Chapitre 8 : Le Palace

Notes de l’auteur : Désolée pour cette longue pause (confinement n'a pas été synonyme d'écriture pour ma part...) Pour rappel, où en étaient les protagonistes ?
Fifi a accepté d'accompagner Franck (son patron au resto !) dans sa famille, pour un repas, afin de jouer sa "fausse compagne" pour tromper la mère de ce dernier qui est très insistante quant à un futur mariage...

- Alors comme ça, je te prive d’une soirée en charmante compagnie ? me demande Franck, après presque trente minutes de trajet silencieux.

Je suis complétement plongée dans mes pensées et ne comprends pas un traitre de mot à ce qu’il me raconte. Je me tourne vers lui (c’est fou comme des lunettes de soleil peuvent embellir à ce point un homme !).

- Pardon ?

- Oh désolé, tu dormais peut-être ? s’excuse-t-il gentiment.

Je vois dans son regard qu’il est réellement navré de m’avoir dérangée. Il est… gêné ? Oui c’est bien cela. C’est une expression que je ne perçois que très rarement chez Franck. Bien que je démente pour le rassurer, il ne parait pas apaisé. Quelque chose le tracasse, ou peut-être… quelqu’un ?

- D’accord. Du coup je disais… je te prive d’un tête-à-tête demain soir, c’est ça ?

Mais de quoi diable parle-t-il ? Pour toute réponse, j’entrouvre la bouche. J’ai l’impression que Franck et la vitre côté passager jouent au ping-pong avec mes yeux. Tous mes rouages se mettent en marche, je suis probablement en train de passer pour une idiote. Je finis par réussir à fixer mon regard sur le paysage. Demain soir, un tête-à-tête ? Moi !? Mais de quoi me par… D’un coup, je comprends à quoi il fait référence : lorsqu’il m’avait proposé par téléphone de l’accompagner ce week-end, pour plaisanter, j’avais prétexté un rendez-vous aux chandelles avec mon grand-père le samedi soir. Ne me dites pas qu’il m’a crue ? Malgré moi, sa naïveté me fait glousser. Je me tourne de nouveau vers lui, et constate 1) qu’il ne m’a pas lâché du regard depuis sa question. On va finir par s’encastrer dans la glissière de sécurité, c’est couru d'avance. Dieu ne peut pas me faire ça, alors que je viens de décrocher le rencard de mes rêves… Je devrais peut-être aller plus souvent à l’église ! Et 2) qu’il ne semble pas avoir apprécié mon ricanement. Reprends-toi Fifi, ce n’est pas parce que tu es en dehors du cadre professionnel que tu dois te moquer de ton patron.

- Excuse-moi Franck. Oui en effet, le samedi soir je dine en général avec Joe, puis on regarde des séries policières. C’est devenu une sorte de rituel, mais ne t’inquiète pas pour ça, il s’en remettra.

Je souris à Franck pour lui montrer que ce n’est rien, je veux qu’il comprenne que ce weekend est bien plus important à mes yeux que n’importe quel autre dîner, même s’il avait été avec Hugh Jackman. Rien que ça…

Il continue de me fixer, les sourcils froncés et les lèvres pincées. Son expression indéchiffrable ne me dit rien qui vaille et me rend encore plus nerveuse que je ne le suis déjà.

- Je vois, répond-il simplement.

Après des mouvements de menton de plus en plus insistants en direction du pare-brise, il finit par poser ses yeux sur la route. Ouf, sauvés, Dieu merci. Un 4x4 noir nous double en klaxonnant et une blonde côté passager nous balance un doigt d’honneur. Surprise, je m’efforce de ne pas réagir quand Franck répond à ses coups de klaxon et lâche un « chauffard !! ». Je l’ai rarement vu de si mauvaise humeur…

Est-ce moi qui l’ai énervé de la sorte ? Ce n’est pas comme si j’avais dit ou fait grand-chose depuis le début du trajet. Oups, c’est peut-être justement ça le problème ? Il s’imaginait que je détendrais l’atmosphère avec mon humour décapant ? Raté !

Autre explication rationnelle : rendre visite à sa famille ne l’enchante pas autant que moi et il passe ses nerfs sur la seule personne à disposition. Faut dire que sa mère ne parait pas être la personne la plus ouverte d’esprit que cette Terre accueille. Pour que son unique fils s’invente une compagne, c’est que leur relation doit être légèrement … étrange. Franck me tire de mes phylosopheries.

