Chapitre deux

Notes de l’auteur : Trigger Warning :
mentions de pensées suicidaires.

Les pierres craquèrent sous les pieds d’Hera. Devant elle s’élançaient des kilomètres et des kilomètres de rien. Les tours blanches n’étaient plus. Le ciel était d’un gris qu’elle ne lui connaissait pas, même en temps d’orage. Il n’y avait dans l’air aucune odeur familière, et au loin, aucun mouvement rassurant.

    Le palais blanc qu’elle voulait retrouver était vide. Silencieux. Les murs tenaient à peine debout, le moindre souffle de vent aurait pu les ébranler. Mais il n’y avait pas un souffle ici. Juste une ambiance mortelle, bien loin des musiques habituelles, des rires et des embrassades.

    Les colonnes s’étaient effondrées depuis longtemps, bouchant les accès aux nombreux escaliers qui montaient d’ordinaire jusqu’aux planètes. Les alentours étaient imprégnés du bruit infâme qu’elles avaient hurlé en tombant. Ici et là, des tâches de sang indélébile et des plumes sales traînaient, comme des âmes en peine.

    Les âmes. Qu’était-il arrivé aux âmes ? La chute du Paradis, ce n’était pas une mince affaire, mais ce n’était pas une première. On pouvait le rebâtir. Mais les âmes perdues erreraient à jamais sur terre, elles deviendraient dangereuses.

    Hera se rua dans la salle des morts. Le plafond étoilé n’était plus, les portes d’or étaient tordues comme de triste bout de fromages fondus. Sous ses pieds, les plaies d’un sol déchiré lui coupaient la plante, sa peau se recousait instantanément. La douleur grinçante était là, mais elle savait la faire taire.

    Elle approcha la main d’une des portes. Elle ne l’entendit pas chanter. Cela lui brisa le cœur. L’enserrement dans sa poitrine fut suivi d’une larme cristalline au coin de son œil. Les anges ne pleuraient pas… Cela leur était interdit. Mais les alentours étaient vides, personne ne pourrait lui en vouloir.

    Les âmes n’étaient pas des enfants obéissants. Hera pouvait voir au travers des craquelures que le Vide Céleste portait, pour une fois, parfaitement bien son nom. Aucune lumière n’émanait.

    Hera dut ravaler une vague de panique. Elle avait vécu beaucoup trop d’aventures aujourd’hui, elle ne devait pas se laisser chuter. Mais en elle vrombissait une force, elle avait peur de perdre le contrôle. Déjà, autour d’elle, des débris flottaient dans l’air, signe qu’elle devait garder son calme.

    Inspire.

    Expire.

    Inspire.

    Expire.

    Inspire…

    Souffle.

    Les débris tombèrent dans un doux son de pluie. La sueur qui perlait au front d’Hera se moquait de son effort. Il fut un temps où elle était si puissante qu’elle aurait pu redresser son domaine sans claquer des doigts. Là, elle ne pouvait que faire survoler de la poussière…

    Un craquement derrière elle la ramena sur terre. Elle fit volte-face, s’assura que c’était un débris un peu plus gros que les précédents. Mais déjà, on la fit basculer sur le flanc.

    Une douleur dans la côte et un corps au-dessus d’elle plus tard, Hera comprit qu’elle n’était pas seule au Paradis, malgré ses premières suspicions.

    Hera cacha son visage de ces mains quand elle vit son assaillante lever une flèche au-dessus de sa tête, à deux doigts de la lui planter dans la poitrine. Cela ne l’aurait pas tué, mais cela aurait fait un mal de chien, et Hera ne savait pas combien elle pouvait encore supporter.

    – Ciel ?

    Elle aurait reconnu cette flèche entre mille. Argent, la pointe taillée dans les pierres les plus pures de ce monde et outre-monde, brillante comme le diamant. Une seule ange était capable de bander l’arc qui les tirait. Et cette ange menaçait de la planter, les cheveux hirsutes, la bave aux lèvres comme un animal enragé.

    – Ciel, c’est moi !

    Le silence fut remplacé par leur deux souffles courts, lourds, bruyants, sifflants.

    – Anahera ?

    Toujours cachée, Hera hocha la tête lentement.

    – Tu me fais mal.

