Chapitre 9 : Une mère mais pas une maman

Une mère mais pas une maman

(Camille, Armel, Liliane)

 

 

 

   Camille bougeait dans son sommeil. Armel l’entendait se plaindre.

   Il aurait aimé la comprendre, mieux la connaître, se sentir moins étranger devant ses secrets. Quand elle s’est réveillée, il a fait semblant de dormir.

   Il vivait profondément toute la tendresse qu’il avait pour elle: sa soeur, sa petite maman. Il avait senti ses yeux sur sa peau. Quand il a entendu son « Je t’aime », il en a profité pour lui sauter au cou.  Difficile de faire semblant de dormir quand on est observé.

   Camille savait tout de lui parce qu’elle entrait dans ses rêves, ce monde où il parvenait à parler. Il se demandait si elle rencontrait d’autres petits garçons comme lui et si elle inventait des jeux, si elle les aidait, eux aussi, à se sentir bien, à être heureux et si elle leur racontait des blagues comme celle du vampire avec laquelle il avait tant ri! Il savait que grâce à elle, il deviendrait un homme bien. Un écrivain, comme Camus!

   A défaut de parler, il écrirait ce qu’on ressent, ce qu’on vit en nous-mêmes, des histoires fantastiques pour colorier sa vie, tout ce qu’il est, sera et tout ce qu’il ne sera pas. Il lui dédierait tous ces livres. Rien qu’à elle, pas à sa mère non! Toujours sur son dos, toujours à rien comprendre et à critiquer. Pas plus tard que la veille, elle était entrée dans une colère monstre.

   ––  Armel ! Aaaaaaaaaaarmellll ! Armel, bon sang, viens ici tout de suite et explique moi ce que fout ce machin dans ta chambre !

   Il s’était abrité dans son quartier général aménagé dans un coin de sa garde-robe et se retenait presque de respirer.

   ––  Aaaaaaaaaarmel avait-elle hurlé, dégoûtée de ce qu’elle voyait. Si je t’attrape mon p’tit gars, je te jure que tu vas passer un mauvais quart d’heure, de toute façon tu ne pourras pas te cacher longtemps.

   Elle n’avait rien de ses mères capables d’attirer leurs petits d’un geste tendre.

   En vérité, Mme Lorency était une femme bien démunie dans ce rôle. D’apparence confiante et fière, elle cachait un traumatisme bien ancré en elle. Son époux qui connaissait le livre de sa vie, témoignait souvent de l’amour qu’elle portait à sa fille et son fils. Seulement, comment y croire? Les actes ne sont-ils pas plus importants que les paroles?

   Chaque jour, elle se débattait dans ses tourments. Chaque jour, elle menait ce combat contre les perspectives limitées de son monde. Elle croyait ne pouvoir adopter d’autres comportements. Il y a qu’elle était dominée par ses peurs. Et la peur est la meilleure des menteuses. Des mensonges sur sa véritable nature, sur ses capacités et possibilités.

   « Ca peut littéralement bouffer l’existence », se disait-elle. Et chaque reproche, chaque colère dirigés vers ses enfants n’étaient autre que les reproches et la colère adressés à elle-même. Malheureusement, sa progéniture en faisait injustement les frais. Elle avait besoin d’aide pour apprendre le pardon. Peut-être le pardon le plus compliqué qui soit. Faire face au regard le plus redoutable. Réparer le crime ultime: celui de sa propre personne.

         La voie libre, Armel apparut enfin. Méconnaissable, son silencieux compagnon décorait une taie d’oreiller, sous son lit. Une puanteur comme il n’est pas permis nageait le crawl dans toute la pièce. Aussi étrange que cela puisse paraître,  elle ne  le dérangeait pas trop. Il avait vu la mort en observant le moineau, entendue en écoutant ses derniers gémissements, touchée en le prenant dans ses mains et maintenant il la sentait.  

         Sitôt l’oiseau mis en boîte, il entendit le plancher grincer et puis la plus belle voix du monde.

   ––  Mais laisse-le enfin, tu ne vois pas que tu le traumatises à lui gueuler dessus ainsi ? Tu vas le condamner à dépenser sa vie chez un psy, criait Camille du haut de l’escalier.

   Sa mère, en train de descendre, était sur la dernière marche prête à faire un bond de panthère.

