Chapitre 9

Par Diogene

 Le ciel était clair ce soir et les étoiles dansaient, une ronde infinie, qui ne connaissait ni début ni fin. Malgré cela, la touffeur de la journée n’était toujours pas retombée et un vent chaud lui fouettait le visage. La main posée sur son sombrero, il l’ôta et révéla un crâne couvert d’une tignasse rase et luisante. Une odeur de cuir mouillé et de sueur montait à ses narines, mais elle ne l’incommodait pas. En fait, il ne s’en souciait pas.

    Agitant le chapeau sous sa figure, il brassait un air brûlant et sec qui, à défaut de la rafraîchir, évaporait la sueur qui ruisselait sur son visage. Jeté sur son dos, la lanière de son sac lui avait entamé la chair. Mais de même que la chaleur ne l’indisposait pas, il ne ressentait aucune douleur, sinon un simple désagrément. Soudain, ses doigts s’ouvrirent et sa besace chut sur le sol poussiéreux avec un bruit mat, soulevant par la même la roche pulvérulente. Emportée par le souffle du Sirocco, elle semblait flotter librement dans les airs, tourbillonnant sur elle-même, avant de s’élever et de disparaître. Importunée sans doute, une masse jaune sort de dessous une pierre ; un dard luisant bien en évidence. Ses pattes, aux nombres de six, s’agitaient, prêtes à bondir à la moindre alerte, tandis que les deux autres, devenues de puissantes pinces, claquaient dans le vide.

     Agenouillé, il dardait un regard fixe sur la venimeuse créature, dont la goutte menaçante perlait à l’extrémité de son appendice. De la taille de la paume de sa main, il semblait presque inoffensif, si ce n’était son aiguillon maladif qui demeurait sans mouvement, prêt à s’enfoncer aussi bien dans la chair d’une proie, que celle d’un prédateur ou d’un agresseur. Immobile, autant qu’il l’était lui possible, chacun se jaugeait, chacun évaluait la menace qu’il représentait l’un pour l’autre.

    Soudain, une ombre épaisse s’abattit sur le scorpionidé et l’homme se releva avec une lenteur calculée, les yeux rivés sur le sombrero qu’il venait de laisser choir. Aucun mouvement n’était perceptible, mais les grattements de la chitine sur le sol le dissuadaient. À quelques pas de là se détachait la masse sombre d’un bowgada. Reculant avec calme, le talon de ses santiags effleurait à peine la roche mère, soulevant par endroit un peu de cette poussière jaunâtre qui avait engourdi le ciel, il s’arrêta à hauteur de l’arbre, dont la ramure se confondait avec l’obscure.

    La main tendue dans son dos, il se saisit d’une branche qui se brisa dans un bruit sec. De la longueur de son bras, elle était encore verte à son extrémité. Les yeux baissés, il se tourna vers l’arbre blessé et murmura quelques mots à son adresse. Puis, l’index et le majeur joint joints, il les baisa, avant de les apposer sur le tronc. La tête penchée en arrière, il fixa un long moment la lune, puis s’inclina, le rameau entre les doigts. Silencieux, sans un mouvement brusque il se retourna puis s’approcha de son chapeau, toujours immobile. Il entendait distinctement les infernaux grattements de l’animal prisonnier. Félin, il contourna son sombrero de quelques pas, gardant son rebord à porter de son scion, enfin il le glissa sous son chapeau, qu’il souleva avec d’infinies précautions. Une forme pâle s’en échappa aussitôt pour disparaître, sans doute, dans son terrier ou sous un rocher. Mutique, il patienta plusieurs minutes. Puis, certain que l’animal ne reparaîtrait pas, il ramassa son chapeau poussiéreux et le frappa à plusieurs reprises, faisant s’envoler d’immenses nuages d’une nuée sale.

    Il s’apprêtait à s’en coiffer, lorsqu’un éclat lumineux attira son regard. Posé dans le sable, à l’endroit où, quelque temps plus tôt, la venimeuse créature avait été piégée, brillait une minuscule sphère polie, semblable à l’une de ces billes avec lesquelles il jouait étant petit. L’œil attiré par la brillance, il s’agenouilla tandis qu’un froufroutement jaillit dans le ciel, suivi d’un cri rauque qui se répéta. L’oiseau était de nouveau là, ses prunelles luisant dans le noir. Sa queue s’agitait de bas en haut, comme s’il cherchait son équilibre. La tête à présent tournée de côté, il sembla se désintéresser de l’homme agenouillé. Pendant ce temps, l’astricule entre les doigts, il fixait les reflets qui s’y développaient, pareils à de minuscules paillettes qui flotteraient dans un liquide. Elle n’était rien en soi, seulement un petit fragment de verre poli égaré au milieu d’une étendue déserte. Posée au creux de sa paume, elle lui renvoyait désormais les rayons argentés de la lune. Un peu de sable était encore accroché dessus. De l’index, il l’épousseta et un peu d’une poussière grise s’attacha à son doigt. Par jeu, par humeur peut-être, il la fit rouler, surlignant les lignes creusées dans sa chair tannée, ligne de vie, ligne de cœur, ligne de tête, ligne de destin ; il les connaissait toutes par cœur. Lentement, il rabattit ses doigts, obscurcissant l’objet de son attention.

    Bientôt, elle ne fut plus qu’un minuscule point luminescent perdu dans les ténèbres ; perché sur sa branche, l’oiseau croissait ; il avait refermé son poing. Toujours agenouillé, une main à plat sur le sol, il se propulsa et se releva ; la semelle de ses chaussures emportant avec elle un peu de cette étrange poussière. Dans le ciel, une large traînée blanchâtre avait surgi et avait emporté dans son sillage tout le cortège d’étoiles. Lorsqu’il rouvrit son poing, la bille avait disparu et un filet de fumée argenté s’en était échappé, à la place, au creux de sa paume une tache noire, semblable à une brûlure. Du bout de l’index, il en avait effleuré la surface, mais il n’avait ressenti aucune chaleur, aucune douleur. Alors, du bout des lèvres, il embrassa le tatouage ; encore une fois, l’oiseau croassa.

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