Chapitre 9 : Complications

Par Notsil

Les deux jours suivant s’installèrent dans la même routine. Les trois Envoyés s’entendaient bien et bénéficiaient de l’expérience de leurs ainés. Les Émissaires souriaient parfois en se remémorant leur apprentissage ; puis c’était au tour des Envoyés de rire quand ils se précipitaient obéir aux Messagers à leur place.

Contrairement aux prévisions du Messager Sulio, Lucas ne ralentissait pas le groupe autant qu’il l’avait craint. Le jeune Seyr ne réclamait aucun traitement de faveur, et était prêt à se porter volontaire deux fois plus que les autres.

–Tu avais raison, Arcal, dit-il ce soir-là. Il en ressortira peut-être quelque chose de bien.

Le Messager sourit.

–Tous les Seyrs ne sont pas à mettre dans le même sac. Il tient bien plus d’Aioros que de Valérian.

–Je n’en serai pas si sûr, commenta Daram en rejoignant ses confrères.

Le reste de sa phrase fut couvert par des cris et des bruits d’éclaboussures.

–Je crains que le bois de la soirée se retrouve mouillé, continua Daram.

Sulio soupira et Arcal gloussa. Ils étaient encore jeunes, profitaient de leur insouciance. Et c’était aussi bien, de son point de vue.

Ce n’est pas un simple repaire de brigands, fit soudain Tekeos dans son esprit.

Comment ça ?

Viens.

Arcal se leva.

–Sulio, je te confie le camp. Mélior, avec moi.

–À vos ordres, Messager, répondit aussitôt l’Émissaire en bondissant sur ses pieds.

Les deux Mecers s’envolèrent vers le sud-ouest après quelques pas d’élan.

Dis à Mélior de me suivre. Je ne veux pas être repéré.

Entendu.

Le Messager rasa la cime des arbres, Mélior dans son  sillage. Tekeos le conduisait droit vers la vallée, dans la petite clairière où le campement avait été signalé pour la dernière fois. Après quelques minutes, Arcal décida de ne pas prendre davantage de risques, et chercha le meilleur endroit où atterrir dans cette forêt dense. Mélior plongea à sa suite au milieu de la canopée.

–Nous continuerons à pieds.

Mélior confirma d’un signe de tête.

Les ailes repliées soigneusement sur leur dos, les deux Mecers progressaient sans un bruit sur l’épais tapis d’aiguilles.

Arcal s’avança dans les fourrés, écarta doucement les buissons. Mélior s’était placé un peu plus loin sur sa gauche, pour avoir un autre angle de vue. S’ils étaient découverts, la fuite par les airs leur serait impossible sous un feuillage aussi dense.

Regarde par ici, guida Tekeos.

Par Eraïm, murmura le Messager.

Tout ceci devenait soudain bien plus compliqué qu’une simple mission pour démanteler un camp de brigands. Des gémissements s’échappaient d’un abri aux planches disjointes, plusieurs soldats mangeaient autour d’un feu.

Arcal jura entre ses dents et fit signe à Mélior de le rejoindre. L’air sombre, l’Émissaire avait lui aussi perçu le potentiel catastrophique de la situation.

–Rentrons sans nous faire prendre. Et pas un mot aux Envoyés.

*****

Quand ils revinrent, le calme était revenu au camp. Trempés, les jeunes Envoyés grelottaient devant le petit feu qu’avait autorisé Sulio. Dès qu’Arcal lui avait communiqué les nouvelles via le Wild, il avait refusé tout feu trop important qui signalerait leur position.

L’Émissaire Irys était inquiète et le Messager Daram la rassura d’un sourire.

–Restez là, commanda Sulio d’un geste quand leurs Envoyés firent mine de les rejoindre. Vous êtes trempés, ce serait dommage d’attraper une pneumonie.

–Oui, Messager, grommelèrent les jeunes, résignés.

–Joli prétexte, avança Arcal. Il va nous falloir changer de plan, reprit-il une fois qu’ils se furent suffisamment éloignés pour être hors de portée des oreilles des plus jeunes.

–Pour quelle raison, Messager ? demanda Irys.

–Ce ne sont pas des brigands, mais les troupes régulières de l’Empire.

–S’ils ne sont qu’une douzaine comme prévu, ça ne change rien, intervint Sulio en croisant les bras.

