CHAPITRE II - Ronces et lierres des mangeurs d’étoiles - Maria - Partie 3

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Dans la foulée, grâce aux sens augmentés des mercenaires et aux conseils d’Henri, les premiers indices commencèrent à s’empiler en fusant de tous les côtés.

Ici et là, Alessandre et Théodose trouvèrent des touffes de poils, d’autres morceaux de tissus ou des traces de sang récentes, il était clair que les voleurs et les vigiles de Maria s’étaient battus ici. Cependant, comme l’Aquitain l’avoua lui-même, ces fragments de poils étaient troublants, ils ne semblaient provenir ni d’un cheval ni d’un homme, tout comme les empreintes que Jasper découvrait de son côté – après avoir justement trouvé une piste de sabots. A une grosse dizaine de mètres du sentier, la végétation laissait place à un petit espace tapissé de feuilles mortes et de boue durcie, dans lequel s’était gravé des traces de pas curieuses, à mi-chemin entre un pied et une main, avec une paume et ses cinq orteils clairement identifiables. Bien entendu, il supposa immédiatement qu’il puisse s’agir d’un primate, mais elles étaient bien trop larges et appuyées pour être celles du petit singe de Maria. La piste continue droit vers Théo et les bouts de fourrure bizarres qu’il a trouvé, réalisa-t-il en se redressant pour appeler Henri tout en jetant un coup d’œil d’ensemble, et distinguer de nouveaux détails des plus inquiétants, elles alternent entre des passages à deux et quatre pattes. Pour Jasper, il apparaissait clair que ses craintes sur le LM avaient fini par se réaliser, qu’un des espions avaient muté en une bête qui aurait laissé ses empreintes simiesques, sûrement dans un geste désespéré de commettre leur attentat.

Alors quand le vieux Polonais accourut vers lui, il ne perdit pas une seconde pour lui livrer ses conclusions et ses théories, ce qui ne manqua pas de faire soupirer ce dernier, totalement incrédule. Et c’est à ce moment que la voix de Maria résonna au travers des bois.

— C’est lui ! » leur cria-t-elle en courant jusqu’à un arbre presque déraciné, au point que ses racines sortaient suffisamment de la terre pour border un cadavre décapité, gisant sous la grande griffure qui faillit arracher cet arbre.

— C’est l’un des nôtres ? » confia Théo en arrivant devant ce spectacle sordide, tandis qu’Alessandre restait bouche-bée face à cela.

— C’est votre singe qu’a fait ça ?! » s’étonnait-il, sans que Maria ne lui réponde tant elle était affairée à son étude des lieux, et tant elle ne se sentait pas l’envie d’enfoncer des portes ouvertes.

 

Après tout, il n’y a pas besoin d’être une lumière pour comprendre ce qu’il s’est passé ici, s’agaçait-elle intérieurement, avant de confirmer qu’il s’agissait d’un espion tué par son singe qui ne devait plus être bien loin.

Ainsi, Jasper réalisa enfin le sens des paroles de Maria, pendant qu’Henri découvrait ce qu’était concrètement la mutation sévère d’un être vivant par le LM. Et, pire encore, la mutation était loin d’être terminée pour ce petit corps terrifié encore si malléable, comme elle l’annonçait lorsqu’un coup de feu transperça brutalement le silence des bois. Alessandre eut alors tout juste le temps de s’exclamer en désignant la direction du bruit, quand des éclats de voix humaine y retentirent. Sans perdre une seconde, le groupe remonta donc en selle et fila droit vers des hurlements bestiaux qu’ils entendaient maintenant, des cris stridents résonnant comme celui d’aucun autre animal, grésillant et saturant presque comme un son artificiel tant les cordes vocales semblaient souffrir en le libérant. Jasper n’avait jamais entendu quelque chose comme ça, même les barrissements de rage des éléphants qu’il avait pu voir en Indochine l’avaient moins impressionné, cela lui évoquait presque les pleurs d’un bébé, en tellement plus intense que ça n’avait plus grand-chose à voir. C’était glaçant. Pourtant, ça n’empêchait pas Maria de chevaucher en tête de cortège, filant au travers de la forêt, poussant Serment dans ses derniers retranchements, au mépris de la mort qui les attendait en cas de chute à cette vitesse. Et la troupe fendit les bois si vite qu’elle put arriver à temps, pour assister au dénouement de cette première course poursuite …