    – Oh, je suis désolée… Pardon, je ne savais pas… Attends…

    Ciel était à califourchon sur sa sœur, les genoux enserrant ses côtes encore endommagées. Elle se retira, se laissant tomber sur le sol. Agenouillée aux côtés d’Hera, elle se permit de l’observer de haut en bas, avant de se jeter dans ses bras et de la serrer contre elle, comme elle ne l’avait jamais serré.

    – Je croyais que tu étais morte.

    D’abord surprise par cette étreinte, Hera finit par la lui rendre :

    – En voyant l’état des lieux, j’ai bien cru que toi aussi.

    – Où étais-tu ? Nous t’avons cherché pendant des mois avant de dire que peut-être… Tu étais allée au début du monde… Et que tu…

    – Jamais.

    – Tu vis depuis si longtemps, tu aurais pu penser que ton temps était venu…

    – Jamais, répéta Hera en passant sa main dans les cheveux ébène de Ciel. Je revenais de la Terre quand j’ai eu un petit imprévu.

    Elles se détachèrent enfin l’une de l’autre. Hera prit le visage de Ciel entre ses mains, essuyant du bout des doigts les nombreuses gouttes qui en pleuvaient. Oui, les anges n’avaient pas le droit de pleurer. Jamais ils ne le faisaient en public. Mais Hera pouvait faire une exception, pour elle et sa sœur.

    – Que s’est-il passé ? demanda-t-elle, un sanglot étranglé dans le fond de la gorge.

    – C’est arrivé un an après ton départ, renifla Ciel.

    Hera prêta attention aux traits de Ciel : ils étaient tirés. Des petites rides se dessinaient aux coins de ses yeux bridés. Des mèches blanches perlaient dans ses cheveux sombres.

    – Tu vieillis ? remarqua-t-elle, horrifiée.

    Ciel hocha la tête :

    – Très lentement, certes, mais oui. Et mes pouvoirs s’amoindrissent de jours en jours. Je suis restée ici, près du Vide Céleste, près de la source de notre vie, pensant que peut-être, quelqu’un allait revenir. Que les âmes se montreraient clémentes, qu’elles feraient demi-tour. Mais depuis la chute, personne n’est venu me rendre visite. Toute ma vie j’ai gardé cette porte, j’ai été une soldate réputée et respectée… Tout ça pour être laissée de côté…

    – Ils t’ont laissé toute seule ?

    La mâchoire d’Hera se serra contre son gré. Ses dents grincèrent et ses gencives lui firent mal. Elle refusait de croire que les anges ne soient pas venus secourir leur sœur.

    – Je ne sais pas où ils sont, admit Ciel en baissant la tête, abattue. Les dieux nous ont abandonné. Tous autant qu’ils soient ! Plus aucune religion ne peut se vanter d’avoir un leader. Les humains l’ignorent encore, nous n’avons pas su comment leur faire passer le message. Puis nous avons supposé que peut-être, il valait mieux pour eux qu’ils restent dans l’ignorance. Nous ne voulions pas que le chaos d’ici se reproduise en bas. Et petit à petit, les anges ont commencé à disparaître. Je ne sais pas si c’était de leur plein gré ou non, si on nous les a pris. Mais moi, personne n’est venu me chercher…

    Hera reprit sa sœur dans ses bras, persuadée que si elle ne le faisait pas, Ciel allait s’effondrer en mille morceaux.

    – Je suis là, maintenant. Jamais je ne te laisserai seule…

    En prononçant ce dernier mot, elle fronça les sourcils. Quelque chose la tracassa d’un coup :

    – Pourquoi m’as-tu attaqué ?

    – Hein ?

    – Si tu dis que tu attendais qu’on revienne te chercher, pourquoi m’attaquer ?

    Ciel se releva en essuyant sa morve d’un revers de la manche. Hera remarqua que sa robe blanche et rouge était dans un état pitoyable. Déchirée de partout, pleine de poussière.

    – Il se passe des trucs étranges dans le coin depuis que les dieux ont quitté le navire, expliqua Ciel. Ils étaient celles et ceux qui gardaient l’équilibre du monde. Sans eux, plus rien ne va. Le Paradis s’est effondré après la fuite des anges, car sans nous, il a perdu sa force vitale. Mais quelques jours après le dernier départ, des créatures ont attaqué. Je ne sais pas ce qu’elles voulaient… Elles n’avaient pas l’air de le savoir non plus. Je n’en avais jamais vu avant.

    – À quoi ressemblaient-elles ?