- Et donc… heu… vous vous voyez souvent en dehors du boulot avec Jo ?

Sa question me laisse sans voix. Comment ose-t-il oublier que j’habite avec mon grand-père alors qu’il me demande de temps à autre de ses nouvelles. Serait-ce par pure politesse ?

- Avec Joaquim je veux dire, se reprend-il. Navré, des fois je l’appelle par son surnom. Mais je suppose que toi aussi, vu que vous bossez ensemble en permanence.

S’il y a quelques secondes j’étais sans voix, on peut dire que là je suis sans voix, sans vue, sans air, sans battement de cœur, et j’en passe. Seul mon cerveau continue de fonctionner et analyse une seconde fois la dernière phrase de Franck afin de s’assurer que je ne fabule pas. Mon prince charmant pense que c’est avec mon apprenti que j’ai un rendez-vous galant et cela le rend curieux. Franck serait … (j’ose à peine effleurer cette pensée) JALOUX ?

Je suis tétanisée, je ne remarque même pas que mon chauffeur recommence à me fixer. Je jubile de cette découverte inattendue. Franck s’intéresserait donc à moi et à ma vie amoureuse ? Pour de vrai !? Mon premier (et probablement stupide) réflexe est d’entretenir cette jalousie.

- Oui, ça nous arrive de nous voir en dehors des cuisines, rien de bien sérieux, mais tu sais … on préfèrerait que ça ne s’ébruite pas trop. S’il sait que tu es courant, je ne sais pas comment il réagirait. Je compte sur ta discrétion.

J’agrémente ma phrase d’un petit clin d’œil. On lit partout qu’une femme qui se laisse désirer plait bien plus aux hommes, qu’une proie facile. Espérons que Franck fasse partie de ces hommes qui aiment le défi. Vu le challenge que représente chaque jour la gestion du restaurant l’Assiette d’Or, me voilà plutôt rassurée.

Mon rythme cardiaque augmente aussi vite que les kilomètres qui nous séparent de Rouen décroissent. Personne n’a osé reprendre la parole depuis notre dernier échange, plus que surréaliste. Je regarde défiler le paysage, tout en réfléchissant activement à un sujet de conversation intéressant, mais rien ne me vient. Le malaise s’est installé comme troisième passager dans la voiture et Franck ne semble pas vouloir le chasser. La bonne nouvelle est qu’il n’a plus quitté la route des yeux une seule fois.

Il est évident que si j’avais d’emblée dit la vérité à Franck au sujet de mes diners avec mon grand-père, le malentendu aurait été levé et notre conversation aurait pris une tournure beaucoup légère. Enfin, il y aurait eu une conversation. Mais je ne peux m’empêcher de croire que ma réponse était la bonne. Si mon patron est jaloux d’un autre, je suis la femme la plus heureuse de l’univers ! Il ne me suffit plus qu’à lui prouver qu’il a bien plus d’importance à mes yeux que Joaquim ; quelque chose me dit que notre petite escapade amoureuse dans l’ouest va grandement m’y aider.

Mes prédictions se concrétisent lorsque nous arrivons dans la famille Garoche. Ses parents habitent une belle demeure dans la campagne du pays de Bray. Début juin, une majorité des plantes sont en fleur, le paysage qui s’offre à moi est digne des jardins de Versailles. Comme s’il lisait dans mes pensées, mon compagnon temporaire se penche vers moi.

- Mon père était architecte paysagiste. Il est à la retraite depuis trois ans maintenant, mais toujours aussi passionné. C’est magnifique, n’est-ce pas ?

- Oui, réponds-je soulagée qu’il m’adresse de nouveau la parole. Au creux de l’oreille qui plus est. Je sens que le poids qui pressait mes entrailles vient de s’envoler.

- Et attends, tu n’as pas encore vu les serres…

Soudain, la porte d’entrée qui s’ouvre me ramène à la réalité. Une femme relativement imposante se tient sur le seuil de la maison et nous adresse un large sourire, les bras tendus dans notre direction.

- Bonjour mes enfants, ça me fait plaisir de vous voir. Venez donc dans mes bras.

