CHAPITRE II - Ronces et lierres des mangeurs d’étoiles - Alessia - Partie 2

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Si Alessia n’intervenait pas pour plaider la cause de son cousin, c’était parce que son regard s’était laissé attirer par autre chose : d’étranges filaments de brume colorés qui semblaient apparaître un peu partout sur la place, filant ensuite vers les ruelles alentours, jusqu’à ce qu’elle n’arrive plus à les discerner dans la foule multicolore du Carnaval.

D’ailleurs, au fur et à mesure que le soleil se couchait sur la Sérénissime, ces petits fils de fumées apparaissaient de plus en plus nettement, à trois mètres du sol pour les plus faibles, larges d’environ 30 ou 50 centimètres de diamètre et aussi longs que le regard d’Alessia pouvait le voir. Elle n’était peut-être qu’au premier étage d’un haut restaurant de la place, elle ne voyait pas une rue qui ne commençait à se laisser éclairer par ces filaments de brume au teint parfois rosé voire violacé. Il y en avait même un qui se formait à quelques mètres du balcon où elle dînait avec sa famille, à hauteur de table, si près que la Florentine se demandait si Solar Gleam savait ce qu’il faisait.

À priori, ce n’était pas plus mauvais pour le corps que de respirer une bouffée de fumée, mais ça n’en est pas moins imprudent de jouer ainsi avec les passions des gens.

— Alessia ? Tu écoutes ? » finit par demander Catarina en la voyant perdue dans ses rêveries - en regardant le ciel comme Maria et William le faisaient si souvent.

— Euh – Oui, oui. Enfin, non pour être honnête. Qu’est-ce que c’est que cette fine brume rougeâtre qui fait des filaments ? » avoua-t-elle en se tournant vers Massimo, à priori l’un des mieux renseignés sur ce que Solar Gleam préparait ici.

— Si je te le disais, je gâcherais toute la surprise ! » s’amusa Massimo, avec cet air tranquille et déjà libéré de la pression de sa mère, alors que Léonardo flairait l’occasion de se sortir de cette discussion.

— Allons, Alessia, tu dois bien reconnaître cette brume, non ? » lui lança son inventeur de cousin en attrapant la salière pour faire tomber du sel dans sa paume, sous les regards curieux des autres – même si elle avait déjà compris ce que c’était et le demandait plus par politesse.

 

Ce n’était pas tant pour lui montrer qu’il s’agissait bel et bien d’échos de LM qu’il versait un peu de sel dans le creux de sa main, que pour éblouir sa mère d’un petit tour de chimie qui l’avait toujours amusé.

Lorsque la Religieuse eut lâché la bonne réponse, il dispersa le sel d’un grand geste du bras sur le filament écarlate qui serpentait non loin. Et dès que les grains le touchèrent, le filament se contracta brusquement, en adoptant une teinte vive et opaque sur un segment d’une dizaine de mètres, sous les regards stupéfaits de tous, et surtout des gens attablés en bas qui sentirent un éclat rouge se refléter soudainement. Pourtant, aucun grain de sel ne retomba sur eux, ils avaient tous été absorbés par le filament d’échos rouges qui continuait à se tordre d’énervement, notamment car le LM alpin y était particulièrement sensible. La scène dura ainsi plusieurs secondes, jusqu’à ce que le filament ne répartisse cette excitation dans tout son flux pour irradier avec encore plus d’éclat, sous les regards enthousiasmés de Catarina ou des passants qui assistaient à cette curieuse alchimie.

Seulement, si ce tour de magie de Léonardo suffit à divertir sa mère pendant un court instant, l’intuition d’Alessia n’était pas de cet avis.

— Tu ne devrais pas faire ça, Léo. C’est dangereux. » lui lança-t-elle vivement, sans hausser la voix pour autant, avant de tourner son air inquiet vers son autre cousin. « Massimo, tu sais ce que Solar Gleam a prévu ce soir ? Oublie la surprise, je veux savoir.

— Ma foi, un spectacle digne de la prospérité de notre époque. Solar Gleam n’a pas que des mauvais côtés, voilà. » concéda le directeur des entrepôts de l’Arthurie Valdôtaine, sans en révéler plus même après que sa cousine eut insisté. « Tu me remercieras quand le spectacle sera terminé, tu verras. » conclut-il en se tournant vers sa mère pour aider son frère à la détourner des questions embarrassantes – après tout, les sujets de discussion ne manquaient pas avec toute l’activité qui animait la place San Marco.