    – Des boules de poils et de pus, avec des mâchoires acérées, et rien d’autre. Ni œil, ni oreilles. Elles mordaient tous ce qu’elles trouvaient. Leurs morsures mettaient des mois à guérir. La dernière attaque, j’ai cru que je ne m’en relèverais jamais. Je me suis vu mourir. Je n’en ai pas vu depuis un moment, mais quand j’ai entendu du bruit, je n’ai pas réfléchi. Je t’ai sauté dessus. Désolée.

    Hera hocha la tête en signe de pardon. Ciel lui jeta ensuite un drôle de regard :

    – Et toi ? Tu étais où ? On te pensait morte, mais après vous avoir tous vu partir un par un, je me suis dit que peut-être, tu avais juste été la première.

    Hera se défendit immédiatement :

    – Jamais je ne vous aurais abandonné. Je suis descendue sur Terre pour livrer une bonne parole. Gabrielle voulait les prévenir d’une épidémie à venir.

    Ciel hocha la tête :

    – Cela a duré une année. Et ensuite, tout le monde a disparu. Toi y compris.

    La rancœur dans la voix de Ciel se faisait entendre. À chaque fois qu’elle répétait qu’Hera n’avait pas été là, elle soulignait ses propos, d’un sifflement.

    – Des humains m’ont tendu un piège, expliqua Hera. Ils m’ont dit qu’ils m’avaient vu descendre du ciel, qu’ils avaient vu mes ailes, et qu’un enfant était en train de mourir. Ils m’ont demandé un miracle. Je ne me voyais pas refuser, surtout avec mon identité découverte.

    Ciel revint s’asseoir à ses côtés pour écouter la suite de l’histoire. Elle connaissait bien l’altruisme de sa sœur.

    – Sauf qu’il n’y avait pas d’enfant, continua Hera, honteuse. Ils m’ont coupé une aile pour ne pas que je m’envole. Je n’ai pas pu voler jusqu’ici, j’ai dû utiliser le portail caché dans la grotte de Lourdes.

    – C’est horrible, dit Ciel en attrapant ses mains. Pourquoi ton aile n’a-t-elle pas guéri ?

    – Ils m’ont mis un drôle de bracelet. J’ai perdu tous mes pouvoirs. Je ne pouvais pas sortir mon aile restante, je ne pouvais pas guérir, je ne pouvais pas avoir de visions… J’étais… humaine ? Je ne sais pas trop… C’était horrible, Ciel. Je crois que même l’Enfer ne se serait pas permis ce que ces humains m’ont fait.

    Ciel porta ses mains à ses lèvres, horrifiée. Hera ne se serait pas permis de parler de l’Enfer si elle n’en pensait pas chaque mot.

    – C’est pour ça que tu n’as pas vieilli, comme moi. Tu étais sous les règles du monde humain, pas sous les règles célestes. Je suis désolée de te dire que cela ne va peut-être pas durer, maintenant que tu es de retour parmi nous. Les humains ne vieillissent pas comme nous. Ils n’ont pas besoin d’une source pour vivre…

    Hera absorba les informations une par une, lentement, comme une soupe brûlante :

    – Nous ne faisons pas que vieillir, conclut-elle. Sans âmes, nous allons mourir.

    Ciel hocha vivement la tête. Puis, un éclair de génie la frappa :

    – Tu sais pourquoi ils t’ont kidnappé ?

    – Malheureusement, non. Mais ce n’est pas le plus important. Nous devons retrouver les autres.

    – Peut-être qu’ils étaient enfermés avec toi ! Peut-être qu’ils ont enfermé d’autres anges.

    Hera n’avait pas la réponse à cette question. Jamais elle n’avait eu d’autres contact qu’avec ses tortionnaires… et Golly.

    – Je l’ignore.

    – Tu n’as vu personne ?

    – Il y avait une démone avec moi…

    Ciel recula d’un bond, comme si Hera était malade et qu’elle voulait éviter la contagion.

    – C’est une longue histoire. S’il te plaît, ne me regarde pas comme ça. Je n’avais personne.

    Ciel la regardait avec dégoût, mais aussi une curiosité nouvelle. Gardant ces distances, elle reprit :

    – Et vous ne savez vraiment pas pourquoi vous étiez là-bas ?

    Hera fit « non » de la tête :

    – Nous n’avons pas vraiment eu le temps de nous poser la question.