Entre les arbres, drapés par la pénombre, une immense silhouette monstrueuse tenait un homme par le bassin au-dessus d’elle, avec une poigne si grande qu’elle écrasait sa victime dans toute sa largeur, si puissante que sa proie ne paraissait être qu’un chiffon. Puis, lorsque le regard d’émeraude de Maria croisa les deux iris orangés et balafrés de son singe difforme, il hurla de plus bel. D’un coup, il sépara sa victime en deux parts qu’il écrasa aussitôt sur le sol, pour ensuite attraper le cheval gisant agonisant à ses pieds et le jeter sur les cavaliers venus l’interrompre. Jasper eut alors tout juste le temps de comprendre qu’il s’agissait de son pauvre Sursis, encore tombé au combat, avant qu’Étoile ne le tire de ce mauvais pas dans un bond instinctif, si vif qu’il sentit simplement le sabot de son cheval mort lui ôter son chapeau.

Heureusement, la Française du Conseil restait fidèle à elle-même, elle épaulait déjà son fusil, en exhortant Henri de viser en direction du regard balafré qu’il voyait briller dans l’obscurité d’une lueur malsaine. Mais c’est à cet instant qu’une balle jaillit non loin de la Bête pour lui transpercer les flancs par surprise, la faisant sursauter de stupeur. Et, dans la foulée, ébranlée par les coups de feu explosant tout autour d’elle, elle prit peur et fila à toute vitesse, ne laissant qu’une voix fébrile s’élever de son massacre.

— L’un des nôtres est encore vivant ! » lança donc Théodose en galopant sans attendre vers la voix agonisante pour qu’une autre lui réponde, plus sèchement.

— Ne perdez pas de temps ! Elle ne doit pas s’échapper ! Allez ! » ordonna Maria, sans même accorder un regard à l’Aquitain ou à son blessé, ni même aux restes ensanglantés du second vigile que Serment piétinait dans sa charge implacable.

 

Alors, bien que Théo s’apprêtât à la remettre à sa place pour une fois, à lui dire qu’il n’abandonnerait pas un compagnon même s’il ne le connaissait pas depuis plus de six mois, il vit Jasper filer sans broncher dans le sillage de sa patronne en épaulant son fusil pour se préparer à exécuter les ordres. Et bien évidemment, il vit également Alessandre pousser Fureur dans ses plus grandes courses pour participer à cette chasse si glorieuse, si excitante et digne d’une légende, au grand désarroi de l’Aquitain qui se retrouvait partagé entre ses amis et sa morale. Je m’occupe de lui, file, entendit-il Henri lui confier, avant que sa jument ne reçoive une soudaine tape sur la croupe qui la fit s’élancer, jusqu’à ce que Théo puisse reprendre les rênes, soulagé – mais toujours agacé par l’entêtement de Maria.

D’autant plus que leurs chevaux augmentés rattrapèrent rapidement la Bête, beaucoup trop maladroite et hésitante pour se diriger dans cette forêt, beaucoup trop grosse et brutale pour s’accrocher aux branches qu’elle arrachait lorsqu’elle s’y risquait dans sa fuite désespérée. C’est vraiment le petit cobaye de Maria, il se comporte comme un enfant, s’étonnait Jasper en s’approchant toujours plus de cette silhouette difforme, partagé entre le dégoût et la compassion tandis qu’il épaulait son fusil. Puis, comme si elle voulait répondre aux pensées du chasseur, la Bête changea brusquement de direction pour rejoindre un sentier plus large, et apparaître clairement aux yeux de celui qui la mettait en joue. Le petit singe avait effectivement plus que sacrément grandi, il faisait désormais la taille d’un grand ours, et ne pouvaient plus de déplacer à la manière d’un grand primate puisque, ses pattes arrière avaient poussé au point de le contraindre à une course plus proche du sol. Ainsi, sa posture évoquait davantage celle d’un mélange entre un mandrill et un chien, avec des talons formant comme de nouveaux genoux, protégés par des membres aussi puissants que les bras qui le portaient vers l’avant. D’ailleurs, son pelage ras avait également changé en une ample fourrure, si longue qu’elle l’aurait recouvert d’un blanc éclatant si elle n’était pas maculée de sang, et baignée d’une lueur malsaine. Dans tout le corps du singe mutant, il n’y avait plus une veine qui ne crépitait pas sous l’énergie du LM, qui ne ressortait pas jusqu’à parfois écarter ses beaux poils, qui ne crachait pas cette fine brume colorée si typique des échos de la molécule qui l’avait modelé. C’était un monstre, bien plus lourd que les chevaux de guerre lancés à sa poursuite, capable de les démembrer avec la même facilité qu’il avait divisé sa dernière victime, prêt à résister aux déluges de balles sans vaciller. Pourtant, il ne cessait de jeter des regards derrière lui, toujours à destination de Maria, comme le remarqua Jasper, en revenant à hauteur de cette dernière, et à bonne distance de tir. Il a peur d’elle, il doit la voir comme la dominante de sa mère, comprenait-il à force de s’interroger sur le degré de conscience du prétendu monstre qu’il chassait, jusqu’à hésiter le doigt sur la gâchette ne serait-ce pas mieux de le blesser ou de le coincer quelque part ?