 

D’ailleurs, les deux cousins d’Alessia réussirent à ramener de l’innocence durant une bonne demi-heure, jusqu’à ce que le temps de l’apéritif soit passé et que la vingtième heure ne sonne sur la place San Marco. Il ne restait alors plus qu’une heure avant le début du vrai spectacle, mais Alessia commit l’erreur d’évoquer un sujet tout aussi houleux que l’avenir de Léonardo : celui du nouveau Pape.

 Car la Florentine se désolait de l’échec du Cardinal Paolo à l’élection, et de l’accession d’un évêque d’une Arthurie au mandat pontifical. Le clergé avait maintenant un partisan du LM à sa tête et, même si elle était du Conseil, elle ne pouvait que s’en inquiéter. En plus, tout cela avait probablement était acheté, une corruption qui avait le don d’agacer la Religieuse. J’aurais dû faire quelque chose pour que la balance penche en faveur de Monseigneur Paolo, se reprochait-elle, là où sa tante comme ses deux cousins étaient de l’avis complètement inverse. Après tout, Catarina avait beau considérer le Cardinal comme un bon ami de la famille, il avait du sang sur les mains, alors ce n’était que justice qu’il perde après avoir lui-même forcé cette transition. Quant à sa nièce, elle avait fait preuve de sagesse sans le vouloir en ne participant pas à tout ça. En bref, ce jeune pape fringant comme le vieux cardinal intrigant seront parfaits là où ils sont, et elle ne voulait pas devoir en débattre avec sa nièce non plus – d’autant plus qu’elle avait beau être bonne sœur, elle ne devait pas contester l’élection. Alessia finit donc par concéder à Catarina qu’elle avait sûrement raison, puis fit de son mieux pour que sa chère tante profite de ce Carnaval qui lui a toujours tenu à cœur. En fait, il y aurait de meilleurs moments pour évoquer ce genre de sujet.

D’autant plus que la matrone n’avait plus grand-chose pour se rappeler son défunt époux, si ce n’est ce festival qui marquait aussi l’anniversaire de leur rencontre, peu avant le mariage que leurs parents respectifs avaient soigneusement arrangé. Le père de Massimo et Léonardo était mort plusieurs années après les parents d’Alessia, assassiné par les Carbonari lui aussi lors de l’année 1871. Il fut l’un des plus vigoureux opposants à l’annexion de Rome par le Royaume d’Italie, si déterminé qu’il en paya le prix durement, des mains de cette secte politique. Alessia ne l’avait qu’assez peu connu, mais en gardait toujours plus de souvenir que de son propre père, deux paternels respectables et dévoués envers leurs familles. Finalement, l’Italie avait pu se réunifier et Rome était réintégrée, mais les Lespegli en gardait un goût amer, celui d’un sang innocent venu entacher cette si belle chose. Mais un jour, ils finiront par payer, moi, je te le promets, lâcha soudainement une petite voix au fond du Cœur Astral, avant qu’elle ne l’étouffe aussitôt, comme toutes les pensées qui refusaient l’amour et le pardon du Christ. Heureusement, l’ambiance chaleureuse suffit à la détourner de telles pensées vengeresses, il n’y avait qu’à regarder sur la place Saint-Marc pour songer à autre chose.

Au pied de la basilique, l’ambiance était joyeuse au point que des éclats de voix s’élevaient presque tout le temps au-dessus de la musique qui animait la place, illuminée par l’éclat rouge des échos et parfumée par milles et unes douceurs, comme aucun Vénitien ne l’avait jamais vu. C’est vraiment magnifique, si seulement tout le Conseil était encore là pour voir ce spectacle unique, ne put s’empêcher de lâcher intérieurement Alessia, avant de se ressaisir aussitôt sous les avertissements de Marco-Aurelio qui lui revenaient en tête, sans que rien ne les y ait appelés. Car à la vue de tout cela, tandis que passait le repas ou que les échos striaient toujours plus le ciel, elle ne pouvait se défaire de l’idée qu’il soit imprudent de faire un usage aussi important du LM. Et tous ces échos semblent sortis de nulle part, il n’y a aucune cuve de LM sur cette place, finit-elle par s’intriguer, avant de réaliser d’où venait la majeure partie de ces filaments qu’elle voyait, ils émanent des festivaliers eux-mêmes, ils se servent des passions de la fête pour maximiser les effets du LM qu’ils mélangent à l’alcool et la nourriture. En fait, le LM était plus qu’une drogue de masse qui allait accompagner cette soirée, c’était carrément ce qui allait faire le spectacle et le graver à jamais dans les mémoires, tout le reste n’était qu’un prétexte pour en consommer davantage …