–Ils ont des esclaves avec eux, lâcha Arcal.

Daram jura.

–Ils ne sont pas prêts pour ça, dit Daram, inquiet.

–Alors nous abandonnons ce groupe à ses exactions ? s’indigna Sulio. Je refuse qu’un détail pareil nous détourne de notre but.

–Nous allons réfléchir à un nouveau plan, proposa Arcal. Il est hors de question qu’ils soient confrontés aux esclaves. Nous devons trouver un moyen de les séparer du reste du groupe. Irys et Mélior, je compte sur vous pour monter la garde cette nuit. Réveillez l’un d’entre nous au besoin.

–Compris, Messager.

–Nous enverrons les jeunes au nord sous un prétexte quelconque. Et nous aviserons.

–Ça me parait bien, dit pensivement Sulio.

Arcal étouffa un bâillement.

–Je ne m’attarde pas, autant être en forme.

Les Mecers acquiescèrent ; Irys s’isola en bordure du camp pour monter la garde tandis que ses collègues s’enroulaient dans leurs ailes pour trouver le sommeil.

*****

–Ils nous cachent quelque chose, murmura Assym le lendemain matin.

–Tu crois vraiment ? demanda Lucas en baillant.

–Venez plutôt m’aider au lieu de papoter, lança Syrcail.

Ils étaient déjà allés chercher du bois dans la forêt toute proche du camp, situé dans une grotte à flanc de falaise.

Au matin, les Messagers leur avaient donné une nouvelle mission : pêcher le repas. La petite rivière était toute proche, mais aucun des trois garçons n’avait d’expérience à partager sur le sujet.

Pantalon retroussé aux genoux, bras nus, Syrcail se tenait au milieu des eaux vives. Il jura quand un cinquième poisson lui glissa entre les doigts.

–Tu parles d’un exercice ! fulmina-t-il.

Ses ailes chocolat brassèrent l’air en réponse à sa colère.

Assym gloussa et bondit le rejoindre.

–Ce n’est pourtant pas si difficile, dit-il en imitant la voix de Sulio. Vous trouvez le poisson grâce à son ombre, vous glissez les mains sous son ventre, et hop, il est à vous ! Un vrai jeu d’enfant.

Syrcail éclata de rire.

–S’il t’entendait… essaie au lieu de te moquer.

À ses côtés, Lucas essuya un nouvel échec. Il soupira.

–Il y a trop d’eau ici, dit-il en regagnant la rive d’un battement d’ailes. Je descends un peu, voir si je trouve un meilleur coin.

–Soit prudent ! lança Syrcail.

Ils n’entendirent qu’un « plouf ! » sonore en réponse.

Assym se redressa, inquiet.

–Lucas ?

–Allons voir.

Deux battements d’ailes plus tard, ils étaient au bord d’une vasque naturelle, encadrée de joncs et de roseaux. L’eau était suffisamment claire pour leur permettre de distinguer les galets qui en tapissaient le fond, et plusieurs poissons s’enfuirent sous leur ombre.

Nulle trace de leur ami.

–Où était-il ? s’inquiéta Assym.

–Regarde ! Une plume dans l’eau !

Sauf qu’il n’y en avait pas qu’une, réalisa Syrcail avec effarement.

–L’eau est profonde ici, et le courant traitre, fit Assym, soucieux, en désignant les tourbillons qui se formaient ça et là.

Il ne précisa pas sa pensée, mais Syrcail la partageait. Lucas avait très bien pu être emporté. Leurs ailes étaient un handicap dans l’eau, les alourdissant, restreignant leurs mouvements et leur vision.

Assym était déjà en vol ; Syrcail le rejoignit. De là-haut, il leur serait plus facile de repérer les ailes de leur ami. Il espérait que la rivière ne s’élargisse pas trop, que la profondeur diminue et que Lucas ait pu reprendre pied rapidement.

Assym pointa le doigt et plongea vers l’aval, suivi de Syrcail. La rivière devenait plus tumultueuse, et bondissait de rochers en rochers. Syrcail était inquiet. Puis dans un méandre plus calme, ils le trouvèrent enfin, balloté entre deux rochers sous la force du courant.

