L’homme masqué sortit un long couteau ouvragé, trancha les liens enserrant mes mains d’un geste sec. Je secouai mes bras courbaturés, et dû serrer mes orteils tant les fourmillements m’empêchaient de bouger davantage. Mon ravisseur en pris conscience, il me soutint pour me relever. Trop engourdies, mes jambes se dérobèrent sous mon poids. Je m’effondrai sur lui. Il me redressa promptement. Je tentai de me maintenir debout sans vaciller. En remuant mes mains pour réactiver la circulation sanguine, je notai que mes poignets étaient rouges, la chair à vif. Je me mordis la lèvre tant ils me brûlaient. Mon kidnappeur ne le remarqua pas. Il balança les lianes d’une main, et posa son autre paume sur mon épaule, en un geste délicat.
– Malgré tous ces efforts pour te cacher, beaucoup sont au courant de ton existence, me susurra-t-il à l’oreille.
Je restai interdite, décontenancée par ses paroles, et troublée par sa proximité.
Puisqu’il se montrait enclin à parler, j’osai poursuivre le dialogue :
– Pourquoi m’avoir ligotée ? Je ne comprends pas.
– Je craignais tes réactions. Changer de dimension peut entraîner de graves séquelles. Dans ce monde, si tes mains avaient été libres, tu aurais pu utiliser le fluide et me blesser sans le vouloir.
Je ne comprenais pas grand-chose, mais cela expliquait au moins ses précautions.
– Qui êtes-vous ?
– Je m’appelle Sèvenoir. Mon nom ne te rappelle-t-il rien ? me demanda l’homme masqué sur un ton empressé.
Son timbre, paradoxalement chantant, éveillait en moi une drôle de sensation.
– Tu as tout oublié, constata Sèvenoir d’une voix amère. Je m’en doutais. Tu ne te rappelles donc même pas d’où tu viens.
– Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais non… je ne me souviens de rien.
Les réponses allaient peut-être venir. Mon désir de comprendre prenait le dessus sur ma peur.
– Sais-tu que tu as été trouvée près d’un arbre, lorsque tu n’étais qu’un nourrisson ?
J’acquiesçai d’un signe de tête, à la fois anxieuse et perturbée. Je m’adossai à la colonne pour m’éloigner un peu de lui. Il me laissa faire. Rien dans ses gestes n’indiquait qu’il allait me faire du mal, mais comment rester calme dans une telle situation ? Je me sentais terrifiée, perdue dans cet endroit inconnu. Mes entrailles se glacèrent. J’avais envie de pleurer, et surtout, de vite revoir mes proches.
– Je veux bien te dire où nous sommes exactement, continua l’homme masqué. Mais vas-tu me croire ?
Je continuais à l’observer, silencieuse.
– En ce moment même, tu ne te trouves plus sur la planète Terre.
Tout mon corps se crispa face à cette révélation. Cet homme était-il fou ? Ma bouche s’entrouvrit et mes yeux s’agrandirent. Je dus m’accrocher à la colonne pour maintenir mon équilibre. J’entendais mon cœur cogner dans ma poitrine, en un bruit sourd, résonnant comme un glas.
– C’est pour cette raison que tes parents adoptifs n’ont jamais compris d’où tu venais. Ils ne peuvent pas se douter qu’en réalité, tu es née sur une autre planète.
– Vous… vous êtes en train de m’affirmer que je viens d’un autre monde que celui où j’ai toujours vécu ? répétai-je d’une petite voix chevrotante.
– Oui. Et je viens de te ramener chez toi.
J’étais tellement nerveuse que mes genoux tremblaient et se pliaient sans que je ne puisse les contrôler. J’inspirai à fond, fermant les yeux. Mes poignets me faisaient terriblement mal. La brûlure, lancinante, m’assommait au point d’éteindre toute envie de m’échapper. Je méditais sur ses paroles. Cela m’aidait à lutter contre la douleur. Comment expliquer rationnellement le fait de passer d’un arbre dans mon jardin à… ici ? Et où se trouvait cet « ici », justement ?
Où se trouve la frontière entre le rêve et le réel ?
L’homme masqué disait peut-être la vérité.
– Alors pourquoi ai-je vécu toute mon enfance sur Terre ? risquai-je.
– Ah, très bonne question ! Mais ce n’est pas à moi qu’il faut la poser. Ce maudit Avorian t’a placée sur Terre. Les raisons lui appartiennent.
Je sentis mon corps se détendre peu à peu. Comme si le fait de parler avec Sèvenoir m’ancrait dans cette nouvelle réalité.
– Vous… me semblez bien humain, pour un extraterrestre. Et puis, vous parlez ma langue.
– Tu ne peux pas savoir à quoi je ressemble exactement. La plupart des habitants de notre monde sont des espèces de type humanoïde. Et c’est toi qui t’exprimes dans notre langue.
Je n’arrivais pas à y croire ! Je voulais en savoir plus. Ma curiosité croissait à mesure que ma peur diminuait. Je m’armai de courage, adoptant un ton se voulant le plus posé possible :
– J’ai la conviction que d’autres planètes sont habitées dans l’Univers, et je crois en l’existence de mondes parallèles. Mes parents et moi en discutions quelquefois. La physique quantique parle de phénomènes vibratoires et de lignes temporelles. Mais de là à concevoir que je me trouve dans un autre monde, en train de parler une autre langue, ça me paraît invraisemblable !
Sèvenoir faisait les cent pas, comme pour réfléchir. Je restais collée à mon pilier, encore trop méfiante pour envisager de fuir.
– Tu es rudement intelligente pour ton jeune âge, finit-il par dire. Ta famille et toi admettez ce genre de choses. Tu as eu de bons parents.
– C’est vrai, approuvai-je d’une voix douce. Ce n’est pas votre cas, on dirait...
– En effet. J’ai toujours été seul.
Il baissa la tête, et stoppa sa marche pour me regarder. Je ressentis soudainement une forme de compassion pour lui.
Il m’étudia intensément à travers les fentes de son masque, puis ajouta :
– J’admire le fait que tu arrives si aisément à garder ton calme et ton sang-froid. Pourtant, tu n’es qu’une enfant.
– Le syndrome de Stockholm, lançai-je.
– Le syndrome de quoi ? répéta-t-il, perplexe.
– Ah, vous ne pouvez pas connaître. C’est le fait de vouloir aider son propre ravisseur et d’éprouver de l’empathie pour lui. Je suis une personne hypersensible et empathique. C’est plus fort que moi.
En lui expliquant la signification du syndrome, je donnais foi en ses paroles : je me trouvais peut-être bien dans un autre univers.
Un monde où Stockholm n’existait pas.
– C’est sans doute pour cela que tu es si précieuse… Éprouverais-tu de l’empathie pour moi ? demanda-t-il, surpris.
– Oui.
– Bien. Je dois vérifier ta dorure, me dit-il. Je ne voulais pas le faire sans ton accord. J’attendais ton réveil. Tu veux bien que je regarde ?
Je demeurai interdite, abasourdie par sa demande. Je le dévisageai un moment. Le temps semblait s’étirer. À mesure que les secondes passaient, un sentiment d’oppression grandissait en moi, jusqu’à venir me submerger.
– Regarder… quoi ? soufflai-je, de plus en plus anxieuse.
– Je ne te ferai aucun mal, rassure-toi, je dois juste t’examiner, ajouta-t-il.
Je me redressai d’un bond, effrayée.
– C’est pour prendre soin de toi, Nêryah !
Je croisai mes bras sur ma poitrine, sourcils froncés, et secouai la tête en signe de protestation.
Mon ravisseur s’avança vers moi. Totalement épouvantée, je poussai mon dos contre la colonne, comme pour m’enfoncer dedans. Peine perdue, je ne pouvais pas m’enfuir. Mes bras toujours serrés contre mon buste, j’agrippai fermement mes épaules avec mes doigts, comme pour me fabriquer une armure symbolique.
– Qu’allez-vous faire ? m’affolai-je.
Une larme coulait le long de ma joue. L’homme masqué s’approcha pour l’essuyer de son index ganté. Je frémis à son contact.
– Nêryah… Tu te méprends sur mes intentions.
Malgré ces paroles qui se voulaient rassurantes, Sèvenoir attrapa mes poignets. Je criai de douleur, à cause de mes blessures, mais résistai à sa prise, contractant mes muscles au maximum pour l’empêcher d’ouvrir mes bras. L’homme masqué écarta petit à petit mes membres, sans brusquerie. Je sentais bien dans ses gestes qu’il ne voulait pas me faire mal, mais qu’il devait absolument vérifier quelque chose.
Impossible de me dégager de sa poigne. Ce constat me plongea dans un état de frayeur. Je glissai le long de la colonne de pierre, me retrouvant à genoux, désespérée. Des larmes de terreur et d’incompréhension perlèrent au coin de mes yeux. Je ne parvenais plus à bouger.
Il soupira de lassitude, puis relâcha soudain mes bras.
– Tes poignets ! s’exclama-t-il. Comment se fait-il qu’ils soient dans cet état !
Horrifiée, je découvris mon sang suinter de mes plaies. J’eus un haut-le-cœur. Je fermai un instant mes paupières, l’estomac noué.