Aux ses yeux, tout cela était plus que moralement douteux. Néanmoins, elle ne pouvait que s’émerveiller de tous les déguisements, des décorations ou des lueurs qui transformaient la ville en un lieu féerique, sous les regards étonnés des paysans qui découvraient tout ça comme l’incarnation de la modernité. Les rues n’étaient pas seulement striées de guirlandes ou parcourues par ces filaments d’échos, elles étaient même filées d’une ligne peinte mêlant de multiples couleurs qui se reflétaient sous l’éclat de la nuit naissante. Mais là encore, Alessia voyait à l’œil nu que cette peinture était également conçue à partir de LM, que sa luminosité ne se devait qu’à une réaction chimique causée par l’alcool, le sel et le sang animal sur lequel vivait cette molécule tracée sur le sol, de telle sorte qu’elle puisse résonner toute la nuit. D’ailleurs, elle finissait même par se demander bien combien cela avait pu coûter à la ville de Venise, et si cet argent n’aurait pas pu être mieux utilisé, avant que Massimo ne lui précise que l’AP avait pris tous les frais à sa charge – soit environ un milliard de livres sterling pour faire cette promotion internationale du LM. Bien sûr, William n’aurait vu que de la richesse volée sous le nez du peuple travailleur, seulement Alessia ne pensait pas qu’en terme matérialiste, même si elle aurait avoué volontiers que ce Carnaval était celui de l’excès. Toute cette beauté, cette joie, cette manifestation pure de l’art valait bien quelques sacrifices, et la question des inégalités, si elle était importante, ne résumait pas tout à elle seule. À vrai dire, même le petit peuple peut profiter de ce carnaval, pensait la Religieuse, c’est même plus radieux et inoubliable pour eux que pour des biens-nés comme nous.

Mais alors que les plats et les boissons étaient amenés un à un, que les sujets défilaient, la religieuse perçu une étrange sensation monter en elle. C’était comme une fausse euphorie, alors qu’elle n’avait bu aucune goutte d’alcool. Et ce ressenti ne la poussait pas seulement à sourire, elle se sentait également plus vindicative et affirmée dans son ton de parole comme ses pensées, si sûrement qu’elle le remarqua dès les premières secondes, lorsqu’elle se surprit à hausser le ton pour un sujet stupide. Ainsi, comme si elle se doutait de quelque chose, Alessia se pinça du plus fort qu’elle put, pour n’éprouver aucune douleur, simplement la forte pression de ses doigts. Elle continua à se pincer si fort qu’elle aurait pu se faire saigner légèrement si son intuition n’avait pas été bonne, si elle n’avait arrêté d’enfoncer ses ongles dans sa peau, en réalisant que sa douleur était atténuée. Puis, à peine relevait-elle la tête de ses mains qu’elle perçut des sensations troublantes, des odeurs ou des sons lointains qui parvenaient maintenant jusqu’à elle, des vibrations qu’elle ressentait désormais jusque dans sa chaise, tandis qu’elle était toujours attablée à un balcon.

C’était comme si le monde venait à elle, à défaut qu’elle vienne à lui, c’était une sensation qu’elle n’avait ressenti qu’une fois dans sa vie – lorsqu’Arcturus avait voulu lui faire une petite blague.

— Cette sensation… Il y a du LM dans nos plats ? » demanda-t-elle, sans lâcher du regard la belle salade qu’elle avait pris en entrée, et sur laquelle aucune indication ne lui avait été donnée par le serveur.

— Tu dois en avoir dans le fromage. J’ai entendu dire que certains fromagers s’en servaient pour améliorer la qualité et la transformation du lait. » lui expliqua sa tante, tandis que ses deux fils scrutaient leurs assiettes, curieux. Car s’ils ressentaient bien une sensation curieuse comme Alessia le prétendait, aucun d’eux n’avaient pris de fromage …

— Ce doit être dans la viande que t’as mangée et moi dans mon vin. Avec les engrais que l’on produit de nos jours, il finit forcément par s’en retrouver dans les assiettes quoiqu’on y fasse. » supposa Massimo, pour que son frère n’ajoute que des quantités infimes comme celles-ci ne feraient pas de mal à un oisillon, sans pour autant convaincre Alessia qui lui demanda si l’usage du LM était devenu si systématique que ça dans l’agriculture.