    – En quinze ans ?

    Hera baissa la tête et Ciel comprit qu’il y avait énormément de choses qu’elle ignorait sur cette absence. Et ce n’était pas demain la veille qu’Hera délierait sa langue. Elle en resterait à jamais blessée.

    – Ce n’est pas important, dit la brunette en secouant toutes les mauvaises pensées de sa cervelle. Nous devons régler ce problème de Paradis en priorité.

    – Tu ne comprends pas ? Tout ça, c’est la même priorité !

    Ciel se leva à nouveau et montra leur environnement dans un geste théâtrale :

    – Les humains qui savent l’existence des anges, des démons, et qui savent réprimer leur pouvoir ? Les dieux qui disparaissent ? La chute des anges, et sûrement des autres religions à travers le monde ? Des créatures qui viennent attaquer le Paradis ?

    Hera ouvrit grand la bouche, comprenant enfin quelque chose :

    – Ces créatures provenaient forcément de l’Enfer, dit-elle. Ce qui veut dire qu’en bas aussi, c’est le bazar.

    – Peut-être que l’Enfer s’est aussi effondré, comme ici. Ou alors, peut-être qu’ils sont à la tête de cette folie. Ce n’est pas impossible.

    – Golly ne semblait pas être au courant…

    – Golly ? Vous vous appeliez par vos prénoms ? De mieux en mieux…

    Ciel fit la grimace, Hera fit mine de ne rien voir.

    – Elle a aussi dit qu’elle ne pouvait pas rentrer à la maison…

    En une demi-seconde, ce que ce démon pouvait avoir à dire intéressait Ciel.

    – Vraiment ? Cela veut peut-être dire qu’elle sait ce qu’il s’y passe.

    Hera fixa sa sœur un instant, se demandant où elle voulait en venir. Elle savait où elle voulait en venir, elle espérait juste se tromper.

    – Il faut que tu retournes voir ton amie-démone.

    Hera pouffa :

    – Ce n’est pas mon amie.

    Ciel douta de cette affirmation.

    – Si tu le dis. Mais il faut que tu retournes la voir.

 

***

 

    – Je suis prête, inspira Golly. Je suis prête. Je l’étais à l’époque, je le suis toujours aujourd’hui. Ô, puits du néant, accepte aujourd’hui l’offrande qu’est mon corps. Je te rends cet amas de chair que tu m’as offert à ma naissance. Je ne sais pas si j’ai empli les destins que tu avais pour moi. Mais je sais reconnaître mon erreur. Et je sais, que maintenant, ma place est en ton sein.

    Les bras écartés, les yeux fermés, les joues couvertes de larmes de soulagement, Golly attendit une réponse. L’univers savait se faire désirer quand il le voulait.

    La démone ignorait ce qui l’attendait dans l’autre monde. Elle ne savait pas ce qu’il arrivait au sien quand ils mourraient. Ni aux anges. Qu’arrivent-ils aux êtres immortels qui décident tout de même de mettre fin à la vie qu’on leur avait gracieusement offert ?

    Secondes et minutes se mélangèrent jusqu’à ne faire qu’un. Une éternité bien gonflante, qui tapait sur les nerfs de Golly.

    Elle ouvrit un de ses yeux trempés et fixa un instant la lumière vive qui se tenait devant elle, comme une créature impassible.

    – Je te l’avais dit, dit la voix rauque dans son dos.

    – La ferme, ça va fonctionner.

    – Comme tu voudras.

    Humphrey croisa les bras derrière sa nuque et s’adossa contre la pierre :

    – Tu me réveilles quand tu seras moins têtue.

    Le jeune démon garda un instant l’œil ouvert, comme pour s’assurer qu’elle n’allait pas faire un pas en avant. Cela n’aurait servi à rien d’autre que de la brûler. Quand il comprit qu’elle allait probablement rester dans cette position, comme Jésus sur sa croix, pendant un petit moment, il ferma complètement ses paupières et s’installa confortablement.

    Avant de se retrouver confinée, Golly avait cherché ce lieu pendant des années. Elle n’avait jamais été la démone parfaite qui cherchait à impressionner Lucifer. La diablesse ne prenait pas de pincette quand elle était déçue, elle prenait surtout le fouet, et Golly avait souvent été un spectacle public bien apprécié de ses frères et sœurs. Ils s’attendaient tous à ce qu’elle merde, juste pour se divertir un peu.