– Pardon, Nêryah ! Je ne voulais pas te blesser ! s’effara-t-il, pétri de regrets. Les liens n’étaient pas censés te serrer à ce point ! Maudite magie incertaine sur les objets, elle ne m’obéit pas !
Il examina ma blessure.
– Tu… ne cicatrises pas ? s’étonna-t-il, le ton accablé. Je t’ai détachée il y a un moment… tu aurais dû guérir…
Je le regardai intensément, indignée. Je compris à l’intonation de sa voix qu’il semblait réellement stupéfait. Il n’avait donc pas remarqué mes blessures. Pourquoi cela l’intriguait-il autant ?
Je ne savais plus comment réagir. Je m’étais laissée gagnée par la panique, trop épuisée pour pouvoir ressentir ses intentions. Je compris que je me trompais probablement sur lui : l’homme masqué voulait peut-être effectivement me soigner.
Alors que j’appuyais fermement sur mes poignets pour stopper les saignements, et pour soulager la morsure qui lacérait ma chair, un éclair attira mon regard. Une immense colonne de lumière apparue dans la salle, au niveau de la table, irradiant tout l’espace de sa clarté aveuglante. Elle tournait sur elle-même, avançant droit sur nous. Ce phénomène détourna l’attention de l’homme masqué. Il se leva d’un bond, bras écartés, face à cette étrange magie.
De fins lacets scintillants sortirent de la tornade luminescente pour m’attraper, jusqu’à entourer mon corps tout entier. Incapable de résister, je me voyais aspirée par cette colonne lumineuse, tirée par les filaments qui en émanaient.
Sèvenoir ne semblait pas pouvoir la toucher, ni m’atteindre. Je l’entendis crier : « Non ! Non ! Si proche du but ! ».
J’entrai au centre du cylindre, littéralement absorbée par cette structure intelligente. Mon ravisseur ne put rien y faire. Contre toute attente, le processus se révéla indolore. Mon corps flottait à l’intérieur, et s’allégea de plus en plus, au point de s’évaporer.
yess le cliffhanger qui donne envie de tourner la page à nouveau !
J'aime beaucoup le prénom Sèvenoir, il est chouette et bien trouvé.
"En lui expliquant la signification du syndrome, je donnais foi en ses paroles : je me trouvais peut-être effectivement dans un autre univers.
Un monde où Stockholm n’existait pas."
=>J'ai bien aimé ce bloc
"– C’est sans doute pour cela que tu es si précieuse… En éprouves-tu vraiment pour moi ? demanda-t-il, surpris."
=> éprouver quoi ? De l’empathie j’imagine, mais là c’est pas clair, je pense que je préfèrerai avoir le mot « empathie » répété.
Sèvenoir a l'air bien complexe comme personnage ! J'ai été un peu perturbée par la scène où Neryah est acculée contre un mur, j'ai trouvé ça très violent très subitement son état de panique et l'insistance de Sèvenoir.
"Avorian, l’un de mes pires ennemis, t’a placée sur Terre"
=>je trouve ça bizarre qu'il en parle déjà comme son pire ennemi, peut-être que cette information peut venir plus tard ? peut-être que là il peut suggérer quelque chose de pas très sympa vis-à-vis d'Avorian uniquement ?
J'aime beaucoup ton dernier paragraphe, on sent vraiment Neryah s'évaporer, être entraînée malgré elle par cette lumière !
Bon j'attaque le chapitre suivant, à tout de suite :)
Merci de m'avoir lue !
J'aime bien inventer des prénoms.
J'avais 13 ans quand j'ai inventé celui de Sèvenoir. Je l'ai gardé parce que je l'aime bien aussi !
Je prends en note de tes suggestions, tu as raison, je vais modifier tout cela et apporter plus de subtilité.
J'ai changé un peu le passage de la colonne, mais cela doit rester effrayant.
A bientôt !
J'ai adoucit le passage de la colonne, et apporté des précisions : on doit ressentir que Nêryah est effrayée, mais qu'elle panique pour rien car il ne veut pas lui faire de mal.
– Pourquoi m’avoir ligotée, je ne comprends pas."
Ici, je mettrais un ":" après "dialogue" et un "?" à la place de la deuxième virgule.
"– Tu ne peux pas savoir à quoi je ressemble exactement. La plupart des nations de notre monde sont des espèces de type humanoïde. Et c’est toi qui t’exprimes dans notre langue." ici je remplacerais "nations" par "habitants".
Tu emploies souvent "Sèvenoir" au début, tu pourrais lui trouver d'autres descriptifs... (étrange, ce nom en pensant à l'arbre... il doit être un des "méchants" ?).