Assym atterrit tout près dans une gerbe d’éclaboussures, hissa son jeune confrère sur la rive. Syrcail le récupéra tant bien que mal ; il n’avait pas sa force. Essoufflés, ils s’affalèrent sur la berge. Lucas était pâle, glacé et une énorme bosse se formait sur son front. Deux grosses claques dans le dos plus tard, il ouvrait les yeux en crachant et toussotant. Il était trempé, dégoulinant d’eau.

–Eraïm soit loué, marmonna Syrcail près de lui.

–Comment vas-tu ?

–J’ai… froid, balbutia Lucas. Merci. J’ai glissé, et après…

–Marcher te réchauffera. Viens, invita Assym en lui tendant la main.

Il hissa Lucas sur ses pieds sans le moindre effort et les trois jeunes remontèrent la rivière tant bien que mal, contournant les buissons trop épais. À pieds, c’était bien plus long qu’en volant, mais avec ses plumes mouillées, Lucas n’était pas en état de suivre ses camarades.

Une heure plus tard, fourbus, ils étaient revenus à leur point de départ.

–Tout ce temps perdu, soupira Assym.

–Désolé, marmonna Lucas.

–Pas grave. Mais ce n’est pas de cette façon que nous mangerons quelque chose, rappela Syrcail.

Assym releva ses manches et le défia du regard.

–Je parie que j’en attraperai plus que toi !

–Tenu !

Ils se jetèrent dans la rivière. Assis sur la rive, Lucas les regarda se disputer avec un sourire. Ses tremblements cessaient peu à peu comme il se réchauffait au soleil.

Ses deux amis s’amusaient comme des fous. Plusieurs poissons furent bientôt lancés sur la rive ; décidé à se rendre utile, Lucas sortit sa dague et entreprit de les vider, les écailler puis de les enfiler sur des branches épaisses.

Ses confrères devenaient doués, décida-t-il quand il lui fut difficile de suivre le rythme. Assym et Syrcail finirent par sortir de l’eau, trempés et exténués.

–Je ne sens plus mes doigts, grommela Assym en s’étalant sur l’herbe.

–Pareil, dit Syrcail.

–Les miens sentent bien trop fort, fit Lucas en plissant le nez.

Ils éclatèrent de rire.

–Vous croyez qu’on pourrait aller jeter un coup d’œil au camp, nous aussi ?

–Ils nous l’ont interdit, rappela Lucas.

–Allez, quoi, me dit pas que t’as pas envie d’aller voir ? relança Assym.

–Si, bien sûr, mais…

–Si on s’y prend bien, on ne risque rien, réfléchit Syrcail. Il suffit que personne ne nous voie.

–Sauf que les Émissaires Irys et Mélior montent la garde cette nuit.

–Ça, ça devrait être facile à régler, commenta Assym avec un regard espiègle.

À la surprise de Lucas, Syrcail gloussa.

–J’ai l’impression qu’un point important m’échappe, soupira le jeune Envoyé, maussade.

–Tu n’as rien remarqué ? s’étonna Assym. C’est pourtant évident.

–Mélior est totalement fou d’Irys, expliqua Syrcail.

–Oh. Je n’y avais pas prêté attention, dit Lucas.

–Il suffira de faire comprendre à Irys ou Mélior que l’autre Émissaire en pince pour lui, expliqua Syrcail. On pourra peut-être leur suggérer un lieu de rendez-vous, d’ailleurs ?

–Ou pas, ils ne délaisseront pas la surveillance du camp en s’éloignant. Ils sont Émissaires, quand même.

–Et quand ils seront occupés par leurs petites affaires, nous pourrons nous glisser en douce du camp, continua Syrcail.

–Vous êtes certains que les Compagnons ne nous repèreront pas ? demanda Lucas, inquiet.

–Hum, bien vu… commenta Assym. Bah, ils sont censés surveiller que personne ne vienne, pas qu’on sorte.

–Au pire on trouvera bien un prétexte pour justifier d’être hors des limites du camp. Ça me plait tout ça, dit Syrcail dont le visage s’éclaira.

Lucas était moins enthousiaste que ses deux compères. S’ils se faisaient prendre… Mais il n’osait pas saborder leur plan. Il était déjà le plus jeune, il n’allait pas être en plus un boulet. Autant les aider un maximum dans leur entreprise.