    Mais ce ne fut que quand elle fut bannie des Enfers que sa décision fut prise : elle devait mourir. Elle n’était pas faite pour cette vie. Elle n’était que déception, elle ignorait qui était la personne que les autres voulaient qu’elle soit, mais ce n’était pas où son cœur voulait se rendre. Où voulait-il se rendre ? Ça, c’était un véritable mystère qui la rongeait depuis la naissance du monde.

    Beaucoup disait que l’on devenait humain quand on se jetait dans le puits. La pire des disgrâces de se voir offrir une âme, et de s’incarner en ces horribles bambins joufflus. Golly espérait que ce soit faux. Elle voulait juste disparaître.

    – Golly, on peut aller manger un bout et revenir demain ?

    Golly grogna, comme s’il la dérangeait pendant de très longues révisions studieuses. Elle serra les poings et frappa du pied :

    – Pourquoi je ne crève pas, putain ?

    Humphrey haussa les épaules :

    – Le puits a l’air de penser que ce n’est pas ton heure.

    – Qu’est-ce qu’il en sait, lui, d’abord !

    Humphrey laissa échapper un petit rire :

    – C’est le puits du néant. Il sait littéralement tout.

    Golly commença son caprice. Elle sautilla sur place avant de faire volte-face :

    – C’est toi qui lui as dit.

    – Oh bah oui, éclata Humphrey dans un rire qui lui fit mal aux boyaux. Parce que si quelqu’un peut commander le puits du néant, c’est bien moi, le petit Humphrey.

    Golly le pointa d’un doigt menaçant qui contribua au fou rire du démon :

    – Depuis combien de temps tu es le gardien de ces lieux ?

    Humphrey écrasa une larme au coin de son œil avant de hausser les épaules :

    – Depuis toujours.

    – Et tu ne m’as rien dit ? Je croyais qu’on était une famille !

    – On est une famille ! Mais ce lieu doit rester secret. Tu dois le trouver par toi-même pour mériter la vie qui suit. Et puis, je n’allais pas dire à ma petite sœur où se trouvait le seul endroit où elle pouvait se suicider.

    Golly serra la mâchoire, attrapa une pierre et la lança dans la lumière.

    – Oh, il va être bien plus indulgent maintenant, c’est clair, siffla Humphrey. T’en as d’autre des grandes idées comme ça ?

    Golly poussa un hurlement de frustration avant de donner un coup de pied dans le vide et de venir se poser à côté de Humphrey. Quand il comprit que la tempête était passée, il posa sa joue contre son épaule :

    – Tu veux en parler ?

    – Non.

    – Je ne t’ai pas vu depuis quinze ans, insista-t-il. Je mérite bien une explication, non ?

    – Non.

    – Ce que tu peux être chiante quand t’es comme ça…

    Les bras croisés sur sa poitrine, Golly analysa le tunnel. Il devait bien y avoir une deuxième entrée dans l’autre monde. C’était obligé.

    Le tunnel se trouvait bien au bout du monde. Ou au début, peu importait. La terre étant ronde, c’était vraiment une question de vocabulaire. Mais quelque part, il y avait bien une zone plate, ou se trouvait un grand lac à la couleur bien trop transparente pour ne pas être divine. Au milieu, il y avait une île si petite que faire demi-tour était en faire le tour. Et sur cette île, une grotte qui menaçait de s’effondrer.

    Quand on entrait, elle était infinie. On s’enfonçait dans les profondeurs du lac, puis du monde, sans jamais penser en rejoindre le bout. Golly ignorait pendant combien de temps elle avait trainé des pieds dans la poussière, mais elle était persuadée, encore à cet instant, que cela vaudrait le coup.

    Le temps passe, pas de puits, mais les murs de pierres se font de plus en plus étroits et de plus en plus réguliers. Ce qui n’était que des cailloux tombés les uns sur les autres par la force du destin devenait du travail de maître, aux pierres polies, taillées, parfaitement posées, avec minutie, et des gravures d’une rare délicatesse. Tout ça dans une obscurité où on s’habituait lentement, mais étrangement, avec une certaine assurance. Et enfin, la lumière.

    Cette boule, ce portail, d’une blancheur qui aurait aveuglé l’humain. Qui attirait toute chose qui s’y aventurait. Et qui décidait si vous méritiez la paix. Ou non.