Elle me rappelle immédiatement ma grand-mère quand j’étais jeune. Je comprends mieux pourquoi elle désire tant que Franck se trouve une femme : pour être grand-mère et avoir l’opportunité de chérir une colonie de marmots remuants. Son attitude me colle des frissons et me réchauffe le cœur en même temps. Elle m’écrase contre sa poitrine et fait claquer au moins six bises sur mes joues. Puis elle me prend par les épaules et recule d’un pas pour mieux m’observer des pieds à la tête. J’entends presque ses préoccupations : « cette femme est-elle à la hauteur pour mon fils ? Me fera-t-elle de beaux petits-enfants ? Est-elle propre sur elle ? ».

Être ainsi passée au rayon X n’est pas une sensation particulièrement agréable, mais je prends sur moi. Qui sait, il est probable qu’elle soit un jour ma belle-mère, autant faire bonne impression d’entrée de jeu. Et puis, je suis certaine que ma patience dans une telle situation rassure Franck. Pendant le câlin-de-mamie, un rapide coup d’œil vers lui m’a indiqué qu’il était gêné. Qui ne le serait pas à sa place ? 

Je profite qu’elle me m’étudie dans le détail pour faire de même. La mère de mon patron est une personne que l’on pourrait qualifier de … magistrale. Les mêmes cheveux bruns (légèrement frisés) que son fils encadrent son visage tandis que des mèches blanches parcourent sa chevelure depuis son front et ses tempes. De nos jours, il est rare de voir une femme porter ostensiblement les stigmates de sa jeunesse oubliée. En revanche, presque aucune ride ne vient étirer son visage clair. Et pas l’ombre d’une trace de maquillage. Ses fines lèvres et ses yeux noisette dotés de cils épars sont rieurs. Comment une femme qui respire le naturel, l’affection et la joie de vivre se trouve si exigeante avec son unique garçon ? Soudain, elle relâche sa pression sur mes épaules.

- Au fait, je m’appelle Anne-Marie, mais je suppose que Franck vous a déjà parlé de Michel et moi ? Vous pouvez m’appelez Anni, tout le monde m’appelle ainsi depuis… depuis ma naissance je crois, ajoute-t-elle, souriante. D’ailleurs, je n’ai jamais compris pourquoi mes parents m’ont prénommée Anne-Marie et n’ont jamais daignée utiliser ce prénom. Bref, je m’égare, excusez-moi mes enfants, dit-elle en nous indiquant la maison que nous rejoignons tranquillement. Et vous, charmante demoiselle, vous êtes …

Je me tourne vivement vers Franck, surprise qu’il n’ait jamais parlé de moi à ses parents.

- Maman, je te présente la fameuse Fifi.

- Ah, mais… ta pâtissière ? s’étonne sa mère. Tu ne m’avais pas dit que la personne qui t’accompagnerait serait …

- Eh oui, répond-il simplement.

Je n’entends pas la suite de la conversation. Je me suis arrêtée à « la fameuse Fifi ». Franck a dit fameuse en me désignant... Venant de la bouche d’un homme, cela aurait plutôt tendance à être un compliment, mais venant de son patron, c’est différent. Cela pourrait signifie : l’employée qui me pose tant de soucis. Alors que je me torture l’esprit pour la dixième fois depuis deux petites heures, la maitresse de maison se rapproche dangereusement de moi.

- En tout cas, Fifi je suis très honorée de vous rencontrer, Franck m’a tant parlé de vous.

Anni me prend de nouveau par les épaules. Oh non pitié, pas encore… Mais elle s’arrête là et me relâche.

- A chaque fois que l’on est venu manger à l’Assiette d’Or avec Michel, vous étiez de repos. Vous êtes le seul membre de l’équipe que nous n’avions pas rencontré. Maintenant je comprends mieux pourquoi il vous « cachait », ajoute-elle d’un ton taquin.

- Oui, le hasard fait parfois très bien les choses, n’est-ce pas maman ? dit Franck, souriant mais l’air sincère.

Je ne sais pas s’il est en train de jouer la comédie auprès de sa mère, ou s’il a volontairement fixé mes jours de congés sur les visites de ses parents. Avait-il honte d’eux, ou … de moi ? Stop, Fifi arrête de te poser des milliers de questions futiles !