Et puis il était curieux, aussi. Qu’est-ce qui justifiait de les tenir ainsi à l’écart ? Des cadavres, Lucas en avait déjà vus. La vision était sinistre, certes, mais n’était-il pas de leur devoir de s’y habituer ?

Les Envoyés ramenèrent leur pêche au camp. Le Messager Sulio avait préparé le feu, et ils s’empressèrent de piquer les branches pour faire griller les poissons.

–Doit-on en garder quelques-uns crus pour les Compagnons ? demanda Lucas, surprenant ses ainés.

–C’est gentil d’y penser, répondit Daram. Et plutôt rare de la part d’un Envoyé. Un seul leur suffira, leur chasse a été bonne.

Lucas rougit d’être ainsi au centre de l’attention. Comment aurait-il pu en être autrement alors qu’il côtoyait au quotidien les Compagnons de ses frères et sœurs ?

—Qu’allons-nous faire cet après-midi ? demanda Syrcail.

—Daram, Mélior et Irys iront en repérage, dit Arcal. Sulio et moi nous occuperont de votre entrainement.

*****

Les trois Envoyés ouvraient des yeux ébahis sur le camp ennemi. La nuit était claire et la lune leur dispensait une lumière suffisante pour se repérer dans l’obscurité. Finis les rires, les jeunes gens étaient pétrifiés.

–C’est horrible, murmura Assym.

À ses côtés, Lucas acquiesça, glacé. Il ne s’était pas senti le courage de ne pas suivre ses amis, et maintenant, il commençait à le regretter.

–Il faut les secourir, décida Syrcail.

–Comment ? Je doute qu’on puisse réussir seuls, avança Lucas.

–Vous croyez qu’ils savaient ? chuchota Syrcail.

–Pourquoi ne pas nous en avoir parlé, alors ? s’interrogea Lucas.

–Pour éviter que vous ne fassiez ce genre d’idiotie, peut-être ?

Les trois Envoyés se figèrent. Derrière eux, ils découvrirent l’Émissaire Irys, bras croisés et l’air mécontent.

Très mécontente même.

–Vous imaginiez peut-être nous rouler avec un subterfuge aussi évident ? Nous sommes Émissaires. Notre sens du devoir est bien plus développé que ce que vous imaginez. Alors maintenant, vous allez rentrer bien sagement et présenter vos plus plates excuses. Sinon…

–Sinon quoi ?

Les branches s’écartèrent dans un craquement sec. Le cri perçant d’un aigle déchira les airs. Quatre soldats impériaux s’avancèrent.

Pire, deux d’entre eux tenaient un arc dont la flèche était encochée.

–Fuyez, ordonna l’Émissaire Irys entre ses dents serrées.

Son épée était déjà entre ses mains.

–Mais… objecta Assym. Nous pouvons aider !

–Vous me gênez plus qu’autre chose. Dégagez de là.

L’officier impérial ricana.

–Les petits poussins veulent jouer dans la cour des grands ? Écoutez maman si vous tenez à la vie. Tâchez de les prendre vivants, ajouta-t-il à l’attention de ses hommes.

Les flèches sifflèrent et les Envoyés s’égayèrent comme une volée de moineaux. Leur petite escapade nocturne prenait soudain une toute autre tournure.

Les impériaux étaient plus agiles qu’eux au milieu des bois ; les frondaisons étaient bien trop denses, bien trop obscures malgré leur excellente vision, pour qu’ils tentent de s’enfuir par la voie des airs. Alors ils louvoyaient entre les troncs d’arbres, juraient en s’empêtrant dans les buissons qu’ils n’avaient pas vu, s’accrochaient aux branches les plus basses.

Assym trébucha avant de tomber à genoux. Syrcail jura et dérapa sur la couche d’humus humide.

–Lucas !

L’Envoyé stoppa net sa course et revint sur ses pas. Avec Syrcail, il glissa un bras sous l’épaule de son ami.

–Merci, grommela Assym. Saleté de flèche.

–Garde ton souffle, lui enjoignit Syrcail. Nous ne sommes pas tirés d’affaire. Le campement est encore loin.

