tu nous réserves.
Pour ma part, je me dis qu'Andrew ne réagit pas vraiment parce qu'il est est un peu sonné par les évènements et qu'il ne réalise pas ce qui se passe (le décès et les sms)
A bientôt
InTheKiosk
Posté le 05/02/2022
Contente de voir que le rythme te plaît ;)
Eh bien j'espère que la suite ne va pas te déplaire !
C'est vrai que ça se tient...donc ça ne te "dérange" pas qu'il ne paraisse pas étonné face aux sms (si j'ai bien compris, tu fais référence aux précédents commentaires) ?
Merci encore !
Benebooks
Posté le 19/01/2022
Bonjour !
Je rejoins l'avis de Jonesy, ton héros n'a pas l'air plus étonné que cela de recevoir des messages faisant référence à ses rêves ! Il hausse des épaules et aussitôt vu aussitôt oublié
A part ça, j'aime ton écriture, et je suis intriguée par ces deux derniers chapitres (dans le deux, je me suis imaginée la femme comme la Faucheuse, je ne sais pas pourquoi, en tout cas, l'ambiance et sa description étaient prenantes )
InTheKiosk
Posté le 19/01/2022
Bonjour !
Oui, on est d'accord pour le manque de réaction de la part d'Andrew (je note ça pour la réécriture).
Merci beaucoup ! Je suis contente de voir que ça t'intrigue (le prochain chapitre devrait te donner quelques réponses concernant la femme, et je suis très heureuse de voir que l'ambiance et la description te plaisent) !
Merci pour tes commentaires !
Edouard PArle
Posté le 12/01/2022
Coucou !
Je suis d'accord avec Jonesy, le contraste entre elle et lui est brutal et intrigant. Comment vas-tu les lier ?
Ceci dit, il y a aussi beaucoup d'inconnues dans ce chapitre, les messages reçus par le narrateur sont étranges et mystérieux. Je me demande d'où ils viennent.
L'enterrement est toujours très bien décrit, rien à dire là-dessus.
Quelques remarques :
"Je baille," -> je bâille
"un rêve étrange, pas très commun." le pas très commun est-il utile ? (déjà étrange)
"d'en avoir parler" -> parlé
Un plaisir,
A bientôt !
InTheKiosk
Posté le 13/01/2022
Coucou !
Je suis contente que le contraste sonne bien !
C'est fait exprès (j'espère que le fait qu'il y ait beaucoup d'inconnues ne dérange pas trop).
Merci ! Je te remercie aussi pour tes remarques !
Ah bah pour le coup ça me fait super plaisir aussi !
A bientôt !
Edouard PArle
Posté le 13/01/2022
Pour les inconnues ça n'est pas dérangeant si on a peu à peu des réponses, pour l'instant on n'est qu'au début donc tout va bien.
InTheKiosk
Posté le 13/01/2022
Ok, merci ! Tu me rassures !
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