— Oui, et ça n’ira qu’en s’améliorant ! Le LM présente nombre de qualité dans le domaine agro-alimentaire, tu dois bien le savoir pour avoir été la disciple d’Emil. » lui répondit-il, d’un ton optimiste qu’il abandonna dès qu’il vit sa cousine se perdre dans ses pensées coupables, poursuivie par les avertissements de son professeur. « Ne sois pas déçue de ça, Alessia. Il faut bien assurer une production décente pour que tous puissent avoir à manger et que la recherche de la qualité ne cesse jamais, c’est pour notre bien à tous. » exposa-t-il, en se resservant de ce vin qui lui faisait un si bon effet. « Enfin, la viande de Léo à l’air plutôt bonne et le vin l’est aussi, comment l’as-tu trouvé, Mère ? » en conclut-il, avant qu’elle ne lui confirme que tout allait pour le mieux, puis qu’elle n’insiste auprès de sa nièce pour qu’elle ne gâche pas de si bons produits - la matrone des Sforza da Lodi ne voulait pas d’une famille à la réputation de difficiles ou de timorés.

 

Heureusement, elle put compter sur l’aide de Léonardo qui n’était pas contre l’idée de manger son fromage, et le problème de la Religieuse fut vite écarté. Cependant, le Milanais n’eut même pas le temps de transvaser le gorgonzola de sa cousine qu’une brutale explosion retentit au point de le faire sursauter, comme tout le reste de la place qui vit soudainement tous les filaments d’échos s’envoler vers le ciel, jusqu’à y disparaître.

Le spectacle de Solar Gleam pour le Carnaval de Venise commençait, et la fête allait monter d’un cran, pour le plus grand divertissement que la ville n’eut jamais vu sur les pavés de Piazzetta. Après cette grande explosion retentissante surgit d’on ne sait où, une douce lueur rouge couvrit la ville depuis le ciel, comme si la nuit était de sang, comme si les nuages s’embrasaient. Mais cette voûte rouge ne dura qu’une pincée de secondes, jusqu’à ce qu’elle s’effondre en cristaux d’échos évanescents, pâlissant au fur et à mesure qu’ils approchaient de l’eau. Pourtant, alors même qu’eau et LM se détestaient, les échos accélérèrent brutalement leurs chutes pour plonger de bon cœur dans la lagune, à la grande surprise d’Alessia qui croyait y percevoir de fines lueurs, des lumières blanches et noires paraissant monter lentement de l’obscurité. Et lorsque la pluie des cristaux rouges retomba dans l’eau, la mer s’illumina de mille feux, les échos entrant tous ensemble en résonance pour décupler l’énergie qu’ils libéraient, tandis que les premières notes de la Juditha Triumphans de Vivaldi, l’hymne vénitien le plus conquérant de tous, s’élancent dans les airs. A la surface de l’eau, s’unissant les uns aux autres, les échos formaient tel un rideau de perle, de petites étoiles rouges, blanches et noires au ras de l’onde. Puis, lorsque la glorieuse musique de Vivaldi s’emballa brutalement, les milles et unes étoiles s’effondrèrent sur elles-mêmes, dans un éclat de lumière si intense que tous en perdirent la vue et leur conscience durant l’espace d’une fine seconde, fascinés par cet éclat unique. Ensuite, elles explosèrent en grands filaments de lumière, filant à toute vitesse dans tout Venise, serpentant dans la moindre ruelle de la Sérénissime comme dans le plus oublié de ses canaux, rasant les toits ou les pavés en se faufilant entre les passants, interloqués d’une fantaisie aussi belle que curieuse – par cette glorieuse magie de la Civilisation Nouvelle. Ainsi, ces serpents de brume ne passaient parfois qu’à quelques centimètres du visage des gens, flottaient au ras de l’eau, à tel point qu’Alessia se demandait comment Solar Gleam avait atteint une telle maîtrise des échos, et comment il pouvait s’en servir avec si peu de précaution.