Comme elle est arrivée très jeune sur notre Terre, c'est étrange qu'elle puisse parler leur langue, non ? Tu n'utiliserais pas plutôt un genre de lien télépathique ?
Merci pour tes suggestions !
Le nom Sèvenoir sera expliqué mais dans le tome 2...
Il ne fait pas partie des méchants, dans mon histoire, les personnages sont complexes, et on ne trouvera pas de véritables "méchants", mais plutôt des êtres qui ont des idées... bien personnelles !!
Pour la langue, patience, ce sera très bien expliqué dans les chapitres suivants ;)
Merci, je corrige le reste, tu as parfaitement raison. Ton expérience m'aide beaucoup !
Alors c'est un chapitre où l'on apprend beaucoup de choses et qui distille en même temps une bonne dose de mystère ! C'est chouette car ça lance bien l'intrigue :)
Par contre, ce sont les mêmes éléments qui m'ont gênés à la lecture que le chapitre précédent. Toute la première partie de dialogue m'a paru peu crédible car Neryah est attachée à la table et tenir une conversation dans ses circonstances me paraît insensé.
Alors tu donnes bien la raison pourquoi Sevenoir (intéressant prénom, c'est toi qui l"a inventé ?) l'attache mais pour moi ça suffirait qu'il attache ses poignets au mur et la discussion serait plus possible.
Pareil, je veux bien que ton héroïne ait de l'empathie pour son geôlier mais dans cette situation, j'ai un peu du mal à le croire. Tu peux peut-être le garder pour plus tard ?
J'avoue ne pas cerner Sévenoir, j'imagine que c'est un peu l' antagoniste de ton histoire, mais pour l'instant, je trouve ses réactions complètement decousues voire un peu folles (je ne sais pas si c'est ton but, cela dit).
Il l"attache puis la délivre, la menace avec un couteau, s'excuse ensuite platement...
Par contre, on sent qu'il a une histoire intéressante et j'ai hâte d'en savoir plus.
Voilà, j'espère ne pas trop te froisser, mais c"est surtout la forme qui est à retravailler, dialogue, sentiments de l'héroïne ou tu es encore beaucoup dans le tell, relation entre les personnages...
La fin est très intriguante !
A bientôt pour la suite 😉
Merci pour ton retour !!
Argh, il ne fallait pas le lire tout de suite !
je suis en train de modifier ce chapitre et je n'ai encore eu le temps de publier ici ^^ j'aurais dû te prévenir ^^ c'est en chantier. Pour le prénom, oui, j'ai inventé Sèvenoir il y a bien longtemps (j'avais 13 ans quand j'ai créé son nom ^^)
Par contre, oui, c'est fait exprès qu'il soit un peu fou.
Je termine tout ça et si tu as envie, tu pourras me dire si c'est mieux ;)
J'ai tjs du mal avec la scène où il veut vérifier sa dorure,pourquoi ne le fait-il pas avant quand elle est inconsciente ou au tout début lors de son réveil alors qu'elle est terrorisée?
J'ai l'impression que tu souhaites absolument un rapprochement physique entre les deux mais un je ne saisis pas pourquoi...
A bientôt 😃 sur ton histoire ou la mienne !
Ces deux chapitres sont encore en chantier, j'y travaille j'y travaille ^^
Pour mon histoire, c'est normal que Nêryah soit très empathique avec ce personnage. on le comprendra plus tard, dans les autres chapitres. Du coup ce n'est pas évident à retranscrire. Elle ressent bien la tristesse de Sèvenoir, mais aussi son cœur, son humanité. Est-ce que tu penses que c'est une histoire de reformulation, ou de précision ? Ou mieux vaut enlever ?
Ensuite, Sèvenoir ne souhaite pas vérifier sans son accord sa dorure au départ(les chapitres suivant expliquent la dorure, je laisse une part de mystère exprès ici) , mais comme elle refuse, il s'impatiente. Et vu son caractère complexe, ça tourne un peu au drame. (Comme c'est l’hiver sur Terre, Nêryah a effectivement une grosse couche de vêtements, Sèvenoir le lui dit)
Je comprends les points que tu relèves, je vais voir comment peaufiner cela , ou l'amener différemment, et j'espère que ce sera plus fluide ^^
A bientôt sur ton histoire, je vais commenter haha !!
Merci pour ce moment de lecture.
Merci pour ton retour et merci à toi d'être toujours aussi fidèle à la lecture de mon roman, cela fait plaisir !!
Le dialogue n'était pas simple à mettre en place, alors je suis soulagée qu'on ressente le côté "naturel"