Chapitre 9 : Mari et femme

 

   Après une bonne  nuit de repos l’inspecteur Rodes retrouve son bureau et pour une fois c'est lui qui attend son supérieur le lieutenant Dawkins qui arrive quelques minutes plus tard.

 

    Rodes : — Ton réveil n’a pas sonné ?

 

    Dawkins : — Avec toute la route que j’ai fait hier, je n’avais pas envie de prendre ma voiture, pour venir ce matin.

 

   — Tu viens de faire plus de dix kilomètres à pied ?

 

   — Non, je ne suis pas fou, j’ai pris les transports en commun et je crois que je serais probablement arrivé plus tôt à pied, mais j’en ai profité pour réfléchir à notre affaire.

 

   — Et pour draguer des filles !

 

   — Qui drague dans un bus ?

 

   — T’as jamais vu le film speed ?

 

   — Oui, alors dans mon bus on allait à une allure d’escargot, il n’y avait pas de femme fatale et dieu merci, il n'y avait aucune bombe.

 

   — Aujourd'hui c’était calme mais qui sait ce qui t’attend demain !

 

   — Demain, je retrouve le confort de ma bagnole.

 

   — Au fait, tu as réfléchi à quoi ?

 

   — Au réchauffement climatique.

 

   — Vraiment !

 

   — Non, j'ai pas que ça à faire ! Et que veux-tu que j’y fasse ? Je trie déjà mes déchets depuis plus de cinq ans, je n’utilise plus aucun sac plastique et la planète est toujours en danger.

 

   — It’s a hard-knock life for us, It's a hard-knock life for us.

 

   — T’es de bonne humeur !

 

   — Qu'est-ce que t'as de prévu pour ruiner la journée ?

 

   — On va continuer d’interroger nos suspects.

 

   — Et qui va-t-on interroger aujourd'hui ?

 

   — Un docteur.

 

   — Encore !

 

   — On interrogera aussi sa femme.

 

   — Elle fait quoi ?

 

   — C'est un docteur tout comme son mari, ils se sont connus pendant leurs études.

 

   — J’interroge la femme et toi le mari.

 

   — Non, on continue les interrogatoires en équipe.

 

   — On les interroge ensemble ou séparément ?

 

   — Ensemble, de toute façon, une épouse ne peut pas témoigner contre son conjoint et puis on verra leurs réactions l’un face à l’autre.

 

   — Ils seront là, bientôt ?

 

   — J’ai appelé le docteur Parrish dans le bus, je lui ai donné rendez-vous dans une demi-heure, ils ne devraient plus tarder.

 

      Le temps est passé bien vite et l’inspecteur Rodes n’a même pas eu le temps de relire le dossier des suspects qu’ils étaient déjà tous installés dans la salle d'interrogatoire. La première phase de l’interrogatoire consiste à une présentation respective de tout le monde suivi de l’explication de la raison de leur entretien. La deuxième phase consiste en un petit jeu que les policiers ont l’habitude d’utiliser. Le jeu des regards et de l’attente, après les avoir bien observés, les deux policiers se sont fait appeler par leur capitaine, laissant les deux époux seuls dans la salle, ils reviennent puis ressortent les faisant patienter pour faire augmenter la tension de l’interrogatoire. Une heure et demie plus tard, les enquêteurs sont de retour face aux suspects.

 

    Dawkins : — Madame Parrish, vous préférez que je vous appelle Madame Parrish ou Docteur Parrish ou encore Leslie ?

 

    Madame Parrish (énervée) : — Appelez-moi, comme bon vous plaira, du moment qu'on en finisse au plus vite.

 

    — Je vous appellerai Leslie alors.

 

    — Vous avez de vraies questions ?

 

    — Pour vous Leslie, quelques-unes. Commençons par vos relations avec votre mari. Les qualifieriez-vous de bonnes ?

 

    — On est encore marié, c’est que ça ne doit pas aller si mal que ça.

 

    — Que voulez-vous dire par là ? Auriez-vous connaissance d’une petite infidélité de la part de votre mari ?

 

    — Une, vous voulez rire !

 

    Alan Parrish : — J’ai un petit problème, je n’arrive pas à résister aux femmes, mais je suis une thérapie depuis deux ans.

 

    — Sacrée thérapie ! Je t’ai retrouvé au lit avec ta thérapiste.

 

    — J’ai changé de psychologue pour toi, je suis suivi maintenant par le docteur Charles Atlan.

 

    — C’était ça ou le divorce.

 

    — Mais on s’aime. Et puis, je ne suis pas le seul qui ne respecte pas nos vœux de mariage.

 

    — Il faut toujours que tu remettes ça sur le tapis. J’ai eu une aventure avec un seul de mes collègues.

 

    — Ce n’est pas le nombre qui compte.

 

    — Tu sors toujours les mêmes arguments, elles ne comptent pas pour toi, c'est juste de l’attraction animale.

 

    — Mais c’est vrai, ces filles n’ont jamais compté, alors que toi tu avais des sentiments pour ton collègue.

 

    — Je te l’ai déjà dit en séance, je me sentais blessée par toutes tes petites incartades avec ces filles, j’avais besoin de soutien.

 

    — Tu voulais égaliser les scores !

 

    — Comment pourrais-je égaliser quoique ce soit avec toi. T’es comme Lucky Luke, tu tires plus vite que ton ombre.

 

    — Tu recommences à te moquer de moi, Charles nous a pourtant dit d’éviter de nous agresser avec des paroles blessantes.

 

    — Ne te la joue pas offensé avec moi, je te connais bien. Et il ne t’a pas aussi conseillé d’arrêter tes plans culs.

 

    — J’essaie mais la tentation est quotidienne.

 

    — Et on se retrouve ici à cause d’une autre de tes tentations quotidiennes.

 

    Dawkins : — Donc vous étiez au courant pour la relation entre Janis Martin et votre mari !

 

    Rodes : — T’aurais pu les laisser continuer, si ça se trouve, un des deux auraient avoué.

 

    — Non, j’ai eu la réponse à ma question, on mène l’interrogatoire et là je crois qu'ils nous baladent avec leurs histoires de couple.

 

    Alan Parrish : — Vous savez que vous parlez de nos vies !

 

    — Vous croyez qu’on allait parler de quoi !

 

    — Du meurtre de Janis ! C'est pas pour ça qu'on est là ?

 

    — Oui, cependant comme vous avez eu une relation intime avec elle, on se doit aussi de vérifier si vous ou votre femme aviez une raison de la tuer.

 

    Madame Parrish : — Si je devais tuer toutes celles qui passent dans son lit, je serais une véritable tueuse en série, vous croyez qu'il en vaut vraiment la peine.

 

    Rodes : — Qui sait ? Et tous les tueurs en série commencent d’abord par tuer une première victime puis ils passent à la suivante.

 

   — Mais je n’ai tué personne !

 

   —  Vous êtes médecin et les médecins tuent leurs patients. C’est bien connu !

 

   — N’importe quoi ! Cette fille n’était pas ma patiente.

 

   — Donc vous avez déjà tué au moins un de vos patients.

 

   — Comme vous devez le savoir, on a beaucoup de patients très malades et parfois la maladie est plus forte que nous.

 

    — Donc vous admettez nous avoir menti. Vous n'avez pas tué personne !

 

    — Pas vraiment, les patients ça ne compte pas, enfin vous me comprenez.

 

    — Je crois seulement que vos patients ne doivent pas penser la même chose que vous.

 

    Dawkins : — Quand avez-vous appris que votre mari avait une relation avec Janis Martin ?

 

    — Je passe souvent à l’hôpital et les docteurs parlent pendant leurs opérations, je crois même que certains font exprès de m’avertir. Ils espèrent qu’à force de m’informer des dérapages de mon époux, je me déciderai à enfin le quitter, mais je m’accroche à notre mariage. Notre psychologue pense lui aussi que je m’obstine inutilement, selon lui je n’arrive pas accepter le fait de mettre autant fourvoyer avec un homme infidèle.

 

     — Qui vous a informé de cette relation ?

 

     — Je ne sais plus, une infirmière devait en parler avec une autre.

 

     — Et quand avez-vous su ?

 

     — C’est assez flou dans ma mémoire, je l’ai su comme pour presque toutes les autres aventures, mais quand ça, je ne m’en souviens pas.

 

     — Cela fait plus d’un mois ?

 

     — Oui.

 

    Rodes : — Donc vous aviez tout le temps de préparer votre coup.

 

    — Mais je n'ai rien préparé.

 

    — C’était sous le coup de l’émotion alors ?

 

    — Non, je ne lui ai rien fait.

 

    Dawkins : — Avez-vous un alibi pour l’heure du crime ?

 

    — Et quand est-elle morte exactement ? Parce que si vous voulez un bon alibi, il faudrait savoir lequel je dois vous fournir.

 

    — Lundi matin, entre sept et neuf.

 

    — C'est vague ça !

 

  Rodes : — Pour les plaintes, adressez-vous au légiste. Vous le connaissez peut-être ? Joe Anders.

 

   — Non, ce nom ne me dit rien.

 

   Alan Parrish : — Moi, je le connais bien.

 

   — D’où tu connais ce type ?

 

   — Il a déjà fait l’autopsie de plusieurs de mes patients, c’est normal, c’est quand même un légiste du coin.

 

    Rodes : — Vous avez tué beaucoup de patients ?

 

   — Je suis chirurgien et les opérations du cœur, c’est plus risqué que les petites opérations du quotidien.

 

   — C'est un mauvais médecin ?

 

  Madame Parrish : — Il est loin d'être le meilleur.

 

  Alan Parrish : — Tu continues avec ton dénigrement.

 

  — Dire la vérité n'est pas dénigrer !

 

  Rodes : — Elle n'a pas tort, si vous êtes réellement mauvais, ce n'est pas du dénigrement.

 

  Dawkins : — Non, je reconnais les piques intentionnellement méchantes, elle veut diminuer son mari devant les autres.

 

  Alan Parrish : — Parfaitement ! L’hôpital reconnais mon talent.

 

  Madame Parrish : — Ton talent avec les infirmières ou avec tes patients ?

 

  Rodes : — Quoi ! Vous couchiez aussi avec des patientes ?

 

  Alan Parrish : — Je n'ai pas qu’un seul talent, je soigne mes patients.

 

   Dawkins : — Mais si j’en crois le livre qu’écrivait Janis, j’y recroise un personnage qui selon moi vous correspond traits pour traits, et il avait des relations inappropriées avec ses patientes. Aviez-vous des relations inappropriées avec vos patientes ?

 

   — Vous ne pouvez pas prendre de la fiction pour la réalité.

 

   — Au départ, je serais du même avis que vous mais après quelques entretiens avec vous et vos collègues, ce livre ne ressemble plus trop à une fiction.

 

  Madame Parrish : — Le plus triste, c’est que cela ne m’étonne même pas.

 

  — Leslie et quant à votre alibi, vous ne me l’avez toujours pas donnée.

 

  — J'aimerais bien dire que j'étais avec mon mari, mais encore une fois, tu n’étais pas là. Si je me rappelle bien, ce jour-là, vers les sept heures j’ai dû me réveiller seule chez nous, je me suis préparée puis vers les huit heures j’ai pris un café dehors pour ensuite me retrouver coincée dans un embouteillage sur la route en direction de l’hôpital.

 

  Rodes : — C'est vraiment pas ce qu'on appelle un bon alibi et même si vous aviez une preuve de paiement pour votre café, vous auriez pu prendre ce café avant ou même après le meurtre.

 

  — J’ai payé par carte et j’ai gardé la facture pour mes notes de frais. Vous la voulez ?

 

  Dawkins : — Non, comme mon collègue vous l’a dit, cela ne vous disculpe pas mais ça ne vous inculpe pas non plus. Au fait, pourrais-je avoir l’identité de votre ex-amant ? Il est aussi suspect.

 

  — Francis n’est pas un assassin.

 

  Rodes : — Laissez-moi deviner, c'est un médecin ?

 

  — Non, c’est un aide soignant.

 

  — Blanc bonnet, bonnet blanc ! Et son nom de famille ?

 

  — Weise. Et vous ne demandez pas la liste de ses aventures ?

 

  — C’est prévu au programme !

 

  Alan Parrish : — La liste est assez longue.

 

  Madame Parrish : — T’aggraves ton cas !

 

  — Je n’ai pas tué, Janis, je n’avais aucun mobile. Pour moi, elle ne représente rien comme toutes ces filles qui sont dans mon fichier Excel.

 

  — Tu as un fichier Excel ! Mais où ?

 

  — Sur un serveur externe, je sais que tu gardes un œil sur moi. Alors quand je suis à mon bureau, il m’arrive de me connecter sur un site de cloud professionnel sécurisé. J’ai créé un fichier avec les adresses et numéros de téléphone des filles avec qui j’ai eu des aventures.

 

  Dawkins : — Vous pouvez m'envoyer ce fichier ?

 

  — J’ai juste besoin de votre adresse e-mail.

 

  ( Dawkins lui tend sa carte de visite) — Tenez ! C’est mon email professionnel.

 

  Madame Parrish : —  Tu ne lui envoies pas tout de suite !  Tu dois en être fier de ta liste.