Car si les passants ne le remarquaient pas, tant ils étaient absorbés par le spectacle, la Religieuse voyait luire dans chacun de leurs iris un fond de lumière, rendant leurs yeux légèrement brillant. En fait, ce spectacle était autant une performance artistique qu’une drogue stupéfiante, c’était un ballet chimique auquel personne ne pouvait résister. D’ailleurs, quand elle voulut se tourner vers sa tante et ses deux cousins, elle les trouva dans cette même euphorie, avec cette même lueur dans les yeux, pendant que la Florentine y semblait presque immunisée. C’est normal, commença-t-elle à raisonner, je comprends ce qu’il se passe et je réfléchis à ce que je vois, c’est pour ça que le LM en moi ne répond pas, eux ne savent pas et profitent sans penser, ils sont d’autant plus vulnérables aux effets des échosMaître Marco-Aurelio disait souvent que la seule façon de contrôler et maîtriser le LM se faisait par le savoir et le calme, se souvenait-elle en ressassant ses vieux souvenirs de tutorats, l’esprit commande au corps. Mais aucun de ces gens n’était au fait de ces choses-là, tout le monde était là pour faire la fête jusqu’à la fatigue. Devrais-je intervenir, finit par s’inquiéter Alessia, de plus en plus nerveuse au fur et à mesure que le spectacle s’emballait, irradiant toujours plus d’échos sur la ville.

Et celui-ci s’intensifiait tellement qu’il en devenait difficile à décrire, car les filaments se mirent ensuite à vibrer pour se multiplier à nouveau, en dirigeant cette fois leur énergie vers le même endroit, l’île de San Giorgio Maggiore et son église, par-delà l’azur finement brillante du bassin de San Marco. Aussitôt, l’église se retrouva ainsi cernée par une spirale rougeâtre, s’élevant vers le ciel, tandis qu’un second enchevêtrement pâle et sombre s’étendait face à une lune sanguine naissante. Enfin, cette immense fantaisie put se dévoiler, lorsque ce grand entrelacs de brume écarlate fut brutalement percé par les feux d’artifices bleus et jaunes, qui emplirent la voûte céleste des couleurs vénitiennes, elle-même reflétées par le bassin de Saint-Marc, au pied d’une église transformée en un pilier de lumière. Jamais pareil spectacle n’avait été réalisé par l’Humanité, si bien qu’il se grava à jamais dans l’esprit des festivaliers, comme la plus grande preuve de prospérité qu’il pouvait attendre du LM et de l’AP. Et rien ne semblait pouvoir détourner les regards de tous ceux qui assistait à cette chorégraphie de lumière, hormis celui d’Alessia, toujours à scruter nerveusement la foule. Pourtant, elle finit par voir quelqu’un près d’elle décrocher les yeux de cet événement.

Catarina, sa tante qui semblait pourtant vouloir profiter au mieux de cette soirée avec ses enfants, baissa soudainement la tête pour fermer les yeux, joignant fermement ses mains près de son bassin, avec un air de tristesse à peine retenu. Mais une paume chaleureuse se posa sur les siennes, celle de sa nièce, avec un sourire doux et apaisant malgré l’appréhension qui l’habitait toujours.

— Souriez Mère, ils ne voudraient pas vous voir manquer un spectacle comme celui-ci de là où ils sont… » la consola Alessia, avec une voix aussi douce que posée qui fit légèrement relever la tête de sa tante.

— Merci. Tes parents seraient fiers de toi Alessia, une jeune femme aussi savante que pieuse, aussi belle qu’aimable. Tu ne lâches jamais ceux que tu aimes du coin du regard, un vrai petit ange gardien. » la complimenta Catarina avec une voix maternelle, mais avec un regret toujours bien présent. « C’est juste que … parfois je regrette que le LM n’ait pas été découvert plus tôt. Mon mari et tant d’autres que j’ai connus seraient encore parmi nous …

— Ne ravive pas ton deuil pour ça, le passé est au passé. Regarde plutôt le bassin ou tes fils.

— Ou ma fille. Heureusement que je vous ai encore … » lui concéda-t-elle en souriant, et en ouvrant enfin ses mains pour accueillir celle d’Alessia, tandis que les deux frères ne lâchaient pas ces intenses lumières des yeux, aussi fascinés que le reste de la foule par cette magie de la chimie.

— C’est un monde glorieux qui s’offre à nous. » se laissa dire à voix haute Massimo, pensif à l’idée de tout ce que pourrait apporter le LM à l’Humanité. « On en reparlera encore dans plusieurs siècles …

— Je l’ai toujours su, frangin ! » s’amusa Léo tandis que les desserts leurs étaient servis, après que les serveurs eurent passés le choc du feu d’artifice pour reprendre le service.

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