Franck me fait visiter la maison et m’explique qu’elle a été construite au milieu du dix-neuvième siècle et que les mobiliers sont d’origine. Cela m’amuse de constater que certaines pièces ont quant à elles été complétement remeublées par un bien connu finlandais. Il m’indique que sa mère m’a préparé la chambre de Jeanne, sa sœur.  Alors que je m’apprête à protester, il m’explique qu’elle habite à 2km d’ici et n’utilise plus sa chambre depuis des années. Franck m’a déjà parlé plusieurs fois d’elle, je sais qu’elle a quelques années de moins que lui et qu’elle a fait de longues études en Angleterre. C’est un de nos points communs, nous avons tous deux de la famille proche qui a vécu (ou vit) à Londres. Lui sa sœur, moi mes parents. Alors que nous continuons notre visite, d’un coup, ça fait tilt.

- Attends, ta mère ne nous a pas mis dans la même chambre ? Non pas que je sois déçue, je m’empresse d’ajouter, mais ça m’étonne…

- Sans doute par politesse à ton égard, mais au fond d’elle, crois-moi, elle espère que nous ne froisserons les draps que d’un seul et même lit. Et pas par économie de lessive !

Sa remarque nous fait rire comme des ados.

Depuis la salle de bain de l’étage, nous avons vue sur les serres, construites sur une bande de terrain en retrait, qui ne faisait sans doute pas partie de la propriété à l’époque. A l’intérieur nous distinguons une silhouette fine que je devine être celle de Michel.

- Maman n’a pas encore dû le prévenir de notre arrivée. Allons le saluer, me propose Franck. Par la même occasion, il pourra te faire visiter son petit coin de paradis. Mais attention, même s’il parait plus réservé que ma mère, il peut s’avérer très loquace si on le lance sur le sujet de la botanique.

- Un peu comme toi quand il s’agit de gastronomie, je le taquine.

- Ou un peu comme toi… tout le temps !

Tout sentiment de gêne ou de malentendu, qui avait pu naitre pendant le trajet, semble bien loin de nous. Nous sommes retournés sur un terrain que l’on connait et maitrise à la perfection : les moqueries amicales mais respectueuses. Pour que notre numéro de cinéma auprès de sa famille soit crédible, nous devons avoir l’air complice. Cet aspect-là ne m’effraie pas, nous nous sommes toujours très bien entendus avec Franck. En revanche la proximité physique me pose un peu plus questions. Bien que Franck m’ait assuré que cela ne serait pas nécessaire, l’affection est pour moi le pilier de toute relation sentimentale. Je suis persuadée que ses parents vont nous percer à jours en quelques heures, si je ne touche pas Franck un minimum… On se calme Fifi, on se calme !

Michel nous souhaite la bienvenue chaleureusement mais plus sobrement que sa femme. Nous discutons une dizaine de minutes, pendant lesquelles je comprends qu’il se réjouit que la compagne de son fils soit du même milieu que lui. Les horaires décalés et les jours de congés imprévisibles sont pour lui antonymes d’une vie de couple réussie.

Il nous raconte les dernières frasques de sa chère épouse qui semblent beaucoup le divertir. Michel nous explique qu’il n’a jamais été aussi heureux que depuis qu’il est à la retraite. Il nous cite les quatre destinations qu’ils envisagent pour leur prochain voyage et nous demande notre avis. Pour ma part, je choisis le Pérou sans hésiter. Il nous parle aussi de René et Christine, nos hôtes du lendemain. Il m’a l’air de quelqu’un de calme, pragmatique et extrêmement cultivé, sans mauvais jeu de mots. Et, alors que nous nous dirigeons vers la terrasse où Anni a dressé un apéritif, il me pose LA question fatidique :

- J’espère Fifi que vous avez prévu de vous mettre sur votre trente-et-un demain ?

- J’ai justement prévu plusi…

Horreur, je m’aperçois soudain que j’ai laissé la housse avec mes vêtements de soirée fraichement repassés sur le crochet près de la porte d’entrée.

- Je plaisantais, me rassure Michel qui a dû voir mon regard horrifié. Il ne faut pas venir en robe de plage et tong, mais René et Christine ne sont absolument pas à cheval sur ce genre de chose, bien au contraire.

Je suis très loin d’être rassurée et me demande comment je vais informer Franck du léger contretemps…

Ne voulant pas faire état de ma légendaire étourderie devant le père de Franck, je me contente de répondre que j’ai une tenue surement bien adaptée à ce genre de réception et le remercie pour son intérêt.