    La peine de Golly sortit d’un coup. Elle ne sut d’où cela venait. Elle se pensait en paix, elle se pensait calme. Mais que ce fichu puits lui refuse la liberté venait de la percer en plein cœur. Aujourd’hui était vraiment une belle journée de merde, et pourtant, elle en avait vécu des corsées.

    Des torrents de larmes glissèrent sur ses joues jusqu’à la brûler.

    – Hey… Hey, non, je ne veux pas voir ça.

    Humphrey passa son bras par-dessus ses épaules, et quand il réalisa que Golly n’avait pas l’intention de le repousser, ce qu’elle faisait souvent car le contact n’était pas sa tasse de thé, il la serra assez fort contre lui pour calmer ses tremblements. Il frotta son dos :

    – Tout va bien se passer. Je te le promets.

    Golly s’écarta, renifla et se contenta de répondre :

    – On pourra revenir demain ?

    Humphrey soupira tristement, avant d’acquiescer :

    – Si cela peut te faire plaisir. Mais demain, la réponse du puits sera la même.

    – On essayera quand même demain.

    – Comme tu voudras.

    Golly hocha la tête comme une enfant :

    – Y’a des burgers dans le coin ?

    Humphrey pouffa de rire :

    – Je ne suis pas sûr. Mais on peut en trouver sur le chemin du retour.

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Arcane(s)
Posté le 09/01/2024
Je suis si content de découvrir cet univers ! Et j'ai hâte que les filles se retrouvent.

J'ai beaucoup aimé que le chapitre commence sur le Paradis détruit, après 15 ans, qu'Hera puisse être témoin du temps qui a avancé sans elle.
Et la détresse de Golly m'a beaucoup touché.

En terme de style, je crois qu'il faudrait juste relire pour veiller à éviter certaines évidences ou redondances.
Par exemple "Oh bah oui, éclata Humphrey dans un rire qui lui fit mal aux boyaux. Parce que si quelqu’un peut commander le puits du néant, c’est bien moi, le petit Humphrey.", je ne suis pas sûr que l'incise de "éclata" à "boyaux" soit très utile.
Egalement "Ciel douta de cette affirmation.
– Si tu le dis. Mais il faut que tu retournes la voir."
Le "Si tu le dis" indique déjà le doute de Ciel, avoir les deux passages rend l'information lourde.

Voilààà sinon j'ai hâte de lire la suite !
AliceH
Posté le 07/08/2021
Je vais être sobre : j'aime beaucoup ! L'univers détruit du Paradis me rappelle un peu le début de Sandman, quand Morphée rentre chez lui. Après, je ne suis pas très partiale, j'adore les histoires à propos d'anges et de démons (même si je m'axe plus sur les démons). Je file lire la suite (et j'en garde quand même un peu de côté) !
SometimesIwrite
Posté le 07/08/2021
Parfois, la sobriété, c'est parfait ♥
Merci de ton commentaire !
Ess
Posté le 23/07/2021
Bonsoir,

Que c'est intéressant de découvrir l'endroit d'où vient Hera ! Même si le fait qu'il soit détruit est assez malheureux, certes. Moi, cela me réjouit : cette histoire sent les ennuis, ça me plait bien. Très touchée également qu'elle retrouve sa sœur. J'ai apprécié qu'elle reconnaisse d'abord la flèche avant de voir le visage qui se cachait derrière ; j'ai bien aimé la mise en scène. Le dégoût de Ciel quand elle a appris que sa sœur avait été enfermée avec une démone est... Mémorable. On pourrait croire qu'elle se serait réjouie de savoir qu'Hera n'avait pas été seule tout ce temps, mais non ! Les Démons n'ont vraiment rien pour plaire, du point de vue des Anges — j'aime l'idée qu'au fil du récit, les esprits vont s'ouvrir (comme les cœurs, eheh).

Concernant Golly, si au départ j'ai été déçue de ne pas voir son retour chez elle, cela m'est vite passée. J'aime beaucoup que tu nous jettes au moment crucial de l'histoire, face à ce puits du néant — chose abjecte, selon moi. Le seul lieu dans lequel les Démons peuvent perdre la vie, tu m'étonnes que son emplacement soit gardé secret. J'ai été touchée par le lien qui unit Humphrey et Golly. Il m'a laissé une impression de douceur. J'avais envie de rester près du puits avec eux pour continuer à les découvrir ensemble.