   ––  Traumatisé ?! C’est moi qui lui ai appris à cacher des bestioles mortes sous son lit?  Ne viens pas me dire qu’un enfant de dix ans à ce genre d’idées en tête !

   ––  Ben apparemment, oui !

   ––  C’est plutôt à force de passer du temps avec toi !

   ––  Mea culpa, tout est de ma faute, disait Camille en imitant une voix de fillette.

   ––  Ne te moque pas de moi Camille !

   Et la silhouette tremblante de Mme Lorency disparut aussitôt dans la véranda tandis qu’Armel faisait de grands signes à sa soeur.

   ––  Oui, oui, j’arrive. On fait comme tu m’as dit ?

   Il hocha la tête.

         Le « pauvre moineau monstrueusement maigre » enterré au fond du jardin, ils quittèrent le n°9 de la rue des Lys, main dans la main. Ce week-end, ils allaient le passer accrochés l’un à l’autre en âmes jumelles. Lors de leur promenade, ils avaient traversé la place du marché où les boulangers, fromagers, épiciers, donnaient de la voix.

         Ils s’étaient amusés à tous les saluer. Ils avaient joué à chat perché dans le parc et à se perdre dans un champ de maïs. Ils s’étaient reposés au bord d’un ruisseau, étendus sur l’herbe fraichement coupée humant son agréable parfum.

         La tête de son frère appuyée sur ses jambes, Camille était ailleurs. Cela faisait trois jours que Sonia ne s’était pas rendue au lycée.

         Sur le chemin du retour, ils ont emporté une glace, goût violette pour elle et pistache pour lui.   

         En passant devant le n°13, elle aperçut Henry pousser sa brouette pleine de gravier, il venait d’embellir son parterre de fleurs. Il paraissait bien quinze ans de plus que son âge, accoutré de sa salopette kaki et d’un béret au moins aussi vieux que lui. La barbe négligée et son cigare en bouche, il avait l’air affligé, courbé sous le poids de la fatalité. Il ne l’avait appelée qu’une fois.   

         Peut-être n’avait-il plus besoin d’elle…

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Etienne Ycart
Posté le 11/03/2022
Ah des chapitres courts que ça fait du bien
on peut se concentrer sur l'idée principale du chapitre
là c'est
une mére qui aime ses enfants
mais qui ne sait comment aimer
on apprend tout
on apprend pas à aimer !
c'est l'handicap de cette mére
le pére sait, marche à la baguette
la fille posséde de l'amour pour tous
elle porte l'humanité sur ces épaules !
Ella Palace
Posté le 11/03/2022
Oui, les chapitres deviennent plus courts, c'est plus appréciable sur le net, c'est sûr! Et aussi, pour se concentrer sur une idée, en effet.
Alors, oui, aimer ça s'apprend... On ne se force pas à aimer, certes, mais quand on a des sentiments, on apprend à les gérer, les exprimer, les montrer etc. Ca s'apprend quand on ne sait pas le faire naturellement...
Oriane
Posté le 02/12/2021
Bonjour Ella,
Ca fait un moment que je ne suis pas passée et j'aime toujours autant.
J'apprécie l'ajout des noms des personnages principaux en en-tête des chapitres. et ça, même s'ils enlèvent un peu le mystère sur qui nous allons lire.
La relation entre Armel et Camille est toujours aussi forte et voir comment leur mère a tendance à agir avec eux permet de mieux comprendre ce qui peut les unir parfois. Elle m'a l'air un peu dépassé par ses enfants, madame Lorency ou par elle-même. J'attends de voir la suite pour mieux la comprendre
Edouard PArle
Posté le 31/08/2021
Hey !
C'est moi ou tes chapitres raccourcissent au fur et à mesure de l'avancée de l'histoire ? Ce n'est pas une mauvaise idée.
C'est intéressant de développer le personnage de la mère de Camille.
Hâte de lire la suite :
Une remarque :
"explique moi ce que fou ce machin" -> ce que fout
Ella Palace
Posté le 31/08/2021
Pour la longueur des chapitres, je ne le fais pas exprès mdr, je dis ce que j'ai à dire, rien de plus, rien de moins.
Merci pour la correction, c'est fou ce qu'on laisse des coquilles malgré les lectures des autres aussi!

Heureuse que cette histoire et mon style te plaisent!!!

Bien à toi
Edouard PArle
Posté le 31/08/2021
Oui tu as raison, ca sert à rien d'écrire pour écrire
Hortense
Posté le 21/06/2021
Bonjour Ella,
Chapitre où l'on découvre un peu la personnalité tourmentée de la mère de Camille. Il est intéressant que le lecteur entre dans l'intimité de Camille. Sa famille, excepté son frère, était peu présente dans l'histoire. Son père n'est pas seulement l'homme retranché derrière son journal. Il aime sa femme et tente de palier à ses carences affectives en intercédant auprès de ses enfants. Il est donc un lien entre eux et leur mère.
Camille pourra-t-elle répondre à l'appel à l'aide de sa mère ? La suite nous le dira.

Quelques remarques et interrogations qui portent plus sur l'aspect psychologique que tu pourrais davantage développer, sauf si cela se fera par la suite.

- Elle croyait ne pouvoir adopter d’autres comportements : En fait est-ce que tu veux dire qu'elle reproduisait un comportement ? Se sentait-elle prisonnière de ce comportement ? Pourquoi ne parvenait-elle pas à en échapper ?
- Il y a qu’elle était dominée par ses peurs : elle était dominée par ses peurs me semble plus fort.
- Et la peur est la meilleure des menteuses. Des mensonges sur sa véritable nature, sur ses capacités et possibilités. : La peur est-elle véritablement une menteuse ? La peur engendre une modification des perceptions, une chose banale peut paraître hostile, un mot sortit de son contexte peut être mal interprété parce qu'ils font écho. La peur, il me semble, entraîne parfois des comportements incohérents et inappropriés. Celui sous emprise de la peur n'est pas toujours conscient des conséquences de ses actes, réflexes, paroles... C'est un peu ce que tu dis lorsque le père se pose en médiateur.
- Et chaque reproche, chaque colère dirigés vers ses enfants n’étaient autre que les reproches et la colère adressés à elle-même : donc elle est consciente de ses dérapages mais elle ne semble pas être capable d'y remédier ?
- pour apprendre le pardon : elle doit être aidée mais avant l'étape du pardon, peut-être doit-elle tout simplement comprendre et accepter de s'aimer elle même pour pouvoir aimer les autres. Qu'en penses-tu ? Le pardon, s'il est nécessaire, n'est que l'ultime étape d'un processus de reconstruction et encore je ne suis pas convaincue qu'il soit indispensable.
- emporté une glace : acheté une glace ?

A bientôt
Ella Palace
Posté le 21/06/2021
Coucou Hortense,


et bien comme tu l'as dit, les réponses se trouvent.... dans le chapitre suivant ;-)

J'aime vraiment beaucoup le fait que tu exprimes ton ressenti, c'est important! merci encore et encore pour ça!

Concernant la peur et le mensonge, c'est parce que la peur est la toute première raison du mensonge (je ne dis pas que c'est la seule mais la première)... Cela commence déjà lorsqu'on est un enfant et qu'on craint une "punition".
La raison ici c'est surtout que, comme tu le dis, la peur alterne notre perception: peur d'être soi-même, peur du regard des autres, peur de l'échec etc. C'est comme si une petite voix nous mentait sur nos réelles capacités (ce qu'on appelle des croyances limitantes parce qu'on croit des choses fausses nous concernant), nos réels désirs... Et on entre alors très facilement dans un faux-self, dans le refoulement, dans le déni...
Ici, concernant Liliane, la peur joue le rôle de cette petite voix qui lui dit qu'elle ne sera jamais à la hauteur (croyances limitantes) dans son rôle de mère. Le chapitre 10 explique en détails ce qui lui est arrivé...

Voilà pourquoi il me plaît de dire que la peur est la meilleure des menteuses. Il est évidant que ce genre de "citation" ne doit pas être prise dans le sens d'une vérité absolue. Il n'y a pas de vérité absolue...

A bientôt!
Ella Palace
Posté le 21/06/2021
pfff désolée pour les fautes... je me relis seulement...
Hortense
Posté le 21/06/2021
Merci Ella pour tes explications.
Ne te tracasse pas pour les fautes, je trouve qu'il est très difficile de se relire sur ce petit ruban déroulant.
J'attends la suite
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