Pendant le repas, l’impression que j’ai eue en découvrant les Garoche se confirme : Franck est bien plus proche de son père que de sa mère. Ce sont des personnes tout à fait charmantes, bien qu’Anni soit un peu trop collante et curieuse à mon sujet. En quoi est-ce important que sa belle-fille ait suivi son cursus scolaire dans des écoles privées ou publiques ?  Et de savoir si mes parents avaient des animaux de compagnie quand j’étais petite ? Je suis surement un peu paranoïaque, j’ai peur de mal répondre à une de ses questions, et de nous mettre, Franck et moi, dans une situation impossible.

Heureusement, nous n’avons pas eu à inventer l’histoire de notre rencontre, la supercherie était toute trouvée : nous avons laissé la complicité professionnelle et le temps s’occuper de nous unir. Je suis gênée quand elle me demande si son fils me cuisine de bons petits plats et moi des desserts originaux pour lui. Que répondrait Franck à cette question ? Je suppose qu’il voudrait nous faire passer pour un couple attentionné et romantique : j’affirme donc que cela nous arrive de temps à autres. Toutes mes autres réponses sont à l’avenant, j’essaye de rester évasive dès que possible. J’ai l’impression d’être aussi malhonnête que Météo France, lorsqu’est annoncé « nuageux ».

Anni nous sert un gigot d’agneau aux pommes de terre rissolées, garni d’une salade verte avec des pruneaux confits et des noix. Un vrai régal, je comprends mieux d’où viennent les talents culinaires du patron de l’Assiette d’Or. Pour accompagner le repas, Michel nous apporte une de ses (je cite) « meilleures bouteilles de rouge ». Le dessert, en revanche, sort tout droit du congélateur, j’en mettrais ma main au feu.

La mère de Franck m’explique que Christine et René sont des amis de longue date, qu’elle va leur donner un coup de main pour l’installation dans l’après-midi, le lendemain. Que nous avons notre journée de libre, « en amoureux », mais que nous devons être de retour pour 18h. Elle me demande si nous souhaitons manger à la maison le midi, mais m’indique aussitôt qu’il y a une quantité de restaurants avec du charme dans le centre-ville de Rouen. Elle m’assure que Franck saura me conseiller une bonne adresse. En clair, elle me pousse à déjeuner en tête-à-tête avec son fils… et de la manière la moins subtile qu’il soit.

Après avoir servi de dîner aux affreux moustiques, nous rentrons dans l’immense salon, et les hôtes nous proposent une partie de cartes. Je suis bien contente d’échapper à la traditionnelle soirée où les « beaux-parents » ressortent les albums photos de leur enfant. A moins que ce genre de situation n’existe que dans les films ? Quoi qu’il en soit, Franck semble ravi que j’accepte de faire quelques tours de belotte avec ses parents. Et cela suffit à faire accélérer ma pulsation cardiaque. Pitoyable !

Nous gagnons haut la main, mais au-delà de notre victoire, je vais surtout me souvenir de ceci… Une fois la partie terminée, juste sous le nez de ses parents, Franck me dépose un baiser sur la joue, en glissant un bras derrière mon dos.

- Tu as bien joué ma belle. Papa maman vont vouloir leur revanche, je te préviens.

Depuis, je plane sur un petit nuage. Je ne sais même pas comment je suis passée du salon à la chambre de Jeanne, à l’étage. Comment vais-je réussir à dormir cette nuit ? Est-ce qu’il va considérer que cette démonstration d’amour suffit à ces parents ?

Il ne peut pas recommencer à me surprendre si tendrement. Mon cœur ne va pas le supporter.

 

X X X

 

Si Franck adore sa sœur, idolâtre son père, apprécie sa mère, il y a bien une chose dans sa famille qu’il exècre : cette foutue maison de riches ! « Le Palace » comme se plaisait à l’appeler les gamins du quartier, qui étaient aussi ses bourreaux à au collège. À cet âge où personne n’a envie que les richesses familiales qui transpirent à travers les vêtements viennent exacerber une excentricité refoulée et une sexualité bousculée.

« Hé la Pleurnicheuse, tu vas encore te plaindre à Papa-Maman ? » lui jetaient au visage les crétins de la 4ème B. « Heureusement, il doit y avoir des kilomètres de draps en satin dans Le Palace, pour sécher tes larmes de mauviette ».

Avec du recul, Franck se demande ce que sont devenu ces petits merdeux… Certainement pas directeur d’un grand restaurant, mais vraisemblablement mariés et pères de famille. Cette pointe de jalousie ridicule l’amuserait presque.

En attendant, le plus dur est passé. La journée du lendemain ne sera qu’une banalité.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez