Chapitre 9 : La chute

Quand Meggie ouvrit la porte ce soir-là, Joey et Siméon étaient sans doute les deux dernières personnes qu’elle s’attendait à trouver sur le pas de sa porte. 

Joey ouvrit ses bras en grand.

— Hé ! Bien le bonsoir !

Derrière elle, Siméon arborait le même sourire angélique que sa comparse.

— Veux-tu être notre alibi ? ajouta-t-il, cérémonieux.

Meggie gloussa. À en juger par leurs traits défaits, elle était certaine que ces deux-là s’étaient encore fourrés dans de beaux draps. Elle les invita à entrer, pénétra dans la cuisine pendant que Joey et Siméon quittaient leurs chaussures et en sortit une minute plus tard avec deux verres de soda frais. Les trois amis empruntèrent les escaliers en bois qui menaient au premier étage puis au grenier. Quand Meggie poussa la porte de sa chambre un souffle chaud caressa le visage de Joey. La fraîcheur de la nuit était incapable de faire redescendre la température de la pièce aménagée sous les combles. 

Meggie, installée dans le vieux canapé récupéré chez sa grand-mère, s'empiffrait machinalement de chips, tenue en haleine par la narration haletante de Siméon, sous le regard amusé de Joey, assis sur le tapis. 

— Tu as réussi à ouvrir la porte avec le fil de fer ? C’est incroyable, Siméon ! s’exclama Meggie. 

Joey avait décidé de concéder à Siméon cet exploit. Depuis quelque temps, elle devinait que son meilleur ami avait à cœur d’impressionner Meggie.

La fille du conservateur eut du mal à trouver le sommeil cette nuit-là. Couchée tête-bêche avec Siméon sur un matelas posé à même le sol, elle observait la lune à travers la fenêtre de toit. Qui sait où se trouvait la momie ? Joey ne pouvait s’empêcher de croire que Mary avait été volée, sinon pourquoi les voix se seraient-elles contraintes à avancer à la lumière d’une lampe torche dans le couloir obscur ? La femelle dracorex venait à peine d’être découverte et, déjà, elle avait disparu. Joey frissonna en énumérant une à une les personnes qui étaient entrées en contact avec la femelle dinosaure.

— Papa, Giulian, Willebrod, Lord Neville, son bras droit...

Le coupable se trouvait forcément dans cette liste. Même si Joey détestait le directeur du musée et son homme à tout faire, elle devait bien avouer qu’elle ne comprenait pas quel pouvait être leur mobile. 

Siméon se retourna dans un froissement de draps et grommela quelques paroles incompréhensibles :

— Les dragons ont faim... Oh, des hot-dogs... J’aime bien les hot-dogs...

Les yeux de Joey tiraient sous l’effet de la fatigue. Une chose apparut clairement à la fillette cette nuit-là : elle s’était fait prendre à son propre jeu. En espionnant la conversation de son père et de Neville, en se cachant dans le placard et en quittant finalement le musée à une heure indécente, elle s’était contrainte au silence. Si Joey apprenait à son père que Mary venait d’être dérobée, elle serait forcée d’avouer qu’elle lui avait désobéi. Son estomac se tordit. La jeune fille se souvenait parfaitement de la dernière fois où elle n’avait pas écouté les recommandations de son père. Sa gorge se noua sous l’effet de la montée des larmes. Elle ferma les yeux et se concentra sur le silence. Un silence tout relatif tant le parquet de la chambre de Meggie protestait sous l’effet de la chaleur.

Il faisait nuit noire. Des miaulements plaintifs tirèrent Joey de son sommeil. Elle se vit descendre l’escalier à pas feutrés et entrouvrir les grandes portes vitrées du salon. Pieds nus, elle avançait dans l’herbe humide, slalomant habilement entre le bac à sable et son pousseur en forme de dinosaure. Soudain elle l’aperçut, tremblant sur une des branches du grand chêne, implorant qu’on vienne l’en déloger. Un chaton. Là-haut, solidement nichée entre les branches massives, la cabane en bois lui permettrait d’atteindre l’animal. Avant de poser son pied sur le premier barreau de l’échelle, elle jeta un regard inquiet par-dessus son épaule. Personne ne l’avait vue quitter la maison. Déterminée, elle saisit les montants de l’échelle et commença son ascension. Elle se souvint avoir pensé que son père exagérait. Elle grimpait avec une telle facilité. Plus qu’un tout petit effort et, bientôt, elle pénétrerait dans ce temple interdit d’où elle pourrait atteindre l’animal. Mais tout à coup, son pied nu dérapa et le souvenir de son menton qui heurtait l’une des marches de bois revint à elle. Joey sursauta. Elle se sentit dégringoler et tout son corps se crispa. Contre toute attente, ce n’est pas sur le gazon qu’elle s’écrasa douloureusement cette nuit-là. Quelque chose avait amorti sa chute. L’horizon tanguait et le vent lui frappait le visage. Était-elle sur le pont d’un bateau ? Non, ce n’étaient pas des voiles qui fendaient les vagues d’une mer agitée. Des ailes. Elle était ballottée au rythme de battements d’ailes. Comment avait-elle pu atterrir sur le dos de cette étrange créature ? Pourquoi lui était-elle venue en aide ? Sous ses doigts, elle sentit une croûte rocheuse dentelée. Avant qu’elle ne puisse en saisir l’un des piquants les plus saillants, l’animal changea brutalement de trajectoire. Aspirée par le néant dans une chute vertigineuse, Joey se réveilla, la face contre le plancher de la chambre de Meggie. Elle se redressa, transpirante, sa longue mèche collée sur le front. Tout en massant ses cervicales, la jeune fille jeta un coup d’œil à Siméon, étendu en étoile de mer sur le matelas gonflable.