Après tout, le petit singe avait peut-être tué les deux vigiles comme les deux espions du RFA, mais il n’était responsable de rien de ce qui se passait ce soir, il en était visiblement le premier à en être terrorisé.

— N’hésite pas, Jasper, tire ! » s’emporta Maria en remarquant son hésitation, ou le fait qu’Alessandre comme Théo n’avaient pas tiré non plus. « Visez sa tête ! »

 

Cependant, ni Jasper ni ses compagnons n’étaient particulièrement entraînés au tir à cheval sur ce genre de proie, en pleine course et en pleine pénombre malgré les efforts de leur fabuleuse thérapie. D’autant plus que la morphologie de la créature n’aidait pas, elle protégeait naturellement sa petite tête derrière d’épais trapèzes dressés sur de hautes épaules, sans parler de la fourrure luxuriante qui s’y balançait au rythme de sa course. Bref, réussir à toucher son crâne relevait de l’exploit, et cette situation délicate ne manquait pas d’agacer profondément Alessandre, surtout lorsqu’il vit son compagnon du sud-ouest revenir à sa hauteur, avec son fusil simplement dans ses mains. T’essaie même pas, s’étonna le Provençal d’un air presque indigné, pour que Théodose lui désigne Jasper, tout juste sur le point de tirer une balle qui fila droit dans l’échine de la Bête lancée en pleine course. Seulement ce n’est pas ce que Maria avait ordonné, et tout le groupe paya immédiatement l’erreur de Jasper, quand la chute du grand singe les força à freiner des quatre fers pour ne pas se retrouver entraînés dans son tonneau. Et l’Alsacien dut même freiner au point d’en tomber de sa jument, fuyant aussitôt vers sa maîtresse en abandonnant son cavalier …

Poussé par l’adrénaline et le LM, il se releva du choc sans perdre une seconde, mais se retrouva ainsi face à la Bête qui se redressait elle-aussi, qui se résolvait enfin à l’affrontement. Pour paraître plus menaçante, celle-ci se cabra alors sur ses pattes arrière, prouvant par la même occasion qu’elle était presque aussi large que haute, surtout lorsqu’elle déployait ses bras d’où pendaient de longues mèches de cheveux. Mais ce qui attira immédiatement le regard de Jasper, c’était bien l’horrible gueule du singe déformé, plus encore que son torse strié de veines scintillantes et boursouflées. S’il avait une gueule plus allongée, plus proche de celle d’un prédateur carnivore, elle paraissait également inachevée, tant sa mâchoire inférieure était en retrait, tant sa langue dépassait pour pendre depuis ses crocs trop grands pour qu’il puisse fermer sa gueule. A l’inverse, sa boite crânienne semblait avoir rétrécie, le LM ayant jugé plus opportun de développer d’autres parties de son hôte, comme les longues griffes rétractables qu’il fit jaillir en fixant Jasper, tandis qu’il s’empressait de sortir lui-aussi ses armes. Malheureusement, ce n’est pas son sabre de cavalerie ni son revolver qui allait dissuader la Bête, ni l’empêcher de faire un pas ferme vers lui, accompagné d’un rugissement de rage plus terrible que celui d’un grand lion. Le cri du singe mutant était alors si fort qu’il faisait trembler le sol à ses pieds, si aigu qu’il faisait vaciller le chasseur ainsi touché de plein fouet.

Pourtant, même s’il plia des genoux sous le choc, s’il baissa le regard sous la douleur, s’il se sentit partir sous ce cri effroyable, Jasper ne céda pas. Au contraire, c’est avant la fin du rugissement qu’il se redressa, porté par cette passion dévorante qui résonnait dans son esprit et dans son corps, comme si elle répondait à celle du prédateur mutant. Ainsi, malgré toute la peur et le dégoût qu’il lui inspirait, le Chasseur trouva non seulement le courage de lui faire face, mais également celui de le faire taire. Mais s’il visa juste, Jasper eut le malheur de voir la Bête sauver sa tête dans un geste instinctif, si bien que c’est dans l’un de ses grands trapèzes qu’alla se planter la balle de son revolver – au grand agacement de Maria.

— Ne l’excitez pas pour rien ! » s’énerva-t-elle tout en bondissant de son cheval, comme si cette information se devait d’être connue par tous, comme si c’était naturel et logique. « Il faut le tuer net ! C’est un mutant bande d’imbéciles ! »

— Alors faites un truc bordel ! » lui répliqua-t-il, sans lâcher du regard le monstre qu’il venait visiblement d’enrager.

 

Les appuis de la bête s’étaient alors si fermement assurés qu’ils s’enfonçaient dans la terre, prêt à le propulser pour une charge tout aussi brutale que celle qui n’avait laissé qu’un corps décapité et un arbre déraciné derrière elle. Clairement, vu la distance qui nous sépare, j’aurais qu’une seconde pour échapper à ça, s’inquiétait Jasper en resserrant sa poigne sur ses armes, en fixant le cauchemar qui se courbait sous ses yeux, à l’affût du moindre mouvement qui viendrait sonner le glas de sa vie. Si je réussis à l’éviter, Alessandre et Théo pourront en profiter et le tour sera joué, se résuma-t-il intérieurement, en prenant une dernière inspiration pour chasser son appréhension, pour ne garder plus que sa concentration dans cet instant si crucial, lorsqu’une silhouette surgit sur les flancs de la bête, sabre au clair.

Et sans hésiter d’un pas, Maria vint sectionner un tendon des pattes arrière du singe, avec force et précision. Bien sûr, il se retourna d’instinct pour lui asséner un coup de griffe rageur, seulement il suffit d’un mouvement pour qu’elle passe dessous, et qu’elle s’ouvre une fenêtre de tir à bout portant sur sa tête. Ensuite, d’une balle de son revolver, elle conclut son enchaînement magistral en arrachant une oreille à son cobaye qui en vacilla dans un hurlement de douleur, sous les regards admiratifs de Jasper. Bien joué, lui lança-t-il en accourant auprès de sa maîtresse pour lui prêter main-forte, tandis que leur proie se remettait immédiatement en fuite, terrorisée par Maria. Mais le monstre ne fit pas une vingtaine de mètres, avant d’être à nouveau transpercé par des tirs qui lui firent perdre l’équilibre en pleine course. Arrêtez de tirer comme des crétins, tuez-le, cria-t-elle aux deux compagnons de Jasper par-dessus le vacarme des coups de feu, en s’élançant elle-même à sa poursuite au travers des arbres et de la nuit. C’est pas une femme, elle, elle est complètement tarée, s’étonnait l’Alsacien en la voyant courir derrière cet énorme monstre parti en tonneau, sans rien de plus que son joli sabre d’officier et son 12mm ouvragé, elle va se faire buter à ce rythme-là. D’autant plus que c’est à cet instant que le singe mutant décida de jouer son va-tout, en faisant volte-face pour charger ses poursuivants dès qu’il put reprendre appui sur le sol, droit sur sa maîtresse et l’homme qui la suivait.