Lucas était inquiet. Assym était lourd, réduirait leur vitesse. Et les impériaux n’étaient pas loin. À ses côtés, Syrcail donnait le rythme, et Lucas s’efforçait de suivre.  Il étouffa un juron quand Syrcail s’immobilisa brusquement et tituba un instant, déséquilibré.

–Pourquoi tu t’arrêtes ?

Son ami ne répondit pas et Lucas leva les yeux. Ils étaient encerclés.

Là, ils étaient mal.

–Attrapez les gamins, ordonna l’officier impérial.

Avaient-ils eu raison de l’Émissaire Irys ? songea Lucas. Ou avait-il décidé de les poursuivre en personne ? Il entendit Syrcail tirer son arme et s’empressa de l’imiter.

Les impériaux ne prirent pas la peine de dissimuler leurs sourires et Lucas grinça des dents devant leur assurance.

Puis deux ombres apparurent et les sourires s’effacèrent.

–Tirez ! hurla l’officier.

Les Envoyés se recroquevillèrent en un futile espoir de créer une cible moins visible. Mais les impériaux n’avaient que deux archers, et d’un habile mouvement les flèches furent tranchées en plein vol par les deux Messagers.

–Abattez-les, ils sont trop dangereux !

L’officier avait tiré son arme, hésitait pourtant à se porter au combat. Il n’avait que huit hommes, et deux étaient déjà hors combat. On ne s’attaquait pas à l’élite massilienne sans une bonne préparation.

Arcal et Sulio avaient visé les archers en premier ; les Envoyés seraient ainsi à l’abri d’une attaque à distance. Il n’y avait plus qu’à achever le reste du groupe et espérer que Daram et Mélior aient réussi à rejoindre Irys à temps.

Bouches bées, Syrcail, Assym et Lucas n’étaient que les témoins de l’efficacité de leurs maitres. Aucun mouvement superflu ; ils allaient  à l’essentiel, esquivaient avec souplesse. En quelques minutes tout fut terminé. Les lames en Ilik regagnèrent leurs fourreaux dans un mouvement fluide.

L’admiration des jeunes pour leurs ainés cessa pourtant net quand deux regards furieux se posèrent sur eux. Lucas déglutit péniblement. Il doutait que les Messagers se montrent plus magnanimes qu’Irys.

–Quelque chose à dire ? entama Sulio.

–Assym est blessé, Messager, intervint Syrcail.

–Gravement ? demanda Sulio avec inquiétude.

Il s’agissait de son Envoyé, après tout.

–J’ai juste pris une flèche dans la jambe, rien de grave, marmonna Assym.

–Ca attendra notre retour au camp, alors, dit-il, soulagé.

Les feuillages bruissèrent à leur gauche et Lucas sursauta. Les Messagers n’avaient même pas pris la peine de tourner la tête. Le reste du groupe, songea Lucas en apercevant le Messager Daram accompagné des Émissaires Mélior et Irys. Grâce au Wild qui unissait leurs Compagnons, ils étaient capables de pressentir leur arrivée. Puis Lucas eut un pincement au cœur. Mélior était blessé. L’inquiétude se lisait sur le visage de l’Émissaire Irys, et même le Messager Daram avait un air soucieux.

Leur petite escapade qui avait commencé comme un jeu allait leur coûter très cher.

****

Le retour au camp se fit dans un silence morose seulement troublé par les gémissements des blessés, loin de l’arrivée discrète dont Lucas et ses amis avaient rêvé. Ils furent oubliés, relégués dans un coin tandis que les Messagers s’affairaient auprès de Mélior.

–Ça commence à faire sacrément mal ce truc, grommela Assym. L’un de vous a-t-il déjà retiré une flèche ?

–Oui, murmura Lucas.

Rien que d’y penser, il sentait son mollet le tirailler.

–Tu caches bien ton jeu, le jeunot, maugréa Assym. Comment on procède, alors ?

–Ne vaudrait-il pas mieux les attendre ?

–Non. On peut se débrouiller seuls.

–Il faut d’abord casser la tête de la flèche, dit enfin Lucas, vu qu’elle a traversé.

–Parfait. Tu t’y colles, Syrcail ?

L’air pâle, le jeune Massilien hocha la tête.

–Allons-y.

Assym étouffa un juron quand la flèche se brisa avec un claquement sec.

–Par Eraïm ! Ne va pas me dire que c’était la partie la plus facile, ajouta-t-il avec un regard noir pour Lucas.