 

  Alan Parrish : — Je dois le faire depuis mon bureau, sinon c'est beaucoup plus long.

 

  Rodes : — Et où étiez-vous à l’heure du crime ?

 

  — Je ne sais plus.

 

   Madame Parrish : — Mais tu te fous de moi! Tu étais avec une autre de tes ...

 

   — Ne t’énerves pas !

 

   Hank fait sortir Leslie de la salle d’interrogatoire laissant Rodes avec le mari.

 

   Alan Parrish : — Vous auriez pu nous interroger séparément !

 

   Rodes : — On y avait pensé ! Vous étiez avec une autre femme à l’heure du crime ?

 

   — Comme d’habitude, je n'ai aucune volonté, parfois j'ai l’impression de vivre sur l’île de la tentation, il suffit parfois d’un sourire ou d’un regard et je replonge. C’est pas de ma faute, je suis malade.

 

   — Bien sûr, docteur ! Et le nom de la fille ?

 

   — Cindy Miller, c’est une jeune infirmière.

 

   — Une autre !

 

   — Que voulez-vous ! Je travaille dans un hôpital, si j’étais pilote d’avion, je serais probablement avec des hôtesses de l’air.

 

   — Nous allons vérifier tout ça. N’oubliez pas de nous envoyer votre liste au plus vite ! Vous pouvez y aller maintenant !

 

   — Génial ! Ma femme va sûrement vouloir me quitter, mais j’ai fait mon devoir de citoyen.

 

   — Si j’était vous, un divorce serait le cadet de mes soucis. Ce que j’ai vu dans les yeux de votre femme me ferait beaucoup plus peur. Cette femme vous veut mort.

 

   — Non, Leslie ne me fera jamais de mal, elle a besoin de moi. Elle pourrait me quitter mais elle n'a jamais eu recours à la violence et elle n’ira jamais jusque là.

 

   — Si vous le dites ! Mais mon instinct de flic n'est absolument pas d’accord avec vous. Si j'étais vous je ferai attention.

 

   Le docteur Parrish sort du commissariat et vingt-cinq minutes plus tard les deux policiers se retrouvent face à face.

 

   Dawkins : — Je viens de recevoir la liste du docteur Parrish.

 

   Rodes : — Il a fait vite.

 

   — Cette liste fait plus de cinq pages.

 

   — Il s’ennuie pas le malade.

 

   — J’ai vu ta Tracy sur sa liste.

 

   — Elle travaille à l’hôpital, c’est pas vraiment une surprise vu le nombre de noms qu'il y a sur cette liste. Moi, ce qui m'a le plus surpris lors de notre interrogatoire, c’est qu’on ait trouvé une relation entre lui et Anders.

 

   — Il a beaucoup de patients morts et Anders est légiste, ça n'a rien de suspect. Tu as besoin de vraies preuves, pour l’instant tu n’as qu’un vague soupçon.

 

   — Très bien, je te laisse vérifier les alibis des divers amants et la liste, vu que selon moi, cela ne te mènera nulle part.

 

  — Et toi, tu feras quoi pendant ce temps ?

 

  — Je suivrai la piste d’Anders.

 

  — Je vais en avoir pour des heures à vérifier tout ça, tes suspicions sur Anders peuvent attendre. Tu m’aides ?

 

  — Non je marche à l’instinct et je sens que ma piste est valable, alors amuse-toi bien avec tes fausses pistes !

 

  — Pour une fois que tu pourrais m’être utile Pluto ! D’accord, on se sépare,  mais si tu ne trouves rien cette fois, il y aura des conséquences fâcheuses.

 

  — Tu penses à quoi ?

 

  — Des heures et des heures de corvées dégradantes.

 

  — Et si j’ai raison, les corvées te seront réservés.

 

  — Je me tape déjà les corvées, je pense que c'est à toi de faire tes preuves et pas à moi.

 

  — Je ne m'inquiète pas, je trouverais des trucs sur Anders.

 

  Ils se séparent. Dawkins est assis à son bureau.

 

  Dawkins : — Il a un vrai don pour me laisser tout faire, tout seul, parfois je me demande si il ne fait pas exprès. Bon sang, j’en ai pour des heures. Alors je commence par qui ? Et la gagnante est Cindy Miller.

 

  Dawkins prend son téléphone et compose le premier numéro d’une longue liste, la journée est loin d'être fini, mais il faut bien que quelqu'un fasse avancer l’enquête et il ne compte pas sur Rodes.   

 

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