Heureusement, Maria comme Jasper évitèrent sa course, en se jetant hors de sa trajectoire dans un réflexe de survie que seule leur thérapie permettait, mais cela n’empêcha pas la bête de continuer jusqu’aux deux compagnons de Jasper, gênés par le duo de tête. Ni Théo, ni Alessandre n’étaient donc prêts à riposter ni à esquiver, ils étaient trop occupés à dégainer leurs armes pour réagir à la demi-tonne fonçant sur eux. Alors Jasper n’entendit qu’un coup de feu, ne vit qu’une brusque giclée de sang jaillir de la tête du monstre, avant de les voir disparaître dans la chute de ce dernier. Légèrement à l’écart, Théo fut fauché à hauteur de torse par l’un des bras du grand singe mutant, pendant qu’Alessandre encaissait le choc de plein fouet, sous les regards paniqués de l’Alsacien. Et, dans la seconde qui suivit, ses deux plus chers amis gisaient inertes, l’un foudroyé, dos contre le sol, l’autre englouti par cette carcasse difforme, au pied d’un grand chêne.

Aussitôt, il se précipita vers cet arbre en espérant y retrouver son camarade provençal, en priant pour qu’il n’ait que mal-vu le choc, ou qu’il puisse l’aider d’une quelconque manière. Malheureusement, il eut beau faire plusieurs fois le tour du cadavre, il n’y trouva que le silence, il ne restait plus rien de ses amis, jusqu’à ce que la voix de Maria ne l’interrompe. Relève-toi Théo, nous avons besoin de toi, dit-elle en l’aidant à se relever, sous les airs stupéfaits de Jasper, déjà certain qu’il avait été tué net. Pourtant, bien qu’il ait donné l’air d’être assommé sur le coup, il avait déjà repris ses esprits, porté par cette même envie qui avait animé l’Alsacien lors de son face-à-face avec le monstre. D’ailleurs, le LM crépitait encore avec tant d’intensité en Théodose qu’il pouvait même accourir auprès de son compagnon, pour l’aider à libérer ce qu’il restait de leur ami. Car tandis qu’ils cherchaient prise sur la bête avec l’aide de Maria, il n’y avait toujours pas un son, hormis leurs deux voix, se répétant inlassablement que ce n’est pas possible, pas ce soir, pas à notre âge …

Et c’est alors que trois coups de feu successifs résonnèrent dans la forêt, jaillissant du grand singe duquel tous s’éloignèrent d’un seul bond.

— V’nez m’aider bande de connards !! » s’époumonait Alessandre, sous cette masse de chairs et de poils qu’il arrivait presque à soulever grâce à son excitation dû au LM, et sous les sourires de ses camarades dont les regards se croisèrent immédiatement.

 

Finalement, s’il avait bien effectivement reçu la charge, il avait été miraculeusement sauvé par les racines du grand chêne, qui paraissaient retenir d’une manière ou d’une autre la carcasse – et lui permettre de continuer à respirer. A vrai dire, il était même si bien logé qu’il fallut une petite minute et l’arrivée d’Henri, avant que le Provençal ne puisse enfin retrouver la liberté, avec quelques os de cassés. Néanmoins, ils pouvaient doublement tous se réjouir, il n’était pas assez amoché pour que les soins de Maria ne puissent le remettre sur pieds dans les prochains jours.

Mais pour l’heure, elle avait une autre priorité qu’ausculter ses serviteurs, même lorsque Jasper le lui demanda. A la place, elle se dirigea vers le cadavre de son singe d’un pas résolu, pour lui planter son sabre dans la nuque sans un mot, avant de le décapiter, non sans devoir tirer de son autre main pour bien décrocher la tête de sa victime – sous les yeux surpris des autres qui se demandaient si tout allait bien dans la sienne, y compris son oncle.

— Il faut séparer sa tête, par précaution » se justifia-t-elle platement, en laissant celle-ci rouler au sol, dans un silence pesant.

— De toute façon, j’l’ai percé au cœur avec mon sabre, et Théo en pleine gueule avec son flingue, il pouvait plus se relever après ça ! » lâcha simplement Alessandre d’un air enjoué, pour que Maria se contente de lui sourire poliment, puis ne commence enfin à l’ausculter.

 

Car le Provençal avait beau fanfaronner comme toujours, et plus encore parce qu’il ne sentait pas la douleur, c’est à peine s’il pouvait tenir sur ses deux jambes sans l’aide de ses compagnons. Il vaut mieux que tu le conduises près de l’autre blessé, conseilla donc Henri à sa nièce, en ajoutant qu’il avait déjà injecté l’un des remèdes qu’elle lui avait confié - ainsi qu’à chacun de ses quatre mercenaires. Cependant, il ignorait si cela avait suffi à soigner le vigile grièvement blessé, même si le vieil aventurier avait fait tout ce qu’il avait pu, quitte à user de ses propres vêtements pour protéger les plaies du froid de cette nuit. La seule chose dont il était certain, c’est qu’il était en vie lorsqu’il l’avait quitté pour rejoindre la fusillade. Alors sans perdre un instant, Maria prit la décision de laisser à son oncle la fin de cette chasse, pendant qu’elle retournait s’occuper de son dernier vigile en emportant Alessandre avec elle.