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SalynaCushing-P
Posté le 26/04/2020
Bêtise à moitié avouée bêtise à moitié pardonnée ?
Un chapitre court mais qui insiste un peu sur la personnalité de Joey et ses ressentit vis à vis de la situation. Je pense que le chapitre mériterai de passer plus de temps sur le ressentie de Meggie sur la situation. Et hop on dort chez la copine comme ça sans avis des parents ? Un peu bizarre, même si on est vendredi soir ....
peneplop
Posté le 27/04/2020
Bien vu, ton point de vue est intéressant ! Merci !
MrIous
Posté le 18/02/2020
Oh, court, mais efficaces. J'ai toujours eu du mal avec les scènes de rêves que ce soit à lire ou à écrire, (sûrement parce que je me souviens très rarement de mes rêves) du coup je suis toujours partagé dans ces cas-là.

"Un chaton. Là-haut, solidement nichée entre les branches massives" Je ne suis pas sûr de l'accord en genre féminin sur ''niché".

Est-ce que le mystérieux animal volant qui la rattrape a-t-il un sens particulier ? En tout cas, est-ce que c'est un détails significatif pour Joey ?
peneplop
Posté le 18/02/2020
Coucou ! Merci de ta lecture :) C'est une "jolie" faute... En effet... Merci de me l'avoir signalée !
Oui, tu découvriras que tout ça à un sens... Ou plutôt, tu me diras si tu trouves que tout s'éclaire vers la fin du tome 1 ! Je croise les doigts !
A bientôt !
Renarde
Posté le 30/12/2019
Coucou peneplop,

"La jeune fille se souvenait parfaitement de la dernière fois où elle n’avait pas écouté les recommandations de son père. Sa gorge se noua sous l’effet de la montée des larmes." Qu'a-t-elle donc fait ? Et quelles en ont été les conséquences ? Un rapport avec sa mère ?

C'est intéressant, parce que tu as souligné plusieurs fois qu'elle refusait de désobéir à son père, alors même qu'elle n'est pas trop du genre à suivre les règles. Du coup, on se doute bien que quelque chose de grave est arrivé.

Meggie est à la fois présente sans être là pour l'instant. Elle n'a pas encore une personnalité bien définie pour moi, alors que Siméon et Joey ont des caractères forts et bien distincts. Est-ce que c'est voulu ?

Sinon, on bascule sur une enquête ! Vu qu'ils ne pourront avouer qu'ils étaient présents ce soir là, j'imagine qu'ils vont enquêter de leur côté. Sans doute que les compétences de Siméon seront utiles.
peneplop
Posté le 30/12/2019
Merci de ton commentaire.

En effet, Joey est coincée dans une drôle de dualité rapport à ses élans aventureux. Effectivement, quelque chose de grave s'est passé.

Tu as raison, Meggie n'est pas un personnage qui s'est montrée indispensable pour l'instant. Tu me diras au fur et à mesure si cela s'arrange...?

Est-ce que tu as compris que Joey rêve ce soir-là (dernier chapitre... Pavé) ?
Renarde
Posté le 30/12/2019
Pour le rêve, pas au début. Je me disais justement que ce n'était pas très prudent de sortir seule en pleine nuit pour un chat, mais c'est très "Joey" comme attitude. Ensuite, tu te demandes si tu bascules dans un univers fantastique, puis finalement tu te retrouves dans la chambre et tu comprends que c'est un rêve.
J'ai justement beaucoup aimé ce passage : réel - fantastique - rêve.
Arabella
Posté le 25/06/2019
Chapitre 6
 
Putréfaction è peut etre l’expliquer un mot ou deux ? pour les enfants.
 
-Lord Neville est un personnage que je trouve très intéressant, parce qu’il est exactement dans la mouvance de notre triste temps (vidéosurveillance, absence de relation entre patron-ouvrier (ou employés, surveillance également du personnel, absence d’empathie à l’égard d’un inferieur) je trouve intéressant, il permet de mettre en valeur le conservateur (vu qu’il est son exacte contraire). Il me fait penser à une version moderne et encore plus antipathique de Rogue (au début de Harry Potter).
 