Lequel ravala sa salive.

–Quelqu’un a un bandage ? Une fois la flèche extraite, ça va pisser le sang.

–J’ai tout, dit Syrcail en sortant le nécessaire de sa sacoche. Sois fort, Assym.

L’Envoyé agrippa le bras de Lucas, qui le serra en retour. Syrcail empoigna la flèche, tira d’un coup sec. Assym se mordit les lèvres jusqu’au sang et Lucas pâlit sous la poigne de son confrère. Il aurait bien aimé être aussi fort !

–Espérons qu’aucune écharde ne soit restée à l’intérieur, murmura Lucas.

Déjà Syrcail s’activait, serrant le bandage autour de la blessure.

–Une bonne chose de faite, murmura Assym. Eraïm ça pique !

–Il faudra leur demander un truc contre la douleur, marmonna Syrcail en fouillant sa besace. Je n’ai rien ici.

–Tu veux que j’y aille ? proposa Lucas.

Aucun d’entre eux n’avait réellement envie de s’approcher du groupe de leurs ainés. Syrcail grimaça.

–Tu es le plus jeune, peut-être seront-ils plus cléments avec toi ?

Lucas en doutait, mais il acquiesça néanmoins.

Certaines choses devaient être faites. Même quand c’était désagréable. Surtout si c’était désagréable.

L’Envoyé se leva, et s’approcha des Mecers avec circonspection.

–Comment va-t-il ? demanda-t-il doucement.

Le Messager Sulio lui jeta un regard noir.

–Il devrait s’en tirer.

–Et les autres ?

Un instant, la surprise s’inscrivit sur les traits du Messager. Le petit avait l’œil.

–Des blessures superficielles. Que veux-tu ?

–Vous auriez quelque chose contre la douleur ? Nous avons enlevé la flèche qui a touché Assym, mais il a l’air de souffrir.

Le Messager bondit sur ses pieds avec un juron.

–Vous avez fait quoi ?

Lucas se recroquevilla sous le courroux de son ainé. Sulio soupira et se pinça l’arête du nez.

–Bon. Inutile de vous laisser seuls cinq minutes en espérant que vous vous teniez tranquilles, à ce que je vois.

–Nous n’avons pas voulu vous déranger et…

–Peu importe, coupa Sulio. J’arrive.

L’air penaud, Lucas suivit le Messager qui traversa leur camp à grandes enjambées. Il examina aussitôt la blessure de son Envoyé, palpant l’entaille à le faire grimacer, jusqu’à ce qu’il fut certain qu’aucune écharde ne lui ait échappé.

–De l’eau, demanda-t-il à Syrcail. Nous allons d’abord nettoyer et désinfecter avant de faire le bandage. Tu comprimes en attendant, dit-il à l’intention de Lucas.

–Oui, Messager, répondit celui-ci de façon automatique.

C’était un soulagement de laisser quelqu’un ayant l’expérience prendre les choses en main. Syrcail et lui se contentèrent d’observer les gestes sûrs du Messager, qui noua un bandage avec dextérité sur la jambe d’Assym après avoir lavé la plaie.

–Voilà qui va nous ralentir davantage, grommela Sulio. La prochaine fois qu’on vous donne un ordre, obéissez !

–Oui, Messager, répondit les trois jeunes à l’unisson.

*****

Le Messager Daram sortit un reste de pain et de fromage et le distribua. Sur le petit feu, des herbes infusaient dans une marmite de voyage. La nuit était loin d’être terminée et le feu les réchauffait agréablement dans l’air encore frais.

L’Émissaire Mélior était adossé à un rocher, le teint pâle. Un coup de taille avait passé sa garde, et le Messager Daram avait suturé la large plaie, qui heureusement, était plus impressionnante que réellement profonde.  Par chance, les organes n’avaient pas été touchés.  Un large bandage s’étalait sur sa taille et compliquait leurs opérations : il ne pourrait voler bien longtemps dans son état.

Lentement, Lucas fit le décompte des dégâts. Si Mélior était le plus atteint, l’Émissaire Irys n’avait pas échappé à quelques estafilades superficielles. Assym était blessé à la jambe, et Syrcail et lui étaient couverts d’écorchures. Seuls les Messagers s’en étaient tirés sans trop de dommages.