Heureusement, les ordres qu’elle confia à Henri n’étaient pas compliqués, cela se résumait à préparer un bûcher pour ce cobaye mutant, puis attendre qu’elle revienne y collecter des échantillons avant d’y mettre le feu. En bref, pour le vieux polonais, c’était une formalité de préparer tout ça, il aurait suffi de remplacer l’autopsie par l’oraison funèbre pour qu’il redevienne nostalgique de ses camarades tombés pour la patrie. C’était même un moyen de distraire ses pensées après toute cette soirée, mais pour les deux Français, il était difficile d’amasser le bon bois sans débattre de tout ce qu’ils venaient de vivre. Pourtant, ce n’est ni le choc d’avoir vu ce monstre ni le soulagement d’en avoir triomphé qui les occupaient, c’étaient bien les doutes qui subsistaient encore autour de sa très courte et intense existence, ainsi que de l’imposant cadavre qu’il avait laissé. Comment il a pu grossir comme ça en si peu de temps, bordel, c’est plus de la science tout ça, c’est de la magie, s’agaçait Jasper en cherchant une réponse logique à tout ça, pour que son camarade en vienne même à demander si c’était une bonne idée d’étudier une molécule si puissante. L’Alsacien essaya bien d’interroger Henri, en supposant qu’il serait plus au fait des recherches de sa nièce, mais il n’en savait pas plus qu’eux, et se contentait de s’en remettre à la sagesse et la justesse de Maria. Il faudra plus que nous six pour protéger tout le pays d’un tel danger, pourquoi personne n’en parle dans les journaux, insista Théodose en continuant de ramasser le bois qu’il tendait ensuite à Jasper, soudainement plongé dans ses pensées à l’écoute de ses mots. Après tout, même s’il pouvait compter sur le RFA pour veiller sur son Alsace natale, le reste du monde était encore très ignorant en matière de prévention de la mutation, sans même parler de la répression comme celle qu’il venait de conduire ce soir.

Vous vous inquiétez pour rien, c’est un cas unique, ça ne saurait arriver en pleine ville sans l’action d’un mauvais souverain, leur assura pourtant le vieil homme, avant d’ajouter qu’ils n’étaient pas seuls dans cette lutte puisque Semper Peace, la société de sécurité de Solar Gleam, était précisément dédié à ce genre de mission. Et pour conclure comme sa nièce l’aurait fait, il leur rappela tous les bienfaits incommensurables du LM, ou le fait qu’aucun progrès n’était sans danger. De toute façon, où que cela mène, nous avons juré de la servir le temps de notre serment, se contenta de rappeler Théodose à son ami, d’un ton solennel, tandis que Jasper avait déjà perdu toute attention à la discussion, Maria était revenue. Malheureusement, dès qu’il esquissa quelques pas vers elle, il s’aperçut immédiatement de son air maussade, de la seule présence d’Alessandre à ses côtés, et de la charge qu’Étoile semblait traîner derrière elle.

— Elle a pas pu le sauver, il a perdu trop d’sang. » lâcha le Provençal à ses deux compagnons, pendant que Maria filait directement vers le cadavre du singe sans accorder la moindre attention à quiconque.

— C’est dommage que nous ne soyons pas arrivés plus tôt, nous aurions dû être plus rapide … » regretta sincèrement Théo, avant que Jasper n’essaie de réchauffer un peu l’ambiance de cette soirée gâchée.

— Nous avons réussi le principal, il n’y aura pas plus de victimes ce soir. » voulut-il tenter, en se tournant pour croiser le regard perçant de sa patronne, visiblement agacée.

— Le principal sera fait quand nous aurons effacé toutes les traces, et que le RFA aura payé. » résuma-t-elle en commençant son autopsie de la bête, gisant encore près du brasier que ses serviteurs finalisaient.

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