-Le conservateur le considérait comme un arriviste et il n’avait pas tort. è Je ne suis pas sûre que des enfants sachent ce que ça veut dire. Il faudrait l’expliquer peut être, où le montrer par une action, un dialogue.
 
-Joey avait l’habitude de penser qu’il était la conscience maléfique du directeur et qu’il introduisait dans son esprit les plus viles idées. è super bonne idée ! j’aime bien ce côté Raspoutine !
 
Bon chapitre, qui laisse encore beaucoup de suspens. Je trouve que les idées sont très bonnes, après voilà, peut être que si les enfants étaient un peu moins externalisé à l’intrigue ca serait chouette. Peut etre davantage en projetant la narration à travers l’œil de Joey : dire ce qu’elle fait, ce qu’elle voit, comment elle perçoit le dialogue, est-ce qu’elle a envie d’intervenir.
 
 Le chapitre 5 et 6 : les enfants sont plus spectateurs que les précédents (après je sais que c’est normal, étant donné que seuls les adultes savent diriger ces machines, rpéserver le dinosaure etc. Mais je pense à la Croisée des mondes, qui est un ouvrage qui raconte les aventures de Lyra, une enfant qui est constamment dans le tome 1 entourée d’adulte, pourtant qu’elle prend la place, essaie de faire l’adulte etc, donc peut etre que c’est possible J Après ca dépend de tes choix narratifs, ce ne sont que des suggestions !
 
Chapitre  7 :
 
Son air renfrogné en disait long sur sa déception. è Peut être pour que ce soit plus personnel, je développerai ici en rentrant dans sa tête (peut etre même en italique. Du style : Pourquoi les avaient-ils forcé à sortir ? C’était injuste : eux aussi avaient découvert le mystère !
 
Pour qui il se prend, celui-là ? è Elle pourrait être plus énervée, jeter quelque chose  à terre, crier de rage. Je me souviens que petite lorsqu’on m’excluait des trucs d’adultes, ça me rendait folle de colère. Peut etre qu’ici ca peut intensifier le personnage et permettre aux enfants de se retrouver en elle !
 
 Il y avait toujours un nouvel endroit à explorer où quelque chose d’incroyable à observer : un jour une nouvelle pierre était ajoutée à la collection des minéraux, un autre on préparait l’arrivée d’un nouveau squelette... Mais il est vrai que les deux amis ne quittaient jamais le musée aussi tard.  è j’adore cette partie qui permet d’imaginer une enfance faite de cachette dans un musée, de jeux d’explorateurs. Peut etre à développer. C’est tellement une sorte de madeleine de Proust !
 
J’aime beaucoup le passage du placard à balais : tu nous emmènes dans une nuit au musée ! Les enfants vont avoir droit à vivre ce dont on a tous rêvé. Cette scène marche super bien, on frétille à l’idée d’avoir la suite hihi. Peut etre juste montrer que du temps passe entre la scène où ils s’enferment et celle où le vol est réalisé, parce qu’on comprend pas vraiment.
 
Je trouve que Joey est vraiment adorable et elle pense à ne pas causer d’ennui au gardien, je trouve ça intéressant, c’est aussi une leçon de bonté pour les lecteurs.
 
Chapitre 8 :
 
Le chapitre 8 débute super bien avec le côté coupable, le fait qu’ils aillent chez la copine. Peut etre développer leurs conversations, qu’ils emettent des hypothèses ensemble, qu’ils se contredisent, se coupent, expliquent les uns aux autres. Ils peuvent regarder sur internet. Ca peut etre un moment d’échange qui fait avancer l’intrigue tout en apprenant à connaître les 3 perso !
Le coupable se trouvait forcément dans cette liste. Même si Joey détestait le directeur du musée et son homme à tout faire, elle devait bien avouer qu’elle ne comprenait pas quel pourrait être leur mobile. è Génial, une intrigue policière par une ado ! c’est super. On aime beaucoup l’idée également que les personnages ne sont pas tout blanc ou tout noir : Le directeur du musée, bien qu’un homme peu sympathique, n’est pas le coupable désigné : c’est super intéressant !
Je trouve la fin top : le cauchemar qui montre que le cerveau de Joey est emprisonné par cette idée, Siméon adorable et risible malgré lui. Top.
J’insiste : ton travail a énormément d’inventivité et de charme. Les personnages, l’action, la narration, on ne s’ennuie jamais ! A mon avis, tu peux véritablement parvenir à rentrer dans les attentes de l’éditeur, car cette histoire, a 12 ans, m’aurait gardé en haleine.
 
Merci pour cette lecture !
 
 
peneplop
Posté le 21/10/2019
Arabella,

Même constat... Je n'ai pas répondu à ce commentaire non plus. C'est juste un peu fou. Je ne vais pas revenir en détail sur ce que tu me souffles car j'ai depuis le mois de juin retravaillé le roman et toutes tes remarques m'ont été d'une grande aide. Ton enthousiasme aussi. Il m'a redonné un coup de pêche à un moment où, je m'en souviens, j'étais dans le creux de la vague.

A très vite !
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