J'ai plein de questions que je ne poserai pas puisque je suis une lectrice patiente qui aime découvrir les réponses dans sa lecture, mais je peux te dire que j'ai hâte de comprendre ce qui est arrivé au Paradis, d'en savoir davantage sur ces fameuses âmes (je pense que tu es restée délibérément floue à ce propos), sur ces créatures abjectes qui n'ont ni yeux si oreilles, etc.

Durant cette lecture, j'ai senti vivre tes personnages. Je les entendais clairement et les visualisais sans mal. C'est très subjectif mais c'est quelque chose qui me tient à coeur, je suis incapable de lire une histoire dans laquelle les personnages ne me parlent pas. On sent chez Hera et Golly une certaine profondeur qui me tarde de découvrir.

Tu l'as peut-être dit dans les premiers chapitres mais je préfère avoir ta confirmation : les Anges et les Démons ne voient pas le temps passer de la même manière que les humains, n'est-ce pas ? Je demande cela parce que quinze ans pour moi c'est énorme. Mais peut-être que Ciel et Humphrey n'ont pas vécu l'absence de leurs amies ces quinze dernières années comme nous nous l'aurions vécu ? Après, on trouve chez Ciel un profonde colère qui vient de l'absence d'Hera, ce que j'ai trouvé très pertinent ! Plus que de la tristesse, j'ai l'impression que c'est la colère qui parle, elle lui en veut même si Hera n'est en rien responsable. J'ai trouvé cela très intéressant.

Diantre, j'ai trop parlé. Dans mes commentaires, surtout quand j'apprécie une histoire, je me concentre sur ce que j'ai ressenti à la lecture et ce que m'inspirent les personnages. Mais si jamais tu souhaites que je me concentre sur quelque chose en particulier afin d'avoir un retour, tu peux me le préciser. En tout cas, j'espère que mes commentaires t'aideront d'une façon ou d'une autre.

À plus tard !
SometimesIwrite
Posté le 25/07/2021
Tu ne parles pas trop du tout, tes commentaires me touchent énormément !
Je serais contente de connaître tes questions quand même :P Je ne dirais rien, je promets, mais ça m'intrigue !
Ess
Posté le 28/07/2021
Et bien... Pourquoi le Paradis semble touché et pas l'Enfer ? Que sont devenues les âmes ? D'où viennent ces créatures et surtout, qui ou quoi les a envoyé ? Entre autre, voici les questions que je me pose ! J'ai hâte de reprendre ma lecture pour en savoir davantage.
SometimesIwrite
Posté le 28/07/2021
J'ai hâte aussi, j'espère que la suite ne te décevra pas :)
Howlett
Posté le 17/07/2021
Coucou chapitre ! ♥
Je suis super contente d'avoir un pdv centré sur Hera, c'est un plaisir de voir un peu plus son monde, même s'il est détruit. J'ai particulièrement aimé les pistes et questions que tu nous laisses, comme le fait que Ciel vieillisse et qu'Hera le fera aussi sans doute - est-ce que c'est pareil pour les démons ? Mystère.

Pareil pour Golly, je suis très contente de voir un personnage lié à elle, et son envie de partir m'a beaucoup parlé. Je crois que je l'aime beaucoup déjà haha.

Gros gros plus pour ton univers : il a l'air super simple dans les lignes : anges/démons, et pourtant j'ai l'impression qu'il est beaucoup plus riche et clair et j'adorerais le découvrir, ça m'intéresse trop, j'ai super hâte de lire la suite du coup.

Je me suis permise de noter ça : "Hera fixa sa sœur un instant, se demandant où elle voulait en venir. Elle savait où elle voulait en venir, elle espérait juste se tromper." - je pense que tu peux retirer dans la première phrase "se demandant ou elle voulait en venir", c'est bien exprimé dans la phrase suivante donc ça fait un peu répétitif ainsi.

Humphrey est trop cool pour ce que j'en ai vu, j'espère qu'on le verra encore hihi ♥
SometimesIwrite
Posté le 18/07/2021
Je note pour la réécriture ♥

Humphrey est probablement mon personnage préféré. Je ne pensais pas qu'il deviendrait aussi important à l'histoire quand je l'ai introduit la première fois, mais je crois que je suis tombée amoureuse x)
Howlett
Posté le 18/07/2021
C'est trop cool quand les personnages prennent un peu le "pouvoir" !
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