–Alors, entama Arcal quand tous se furent restaurés. Qui a eu cette idée lumineuse de quitter le camp en pleine nuit pour une balade en forêt ?

Les trois Envoyés baissèrent aussitôt la tête avec un air coupable.

–Nous étions simplement… curieux, finit par dire Assym.

–Voyons ça…

–Pourquoi nous avoir interdit de vous accompagner, pourquoi ne pas avoir le droit d’aller jeter un œil ? C’était injuste. Nous sommes là pour apprendre, pas pour rester à l’écart !

–Apprendre à obéir, oui, martela Daram.

–Et avez-vous compris pourquoi vous n’auriez pas dû vous approcher ? demanda Sulio.

–Les esclaves, murmura Lucas.

–Oui. Qu’auriez-vous fait contre eux ?

–Pourquoi ne pas les libérer ? rétorqua Syrcail. Ils n’ont pas demandé à être là !

Sulio se rembrunit.

–Nous ne les libèrerons pas, dit-il, catégorique.

–Pourquoi ? s’indigna Assym.

–Ce ne sont que des victimes innocentes dans cette guerre ! ajouta Syrcail.

–Les esclaves sont une arme, intervint Arcal avec compassion. Qu’ils utilisent contre nous. Ne vous fiez pas au seul collier ; ils ont subi les pires sévices aux mains de leurs tortionnaires, et s’ils sont là, c’est pour leur obéir. Parce qu’ils n’ont pas le choix.

–Tout le monde a le choix, objecta Syrcail.

–Cette option leur a été retirée, dit Daram.

–Vous êtes bien trop jeunes pour être confrontés à ça. Raison pour laquelle nous vous avons interdit d’aller jeter un œil au camp. Vous étiez capable de tenter de les libérer.

–Mais…

–Osez me dire que ce n’était pas votre intention ? continua le Messager Sulio.

Les trois Envoyés s’absorbèrent dans l’examen de leurs bottes, penauds.

–Libres ou pas, ils vous attaqueront sans hésiter. C’est ainsi.

–Leur simple existence est une honte. Ils doivent être éliminés pour laver l’honneur Massilien.

–C’est cruel, murmura Lucas.

–Oui. Mais leur sort l’est déjà bien assez, dit Daram. Si nous avions eu ces informations plus tôt, jamais nous ne vous aurions permis de venir.

–Vous êtes encore trop jeunes, trop sensibles, ajouta Sulio.

–N’est-ce pas horrible de devoir abattre nos frères ? dit Assym. Ils n’ont rien demandé !

–Je n’ai pas dit que c’était facile, nuança Arcal. La facilité n’est pas la voie des Mecers. Nous faisons ce qui doit être fait.

–Vous resterez là, avec Mélior, dit le Messager Sulio. Nous nous occuperons de nettoyer ce camp.

Lucas frissonna. Être Messager donnait moins envie, tout à coup.

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Lohiel
Posté le 05/06/2021
Coucou
Bon, ces petits anges sont de vrais démons 😁, ça risque de se compliquer à très brève échéance.
Et quand est-ce que tu commences à nous offrir des notations permettant la visualisation, la nature, les bruits, le temps qu'il fait ? La tête patibulaire des méchants ? Des détails, quoi (oui, je sais, mais je ne vais pas te lâcher... ^^)
Sinon, ce genre de phrases, il faut les remettre d'aplomb, les doubles négations explicites, ça n'est pas très élégant : "Il ne s’était pas senti le courage de ne pas suivre ses amis" (alors que les doubles négations sémantiques, contenant un mot en lui-même négatif, ça marche : "la lâcheté de ne pas suivre ses amis")
Bisous 🌻
Notsil
Posté le 05/06/2021
Coucou !
Arf oui vrai que ce chapitre manque de description.... je m'embarque trop dans les dialogues, parfois, et comme ils ont avancé, je ne sais plus où / quand mettre pause pour poser les lieux.
Pas faux que les méchants ont 0 descriptions en plus...... rah. Comment j'ai pas vu ça ? ^^
Totalement d'accord pour la double négation, je vais modifier ça.
Et oui ça va encore se compliquer, sinon c'est moins drôle :)
Merci pour tes yeux d'aigle ^^
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